M. Moreau [2] est fils de feu M. René Moreau (c’était un grand personnage) [3] et a sa charge de professeur du roi. Il fera [sa leçon] à quatre heures et moi, [4] à cinq. Il dictera de morbis mulierum, de quibus tam multi scripserunt : [1] Mercuriali, [5] Mercatus, [6] Rodericus à Castro, [7] Primerose [8] et le Varanda [9] de M. Gras, [10] et tant d’autres, cui non dictus Hylas ? [2][11] Toutes ces leçons des Écoles ne sont que des rhapsodies tirées des bons auteurs par des gens qui n’en savent pas tant qu’eux. Fabricius de Hilden [12] n’était qu’un chirurgien de Payerne, [13] bene animatus sed parum doctus, [3] mais il est facile et bon pour quelques observations. Sa meilleure édition est in‑fo de Francfort, depuis l’édition de M. Huguetan [14] qui n’est pas si ample ni si bonne. Votre M. Guillemin [15] ne vivra plus longtemps, les archers de la mort le tiennent tandis qu’on lui fait son procès. Αποσιτια et sitis inexplicabilis, vel inextinguibilis : brevi venturus est in rationem Libitinæ. [4][16]
Je viens de voir M. le premier président [17] qui m’a fait grand accueil. Il y avait longtemps que je ne l’avais vu. Il m’a fait promettre que dimanche prochain, j’irais souper avec lui, à quoi je ne manquerai pas, Dieu aidant. On parle fort ici de l’édit de réformation des rubans et des dentelles, que l’on dit qui sera publié lundi prochain, sur quoi les marchands crient bien fort ; [5] mais on m’a dit de bonne part que le roi [18] ne fera aucun autre édit pour impôt, [19] ni vexation quelconque, ni de nouveaux procureurs, ni aucune autre création d’officiers. On dit que M. le maréchal de Fabert [20] va être fait surintendant avec M. Fouquet ; [21] d’autres disent que celui-ci est haï, et qu’il sera disgracié et dépouillé. [6] Un conseiller de la Cour, nommé de Périgny, [22] fut hier reçu second président en la troisième des Enquêtes à la place de M. Guénégaud, [23] frère de MM. le trésorier de l’Épargne [24][25] et le secrétaire d’État ; [7][26][27] de quoi plusieurs de la Cour sont fâchés à cause qu’il est gendre d’un partisan nommé Margonne. [28] On dit qu’ils ont changé leur nom en cette famille, que son grand-père était un tailleur nommé Peaudeloup ; [8] et celui-ci a une belle charge dans le Parlement de 412 000 livres et porte le nom d’une ancienne famille de Paris qui est fort honorable, savoir de MM. de Périgny-Picart. [29] O magnum Fortunæ numen ! [9][30] Le cardinal Mazarin [31] est au lit de la goutte [32] et d’un mal de côté. Il se plaint fort de Vallot, [33] Esprit [34] et Guénault. [35] Il dit que les médecins n’ont que des paroles, point d’effet ; qu’il est bien misérable de ce qu’on lui a toujours promis d’apaiser ses douleurs et qu’il en a toujours qui le persécutent. Voilà un temps qui lui est fort contraire, savoir fort humide ; et après sa goutte, la néphrétique [36] viendra. On dit que l’on a semé dans son antichambre des billets, et chez la reine, [37] qui disent Qui nous délivrera de la paix Mazarine ? Messieurs du Clergé [38] ont ici tout nouvellement censuré la traduction du missel romain faite par M. < de > Voisin, [10][39] prêtre jadis conseiller au parlement de Bordeaux, qu’il avait dédiée au prince de Conti, [40] qui est dans une grande dévotion, jusque-là qu’il en déplaît au cardinal Mazarin, oncle de sa femme. [41] La reine mère [42] a dit au cercle [11] que la reine d’Angleterre [43] ne viendra point sitôt. Elle veut encore quelque temps demeurer en Angleterre pour y faire régler tous ses droits et prétentions par le Parlement. [44] Après, elle viendra à Paris pour y achever ses jours, sans avoir aucun dessein de retourner jamais en Angleterre. On a aujourd’hui reçu conseiller de la Cour M. Le Cocq, [45] jeune homme, par survivance, à la place de M. Magdelaine, [46] son grand-père. [12] On prépare ici un grand