L. 65.  >
À Claude II Belin,
le 18 juillet 1642

Monsieur, [a][1]

Comme je pensais à vous faire réponse, monsieur votre frère [2] est ici tombé malade. Il a eu quelques accès d’une tierce [3] qui n’est pas encore bien réglée, laquelle néanmoins le sera si la nuit prochaine elle revient, stata periodo ; [1] comme, quoi qu’elle fasse, j’espère que nous en aurons raison, soit qu’elle vienne ou non. Il a été saigné quatre fois [4] et a pris quelques lavements [5] qui l’ont fort soulagé. J’ai pressé les saignées au commencement, metu suffocationis quæ a nimia plethora videbatur periculum minari[2] Quand il sera tout à fait guéri, nous solliciterons votre procès. [3] Je ne crois ni ne croirai ni en possessions, ni en sorciers, [6] ni en miracles [7] que je ne les voie et les discerne. [8] Je crois tout ce qui est dans le Nouveau Testament comme article de foi, mais je ne donnerai pas telle autorité à toute la légende des moines, fabulosis et commentitiis narrationibus Loyolitarum[4][9] qui, dans leurs romans qu’ils nous envoient des Indes, [5][10] disent des choses aussi impertinentes et aussi peu vraies que les fables d’Ésope. [6][11] Vous diriez que ces gens-là ne travaillent qu’à infatuer le monde. Il est vrai que si nous étions tous bien sages, ces maîtres pharisiens du christianisme seraient en danger de bientôt mourir de faim. [12] Credo in Deum Christum crucifixum, etc., de minimis non curat prætor[7] Le mensonge est une chose horrible et indigne tout à fait d’un honnête homme, mais c’est encore pis que tout cela, quand il est employé et mêlé dans les affaires de la religion. Christus ipse, qui veritas est, non indiget mendacio[8][13] Je ne saurais goûter les puantes faussetés que les moines [14] débitent par le monde pour autoriser leur cabale, et m’étonne fort, imo serio irascor[9] de ce qu’ils ont tant de crédit. Nocturnos lemures, portentaque Thessala suaviter rideo, sed tacitus[10][15] Vide Franciscanum Georgii Buchanani sub finem : videbis opus mirabile, ut sunt omnia admiranda illius hominis[11][16] MM. de Cinq-Mars, [17][18] de Thou [19] et Chavagnac [20] sont encore de delà, et ne sais s’ils seront si heureux d’être ici amenés. [12] Son Éminence [21] est encore à Tarascon, [22] nondum confirmata valetudine[13] Le roi [23] vient, ce dit-on, bientôt à Fontainebleau ; [24] mais néanmoins, on ne dit pas encore qu’il soit parti de Lyon. La reine mère [25] est morte à Cologne, [26] le 3e de ce mois. [14] Pour Monsieur, [27] frère du roi, sunt turbatæ res suæ[15] son traité n’est pas encore achevé. Je vous baise très humblement les mains, à Mme Belin et à monsieur votre frère, et serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 18e de juillet 1642.


a.

Ms BnF no 9358, fo 69 ; Triaire no lxvii (pages 225‑227) ; Reveillé-Parise, no lv (tome i, pages 89‑90) ; Prévot & Jestaz no 14 (Pléiade, pages 428‑429).

1.

« au rythme prévu ».

2.

« par crainte d’une suffocation dont une pléthore excessive le menaçait. »

3.

Le frère de Claude ii Belin, malade, n’était sans doute pas le chanoine, mais Sébastien (v. note [4], lettre 10), habitant de Paris, qu’on a vu précédemment être débauché, fréquemment souffrant et soigné par Guy Patin (v. note [6], lettre 13). Le procès de Belin, qui avait à voir avec les statuts du Collège des médecins de Troyes, était aussi une affaire récurrente où Patin l’assistait de ses influentes relations parisiennes : v. les lettres du 6 octobre 1640 ou du 13 avril 1641.

4.

« aux narrations fabuleuses et inventées des jésuites ».

5.

L’Inde, au singulier, ou Indoustan, désignait, comme aujourd’hui, « la plus grande et la plus considérable des six parties qui composent l’Asie » (Trévoux) et tirait son nom du fleuve Indus qui en arrose la partie septentrionale.

