L. française reçue 55.  >
De Charles Spon,
le 5 mars 1658

De Lyon, ce mardi gras, 5e mars 1658. [1]

Monsieur mon bon patron, et très cher ami, [a][2][3]

Toutes les bacchanales que je prétends faire aujourd’hui, c’est de m’entretenir familièrement avec vous au sujet de l’agréable vôtre dernière en date du 26e février, dont je vous remercie de très bon cœur, n’y ayant point de délices que je ne trouve fades au prix de votre conversation, de laquelle je prie Dieu que vous ne vous puissiez jamais lasser de m’honorer. Vous êtes bien plus heureux à Paris pour y recouvrer des livres curieux que nous ne sommes pas ici, et votre foire Saint-Germain [4] vous en peut plus fournir en huit jours que tous nos libraires ensemble ne feraient en autant d’années. J’ai vu autrefois en cette ville le Guil. Fabricius Hild.[5] impression de Francfort, auquel était ajouté sur la fin un traité de M. Aurel. Severinus, [6] duquel auteur je n’ai encore pu savoir s’il était mort dans la dernière peste de Naples [7][8] ou s’il vivait encore. [1] Je voudrais bien savoir aussi qu’est devenu le sieur Thomas Bartholin, [9] et le sieur Nicolas Heinsius, [10] étant en peine du premier à cause des sanglantes guerres de son pays, et de l’autre à cause qu’ayant été à la reine de Suède [11] et ayant fait quelques voyages par son ordre, je n’ai point su à quoi le tout a abouti et s’il est retourné en son pays natal ou s’il est encore en Suède. Je vous prie de m’apprendre ce que vous en saurez et vous me ferez faveur.

Je n’ai jamais vu le Bravus [12] sur les Pronostics[13] non plus que le livre de Medicamentorum delectu dont vous me parlez. Il me souvient que feu M. Moreau [14] m’a autrefois fait état d’un Phrygius [15] sur les Pronostics[2] mais lequel aussi je n’ai pu voir jusqu’à présent. Je prends garde que des énarrations de Duret [16] sur les Coaques [17] on pourrait presque tirer un commentaire complet sur lesdits Pronostics d’Hippocrate ; à propos duquel Duret, je vous remercie infiniment de la correction du passage tronqué que je vous avais proposé et que je n’aurais peut-être jamais sue sans vous. J’ai vu comme vous avez aidé à M. Vander Linden [18] pour la correction de son Celse [19] par sa confession ingénue dans son épître dédicatoire, dont tout le public vous a grande obligation aussi bien qu’à lui. [3] J’ai remarqué qu’il dit dans son avertissement au lecteur, que M. Rhodius [20] travaillait sur le même dessein, ce que plusieurs autres m’ont aussi assuré. [4][21] Je souhaiterais bien de voir un jour cela, ayant à vous dire que feu M. Moreau [22] m’envoya il y a quelques années un Celse in‑8o de l’impression de Guil. Roville, [23] 1566, [5] qu’il me pria de confronter soigneusement avec un manuscrit que je possède, sorti de la bibliothèque [24] d’un certain cardinal de la Maison de Rovere, [25] du titre de Saint-Clément, et de lui envoyer mes Diverses leçons ; ce que je fis très exactement, et les lui envoyai. Quelque temps après, le sieur Nicolas Heinsius passant par cette ville pour Italie, m’étant venu voir, je lui fis voir mondit Celse manuscrit, ensemble lesdites Diverses leçons ; sur quoi il demeura un peu surpris et se tournant vers un honnête homme qui l’accompagnait, j’entendis qu’il lui dit que c’était ce que M. Moreau leur avait aussi fait voir. Je leur dis que c’était à sa sollicitation que j’avais entrepris ledit travail et que je lui en avais envoyé une copie. Du depuis, le sieur Érasme Bartholin [26] étant allé à Padoue [27] et y ayant vu M. Rhodius, m’écrivit qu’il avait vu en sa bibliothèque mesdites Variæ lectiones qui lui avaient été portées par M. Heinsius ; par où je découvris que feu M. Moreau avait chargé ledit sieur Heinsius desdites Variæ lectiones pour les porter à M. Rhodius sans m’en avoir jamais rien mandé ; de quoi je suis étonné, quoique j’en sois d’ailleurs bien aise, espérant que peut-être un jour la postérité en pourra recevoir quelque profit, qui est toute l’ambition des honnêtes gens. [6]

