On me cherche pour vous le Manuale Catholicum, [2] cela ne se vend qu’en cachette, propter metum Iudæorum. [1] Le syndic des libraires saisit tout ce qu’il trouve pour son profit, M. le lieutenant civil [3] envoie des visiteurs partout qui saisissent ce qu’ils trouvent et après, il condamne à l’amende. Le commissaire Picard, [4] durus homo, sævus et improbus, [2] a saisi divers exemplaires du Journal de M. Saint-Amour [5] chez des relieurs, qui ont été perdus et que l’on n’a pu recouvrer ; et c’est la raison pour laquelle le mien est encore en blanc, n’ayant osé le délivrer encore à personne pour le relier. On tient ici pour certain qu’il se fait, quelque part en Hollande ou à Hambourg, [6] un autre tome que le Journal, encore in‑fo. [3] Ce Journal est ici fort rare aujourd’hui, on cherche des moyens d’en faire entrer d’autres sans qu’ils puissent être saisis. Je tiens pour certain que M. Zollikofer [7] a passé par Lyon en s’en allant à Strasbourg, dont vous aurez certaine nouvelle chez M. Anisson, [8] libraire de Lyon, et sans doute M. Melch. Sebizius [9] saura bien où il est logé à Strasbourg ; je n’ai jamais su son nom de baptême. [4]
Je ne puis m’imaginer que le Turc [10] attaque Vienne [11] cette année, il est trop tard ; mais néanmoins, je crois que Dieu ferait grand bien à l’Allemagne s’il la délivrait d’un si puissant ennemi, aussi bien < que > d’un tas de moines, [12] quorum numerus est innumerus [5] alentour de l’empereur [13] et des autres princes catholiques. Je suis fort de l’avis de feu M. Naudé [14] qui disait qu’il y avait quatre choses dont il fallait se garder afin de n’être point trompé, savoir de prophéties, de miracles, [15] de révélations et d’apparitions. Mundus omnis exercet histrioniam, [6][16] toute la terre est pleine de gens qui se mêlent d’être devins et qui font les politiques spéculatifs sans savoir eux-mêmes ce qu’ils seront demain. Je n’ai point vu la Vie de Catherine de Médicis, [17] impression de Hollande, mais elle n’a jamais été guère rare. Elle fut imprimée de son vivant in‑8o. Théodore de Bèze [18] en est le vrai auteur. Elle est dans les Mémoires de Charles ix [19] et a encore été imprimée l’an 1649 durant notre guerre mazarinesque. [7]
Pour M. Sorbière, [20] je n’entends rien à ses promenades. Il en a fait souvent et n’en dit rien, il a été en Angleterre, en Hollande, en Flandres, [21] et y retourne souvent. Je pense que c’est pour y revoir ses bons amis et ses vieilles connaissances. [8] Pour cette Relation de Rome dont vous parlez, elle se voit tant en italien qu’en français, imprimée en Hollande. [9][22] Un libraire réformé m’a dit qu’on l’imprimait en même façon à Genève. Cela est bien fait et ne manquera jamais de se rendre commun. Plût à Dieu que M. Huguetan [23] eût imprimé l’Histoire des conclaves, [10][24] nous verrions bien là-dedans des fourberies romaines et de la politique italienne, mais cet ouvrage est plus propre à Genève qu’en aucun lieu de France ; néanmoins, cela s’y pourra faire le printemps prochain lorsque nous aurons une armée en Italie et que nous ferons la guerre au pape [25] s’il ne donne satisfaction au roi. [11][26] M. Volckamer [27] m’a pareillement mandé qu’il avait reçu de votre part ce petit paquet, dont je vous remercie. M. Gaffarel [28] m’a dit que ce qu’il avait de C. Hofmann, [29] il l’avait pris en Italie chez des moines qui l’avaient acheté ; il m’a dit aussi que c’était un jeune Allemand qui leur avait donné. Je n’ai point encore ouï parler de ce nouveau traité de Febribus Casp. Hofmanni, mais sans doute il nous en viendra de Tübingen. [12] Ce Sylvius [30] est un professeur à Leyde [31] qui a querelle avec Deusingius [32] qui enseigne à Groningue, [33] mais je n’ai encore rien vu d’imprimé ; [13] trop bien que M. Vander Linden [34] m’a mandé qu’il avait quelques petits livres à m’envoyer, pro quibus idoneum quærit vectorem ; [14] j’attendrai patiemment cette occasion. Pour ces livres du libraire d’Uppsala, nihil audivi, [15] mais il est vrai que nos libraires sont là tout à fait déraisonnables, ils n’ont de sens commun que pour la malice. J’ai vu in‑4o la Vie de M. Duplessis-Mornay, [35] comme aussi ses Négociations, en quatre volumes in‑4o. [16] On dit ici que les députés des Suisses [36] sont à Troyes [37] et qu’un ambassadeur extraordinaire d’Angleterre doit dans peu de jours faire ici son entrée. Depuis peu est mort un fort honnête homme, professeur de botanique à Leyde, savoir Adolphus Vorstius, [38] à qui M. Vander Linden a fait une harangue funèbre. Te et tuam saluto, [17] avec MM. Gras et Huguetan l’avocat.