Au pluriel, les Indes se distinguaient en Orientales, pour l’Extrême-Orient, et Occidentales, pour les Amériques, découvertes à la fin du xve s. Les missionnaires jésuites évangélisaient les deux Indes.

6.

Ésope est l’écrivain grec du viie-vie s. av. J.‑C. à qui on attribue la parenté de la fable comme genre littéraire.

7.

« Je crois en Dieu le Christ crucifié, etc. [paroles extraites du Credo catholique], le préteur ne se préoccupe pas des broutilles [adage juridique romain]. »

Dans son article de sept grandes pages sur Guy Patin, Bayle a déclaré que « les Lettres de Patin témoignent que le symbole de l’auteur n’était pas chargé de beaucoup d’articles », avec ce commentaire (1738, tome 3, page 618, note G) :

« Rapportons ces paroles de son Éloge : {a} “ Il disait les choses avec un froid de stoïcien, mais il emportait la pièce, {b} et sur ce chapitre il eût donné des leçons à Rabelais. On disait qu’il avait commenté cet auteur et qu’il en savait tout le fin. C’est ce qui le fit accuser d’être un peu libertin La vérité est qu’il ne pouvait souffrir la bigoterie, la superstition et la forfanterie ; mais il avait l’âme droite et le cœur bien placé : il était passionné pour ses amis, affable et officieux envers tout le monde, et particulièrement envers les étrangers et les savants. ” Prenez bien garde que pour répondre à l’accusation de libertinage, l’auteur de l’Éloge ne dit pas que M. Patin fût dans le fond bien persuadé de l’orthodoxie chrétienne ; on se contente de nous assurer qu’il haïssait la superstition et qu’il était honnête homme […]. Ce n’est pas ainsi qu’on répond pour le prince de Condé : on oppose à la renommée la déclaration qu’il fit en mourant, Je n’ai jamais douté des mystères de la religion, quoi qu’on ait dit, mais j’en doute moins que jamais. On dira peut-être que les libraires de Genève ont fourré dans cet ouvrage de M. Patin tout ce que bon leur a semblé, mais cette pensée serait ridicule. »


  1. Préface de la première édition des Lettres (1683) et ses auteurs (Charles Patin et Jacob Spon).

  2. « On dit d’un médisant, qu’il a taillé en pièces la réputation d’une personne, qu’il l’a déchirée de toute sa force, qu’il est mordant, qu’il emporte la pièce » (Furetière).

Comme nombre de ses convictions morales ou politiques, la foi religieuse de Guy Patin est difficile à bien cerner, car sa profession variait au gré des circonstances et plus encore, de ses correspondants. On peut néanmoins en saisir quelques principes généraux.

Pour son christianisme sceptique et souple, comme pour ses amitiés avec Pierre Gassendi ou Gabriel Naudé, certains critiques ont eu tôt fait de ranger Patin parmi les libertins érudits, ces précurseurs des Lumières du siècle suivant et des libres penseurs qu’elles ont engendrés (v. notes [9], lettre 60, [6], lettre 159, ou [26] des Préceptes particuliers d’un médecin à son fils). Il est sans doute naïf de si peu se défier du caméléon qui rampait constamment sous la plume de Patin (v. note [51] des Avis critiques sur les Lettres de Guy Patin).

8.

« Le Christ, qui est la vérité même, n’a pas besoin de mensonge », latin inspiré de Job, 13:7 (Vulgate) :

Numquid Deus indiget vestro mendacio ut pro illo loquamini dolos ?

[Est-ce que Dieu a besoin de vos mensonges, et qu’à cause de lui vous disiez des paroles frauduleuses ?]

9.

« et m’irrite même sérieusement ».

10.

« Je me ris doucement, mais sous cape, des lémures nocturnes et des charmes thessaliens » :

Somnia, terrores magicos, miracula, sagas,
nocturnos lemures portentaque Thessala rides ?
 {a}

[Te ris-tu des songes, des terreurs magiques, des prodiges, des sorcières, des lémures nocturnes, {b} des charmes thessaliens ?] {c}


  1. Horace (Épîtres, livres ii, lettre 2, À Iulius Florus, vers 208‑209).

  2. Ogres et vampires, v. notule {b}, note [6], lettre 517.

  3. « Si les Thessaliens savaient si bien trahir, les Thessaliennes passaient pour être les plus habiles en magie. “ Que n’ai-je à mes gages une sorcière deThessalie, dit Strepsiade dans Aristophane, et que ne puis-je par son moyen faire descendre la Lune en Terre ? ” Les Thessaliens, surtout ceux de Pharsale et de Larissa, étaient les hommes les mieux faits de toute la Grèce ; les femmes y étaient si belles, qu’on a dit d’elles qu’elles charmaient par des sortilèges. Elles excellaient si bien dans la coquetterie que, pour les cajoler, on disait que les charmes étaient leur seul partage » (L’Encyclopédie).

