- “ Le mensonge est une chose horrible et indigne tout à fait d’un honnête homme ; mais c’est encore pis que tout cela quand il est employé et mêlé dans la religion : Christus ipse qui veritas est non indiget mendacio. ” [1][2] À l’application : est-il rien de plus pitoyable que de voir des gens avoir recours à ces pieuses inventions et aux faux miracles [3] pour prouver un Dieu dont l’existence est suffisamment démontrée par les créatures ?
- “ Un empirique [4] nous a ici laissé de la pratique avant que de partir : il a conseillé à une femme phtisique [5] qui avait un flux de ventre [6] de prendre de la thériaque [7] pour lui apaiser ce flux ; elle en a pris quatre fois, elle a achevé de brûler son luminaire [8] avec grandes douleurs ; M. Moreau [9] en a consulté ce matin avec moi ; elle n’a pas oublié de maudire son docteur thériacal ; voilà comment les charlatans [10] nous donnent bien de la pratique malgré eux. On dit qu’il a bien emporté de l’argent de deçà, je le veux bien per me sint omnia protinus alba : [11] j’aimerais mieux moins gagner et savoir mieux mon métier, n’être point charlatan, etc., mais qui serions-nous ? Necesse est hæreses esse, et veritas manifestetur. ” [2][12] Il y a eu jusqu’ici parmi nous tant de mauvais docteurs et tant de faux partis que le bon aurait dû paraître depuis longtemps et prévaloir enfin. La médecine a encore bien des siècles à attendre avant que d’arriver à ce point de perfection où les hommes vraiment savants désirent la porter. Nous ne manquons point de malades, surtout dans cette fâcheuse et irrégulière saison : ce seraient autant de sujets pour fournir de matière d’apointance < sic >, mais peu reviennent parce que les chimistes [13] ultramontains se sont emparés de la crédulité populaire, car ce n’est plus que le peuple, et non la Faculté, qui fait les médecins. Tant que les choses iront ainsi, il y a force malades qui s’en iront aussi. Je n’en ai pu guérir que deux ou trois, les autres ont voulu de l’Ultramontain, et ils sont partis pour le pays non plus ultra. [3]
- Les médecins doivent être considérés, mais ils doivent aussi avoir de la considération pour ceux qu’ils traitent. Je ne puis approuver la familiarité outrée d’un certain Gabriel Bacthisva < sic > [14] envers le calife Motauvacel : [15] ce calife étant un jour en bonne humeur, poussé par sa gaieté, ouvrit la veste de son médecin jusqu’à la ceinture en lui demandant en même temps à quoi les médecins connaissaient quand il était temps de lier les fols. [16] Bacthisva, indigné contre son maître de la plaisanterie qu’il venait de lui faire, lui répondit hardiment ; « Le temps auquel il faut lier les fols, c’est lorsqu’ils ont si peu de respect pour leurs médecins, et qu’ils se jettent sur eux pour déchirer leurs habits. » Le médecin fut heureux en cette occasion : au lieu d’irriter le calife par cette réponse, celui-ci en rit de tout son cœur et lui fit même donner une veste bien plus magnifique que celle qu’il avait déchirée. Son bonheur ne dura pas toujours, car il fut si fort persécuté par l’envie des courtisans qu’enfin ils le perdirent. Peut-être la liberté trop familière qu’il avait prise auprès de son maître aida à le perdre, car il arrive souvent que, tôt ou tard, ces sortes de familiarités attirent à ceux qui s’y abandonnent des retours fort dangereux : les grands ne veulent pas toujours rire, et quand ils sont de mauvaise humeur, leur esprit ne regarde pas alors favorablement la conduite de ceux qui les approchent. [4][17]
- “ Toute la cour est à Fontainebleau, [18] M. le chancelier [19] y était allé saluer le roi, [20] pour aller delà à Lyon, y faire le procès aux prisonniers d’État, [21][22] in quibus potissimum lugeo Fran<ciscum Augustum > Thuanum, clarissimi Viri < Jacobi Augusti > filium ; [23] mais on dit que son voyage est différé. Utinam ad salutem Thuani, cujus parenti et indefesso inscribenda historia labori plurimum debent omnes quotquot Musas amant, atque bonarum litterarum suavitati incumbunt. ” [5] Les savants, comme vous voyez, ne sont pas à couvert de certains traités. Ils sont plus menacés et quelquefois plus rudement frappés que d’autres qui sont vraiment coupables. Aussi est-il dangereux de trop entreprendre : si l’on ne se mêlait que de ses livres, et que l’on ne fût pas tenté de sortir de son cabinet, tout cela n’arriverait pas ; mais on veut se produire, être connu, s’intriguer, faire parler de soi. La grande réputation cause des incidents, et on est la dupe et la victime de sa propre gloire.