Parisiis, 28. Oct. 1663.
Monsieur, [b]
Depuis ce que dessus écrit, j’apprends que les députés des Suisses arriveront demain après-midi à Charenton, [39] où ils passeront la fête, et tôt après, ils feront ici leur entrée.
Le roi envoie des billets de taxe à divers particuliers qui par ci-devant se sont mêlés de partis et de finances : Patres vestri manducaverunt uvam acerbam, et dentes filiorum obtupescent. [18][40] Il y a ici peu de monde, et point de malades : nous n’eûmes jamais si bon temps ; tandis que les apothicaires [41] et les estafiers de Saint-Côme [42] s’entremangent et s’entrechicanent les uns et les autres. Multi sunt ordines mendicantium et medicantium multi. [19] Il y avait autrefois un certain charlatan qui promettait en ses affiches la guérison de la maladie vénérienne [43] et de plusieurs autres, et mettait au bas Plures nutrit Medicina nefandos : [20] lui-même en était du nombre. On achève ici le livre de feu M. de Saumaise de Manna et saccharo. [44][45] Te et carissimam saluto. Vive, vale, et me ama. Parisiis die Martii 30. Octobris 1663. Tuus ex animo, Guido Patin. [21]
1. |
« par crainte des juifs » : {a} Manuale Catholicorum {b} hodiernis controversis amice componendis maxime necessarium. Ex scriptura, Conciliis, S.S. Patribus, summis Pontificibus, atque celebrioribus Auctoribus fideliter contextum. De consensu Superiorum, necnon Doctorum approbatione. Secunda Editio multo locupletior. Cum Ecclesiæ traditione ad Novarum Thesium refutationem, necnon Celeberrimi Parisiensis Senatuconsulti confirmationem. Auctore Aletophilo Charitopolitano Congreg. de fide propag. |
2. |
« homme dur, cruel et malhonnête ». |
3. |
V. note [22], lettre 752, pour le Journal de Louis Gorin de Saint-Amour (1662), livre qui fut condamné par le lieutenant civil au Châtelet de Paris, Simon Dreux d’Aubray, à être brûlé le 14 mai 1663. Les Mémoires touchant la vie de Monsieur de S. Cyran, de Claude Lancelot, {a} contiennent une fort instructive Relation faite par M. Lancelot d’un entretien qu’il eut en 1664 avec M. de Péréfixe, archevêque de Paris, {b} au sujet des religieuses de Port-Royal et de la signature du Formulaire d’Alexandre vii, où il est incidemment question du Journal de Saint-Amour (tome second, pages 514‑515) :
Je n’ai pas vu d’autre tome du Journal, mais il fut traduit en anglais en 1664. |
4. |
Zollikofer se prénommait Maximilian Honorius (v. note [14], lettre 750). |
5. |
« dont le nombre est incalculable ». |
6. |
« Le monde entier joue la comédie » (Pétrone, v. note [8], lettre 347). |
7. |
Le Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de Catherine de Médicis, reine mère. Déclarant les moyens qu’elle a tenus pour usurper le gouvernement du royaume de France et ruiner l’état d’icelui se trouve dans le troisième et dernier volume (pages 314 vo‑403) des Mémoires de l’état de France, sous Charles Neuvième, contenant les choses les plus notables faites et publiées tant par les catholiques que par ceux de la Religion, depuis le troisième édit de pacification fait au mois d’août 1570, jusques au règne de Henri troisième… [compilés par Simon Goulart] (Middelbourg, Heinrich Wolf, 1577, 3 volumes in‑8o). Catherine de Médicis était morte en janvier 1589 (v. note [35], lettre 327). Ce virulent Discours est attribué à Théodore de Bèze, Jean de Serre ou Henri Estienne. Il a plus tard été plusieurs fois réimprimé à part. Guy Patin faisait allusion à l’édition imprimée au commencement de la Fronce : sans lieu ni nom, 1649, selon la copie imprimée à Paris, in‑8o de 138 pages. |
8. |