L’avis de Guy Patin n’était pas loin de celui d’Érasme quand il fait dire à la Folie (L’Éloge de la Folie, xl) :

Cæterum illud hominum genus haud dubie totum est nostræ farinæ qui miraculis ac prodigiosis gaudent mendaciis, vel audiendis vel narrandis. Nec ulla satietas talium fabularum, cum portentosa quædam, de spectris, de lemuribus, de larvis, de inferis, de id genus millibus miraculorum commemorantur : quæ quo longius absunt a vero, hoc et creduntur lubentius et iucundiore pruritu titillant aures. Atque hæc quidem non modo ad levandum horarum tædium mire conducunt, verum etiam ad quæstum pertinent, præcipue sacrificis et concionatoribus.

[Je reconnais authentiquement de notre farine ceux qui se plaisent à écouter ou à conter de mensongères et monstrueuses histoires de miracles. Ils ne se lassent point d’entendre ces fables énormes sur les fantômes, lémures et revenants, sur les esprits de l’Enfer et mille prodiges de ce genre. Plus le fait est invraisemblable, plus ils s’empressent d’y croire et s’en chatouillent agréablement les oreilles. Ces récits, d’ailleurs, ne servent pas seulement à charmer l’ennui des heures ; ils produisent quelque profit, et tout au bénéfice des prêtres et des prédicateurs]. {a}


  1. Traduction de Pierre de Nolhac (1927).

11.

« Voyez le Franciscanus de George Buchanan, vers la fin : vous verrez une œuvre admirable, comme est à admirer tout ce qu’a écrit cet homme. »

George Buchanan (Killearn, Stirlingshire 1506-Édimbourg 1582) eut une vie pleine de rebondissements qui le firent voyager et étudier par toute l’Europe, puis servir les cours royales d’Écosse et d’Angleterre. Converti au luthéranisme, Buchanan publia son fameux double poème intitulé Franciscanus et Fratres [Le Cordelier et ses frères] en 1539, sur l’instance du roi Jacques v d’Écosse. Sa première partie est le Franciscanus [Le cordelier] proprement dit : il figure aux pages 275‑295 des Georgii Buchanani Scoti Poemata quæ extant, editio postrema [Poèmes complets de l’Écossais George Buchanan, dernire édition]. {a} Il a été traduit en vers français  :

Le Cordelier, ou le saint François de George Buchanan, {b} Prince des poètes de ce temps. Fait en français par Fl. Ch. {c} Plus la Palinodie, qui est la louange des cordeliers et de saint François. {d}


  1. Amsterdam, Ioannes Janssonius, 1641, in‑8o de 561 pages.

  2. V. seconde notule {b}, note [7], lettre 414, pour le bref séjour de Buchanan dans un monastère franciscain écossais, à la fin des années 1530.

  3. Florent Chrestien (v. note [24], lettre 75)

  4. Genève, Jean de l’Estang, 1567, in‑4o de 78 pages.

Ce poème est une violente satire des moines qui valut certes à son auteur la profonde admiration posthume de Guy Patin, mais bien des déboires, de son vivant : il fut obligé de fuir en Angleterre, puis en France et au Portugal, avant de retrouver l’Écosse (1560) pour rentrer dans les bonnes grâces de la reine Marie Stuart (v. note [32], lettre 554) et se consacrer, souvent dans la tourmente des querelles, à l’exploitation de ses talents poétiques, historiques et politiques. Patin estimait tant Buchanan qu’il le comparait à Virgile. Il demeure tenu pour le plus éminent des poètes néolatins du xvie s.