- Ces Hibernois, ces Irlandais logiciens, me font toujours rire avec leur manière de prononcer le latin. Je n’y comprends jamais rien pour la première fois : leurs ous me changent toujours les espèces dans mon imagination. Scaliger, [24] qui était assurément plus habile homme que moi, avait le même embarras quand il entendait parler ces sortes de latins. Ayant un jour écouté avec attention le compliment qu’un Irlandais lui avait fait en latin, il crut qu’il lui avait parlé en langue irlandaise. C’est pourquoi il lui répondit qu’il n’y entendait rien, parce qu’elle lui était inconnue : Domine, non intelligo Irlandia. [6][25] La langue latine se trouve encore plus défigurée par le jargon de quelques autres docteurs que par la mauvaise prononciation de ces bons Irlandais. Dès ma jeunesse, j’ai aimé le beau latin, et mon goût sur cela a été d’une délicatesse extraordinaire. Je ne puis même m’empêcher de joncher mes lettres de quelques-uns de ces beaux traits de Cicéron [26] et de Térence. [7][27]
- “ Pour le cardinal < de Richelieu, [28] il > est passé, il est en plomb l’éminent personnage ; et même, de plus, on peut dire de lui ce que l’on dit autrefois d’Alexandre le Grand : [29] Etiam mortuus imperat, puisqu’on suit encore ses ordres et ses conseils ; mais il faut avoir patience, Cœlum et terra transibunt, [30] et toute sa mémoire aussi. ” [8]
- Auguste [31] ne voulut jamais faire rechercher les auteurs de certains billets qu’on avait semés dans le Sénat, et qui étaient remplis d’injures et de calomnies contre lui. Ce prince voyant que Tibère [32] trouvait à redire à cette indifférence, lui dit : « Tu raisonnes comme un jeune homme, laisse-leur dire du mal de moi, il me suffit de les avoir mis en état de ne m’en pouvoir faire ». Cette conduite d’Auguste marque qu’il n’aimait plus le sang : aussi a-t-on dit, en comparant le commencement de son règne avec la fin, « qu’il était à souhaiter qu’il n’eût jamais été empereur, ou qu’il n’eût jamais cessé de l’être ». [9]
- Une seule action hardie est capable de mettre à la raison des troupes innombrables assemblées pour s’égorger. En voici un exemple : un grand nombre de Sarrasins envoyés au secours de l’Empire par la reine Mauvia, [33] étant aux mains avec un grand nombre de Goths, et la victoire penchant également du côté des deux partis, on vit tout à coup paraître un soldat sarrasin tout nu, un poignard à la main, murmurant certains mots lugubres ; ce spectacle surprit ces gens acharnés les uns contre les autres ; mais les Goths furent si étonnés quand ils virent que ce Sarrasin, s’élançant sur le premier Goth qu’il rencontra, lui planta le poignard dans le sein, se jeta ensuite sur lui pour sucer le sang qui coulait de la plaie qu’il venait < de > faire, qu’ils s’enfuirent tous en désordre, sans oser attaquer davantage aucun des Sarrasins. [10][34]
- Houllier, [35] un des plus habiles médecins de ce pays, aimait à rire et à faire rire ses malades, parce qu’il était persuadé que la joie aidait beaucoup aux remèdes à produire les bons effets qu’on en attend. Cet Houllier était d’Étampes. [36] J’ai de lui : Therap<e>ia puerperarum, Hippocratis cæca < sic pour : Coaca > Præsagia, cum interpretatione et commentariis. [37] Il a donné encore d’autres ouvrages au public. [11][38]
- Un paysan me disait ces jours passés qu’il mettait à profit les ordures de son bourgeois parce qu’il tirait du blé et du vin du fumier qu’il en recevait. Ne dirait-on pas que ce drôle a lu cette épigramme ?
Urbs sterilis fructus agrorum in stercora vertit :
Fertilis in fruges stercora vertit ager.
Tu victum debes avido vitamque colono ;
Debet stercoribus non minus ille tuis. [12][39]
- Les plus grands criminels sont ceux qui ont le moins d’inquiétude.
Solent suprema facere securos mala. [13][40]
L’habitude du mal en ôte entièrement le remords, et l’on a passé par-dessus tant de devoirs en commettant les grands crimes qu’on ne se soucie plus des peines qui pourraient faire retourner l’esprit sur ces mêmes devoirs, en lui faisant appréhender la suite de son dérèglement.
- Cette manière de parler chez les Latins, in sententiam ire, pour dire « être de l’avis de quelqu’un », vient de ce que l’ancienne coutume des sénateurs romains était de se lever, de quitter leurs places et de s’approcher de celui dont ils suivaient le parti. In sententiam ire, cela me paraît bien exprimer notre « opiner du bonnet ». [14]
- Il est très vrai, quoi qu’en dise G.L., que César [41] se défiant < sic pour : défiait > depuis longtemps de Brutus, [42] par qui il fut assassiné. C’est dans cette défiance qu’il disait : « Je ne crains point ces gens gras et ventrus, ils aiment trop la bonne chère et leurs plaisirs, mais je crains ces maigres et pâles, comme sont Brutus et Cassius », [43] non illos pingues et oberos, sed illos domum malicentes et pallidos timeo, quales sunt Brutus et Cassius. [15][44]
- C’est Éric, roi des Goths, qu’on appelait Chapeau venteux, [45] et cela parce qu’on voulait croire qu’il faisait souffler les vents de tous les côtés qu’il se tournait. Un aventurier m’a voulu persuader qu’il avait le même privilège. Quelques bonnes femmes de mes voisines ont été là-dessus plus crédules que moi, ce qui n’est pas difficile à croire : les choses extraordinaires trouvent aisément crédit dans l’esprit de bien des femmes. [16][46]
- Une eau sans mouvement se corrompt bientôt, un corps sans travail devient bientôt malade.