Après une si longue digression, j’ai à vous dire qu’enfin le pauvre moine bourru Boquet, [7][28] chartreux défroqué, [29] s’est laissé mettre la main sur le collet en cette ville et a été, par ordre de notre archevêque, [30] remis entre les mains des chartreux que nous y avons. De vous dire ce qu’ils en feront, je ne m’y hasarde pas ; mais je crois que quelques sanglades de discipline [8] expieront aisément tout le passé car, pour des personnes de cette robe, il s’en pend et empale très peu, que je sache : Solas vexat censura columbas[9][31] et non ceux-ci qui sunt lupi rapacissimi sub, etc[10][32]

Nous ne voyons point encore paraître ici notre député, le sieur Robert, [33] lequel se hâte le moins qu’il peut parce que ses gages courent toujours et qu’il a sa vie toute gagnée par delà, à nos dépens. Le bon Dieu l’amène bientôt, avec son arrêt. Le jeu ne valait pas la chandelle que nous y avons misérablement brûlée par la seule opiniâtreté de ce double contrepointier de malheur, qui a mieux aimé voir terminer son affaire par une voie de rigueur que par un accommodement à l’amiable qui lui eût été sans doute autant ou plus avantageux, surtout s’il eût agréé votre médiation comme vous la lui aviez offerte et comme notre Collège [34] l’avait acceptée. [11] Quant au sieur de La Poterie, [35] il m’est venu voir depuis la lettre que je vous fis du 12e février et m’a témoigné qu’il était bien fâché d’avoir appris par une lettre d’un M. Henry, [36] qui est à Paris, que vous étiez mal satisfait de lui à cause qu’écrivant à M. de Montmor, [37] il lui avait marqué quelque difficulté ou perplexité où il se trouvait touchant votre lettre à M. Gassendi ; mais qu’il n’avait point fait cela à dessein d’en empêcher la publication, ains seulement pour montrer à M. de Montmor qu’il ne voulait rien faire sans le lui communiquer en semblable chose. Je n’ai pas fait semblant que vous m’en eussiez rien touché par les vôtres et l’ai prié de me faire voir votre lettre, ce qu’il a fait, l’ayant sur soi. [38] Nous l’avons donc lue ensemble et n’avons point hésité qu’elle ne méritât d’être imprimée, comme il m’a prié de vous mander qu’il désire faire. Il y a une période là-dedans, conçue en ces mots, si j’ai bonne mémoire, Ad te, tuumque os exosculandum[12] Cette phrase, quoique d’ailleurs excellente, lui semble un peu rude : ces caresses d’homme à homme lui semblent trop nouvelles et je pense qu’il soupçonne que vous ne vouliez user trop privément de la personne de son maître. Si vous le trouvez bon, on mettra Ad te, devenerandum[13] ou quelque autre mot semblable afin de s’accommoder à son infirmité. [14][39] Je le trouve assez bon garçon et bien zélé pour la mémoire de son maître dont les œuvres pourront être achevées d’imprimer au mois de septembre prochain. [40] Le Heurnius [41] s’avance fort, de sorte que devant Pâques, il sera achevé pour très certain à ce que m’a dit M. Ravaud, [42] qui m’a prié de rejeter les yeux sur leur Sennertus [43] de la dernière édition in‑fo pour en ôter les plus grosses fautes, parce que dans un an il le leur faut encore réimprimer de même lettre, qui est signe qu’il ne s’est pas mal débité. [15] Quant à Erastus, [44] le sieur Fourmy [45] m’a remis entre mains le catalogue des œuvres que vous lui avez dressé, auquel je ne sache rien à ajouter ni changer. Ledit Fourmy ne se peut encore bonnement déterminer sur l’impression de cet auteur ; et à vous dire le vrai, je ne sais s’il aura les reins assez forts pour cela. Je l’y exhorte puissamment et continuerai à le faire par ci-après, et vous en manderai le succès, Dieu aidant. Son Varandæus [46] s’en va des mieux, ce qui lui pourra donner courage à en entreprendre une seconde édition avec le temps. [16] M. Volckamer [47] m’a écrit de Nuremberg [48] et m’a fait entendre comme il avait bien fait tenir vos livres au sieur Rolfinckius, [49] lequel souhaitait fort que le traité que vous avez de feu M. Hofmann, [50] de Partibus similaribus[17] pût voir le jour. Je le voudrais bien aussi, si la chose était faisable, mais je sais qu’il ne tient pas à vous et ne doute point que les nouveaux différends suscités entre les maîtres imprimeurs [51] et les compagnons [52] de leur métier ne soient un nouvel obstacle à cette édition. Vous en userez suivant votre prudence et suivant l’amour que vous avez toujours eu pour le bien et l’avancement des bonnes lettres. Si vous avez les eaux bien grosses par delà, [53] nous ne les avons guère moindres ici et l’on nous mande de tous côtés qu’on s’en trouve incommodé. C’est la subite fonte des neiges qui ont été plus copieuses cette année qu’elles ne furent de longtemps. J’espère d’écrire bientôt au sieur Jean Dan. Horstius [54] en réponse d’une des siennes, je ne manquerai pas de lui présenter vos baisemains, comme vous m’en chargez. Je pensais d’écrire par le présent ordinaire à M. Dinckel [55] sous votre pli, mais je vois qu’il est trop tard ; ce sera pour une autre fois, et cependant je vous prierai de lui continuer vos faveurs et de le saluer de ma part comme une personne que j’honore. Son camarade, le sieur de La Fontaine, [56] doit bientôt partir de Montpellier pour s’acheminer à Paris, à ce que l’on m’a mandé du dit Montpellier. Je reçus l’autre jour une lettre de Serrières [57] du sieur Monin, [58] lequel me prie de vous présenter ses très humbles baisemains. Ce lieu de Serrières n’est éloigné d’ici que de sept lieues[18] Il ne me mande chose quelconque de son dessein pour l’avenir, ce ne sont que compliments dont je me passerais aisément, s’il plaisait à Dieu. Au reste, ma femme [59] reçoit à honneur très particulier vos recommandations, mais elle vous supplie de lui vouloir épargner les éloges de très sage, très bonne et incomparable que vous lui donnez, si ce n’est que vous les lui ayez voulu donner pour lui donner envie de s’efforcer à s’en rendre digne en se perfectionnant de plus en plus, vous offrant, telle qu’elle est, ses très humbles baisemains, comme fait le scribe de la présente qui se va enfin taire après assez de babil, pour vous assurer qu’il sera toute sa vie avec des empressements extrêmes, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Spon, D.M.