Pour donner une idée de son talent, voici les derniers vers (pages 294‑295) du Franciscanus :

[…] Quapropter moneo dehinc fingite parce
Somnia nocturnos lemures, miracula, ni fors
Aut apud extremos fieri dicantur Iberos,
Americosve, aut Æthiopias, calidove sub axe,
Et caput ignotis ubi Nilus condit arenis,
Unde aderit nemo, qui testis dicta resulet.
Forsita, externos solertia sugerit hostes
Callida, sed pestem natam intra viscera, et ipsis
Hærentem venis hominum vix ulla cavebit
Cura, nisi nostros vis provida numinis olim
Respexisset avos, iamdudum Funiger ordo
Proditus a proprijs misere perijsset alumnis.

Si quis erit fratrum, qui suasus dæmonis ausit
Efferre in vulgus mysteria condita, fraudes
Occultas, ritus nocturni arcana, negatum
Depositum, cæsas post supra nefanda puellas,
Quicquid et extinctis frater patrare lucernis
In fratres solet imberbes, hæc prodere si quis
Audeat, extemplo scelerato sanguine pœnas
Solvat, et æterna compostus pace quiescat.
Hæc sunt, quæ nostro liceat sermone monere.
Et iam plena epulis mensarum fecula fumant,
Lantrantemque fame stomachum prope verba relinquunt.

Hactenus Eubulus, qui facta nefanda perosus.
Funigerum pœnas etiam metuebat acerbas,
Orgia non veritus populo evulgare profano,
Is mihi carminibus lustrato, et sulphure, et ovo,
Et viva rorato unda cerebrosa fugavit
Somnia, de rasis, de cannabe, deque cucullis,
Inque hominum nugis ad lucra nefaria fictis,
Nulla esse ad vitam docuit momnta beatam
.

Traduction de Florent Chrestien (pages 56‑57) :

« Pourtant gardez-vous mieux dorénavant de songes
De miracles d’esprits, et de tels mensonges,
Si ce n’est qu’on les fasse en lieux fort reculés
Comme au bout de l’Espagne et aux pays brûlés
Vers le peuple Amérique, ou bien vers l’Éthiopie
Vers la source du Nil et par-delà Canope,
Ou en quelque autre lieu reculé bien fort loin,
Dont tu ne puisses voir personne de témoin
Qui réfute ton dire. Or les gents étrangères
Croiront peut-être bien les fautes mensongères,
Mais à grand-peine, hélas ! se peut-on garantir
Du mal invétéré que l’homme peut sentir
Dans ses entrailles mêmes, et dans la chair humaine :
Et si Dieu n’eût jadis par bonté souveraine
Regardé nos aïeuls, l’Ordre des cordeliers,
Longtemps y a, fût mort par ses enfants meurtriers.

À tant se tut Eubule, Eubule détestant
Les mœurs des cordeliers, et craignant nonobstant
Leurs grandes cruautés, après qu’au populaire
Il eut bien divulgué le secret du mystère.
Lors m’ayant arrosé avec une vive eau
Par vers, par soufre et œufs, repurgea mon cerveau
De ces songes badins de têtes couronnées,
De capuchons, de rais, de cordes entournées,
Montrant que tels fatras sont un gain malheureux,
Et ne servent de rien pour faire l’homme heureux.

Au reste, si quelqu’un osait d’entre les frères
(Conseillé par Satan) divulguer les mystères,
Les fraudes, les larcins, les dépôts refusés,
Si les secrets de nuit par lui sont accusés,
S’il révélait aussi les filles et les femmes
Qu’on fait mourir après mille forfaits infâmes,
S’il manifeste aussi l’abominable abus
Qui se fait par les grands aux frères non barbus,
Tel méchant soit puni, qu’il fasse sa demeure
Dans le lieu d’in pace, où à la fin il meure.
Or c’est assez parlé, ici je ferai fin
À mes enseignements, car aussi bien la faim
Fait aboyer mon ventre, et déjà la viande
Qui fume dans les plats m’appelle et me commande. »

La satire jumelle du Franciscanus est intitulée Fratres fraterrimi in Antonium Tomarium Abbatem [Frères très fraternels de l’abbaye de Tomar]. {a} Gilles Ménage a expliqué ce titre dans ses remarques sur les superlatifs néologiques : {b}