Cernis ut ignavum corrumpant otia corpus,
Ut capiant vitium, ni moveantur, aquæ.
Ovid. Pont. li. i. [17][47]
C’est pourquoi je ne m’étonne plus de voir nos gens de qualité sujets à tant d’infirmités, pendant que nos paysans sont forts et robustes : ceux-là se pourrissent dans l’oisiveté, ceux-ci dissipent par le travail tout ce qui fait la corruption ; ceux-là sont sensibles aux plus petits maux, ceux-ci ne ressentent que les plus grands, car pour les petits, ils se sont tellement endurcis par le travail qu’à peine s’aperçoivent-ils les avoir ou, s’ils s’en aperçoivent, ils les comptent pour rien. [48]
C’est un grand malheur que l’extrême sensibilité, et justement, elle se trouve dans les états où la délicatesse extrême est le partage de ceux qui jouissent de toutes les commodités de la vie. Ce sont ces gens-là à qui tout paraît incommode et qui ne parviennent jamais à obtenir ce que nous appelons leurs aises. Des hommes si délicats n’ont des yeux, des mains, des pieds que ad honores : [18] leurs pieds ne sont point pour marcher, il leur faut toujours des carrosses ; ni leurs narines, pour respirer le pur air de la nature, il leur faut des odeurs ; leurs yeux ne leur offrent jamais des spectacles assez ravissants. On ne finirait point sur le détail de leur mollesse, et sur celui des inconvénients auxquels elle les expose, car qu’ont-ils trouvé de bon et de beau ?
- Lævin Torrenem [49] parlant d’Octavien Panatagato, [50] homme très recommandable par ses profondes connaissances dans l’Antiquité, dit :
Quo gaudet omnis Roma superstite
Fletura defuncto, nec ullis
Temporibus paritura talem.
Nous n’avons aucun ouvrage de ce savant, il n’a jamais voulu en donner aucun au public, quoiqu’il fût très capable d’en faire, si nous en croyons ceux qui ont parlé de lui. [19] M. E. a dans sa bibliothèque des dos de livres dont le titre portait le nom de cet auteur, mais ce ne sont que des dos, mis exprès pour remplir un vide, ou pour ceux qui les tirent, pensant que ce sont de véritables livres. Il y a bien aujourd’hui de ces imposteurs, non pour faire honneur aux auteurs qui leur manquent, mais pour satisfaire le sot orgueil qu’ils ont de paraître amateurs de livres, gens doctes, hommes d’érudition. J’appelle cette maladie la bibliomanie, [51] et je voudrais qu’il ne fût permis d’avoir des livres qu’à ceux qui sont en état de les lire, d’en profiter. Tout le monde commence à se faire à rebours : je connais des gens d’épée et de finance qui ont de belles bibliothèques, et des magistrats qui n’ont pas un livre ; accordez cela ! [20]
- “ Pour le livre qu’on cite de Scaliger, [52] De Utilitate ex adversis capienda, il n’est pas de lui, mais de Cardan, [53] qui le fit pour se consoler de la mort de son fils [54] qui avait été pendu [55] à Milan pour avoir empoisonné sa femme. ” [56] Ces sujets de chagrin étaient violents : quand on a pu se consoler de tels accidents, on a fait une suffisante provision de force et de confiance pour prévenir tout désespoir. Ce qui peut consoler un père dans cette occasion est que le fils ait borné sa rage à la personne de sa femme, et qu’il ne soit pas devenu parricide. Un crime mène à l’autre, il y en a qui paraissent si affreux < que > je ne ne comprends pas comment la justice trouve les coupables : ils devraient eux-mêmes se punir ; et le moyen de survivre à de si terribles remords ?