a.

Lettre autographe de Charles Spon « À Monsieur/ Monsieur Patin,/ Coner Médecin, & lecteur/ ordine du Roy, dans la/ place du Chevalier du guet/ À Paris » : ms BIU Santé no 2007, fos 306 ro‑309 ro ; Pic no 17 (274‑280).

1.

Sur ce point de bibliographie, Guy Patin a répondu à Charles Spon (v. note [20], lettre 519) qu’avaient été quelquefois réunis deux ouvrages in‑fo publiés à Francfort-sur-le-Main par Johann Beyer, en 1646 :

2.

V. notes [14], lettre 516, pour Juna Bravo et ses œuvres, et [28], lettre 449, pour Phrygius le père, Giacomo Antonio Frigio, et son traité sur le Pronostic d’Hippocrate (1608).

3.

V. note [20], lettre de Charles Spon, le 28 août 1657, pour l’édition de Celse (De Re medica) par Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1657).

L’épître (11 pages) est dédiée à Clarisimo viro, Domino Guido Patino, Bellovaco, Doctori Medico Parisiensi, et Professori regio, amico suo magno [Maître Guy Patin, natif de Beauvaisis, très brillant docteur en médecine de Paris et professeur royal, son grand ami] (v. note [15], lettre de Charles Spon, datée du 28 décembre 1657). Spon faisait ici probablement allusion à la fin de ce texte, où l’auteur s’adresse ingénument (c’est-à-dire avec franchise et sincérité) à Patin :