Durant l’été de 1663, Samuel Sorbière (dont Guy Patin se plaisait ici à évoquer le passé calviniste) avait séjourné en Angleterre : longues conversations avec Thomas Hobbes, soirées au théâtre, dîners à l’ambassade de France, présentation au roi, visite d’Oxford, admission à l’une des réunions de la Royal Society, etc. De retour en France, il écrivit un compte rendu de tout cela à la demande du marquis de Vaubrun-Nogent, et sa Relation (Paris, 1664, v. note [3], lettre 788) fit scandale. |
9. |
Relation de la Cour de Rome, faite l’an 1661 au Conseil du Pregadi, {a} par l’Excellentissime Seigneur Angelo Corraro, {b} Ambassadeur de la Sérénissime République de Venise auprès du Pape Alexandre vii. {c}
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10. |
V. note [1], lettre 943, pour ce livre de Gregorio Leti sur les conclaves (sans lieu, 1667, en italien). |
11. |
L’affaire des gardes corses (v. note [1], lettre 735) était encore en pleine ébullition. À titre de représailles, Avignon et le Comtat avaient été annexés par la France le 23 juillet (v. note [9], lettre 735). On pouvait donc encore redouter une déclaration de guerre. V. note [4], lettre latine 241, pour les pourparlers alors en cours |
12. |
V. notes :
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13. |
Sylvius est le nom latinisé du médecin allemand Frans de Le Boë (Hanau 1614-Leyde 1672) ; il est distinct de l’autre Sylvius, Jacques Du Bois, médecin français du xvie s. (v. note [9], lettre 9). Nommé professeur de médecine pratique à Leyde en 1658, ce second Sylvius s’y faisait le champion du modernisme en défendant la circulation de William Harvey et en développant jusqu’à l’extrême les théories et la pratique de la médecine chimique. Tout l’opposait donc à son rival Anton Deusing (v. note [4], lettre latine 264). Sur cette querelle, allait bientôt paraître la : Francisci de Le Boe Sylvii, Medicinæ Practicæ in Academia Lugduno-Batava Professoris, Epistola Apologetica, improbas æque ac ineptas Antonii Deusingii, aliorumque ejusdem farinæ hominum Cavillationes atque Calumnias summatim perstringens. |
14. |
« pour lesquels il cherche un porteur adéquat ». |
15. |
« je n’en ai rien ouï dire ». |
16. |
V. note [4], lettre 282, pour les Mémoires de Philippe de Mornay (Amsterdam, 1652). |
17. |
« Je vous salue, ainsi que votre épouse ». V. notes [2], lettre 760, pour l’ambassade des Suisses, et [42], lettre 426, pour Adolf Vorst, professeur de médecine puis de botanique à Leyde. |
18. |
« Vos pères ont mâché des raisins amers et les dents des fils grinceront » ; Jérémie (31 : 29‑30) :
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19. |
« Nombreux sont les ordres mendiants, nombreux aussi les ordres soignants. » |
20. |
« La médecine nourrit beaucoup de criminels ». |
21. |
« Je vous salue, ainsi que votre très chère épouse. Vive et vale, et aimez-moi. De Paris, le mardi 30e d’octobre 1663. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. » V. note [16] de la lettre du 26 octobre 1643, pour l’annonce très prématurée du traité de Claude i Saumaise « sur la Manne et le sucre » (Paris, 1663). |
a. |
Reveillé-Parise, no cccliii (tome ii, pages 489‑491), à Charles Spon. |
b. |
Tous mes remerciements au Dr Philippe Albou, secrétaire général de la Société française d’histoire de la médecine et très fin connaisseur des éditions imprimées de Guy Patin, qui m’a procuré (le 10 avril 2015) ce post‑scriptum omis par Reveillé-Parise : il forme la lettre cxci de l’édition de 1725 (Rotterdam, Reiner Leers, 5 tomes in‑12, tome v, page 249). |