- “ Nous avons enfin un pape, [57] qui est Jo. Baptista Pamphilius, neveu d’un cardinal Hieron. Pamphilius, [58] sous Clément viii. [59] Il a pris le nom d’Innocent x, [60] et dit qu’il espère de mettre la paix en l’Europe, et qu’il ne veut demander à Dieu que cette grâce. Il a 72 ans, mais il est vigoureux. Il n’est pas savant ni homme de lettres, mais grand homme dans les affaires, dans les négociations et dans les intérêts des princes, comme ayant été dans de grands emplois depuis près de 50 ans. Il a deux cardinaux qui le gouvernent, savoir Spada [61] et Panciroli : [62] ils sont ennemis jurés du cardinal Mazarin, [63][64] qui a un tel regret de cette promotion qu’il a pensé en être malade bien fort, ayant eu un accès de fièvre qui a duré 55 heures, et pour lequel il a été saigné deux fois. ” [65]
- “ Depuis la mort du bon cardinal Bentivoglio, [66] nullus obiit ex purpuratis patribus. Il y a dix places vacantes. Le pape n’a point fait encore de promotion, mais il a fait libéralité et largesse à tous ses anciens serviteurs, et a obligé de fort bonne grâce tous ceux à qui il a donné les offices qui vaquaient ; et entre eux, adscivit sibi in comitem laboris, et in quem majores sui Pontificatus curas deponere meditatur, le cardinal Panciroli, qui a été nonce en Espagne, et qui était le grand et presque perpétuel agent du feu pape Urbain viii. Ce Panciroli est homme de grand esprit, de grande intrigue, que le pape a fait loger dans son palais propre, et qui est fils d’un tailleur de Rome. ” [21] Mais quand un homme est une fois parvenu, à force d’esprit, à un certain poste, on oublie sa première naissance, elle lui fait même honneur, en ce que l’on n’a pas coutume d’attendre beaucoup d’un homme sorti d’un sang médiocre ; et lorsqu’il sait se montrer supérieur aux premiers génies, on trouve assez de raisons pour estimer sa personne, sans qu’il ait besoin de la noblesse de ses ancêtres. Cependant, tels gens ont assez de faiblesse pour ne pas vouloir qu’on leur parle de leur famille.
- Un de nos rois, c’est Louis xii, [67] après avoir succédé à son < beau->frère Charles viii, [68] se fit apporter une liste qui contenait les noms de ceux qui lui avaient rendu de mauvais services pendant le règne de son prédécesseur, et marquer d’une croix chacun de ces noms. La plupart de ces gens-là, se regardant comme des proscrits qui ne devaient attendre que la mort, se retir<èr>ent promptement, comme d’un lieu où ils ne pouvaient pas l’éviter. Ce prince ayant appris leur fuite, les rappela tous et leur dit : « Vous ne deviez pas vous retirer avec précipitation et avec crainte, comme vous avez fait, quelque sujet que vous m’ayez donné de me venger de votre conduite à mon égard, car sachez que la croix dont j’ai marqué vos noms ne signifie pas des châtiments, mais qu’elle marque seulement, comme celle du Sauveur, l’oubli et le pardon des injures que vous m’avez faites. » [22][69] C’est là véritablement parler en roi, et en roi très-chrétien.
- Les Scythes [70] disaient à Alexandre le Grand Quod faciunt alii jurati, facimus nos injurati : « Ce que font les autres après avoir juré, nous le faisons sans avoir juré. » Je me défie d’ordinaire de ceux qui jurent facilement et pour affirmer ce qu’ils disent : puisqu’ils jurent sans nécessité, cela veut dire que j’ai sujet à me défier. Ma défiance tient un peu de cet axiome : Excusatio non petita, est accusatio manifesta. [23][71]
- “ Louis Duret [72] a dit sur Houllier, en parlant du maréchal de Brissac : [73] Quand vous avez la goutte, vous êtes à plaindre ; quand vous ne l’avez point, vous êtes à craindre. ” [74] Un peu de mal vient quelquefois fort à propos ; sitôt qu’on ne le ressent plus, on n’a plus les mêmes ressentiments, ou de religion, ou de bonté, que l’on avait montrés dans les douleurs ; mais si le mal se fait de nouveau sentir, on reprend ses premiers mouvements. Il est bon pour ces sortes de gens qu’ils soient malades : nous les plaindrons, nous ferons même en sorte de ne les pas guérir sitôt, puisque l’affliction de leur corps remet la droiture dans leur esprit, la bonté dans leur cœur, et la sagesse dans toutes leurs accusations ; nous blesserions leurs consciences et la nôtre, si nous en usions autrement. Dites à votre ami qu’il soit plus patient malade, et plus réglé quand il se portera bien. Serons-nous avares des remèdes contre les trop longues santés et les trop courtes maladies ? [24]