Hoc unum dicam, qualis qualis noster fuerit, dignissimus est, vel doctrinæ, cultu, vel elegantiæ nitore, non solum qui legatur, sed qui nunquam de manibus deponatur. Me, fateor, nullius post Hippocratem lectione vel affici magis, vel erudiri. Quo factum, ut et sæpius relegerim, et nunquam sine voto, existeret aliquis, qui aut daret eum nobis quam emendatissimum, aut emendandi materiam suppeditaret. Quam tuo tandem beneficio consecutus nobilem et locupletem, statim operi admovi manum ; quo et meæ satisfacerem cupiditati, et exspectationi eorum, apud quos nulla non occasion et laudare Cornelium nostrum, et serio commendare sum solitus. Quam autm feliciter mihi res sub manu succsserit, te velim vel in primis judicare. Nam hæc inter plurimas mihi causa est, quod Celsum istum, quem meum imagine quadam adoptionis feci, celeberrimo tuo nomini, et multis nominibus suspiciendo colendoque consecrarim. In seculi quippe hujus et tam antiquitatis fastidiosi, quam novitatis omnis cupidi, conspectum proditurientem, nec sine patrono ausum, cujus in clientelam potius, quam tuam debui dare ? Absque illis certe subsidiis, quæ mihi numquam sine summa laude loquendum studium tuum juvandi publicum tulit, si fuisset, vel animum non applicuissem ad recognitionem Authoris ut eruditissimi, ita et corruptissimi. Quis credat, post Egnatii, Cæsarii, Constantini, Stephani, Plantini, Ronssi, Rubei, tot illustrium virorum diligentissimas curas, fuisse mihi plusquam bis mille locis, corrigendum ? Quo ipso quia fecisse me opus putabam non pœnitendum, aut tuo nomine et seculo indignum, etiam hoc ausus sum illi inscribere. quamvis non ignorem multo plura majoraque me debere amori et beneficiis in me tuis. Itaque te rogo, Vir Clarissime, hanc cautionem accipere crediti, et animi ad omnem se gratitudinis memoriam obligantis ? Certe hunc, quem eo vultu, quo omnes litteratos soles amplecti, suspiciendum tibi offero, si non industriæ, saltem laboris mei fœtum, testem esse volo, quanti et sim et in perpetuum tibi sim futurus debitor. Deus autem immortalis diu te sospitem atque incolumem Rei medicæ, literariæ, publicæ, imo mihi et omnibus bonis conservet. Dabam Lugduni-Batav. Mense Augusto, anni m dc lvii.

Tibi nominis atque dignitatis
cultor propensissimus

Joh. Antonides
Vander Linden.

[Je ne dirai que ceci : quoi qu’il advienne de notre livre, que ce soit pour cultiver la doctrine ou pour embellir le style, il est parfaitement digne non seulement de qui le lira, mais aussi de qui le prendra jamais en mains. Pour moi, j’avoue qu’hormis Hippocrate, la lecture de nul autre ne m’a autant appris et instruit. Ce faisant, tandis que le relisais encore et encore, j’avais toujours en tête le vœu qu’il existât quelqu’un pour nous le rendre absolument parfait, ou donner de quoi en améliorer la matière. J’ai finalement poursuivi ce noble et enrichissant dessein grâce à vous. Par là, je satisfaisais mon propre désir et l’attente de ceux à qui je n’ai manqué aucune occasion de louer et de recommander notre cher Cornelius Celsus. Je voudrais que vous fussiez le tout premier à juger si j’y ai heureusement réussi. Voilà, parmi d’autres raisons, pourquoi c’est à vous que j’ai dédié ce Celse, que j’ai en quelque sorte adopté, et qu’il faut admirer et vénérer à de multiples égards. Sous quel meilleur patronage que le vôtre aurais-je dû placer l’audace de m’exposer au regard de ce siècle, qui est aussi méprisant de l’Antiquité qu’il est avide de toute forme de nouveauté ? Il est certain que sans les secours que m’a fournis votre bibliothèque, dont on ne chantera jamais trop les louanges et que vous mettez si généreusement au service du public, je ne me serais pas attaqué à l’édition critique d’un auteur si savant que son œuvre est a été profondément corrompue. Qui croira qu’après les soins si diligents d’Egnatius, de Cæsarius, de Constantinus, de Stephanus, de Plantinus, de Ronsseus, de Rubeus {a} et de tant d’hommes illustres, j’aei eu à la corriger en plus de deux mille endroits ? Ce qu’ayant accompli, je pensais n’avoir pas été indigne de votre nom et ne pas avoir de regret à oser y mettre le mien, non sans ignorer tout ce que j’y devais à votre amitié pour moi et à votre générosité. C’est pourquoi je vous prie, très illustre Monsieur, d’accepter cette reconnaissance de dette et le souvenir d’un esprit qui vous en saura à tout jamais gré. Ce livre, qu’il faut certainement examiner de ce regard que vous avez coutume de porter sur tous les écrivains, est le fruit, sinon de mon application, du moins de mon labeur. Je vous l’offre en reconnaissance éternelle de tout ce qu’il vous doit. Puisse notre Dieu immortel vous conserver longtemps en bonne et favorable santé, pour servir la médecine, les belles-lettres, le public, et surtout moi-même et tous les honnêtes gens. À Leyde, au mois d’août 1657,