ballet [47] qui ne peut être prêt que pour Pâques. M. du Tronchay, [48] conseiller de la Grand’Chambre, a vendu sa charge 72 500 écus au fils de M. de Pontchartrain, président des comptes. [13][49][50] Des deux grands vicaires du cardinal de Retz, [51] l’un voulait que l’on conférât ici les ordres de prêtrise la semaine prochaine, [52] l’autre n’en était pas d’avis. [53] Le cardinal de Retz paraît en avoir été averti, mais il leur a mandé qu’il < le > leur défendait expressément. Il y en a qui croient qu’il n’est point loin d’ici et au guet de ce qui peut arriver, si quid humanitus contingat illi homini, per quem stat quominus hic fruatur, et summa dignitate et integra libertate. [14] On dit qu’il y a un fils d’un maître des comptes qui offre 73 000 écus d’une charge de conseiller à la Cour, mais qu’il n’en trouve point : voilà bien de l’argent pour de la fumée, et 400 livres de rente. J’ai ici un beau livre que j’ai depuis peu reçu de Francfort, Thomæ Reinesii, Casp. Hofmannii et Adami Ruperti Epistolæ ; [15][54][55][56] c’étaient trois savants hommes (le premier des trois est encore vivant) qui s’entre-écrivaient des lettres les uns aux autres avec beaucoup de bonté, d’humanité et de littérature. Les carabins du P. Ignace [57][58] ne font pas des livres de telle trempe. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 10e de décembre 1660.
Bulderen, no ccxxi (tome ii, pages 167‑171) ; Reveillé-Parise, no dxlviii (tome iii, pages 295‑298).
« des maladies des femmes sur lesquelles tant d’auteurs ont écrit ». Guy Patin citait ensuite :
[Quatre livres de Ludovicus Mercatus, {b} conseiller et premier médecin de Philippe ii, tout-puissant roi des Espagnes et des indes, et professeur émérite de la première chaire en l’Université de Valladolid, sur les affections des Femmes, traitant très complètement : i. les affections communes des femmes ; ii. les maladies des vierges et des veuves ; iii. celles des femmes stériles et enceintes ; iv. les accidents frappant les femmes parturientes et allaitantes. Ouvrage dédié à Philippe ii, roi tout-puissant d’Espagne et des Indes] ; {c}
[Médecine complète des maladies des femmes, dans un ordre nouveau que nul n’a encore tenté auparavant. Ouvrage absolument complet de Roderiquez de Castro {d}, docteur en philosophie et médecine de très grand renom par toute l’Europe, utile à tous ceux qui étudient et tout à fait nécessaire aux médecins.
Première partie Théorique, en quatre livres qui expliquent exhaustivement tout ce qui touche à la nature de la femme, son anatomie, sa semence et sa menstruation, à la conception, à la gestation de l’utérus, à la formation du fœtus et à la naissance de l’homme…
Seconde partie, ou Pratique, en quatre livres qui exposent, suivant une méthode claire et soigneuse, l’ensemble des maladies : tant celles qui sont communes à toutes les femmes, que celles qui sont particulières aux vierges, aux veuves, aux femmes enceintes, aux parturientes et aux allaitantes ; ensuite sont enseignées les diverses sortes de stérilité, avec leurs natures, causes, signes et traitements. À presque chacun des chapitres, l’auteur a ajouté des commentaires qui dissipent très brièvement les doutes ou les controverses dont les médecins ont débattu jusqu’à ce jour au sujet du traitement des maladies féminines ; ils jettent une lumière non négligeable sur toutes autres maladies qui sévissent, étant donné qu’ils éclaircissent maints passages très difficiles d’Hippocrate et Galien, et presque tout l’ensemble de l’art médical…] ; {e}
Virgile (Géorgiques, chant iii, vers 6) :
Cui non dictus Hylas puer et Latonia Delos
[Qui n’a chanté Hylas l’enfant, et Délos la Latonienne, et Hippodamie, et Pélops l’écuyer fougueux, reconnaissable à son épaule d’ivoire ?] {a}
Hippodameque umeroque Pelops insignis eburno,
Acer equis ?