« Que si les Latins n’ont pas dit de même, par raillerie, vestrissimus et tuissimus, ils ont dit, mais sérieusement, ipssissimus, comme les Grecs αυτοτατος, arduissimus, exiguissimus, extremissimus, pessimissimus, minimissimus, perpetuissimus, piissimus, vacuissimus. {c} Et ils ont dit par raillerie, occisissimus, oculissimus, exclusissimus, parissimus, patruissimus, verberabilissimus. {d} Tous ces derniers mots se trouvent dans Plaute. Buchanan a dit de même Fratres fraterrimi en parlant des cordeliers : et cela à l’imitation du patruus patruissimus de Plaute. » {e} Buchanan a fait Fratres fraterrimi à l’imitation de Plaute qui avait dit Patruus patruissimus. Et moi, à l’imitation de Martial qui avait dit domicœnium, j’ai dit domiprandium. {a} Il est vrai que ces mots nouveaux sont plutôt permis dans les matières burlesques que dans les sérieuses ; mais on ne laisse pas de dire aussi des mots nouveaux en ces dernières matières. »


  1. Poemata, pages 295‑312.

    Tomar est une ville du Portugal située entre Lisbonne et Coimbra (université où Buchanan a enseigné).

  2. Dans la seconde partie (page 131) des Observations de Monsieur Ménage sur la langue française (Paris, Claude barbin, 1676, petit in‑fo de 502 pages).

  3. Formes superlatives de vester [vôtre], tuus [tien], ipse et αυτος [le même], arduus [haut, difficile], exiguus [tout petit], extremus [extrême], pessimus [pire], minimus [minuscule], perpetuus [perpétuel], pius [pieux], vacuus [vide].

  4. Formes superlatives d’occisus [tué], oculus [œil], exclusus [exclu], par [égal], patruus [oncle], verberabilis [méritant le fouet].

  5. Les « Frères très fraternels » de Buchanan et l’« Oncle, meilleur des oncles » de Plaute (Le Petit Carthaginois).

V. notes :

12.

C’était le dénouement de la conspiration de Cinq-Mars : trois protagonistes, dont le principal auteur, venaient d’être arrêtés à Tarascon avant d’être menés à Lyon pour être jugés.

Henri Coiffier-Ruzé, marquis de Cinq-Mars (Cinq-Mars, Touraine 1620-Lyon 1642), fils du maréchal d’Effiat (v. note [13], lettre 12), était accusé de haute trahison. À l’âge de 18 ans, Richelieu l’avait placé auprès de Louis xiii, autant pour amuser les loisirs du roi que pour le surveiller. Devenu favori du souverain, Cinq-Mars avait cherché à se libérer de l’emprise du cardinal. Il avait été successivement nommé capitaine aux gardes, maître de la garde-robe et grand écuyer de France (v. note [29] des Deux Vies latines de Jean Héroard, d’où vint qu’on ne le désignait plus à la cour que sous le nom de Monsieur le Grand). Assuré de son ascendant, il avait sollicité le titre de duc et pair, une place au Conseil et l’autorisation d’épouser Marie de Gonzague, princesse de Mantoue, dont il était aimé. Richelieu, qui voulait un instrument et non point un rival, avait fait échouer tous ses projets et lui avait durement reproché sa présomption et son ingratitude. Blessé dans son orgueil, Cinq-Mars ne s’était plus dès lors occupé que des moyens de renverser son ancien protecteur. Il s’était attaché à irriter de plus en plus le roi contre son principal ministre et avait enfin formé une conjuration dont les principaux complices étaient Gaston d’Orléans, frère du roi, et le duc de Bouillon (v. note [8], lettre 66). Ils avaient signé un traité secret avec l’Espagne, dont Richelieu avait obtenu une copie par le nonce de Madrid. Cinq-Mars fut arrêté à Narbonne, ainsi que son ami de Thou. Richelieu, qui était à Tarascon, remonta le Rhône en traînant ses deux victimes dans une barque remorquée par la sienne, et les livra à Lyon à une commission de juges à sa dévotion, parmi lesquels figuraient Laubardemont et le conseiller Pierre iv Séguier. Le lâche Gaston, qui s’était hâté de brûler l’original du traité, avoua tout pour obtenir son pardon du roi, chargea ses amis et certifia véritable la copie de Richelieu. Cinq-Mars et de Thou furent condamnés à mort et décapités à Lyon le 12 septembre 1642 (v. note [6], lettre 75, pour un récit de cette exécution) (G.D.U. xixe s.).