Johannes Antonides Vander Linden,

le plus grand admirateur de votre renom et de votre mérite]. {b}


  1. Ces précédents éditeurs de Celse étaient :

    • l’érudit Giovanni Battista Egnazio (Venise, 1524) ;

    • le médecin Jean Cæsarius (Haguenau, 1528) ;

    • le médecin érudit Robert Constantin (Lyon, 1566, v. note [4], lettre latine 97) ;

    • l’imprimeur érudit Henri i Estienne (Paris, 1512, v. note [8], lettre 91) ;

    • l’imprimeur Guillaume Plantin (Bâle, 1552) ;

    • le médecin Balduin Ronss (Leyde 1592, v. note [8], lettre 427) ;

    • le médecin Girolamo Rossi, (Venise, 1616, v. note [9] de l’Observation vii sur les apothicaires).

    Dans ses lettres à Vander Linden de 1655 à 1657 Patin a souvent parlé de l’aide précieuse qu’il lui procurait pour établir son édition.

  2. Il est amusant de comparer le ton de cette épître batave, sincère, mais stoïque et calviniste, à celui de nombreuses épîtres françaises citées dans notre édition, volontiers baroque, adulateur et lardé de superlatifs.

4.

Renvoi de Charles Spon à ce passage du Lectori S. [Salut au lecteur] du Celse de Johannes Antonides Vander Linden :

In cæreris, ubi mei mihi libri et ingeniosæ summorum virorum coniecturæ non prælucebant, malui errorem retinere, aut locum in suspicione saltem relinquere. Quod et eo securius mihi licere putavi, quia Cl. D. Iohannem Rhodium, virum inter seculi et nostræ artis primos, a multis annis ex multo plurimis cum membranis tum libris emaculatissimum et, quem ab Authore habuit, nitori haut dubie restitutum ac lucentissimis commentariis illustratum, penes se servare scio. Quem et rogo (si quid veteris se amicitiæ memoria patitur rogari) ut ne diutius protollat exspectationem atque desiderium eorum, qui et Celsum et Rhodium in pretio et amore magno suo merito habent.

[En d’autres endroits, où mes livres et les ingénieuses conjectures des hommes éminents ne m’éclairaient pas, j’ai préféré conserver l’équivoque ou du moins, laisser le passage dans l’incertitude. J’ai pensé pouvoir me le permettre, sachant que depuis de nombreuses années, le célèbre Me Johannes Rhodius, l’un des premiers hommes de ce siècle et de notre art, conserve par devers lui tout le plus immaculé qu’il a pu tirer des éditions manuscrites et imprimées de Celse, sans aucun doute pour le rétablir dans tout son éclat et l’illustrer des commentaires les plus brillants. {a} Je lui demande alors (si le souvenir d’une vieille amitié me le permet) de ne pas différer plus longtemps l’attente et l’envie qui tiennent et Celse, et Rhodius en grande estime et affection].


  1. V. note [2], lettre latine 127.

5.

V. note [4], lettre latine 97, pour les Aurelii Cor. Celsi de Re medica libri octo… [Huit livres de la Médecine de Celse…] édités par Robert Constantin et publiés par Gulielmus Rovillius (Lyon, 1566).

Dans son article intitulé Jacques Daléchamps, médecin de la Renaissance, humaniste et commentateur de Cælius Aurelianus à Lyon (Histoire des sciences médicales, 2018 ; lii : 73‑89), Philippe Guillet a résumé la biographie de Guillaume Rouillé (Tours 1518-Lyon 1598) :

« Éditeur-libraire, ouvre sa propre librairie à Lyon en 1545, rue Mercière, à l’enseigne de l’Écu de Venise. Il pubie plus de 830 ouvrages dans des domaines très divers (droit, sciences, religion…). Il est le plus gros éditeur de livres médicaux de son époque. Bien que l’orthographe moderne ait consacré le nom de Rouillé, il semble, d’après Vingtrinier, {a} que “ l’illustre typographe se donnait à lui-même le nom de Rovillium, {b} en français Roville et non Rouille ou Rouillé, ainsi que l’ont dit quelques écrivains. […] C’est sous le nom de Roville ou parfois Rouville que la ville de Lyon vénère sa mémoire.” »


  1. Aimé Vingtrinier, Histoire de l’imprimerie à Lyon, de l’origine jusqu’à nos jours (Lyon, Adrien Storck, 1894, in‑8o, page 231).