- Caius Gracchus [75] était un grand orateur, mais il avait un défaut : c’est qu’au milieu de sa déclamation, il s’échauffait quelquefois si fort en parlant qu’il se brouillait et prenait un ton extraordinaire, qui était insupportable à ceux qui l’écoutaient ; ses amis l’en avertirent, il profita de leur avis, c’est là le caractère des grands hommes. Et ainsi, pour ne plus tomber dans ce défaut, il fallait mettre derrière lui un de ses domestiques qui, quand il le voyait entrer dans son dérèglement, lui faisait reprendre un ton modéré par le moyen d’un certain instrument dont on se servait dans ce temps-là pour apprendre à élever peu à peu la voix, et à entonner les notes de musique. [25][76]
- André Vésale, [77] médecin de Philippe ii, [78] était si habile dans l’anatomie qu’il nomma, les yeux bandés, tous les os d’un homme dont l’on avait fait la dissection. [79] On dit qu’il ne faisait scrupule de disséquer des hommes vivants lorsqu’il en trouvait l’occasion. On me promet un livre de sa façon, Epitome librorum de humani corporis Fabrica, Chirurgia magna, Consilium pro visu partim depravato, partim abolito. [26][80]
- “ M. Blondel [81] a mis au jour depuis trois mois, et fait imprimer en Hollande, un petit livret in‑8o, de dix feuilles d’impression, contre la papesse Jeanne, [82] où il montre qu’elle ne fut jamais. Je ne sais pas ce qu’en diront les docteurs de Charenton [83] qui lui payent sa pension de ministre ; mais il est certain que ce Blondel est un homme qui cherche maître ou parti en matière de religion, qu’il n’est pas si fort huguenot [84] que les autres ministres, qu’il est papiste en quelque chose. Il hante fort en Sorbonne, [85] il est historiographe de France, et est suspect aux siens propres. Feu Messieurs Casaubon [86] et Grotius [87] ont autrefois été de même. ” [27]
- On fait dire par M. L.L. que l’éloquence n’est point vétilleuse. Les grammairiens pédants trouvent cette proposition fort erronée parce qu’elle va à leur ôter bien de la chalandise. Il serait fort fâcheux, pour des gens qui ont vieilli dans la science des mots avec des scrupules de la dernière exactitude, si l’on faisait la guerre aux vétilles. Ce sont eux qui ont travaillé à faire ces faux savants dont parle Lucrèce, li. i, [88] qui ne sont éblouis que par des paroles figurées, qui n’approuvent que ce qui flatte les oreilles :
Omnia enim stolidi magis admirantur, amantque,
Inversis quæ sub verbis latitantia cernunt,
Veraque constituunt quæ belle tangere possunt
Aureis et lepido quæ sunt fucata sonore.
Ce sont ces vétilles et ces puérilités qui ont gâté l’éloquence : on a cru qu’il fallait s’éjouir dans les mots, et c’est tout le contraire : pensez bien, écrivez simplement, parlez de même, vous voilà éloquent ! Laissez ces faux brillants, ces clinquants, aux jeunes rhéteurs qui, dans le centre même de l’éloquence, perdent le bon goût et se mettent hors d’état de se réformer ! Si l’on retranchait du barreau et de la chaire ces hommes amoureux du phébus, [89] combien nous resterait-il d’orateurs ? [28]
- “ Il y a ici force procès de banqueroutiers frauduleux, de maltôtiers, partisans et gens d’affaires, quos genuit quoties voluit Fortuna jocari ; [90][91] desquels on peut dire ce que Tacite [92] a dit des astrologues, [93] Genus hominum quod in civitate nostra semper vitabitur et semper retinebitur. ” [29] Il y a plusieurs maux de cette sorte, qu’on dit être nécessaires, et dont l’on se passerait fort bien. S’il en faut, pourquoi s’en plaindre ? S’ils sont inutiles, pourquoi les souffrir ? En vérité, le peuple ne sait ni ce qu’il veut, ni ce qui lui convient : Plebs plerumque contra sua commoda certat ; [30] le peuple ne connaît ni ne suit ses intérêts, il murmure contre les hommes qui s’élèvent et il ne voit pas que, ceux-là tombés, il en paraîtra d’autres qui voudront faire la même ou une plus grande fortune, et qui ne pourront y réussir qu’aux nouveaux dépens du peuple.
- Alexandre n’était pas fâché que ses courtisans le voulussent faire passer pour un dieu, parce que cet<te> apothéose le faisait également craindre et respecter ; mais il ne faut pas croire qu’il ajoutât foi à cette flatterie : il sentait parfaitement bien qu’il était mortel, un quart d’heure de sommeil le mettait à la raison là-dessus ; Alexander Magnus se duabus potissimum rebus mortalem intelligere aiebat, sopore ac coitu, quas sola naturæ infirmitas pareret. Le sommeil nous avertit que nous sommes mortels, il est vrai ; mais c’est un avertissement doux, qui fait le plaisir le plus tranquille de notre vie.
Tuque, o domitor,
Somne, laborum, requies animi,
Pars humanæ melior vitæ. [94]
Il adoucit les peines, il dissipe les chagrins, il tranquillise l’esprit, il apaise les inquiétudes, il rétablit les forces ; enfin, il met le corps et l’esprit dans une situation qui ne semble être destinée que pour servir de trône au repos et à la tranquillité.