- Invocation à Palès et aux divinités des troupeaux, où le poète se demande comment il pourrait se démarquer de tous ceux qui ont chanté avant lui, pour voir son « nom vainqueur voler de bouche en bouche ». Hylas, jeune fils de Théodamas, roi des Dyropes, et amant d’Héraclès, faisait partie de l’expédition des Argonautes (v. notule {b} de la triade 82, note [41] du Borboniana 11 manuscrit). Lors d’une halte en Bithynie, il fut enlevé par les Nymphes (v. notule {a}, note [16] du Borboniana 5 manuscrit) et ne réapparut jamais.
« bien disposé mais peu savant » ; v. note [7], lettre 62, pour Guillaume Fabrice de Hilden, médecin de Payerne dans le canton de Vaud, et ses ouvrages.
« Dégoût des aliments {a} et soif inexplicable, ou inextinguible : la Libitine {b} aura bientôt raison de lui. »
Loret s’est gentiment moqué de cet édit (Muse historique, livre xi, lettre l, du samedi 18 décembre 1660, pages 293‑294, vers 151‑204). :
« Le seize du mois, fut criée,
Et par tout Paris publiée
La déclaration du roi,
Qui met le luxe en désarroi,
Luxe de dorures, guipures,
De fins galons, de découpures,
De passements d’or et d’argent,
Qui rendaient chacun indigent,
Jean, Thomas, Gautier et Guillaume,
Et très bien des grands du royaume
Qui pour des superfluités,
S’endettaient de tous les côtés. Ce règlement est une marque
De la prudence du monarque,
De son ministre sans-pareil,
De son judicieux Conseil
Et de son Parlement auguste
Qui, l’ayant trouvé saint et juste,
Quand il lui fut notifié,
L’a, de grand cœur, vérifié. Adieu frivoles bagatelles,
Adieu ruineuses dentelles,
Dont l’aune coûtait, quelquefois,
Deux cents pistoles, voire trois ;
Adieu riches devants de jupes
Qui donniez dans les yeux des dupes,
Mais dont l’ornement éclatant
N’était que vanité, pourtant ;
Car les jupes les plus unies,
Aussi bien que les mieux garnies,
Sans les faire d’un prix si cher,
Cachent tout ce qu’il faut cacher.
Je crois que de cette défense
Qui supprime tant de dépense,
Les amants, galants et maris
Ne seront nullement marris ;
L’économie est bien plus douce
Des dentelles hautes d’un pouce,
Que de ces galons précieux
Qui ne faisaient du bien qu’aux yeux,
Mais qui faisaient du mal aux bourses,
Tarissant toutes leurs ressources. Sans doute, le Conseil du roi,
En agissant de bonne foi
Touchant les désordres de France,
En bannira toute bombance ;
À Louis, tout jeune qu’il est,
Toute chose modeste plaît ;
Et si, de santé, vingt années
À Jules {a} étaient encore données
Pour servir notre potentat,
Je crois qu’il purgerait l’État
De cent abus sur mer, sur terre,
Comme il l’a purgé de la guerre. »
- Mazarin.
Si Abraham de Fabert (v. note [15], lettre 357) ne devint pas surintendant des finances, le tonnerre royal allait foudroyer Nicolas Fouquet à la fin de l’été 1661.
Ces trois frères Guénégaud étaient fils de Gabriel, seigneur du Plessis-Belleville, trésorier de l’Épargne (G.D.U. xixe s., Popoff, no 1364, et Dessert a, no 228).
Octave Peaudeloup, dit de Périgny (mort en septembre 1670) avait été reçu en 1651 conseiller en la troisième des Enquêtes et en devenait alors président. Il avait épousé Anne-Louise Margonne (morte en 1682), fille de Claude Margonne (Popoff, no 1960). Louis xiv nomma Périgny précepteur du dauphin le 9 septembre 1666 (Levantal).
Receveur général de Soissons, secrétaire du roi en 1637, Margonne était associé en affaires à son frère Charles. Pendant le ministère de Mazarin, il s’était lancé dans les affaires du roi, participant à 37 traités entre 1644 et 1655 (Dessert a, no 365).