  2. Ou plus exactement Rovillius (apud Rovillium), comme en atteste la page de titre de son Celse de 1566 ; mais u et v étant une seule et même lettre en latin Rovillius peut indifféremment se franciser en Roville ou Rouille.

6.

Les Variæ lectiones manuscrites de Charles Spon sont restées inédites ; à ce qu’il en dit ici, elles lui auraient été subtilisées pour aider Rhodius à préparer son édition de Celse (qui n’a jamais été imprimée non plus, v. note [2], lettre latine 127).

Le cardinal dont Spon évoquait la bibliothèque était le franciscain Clemente Grosso della Rovere (1462-1504), nommé cardinal par son cousin le pape Jules ii (Giuliano della Rovere) en 1503. Le titre cardinalice de Saint-Clément, qui lui avait été conféré, est lié à la basilique Saint-Clément-du-Latran.

7.

Charles Spon pouvait faire allusion à la bure (burra en latin) des moines, ou au conte du « moine bourru » : fantôme imaginaire, « lutin qui, dans la croyance du peuple, court les rues aux Avents de Noël et qui fait des cris effroyables » (Furetière). La même source donne à l’adjectif bourru le sens de « bizarre, qui ne veut point voir le monde, qui a des maximes extravagantes ; c’est un esprit bourru qui ne se laisse gouverner par personne ».

V. note [8], lettre 513, pour la friponnerie du moine chartreux dénommé Boquet.

8.

Une sanglade est un « grand coup de fouet, ou de sangle » ; la discipline est le « châtiment ou la peine que souffrent les religieux qui ont failli, ou ceux qui se veulent mortifier » ; c’est aussi le nom de « l’instrument avec lequel on châtie, ou avec lequel on se mortifie, qui ordinairement est fait de cordes nouées, de crin, de parchemin tortillé » (Furetière).

9.

« La censure condamne seulement les colombes », adaptation d’un vers de Juvénal (v. note [25], lettre 432) : dat veniam corvis, vexat censura columbas.

10.

« qui sont les plus avides des loups sous etc. » ; probable renvoi de Charles Spon à un passage de Henri Corneille Agrippa (v. note [13], lettre 126) dans son De Incertitudine et vanitate scientiarum… [De l’Incertitude et du mensonge des sciences…] (chapitre lxii, De Sectis monasticis [Des Sectes monastiques], (édition d’Augsbourg, 1539, fo 85 ro et vo) :

Horum vanitates et errores si mihi calamo explicandi forent, non caperent omnes pelles Mandian, eorum inquam, qui non pietatis causa professi sunt religionem, sed ventris gratia cucullam induerunt. Neque vero bonos offender hic sermo, quem de solis improbis dictum volo, qui sub pellibus agninis sunt lupi rapacissimi, et in vestibus ovium astutam gerunt sub pectore vulpem : adeo dissimulantes artes fallaciæ suæ, ut nihil aliud professi videantur, quam scenicam quandam hypocrisim, et merum quæstum pietatis imagine personatum, dum pallido vultu mentiuntur ieiunia, et obsequentibus lachrymis profunda a pectore trahunt suspita, et mobilibus labris frequentes orationes simulantes, et gressu incessuque composito, gestibus tranquilis.

[Si je devais les écrire, toutes les tentes des Madianites {a} ne pourraient contenir leurs mensonges et leurs fourberis ; je veux parler de ces gens qui se couvrent d’un capuchon pour professer leur religion, non par motif de piété, mais pour le plaisir du ventre. Et en vérité, ce discours n’offensera pas ceux d’entre eux qui sont bons, je ne veux parler que des méchants : ceux qui sont les plus avides des loups sous des peaux d’agneau et qui cachent un cœur de rusé renard sous des toisons de brebis. Ils dissimulent si bien leurs ruses trompeuses qu’ils ne semblent rien professer d’autre qu’une certaine hypocrisie théâtrale, et qu’une pure âpreté au gain, sous ombre de feinte piété, quand leur pâle figure fait croire qu’ils jeûnent, quand, pleurant à volonté, ils poussent de profonds soupirs, faisant semblant de prier souvent en remuant les lèvres, avec leur marche à pas lents et leurs mouvements compassés].