Somne, quies rerum, placidissime, Somne, deorum,
Pax animi, quem cura fugit, qui corpora duris
Fessa ministeriis mulces, reparasque labori. [31][95]
Le sommeil est excellent, mais il n’en faut pas trop prendre, parce que le trop apesantit, affaiblit et corrompt autant que le modéré purifie, fortifie et réjouit. Vous n’avez jamais vu qu’un grand dormeur fût un habile homme : l’esprit se nourrit dans les veilles, et les savants doivent plus à la nuit qu’au jour. Il faut voir, être vu, se dissiper dans les promenades, quelquefois dans les jeux : les conversations des importuns font perdre des heures précieuses ; tout cela ne se repose que dans la retraite, et cette retraite n’est paisible et tout à fait sérieuse que pendant le cours des nuits. Je donne là un conseil impraticable à la paresse ; mais comme je la crois incapable de m’entendre, je ne prétends point adresser ma morale à ces paresseux de profession, qui n’ait jamais vu lever l’aurore et le Soleil. [32]
- On dit qu’en Espagne on fait trancher la tête à tous ceux qui ont tué quelqu’un, [96] sans distinction d’état et de condition ; mais on observe dans cette exécution une formalité remarquable, c’est que si le criminel a tué son homme en traître, le bourreau lui donne le coup par derrière ; mais au contraire, il le frappe par devant s’il n’a point tué avec trahison. [33][97]
- Le principal ouvrage de Conrad Gesner [98] est sa Bibliothèque, ce livre est d’une grande utilité pour les savants. Il était si pauvre qu’il travaillait pour gagner de quoi subsister ; c’est pourquoi il disait qu’étant forcé à écrire par deux déesses inexorables, « la pauvreté et la nécessité », il n’avait pas tout le loisir qui lui était nécessaire pour perfectionner ce qu’il écrivait. « Cependant, ajoute-t-il, afin que la sincérité avec laquelle j’avoue ma pauvreté n’attire point de mépris sur les livres que j’ai publiés, j’ose me vanter qu’ils surpassent en quelque manière ceux qui ont été faits sur les mêmes matières que j’ai traitées. » On appelle cela un retour de savant ruiné : quand on s’abaisse du côté de la fortune, on sait aussitôt se dédommager par beaucoup de confiance en son esprit. [34]
- Quelque chose que puissent dire ces gens qui s’arguent < sic pour : se targuent > tant de leur noblesse de race, pari sorte nascimur, sola virtute distinguimur. [99] Plutarque compare ces nobles en parchemin à ces belles inscriptions que les maîtres pilotes mettaient autrefois sur leur navire en bon augure et présage heureux de leur navigation. Ces inscriptions promettaient beaucoup et disaient merveilles ; mais cependant, elles n’empêchaient pas les vents de souffler, les tonnerres de gronder, les foudres de tomber et, enfin, ces vaisseaux si bien parés, de faire naufrage. < Quant > à l’application, elle est aisée à faire : on dit qu’un certain habitant de Bologne la Grasse, [100] ayant prié l’empereur Maximilien [101] de le faire noble parce qu’il était assez riche pour bien soutenir le rang que donne la noblesse, ce prince lui répondit : « Je puis bien te faire plus riche, mais non plus noble, il faut que tu acquières cet honneur par la vertu. » [102] Ce serait trop embarrasser nos nobles que de les réduire à la nécessité d’être sages. Par la corruption de nos mœurs, la noblesse a acquis le funeste privilège d’être impunément vicieuse. Les auteurs s’en sont plaints, les poètes en ont fait le sujet de leurs satires et les censeurs évangéliques, celui de leur morale ; mais il y a longtemps que l’on écrit, que l’on parle et que l’on déclame en vain : le monde ira toujours son train, il y aura jusqu’à la fin des docteurs sans science, des médecins sans malades, des malades sans médecins, < et > je ne trouverai jamais celui-ci mauvais ; des nobles sans vertu, oh, pour le coup ! je les mépriserai. [35]
- Monsieur G.N. voyant qu’on lui offrait en mariage deux filles, dont l’une avait peu de bien, mais assez de sagesse, < et > l’autre était très riche, mais fort évaporée, il choisit cette dernière préférablement à l’autre, protestant qu’il trouvait si peu de différence entre une femme sage et une folle, qu’il ne pouvait « se résoudre à perdre de grandes richesses pour si peu de choses ». C’est un prétendu bon mot dont il n’est pas l’inventeur, mais il fait à présent une expérience qui lui apprend qu’il ne pouvait pas faire un choix plus propre à troubler son repos.