François-Auguste de Thou (Paris vers 1607-Lyon 1642) avait succédé en 1617 à son père, Jacques-Auguste i (v. note [4], lettre 13), dans la charge de maître de la librairie du roi ; trop jeune pour la remplir, il avait obtenu de se faire suppléer par son cousin, Pierre Dupuy (v. note [5], lettre 181). Après avoir reçu une solide instruction dirigée par Pierre et son frère Jacques, il avait été nommé conseiller au Parlement (1624), puis maître des requêtes (1631). Désireux de compléter son instruction par des voyages, Jacques-Auguste avait visité la plus grande partie de l’Europe, puis était revenu à Paris, où il reçut le titre de conseiller d’État. Lorsque la duchesse de Chevreuse (v. note [37], lettre 86), avec qui il était lié, dut quitter la France, il devint l’intermédiaire de la correspondance secrète qu’elle eut avec la reine Anne d’Autriche. Richelieu, ayant été informé de ces courriers, qui visaient à le renverser du pouvoir, donna l’ordre d’arrêter de Thou. Il parvint à apaiser la colère du tout-puissant cardinal, mais en perdant à jamais sa confiance. Jacques-Auguste se lia alors intimement avec Cinq-Mars, et se trouva mêlé à la conspiration qui se tramait contre Richelieu. Il ne connut le traité négocié avec l’Espagne qu’après sa conclusion et le désapprouva fortement. Malgré ses justes proclamations d’innocence, il fut arrêté avec Cinq-Mars et soumis à la même sentence capitale, prononcée et exécutée le même jour (Popoff, no 155, et G.D.U. xixe s.). Lié à la famille de Thou, qu’il semblait avoir connue durant sa jeunesse étudiante, Guy Patin a honoré François-Auguste de son plus fidèle souvenir dans toute la suite de sa correspondance.

Plus obscur, François de Chavagnac sieur de Lugarde (mort en 1676), échappa au bourreau ; gentilhomme auvergnat protestant, il semble qu’il ait représenté la cause de la Religion réformée dans la conspiration de Cinq-Mars (Triaire).

13.

« sa santé n’est pas encore affermie. »

Tarascon, en Provence (Bouches-du-Rhône), sur la rive gauche du Rhône, en face de Beaucaire, était alors une place solidement fortifiée.

14.

Rejetée de partout dans son exil, Marie de Médicis avait échoué le 12 octobre 1641 à Cologne (v. note [12], lettre 61). Elle y était morte d’un érysipèle le 3 juillet 1642, dans l’abandon et le dénûment, alors que quatre des enfants qu’elle avait eus de Henri iv comptaient parmi les souverains de l’Europe : Louis xiii en France ; Élisabeth, épouse de Philippe iv, en Espagne ; Christine, épouse de Victor-Amédée, en Savoie ; Henriette-Marie, épouse de Charles ier, en Angleterre.

La feu reine embarrassa fort le royaume (Olivier Le Fèvre d’Ormesson, Journal, tome i, page 15) :

« Le lundi, {a} ma mère fut à Saint-Denis, {b} où l’on lui dit que le corps de la reine mère était arrivé le dimanche au soir, accompagné d’un carrosse à six chevaux noirs devant, plein de ses écuyers, le chariot tiré par six chevaux où était le corps, et encore un carrosse derrière avec six chevaux. Tout cet équipage n’entra point dans la ville. {c} Les estafiers de la reine prirent son corps à la porte et le portèrent dans l’église, accompagné de flambeaux que le roi {d} avait fait porter. Il fut mis au milieu du chœur, sous un poêle magnifique que ceux de Cologne lui avaient donné ; elle fut reçue avec grand honneur partout depuis Cologne jusqu’en France, où l’on ne lui fit aucune cérémonie et par le chemin, on ne la mit en aucune église. »


  1. Le 9 mars 1643, soit quatre mois après la mort de Richelieu, et deux mois avant celle de Louis xiii.

  2. V. note [27], lettre 166.

  3. Paris.

  4. Louis xiii, son fils.

15.

« ses affaires sont agitées ».

Le 1er décembre, Louis xiii allait enlever à son frère, Gaston d’Orléans, le gouvernement d’Auvergne, en le privant à l’avenir « de toute sorte d’administration de cet État », en particulier d’une éventuelle régence. Le mariage de Monsieur avec Marguerite de Lorraine ne fut célébré une seconde fois, par l’archevêque de Paris, que le 26 mai 1643, douze jours après la mort du roi.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 18 juillet 1642

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(Consulté le 29/03/2024)

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