  1. Dans la Bible, les Madianites étaient des nomades du Sinaï descendants de Madian, fils d’Abraham (Juges, 6:1‑6) :

    « Les Israélites firent de nouveau ce qui déplaît au Seigneur. C’est pourquoi le Seigneur les livra aux Madianites pendant sept ans. Les Madianites opprimaient durement Israël. Pour leur échapper, les Israélites utilisèrent les couloirs, les cavernes et les endroits escarpés des montagnes. Chaque fois que les Israélites avaient ensemencé leurs champs, les Madianites venaient les attaquer, avec les Amalécites et des nomades de l’Orient. Ils campaient sur leurs terres et détruisaient les produits du sol jusqu’à proximité de Gaza. Ils ne laissaient rien à manger aux Israélites, ils ne leur laissaient ni moutons, ni bœufs, ni ânes. En effet, ils se déplaçaient avec leurs troupeaux et leurs tentes, ils arrivaient en masse comme les sauterelles ; ils étaient si nombreux, eux et leurs chameaux, qu’on ne pouvait pas les compter. Ils envahissaient le pays et le dévastaient. Ainsi, les Israélites furent plongés dans une telle misère par les Madianites qu’ils appelèrent le Seigneur à leur secours. »


11.

C’était la fin procédurière de la dispute, largement évoquée dans les précédentes lettres, entre le médecin Bonaventure Basset et le Collège des médecins de Lyon qui avait député à Paris l’un des siens, Antoine Robert, pour le défendre.

En disant « double contrepointier », Charles Spon (v. note [5], sa lettre datée du 24 avril 1657) pensait au fait que Basset était fils d’un contrepointier, et aussi au sens du verbe contrepointer : « être contraire en avis, en sentiment à un autre, et le choquer en toutes occasions » (Furetière).

12.

« Bien à vous, et en vous couvrant la bouche de baisers. » Une apostrophe aussi sensuelle paraissait déjà déplacée au xviie s., mais de telles démonstrations épistolaires d’affection entre hommes n’étaient pas rares au siècle précédent, comme montre le début de la lettre adressée par Joseph-Juste Scaliger à Jacques-Auguste i de Thou le 9 novembre 1582 (xl, Ép. fr., page 130) :

« Encore que {a} vous soyez maintenant bien loin de moi, si {b} ai-je encore en mon entendement le goût que m’avez laissé de la douceur de votre conversation, tellement qu’oncques {c} je ne fus si amoureux de vous que je suis maintenant, et ne désire sinon ou que j’aie {d} le moyen de vous déclarer la puissance que vous avez sur moi, ou de le vous persuader. Tant il y a qu’il n’y a aujourd’hui homme qui ait acquis plus de droit sur moi que vous. »


  1. « Bien que ».

  2. « pourtant ».

  3. « que jamais ».

  4. « rien que d’avoir ».

L’amoureuse souscription de Guy Patin à Pierre Gassendi n’en a pas moins été supprimée dans l’édition imprimée, remplacée par Tuus ex animo [Vôtre de toute mon âme] (v. note [7], lettre latine 425).

13.

« Bien à vous, avec ma vénération ».

14.

Afin de ménager son indisposition, son mécontentement.

15.

V. notes [12], lettre 446, pour les Opera omnia de Jan i van Heurne et [33], lettre 285, pour celles de Daniel Sennert (édition de Lyon, 1656), avec déjà l’annonce de l’édition suivante (1666, v. note [3], lettre 819).

16.

V. note [10], lettre 485, pour les Opera de Jean Varanda (Lyon, 1658). Celles de Thomas Lieber Éraste n’étaient encore qu’un projet de Guy Patin (et le restèrent).

17.

Le traité des Parties similaires (v. note [7], lettre 270) appartenait au manuscrit des Chrestomathies de Caspar Hofmann (v. note [17], lettre 192), dont Guy Patin, malgré l’aide de Charles Spon, n’était jusqu’alors pas parvenu à obtenir l’édition.

18.

Serrières, en Vivarais (Ardèche), sur la rive droite du Rhône, se situe à 32 kilomètres au nord de Tournon (v. note [3], lettre 284) et à une soixantaine (environ 15 lieues) au sud de Lyon.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Charles Spon, le 5 mars 1658

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9033

(Consulté le 28/03/2024)

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