La sagesse est bonne à quelque chose ; c’est même, si l’on veut, ce qu’il y a de meilleur et de plus précieux dans le monde. Mais qu’est-ce qu’une femme qui n’a que de la vertu ? Elle n’est pas certainement la plus faible et la plus complaisante. J’ai vu des gens si outrés des chagrins causés par de telles femmes qu’ils souhaitaient presque qu’elles eussent moins de vertu, mais plus de douceur. Et en effet, sans cet agrément domestique, la vie n’a rien que d’incommode. Dès les premiers jours de mon engagement, je l’ai pensé de la même manière, et je suis sûr qu’il n’est personne qui s’oppose à ce sentiment. Si les femmes savaient combien elles se rendraient aimables par un caractère doux et docile, l’on ne verrait point de bizarres, d’acariâtres, de piaillardes : mauvaises épithètes, je l’avoue, mais qui expriment bien l’humeur fâcheuse de quelques-unes. [36]
- “ On vend ici le livre de M. de Saumaise, in‑fo et in‑12, pour le feu roi d’Angleterre, Defensio regia pro Carolo i ad Carolum ii, etc. [103] On le met en français aussi. M. de Saumaise avait promis à la reine de Suède [104] d’aller assister à son couronnement, qui se doit faire au présent mois ; mais il a été arrêté par la goutte, [105] à laquelle il est fort sujet. Quantité de beaux esprits le sont allés voir, entre autres M. Descartes, [106] le jeune Hensius [107] et Isaac Vossius, [108] qui lui enseigne la langue grecque. ”
- “ Le grand Sennertus de Lyon est achevé, [109] il m’a été dédié. M. de Saumaise n’a rien fait sur le Tertullien qu’un petit in‑8o. [110] N’eût été sa goutte, il serait parti pour < la > Suède. M. Descartes y est mort à Stockholm, [111] d’une fièvre chaude, le 11e < de > février, où il était allé saluer la reine, qui est une savante et une dixième Muse. Le livre de M. de Saumaise pour le feu roi d’Angleterre [112] a été imprimé six fois en latin en Hollande, tant en petit qu’en grand volume, et en hollandais aussi. L’on l’imprime in‑4o en français, de la version même de l’auteur. On fait à Lyon une pratique de médecine d’un professeur de Montpellier nommé Franciscus Feyneus, [113] elle sera achevée dans un mois. ” [37]
Si l’on n’imprimait que de bons livres, il n’y aurait pas tant de gens occupés, ni tant de bibliothèques remplies. Au reste, s’il y a de mauvais auteurs, ils ont des raisons, peut-être, nécessaires pour écrire, et il ne dépend d’eux d’écrire mieux ; mais tant pis pour les gens qui sont la dupe de leur passion, et qui la secondent et l’excitent en montrant de l’empressement et de la fureur dans l’achat de toutes sortes de livres. Dieu merci ! je suis à l’épreuve de la tentation de ces messieurs les acheteurs publics des sottises d’autrui, je ne veux que de bons ouvrages : c’est pour cela que j’ai une bibliothèque peu garnie. [38]
- La peur fait quelquefois une telle révolution dans le corps qu’elle peut y produire également de grands biens et de grands maux. Au siège qui fut mis en 1555 devant la ville de Sienne, [114] un boulet de canon qui passa bien près du marquis de Marignan [115] lui donna tant d’effroi qu’il en perdit la goutte dont il était tourmenté. Si la peur fait perdre certains maux, comme alors la goutte, et assez souvent la fièvre, il n’est pas moins ordinaire qu’elle donne lieu à de nouveaux maux, qui même peuvent devenir incurables. Tout ce qui est extraordinaire, violent, subit, excite des mouvements intérieurs dans l’âme et agite tellement les parties extérieures du corps que la machine se dérange : si elle est bien disposée, elle tombe dans le désordre ; si au contraire elle est dans le désordre, elle se remet par l’agitation de ses ressorts dans son ordre premier. [39]
- R.B. est plus content des lettres qu’il reçoit de sa chère amie, Mademoiselle M.D.N., que de tout ce qu’elle lui dit quand ils sont ensemble. Cela est ordinaire : une femme qui aime écrit plus volontiers ses sentiments qu’elle ne les dit.
Dicere quæ puduit, scribere jussit amor.
Ovide. Ep. [116]
La pudeur retient une femme dans la conversation, elle pense bien des choses qu’elle n’ose déclarer ; mais rien ne coûte à la plume, quoique les billets demeurent et que les paroles s’envolent. Il est plus difficile de soutenir un entretien qu’un commerce de billets. Que les femmes s’expriment bien et écrivent de même quand elles veulent, surtout quand elles aiment ! Avec toute ma philosophie et tout mon sérieux, je ne me pique point de résister à ces charmes, et je me voudrais du mal de l’entreprendre, il me paraît qu’il y a de l’honneur d’aimer l’esprit partout où il se trouve, et de se plaire avec tout ce qui le représente. [40]
- “ Aujourd’hui, j’ai appris par lettres que j’ai reçues de Leyde, en Hollande, [117] que cette École de Salerne [118] de M. Martin [119] y a été imprimée, et que l’on me l’a derechef dédiée par une autre épître, faite par un homme qui est, dit-on, fort mon ami, et que je lui avais autrefois sauvé la vie, mais je ne sais qui il est. Pour le Sennertus, j’ai reçu celui qui m’a été envoyé tout relié de Lyon. Cette dernière édition vaut mieux que toutes les autres ensemble : non point de ce qu’elle m’a été dédiée, mais pour toutes les bonnes choses qui y ont été ajoutées, et dont elle est fort enrichie. M. Moreau n’a rien fait imprimer ; il est vrai qu’il a travaillé sur la seconde partie, qu’il fera imprimer avec la première, [120] si Deus vitam dederit. Il a tant d’affaires qu’il n’a point de loisir de reste, et a un autre livre à mettre sous la presse, de antiquitate et dignitate Facultatis Medicæ Parisiensis, contre le Gazetier [121] et M. Courteau, doyen de Montpellier. [122][123] Cet ouvrage serait fort curieux et beau, il est merveilleusement enflé de belles recherches qui ne se peuvent réfuter ; mais M. Moreau n’a guère de temps ni de santé, et même, je dirai d’avantage, vita summa brevis spem nos vetat inchoare longam. Je prie Dieu qu’il lui fasse la grâce de ne point mourir qu’il n’ait mis ces deux livres en lumière. C’est un digne homme, d’une rare condition et d’une grande doctrine : infinitæ lectionis virum agnosco, sed proh dolor ! raræ texturæ, et imbecillæ valetudinis. ” [41]
- “ Saint Augustin [124] a bonne grâce de dire quelque part Nemo vult decipi, nemo vult perturbari, nemo vult mori. Le peuple est si sot et si ignorant qu’il a vérifié le dire de Pline : [125] In hac artium sola evenit, ut uniquique se medicum profitenti, statim credatur. Un charlatan qui vante ses secrets est préféré à un homme de bien qui ne se vante de rien. ” [42]
J’avais déjà promis et presque juré que je ne m’emporterais plus contre ces charlatans qui ont la faveur du public, et une grande vogue avec peu d’expérience et nulle science ; mais comment se taire, quand on voit un professeur qui honore et qui enrichit des gens qui la déshonorent ? Les choses n’en demeureront pas là ! Comme il est de la nature de tous les maux d’empirer, l’on verra dans les siècles à venir encore plus de désordre dans la médecine : il vous en viendra d’Angleterre, de Hollande, de Turquie, des Indes ; le peuple en sera ébloui, les femmes en seront charmées ; notre Faculté, asile de la science, tombera néanmoins, nous n’aurons ni chevaux ni mules, l’Anglais et le Hollandais iront en chaise de poste, et leurs femmes en carrosse.