« Ô, toute-puissance de la dive Fortune ! »
Les membes de la famille Le Picart étaient magistrats à Paris de père en fils depuis le xve s. Le dernier représentant mâle en avait été Jean-Baptiste Le Picart, seigneur du Plessis et de Périgny, conseiller au parlement puis maître des requêtes, mort en 1653. Marié à une nièce d’Omer ii Talon, il n’avait laissé que deux filles et son titre de Périgny fut vendu à Octave Peaudeloup (Popoff, no 1976).
V. note [9], lettre 235, pour les antécédents parlementaires de Joseph de Voisin à Bordeaux. Ayant reçu les ordres, il était devenu aumônier du prince de Conti. Comme il était bon théologien et fin connaisseur des langues anciennes, la princesse de Conti, Anne-Marie Martinozzi, lui avait demandé une traduction fidèle de la messe avec une explication bien nette de ses cérémonies.
Son Messel en résulta, publié avec l’approbation des grands vicaires du cardinal de Retz et de nombreux évêques et docteurs, tant séculiers que réguliers. Ce livre déplut aux ennemis de Retz et de Port-Royal, y compris Mazarin, la reine mère et le pape. En janvier 1661, la traduction fut condamnée par l’Assemblée du Clergé et par Rome qui y voyaient un pas vers la célébration de la messe en français ; mais les grands vicaires de Retz cassèrent la censure des évêques prise contre Voisin, interdisant à aucun prélat de lui confier une mission ecclésiastique tant qu’il n’aurait pas fait réparation convenable. Sans être de Port-Royal, Voisin se trouvait mêlé à la grande querelle des jansénistes à cause de certaines tournures jugés tendancieuses de sa traduction, mais il se défendit avec la plus grande ardeur. L’affaire s’apaisa avec la mort de Mazarin (Dictionnaire de Port-Royal, pages 1008‑1009).
Cercle : « assemblée qui se fait chez la reine, où les dames se tiennent en rond autour d’elle, où les duchesses ont le privilège d’être assises sur un tabouret. Cette chambre est le lieu où la reine tient son cercle » (Furetière).
François Le Cocq était reçu en la deuxième des Enquêtes du Parlement de paris. Il était fils d’Aimard Le Cocq, conseiller de la même juridiction en 1632 (v. note [145], lettre 166), et de Marguerite Magdelaine, fille de Jacques Magdelaine (v. note [6], lettre 457). Toute la famille était de la Religion réformée (Popoff, no 982).
Guillaume du Tronchay, seigneur de Martigny, mort en 1678, avait été reçu, en 1625, conseiller au Parlement de Paris en la première des Enquêtes, puis était monté à la Grand’Chambre en août 1659 (Popoff, no 2383).
Il vendait sa charge aux Enquêtes à Louis Phélippeaux de Pontchartrain (1643-1727), fils de Louis, président en la Chambre des comptes depuis 1650. Louis fit une belle carrière qui le mena successivement à devenir premier président du parlement de Bretagne (1677), intendant des finances (1689), ministre d’État à la marine (1690), puis chancelier et garde des sceaux (1699) (Popoff, no 1972).
« au cas où viendrait à mourir [v. note [2], lettre 227] cet homme [Mazarin], dont dépend qu’il [Retz] ne jouisse pas ici et du plus haut rang et d’une entière liberté. »
Les deux grands vicaires de l’archevêché de Paris étaient alors Jean-Baptiste de Contes, doyen de Notre-Dame, nommé en 1656 à la place de Jean-Baptiste Chassebras (v. note [38], lettre 413), avec l’assentiment de la cour, et Alexandre de Hodencq, nommé en 1654 curé de Saint-Séverin, fidèle porte-parole du cardinal de Retz. Contes était celui des deux vicaires qui s’opposait à la suspension des ordinations de prêtres nouveaux, décrétée par Retz depuis son lieu d’exil.
« les Lettres de Thomas Reinesius, de Caspar Hofmann [mort en 1648] et de Adamus Rupertus » (Leipzig, 1660, v. note [4], lettre 557).
Christoph Adam Rupertus (1612-1647), gradué en droit romain, avait été professeur d’histoire à l’Université d’Altdorf. V. note [3], lettre latine 350, pour deux de ses ouvrages.