- Les cinq livres de Jeanvier < sic pour : Jean Wier >, [126] de l’Imposture et tromperies des diables, des enchantements et sorcellerie, [127] ont été traduits par Jacques Grévin, [128] poète fort estimé du temps de Ronsard. [129] Celui-ci était si content des vers que Grévin donna au public à l’âge de vingt-deux ans, qu’il fit ces vers pour lui :
« Et toi, Grévin, après toi, mon Grévin encor,
Qui dores ton menton d’un petit crêpe d’or,
À qui vingt et deux ans n’ont pas clos les années,
Tu nous as autrefois les Muses amenées,
Et tu nous as surmontés, nous qui sommes < jà > grisons,
< Et qui pensions avoir Phébus [130] en nos maisons >. »
Le volume des amours de Grévin, intitulé Olimpe, était en faveur de Nicole Estienne, [131] fille de Charles Estienne [132] et nièce du fameux Robert Estienne, [133] imprimeur. Elle fut mariée à un médecin nommé Liébault. [43][134]
- Doricha était la même personne que Rodope, [135] maîtresse de Caraxus, [136] frère de Sappho. [137] L’on nous a laissé ce conte à propos de Rodope : on dit que, se baignant un jour dans le Nil, [138] un aigle prit la peine de descendre des airs pour enlever un de ses souliers des mains de sa femme de chambre, et ensuite le porta à Memphis [139] et l’y laissa tomber sur les genoux du roi [140] qui, ce jour-là, rendait la justice publiquement sur la place de la ville ; ce roi, surpris de cette aventure et de la beauté du soulier, envoya des gens par tous ses États, avec ordre d’amener celle à qui l’on trouverait un soulier pareil à celui qui lui était tombé ; Rodope leur ayant montré ce qu’ils cherchaient, ils l’amenèrent au roi, et ce prince en fit sa femme. [44][141][142]
- “ Notre Faculté m’a fait doyen [143][144] le 5e de novembre passé, qui est une charge à laquelle j’avais été nommé et élu déjà quatre fois. Elle est pénible et m’ôte bien du temps, mais elle est honorable. Tous mes compagnons en sont réjouis, præter unum aut alteram Cercopem ; [145] mais moi, je voudrais bien ne le point être, vu que j’ai beaucoup d’autres affaires qui m’occupent tout entier. Mon fils aîné [146] passa docteur le mois passé, il présidera jeudi prochain pour payer sa bienvenue, et puis sera quitte de tout. J’ai acheté une maison, où je demeure depuis trois jours, c’est dans la place du Chevalier du Guet. [147] Elle me revient à neuf mille écus ; j’ai une belle étude, grande et vaste, où j’espère de faire entrer dix mille volumes, [148] en y ajoutant une petite chambre qui y tient de plain-pied. Nos messieurs disent que je suis le mieux logé de Paris. Ma femme [149] dit que voilà bien du bonheur en une fin d’année : son mari doyen, son fils aîné docteur (celui-là est son < cher > fils), une belle maison qu’elle souhaitait fort. ” [45]
- “ Je sais bien quel auteur c’est que Joannes Vetus, [150] j’ai céans son livre, il est mort greffier du parlement de Dijon. [151] Ce Jacobus Carpentarius [152] était un furieux qui fit tuer, à la Saint-Barthélemy, [153] Ramus, [154] son ennemi, comme huguenot, qui ne le fut jamais ; mais Dieu permit en récompense que l’an 1597, après la prise d’Amiens, [155] le fils unique de ce Charpentier [156] fût ici rompu tout vif à la Grève. [157][158] Vide Thuanum in utroque anno. ” [46][159]
- “ Un Anglais nommé Jean Milton [160] a répondu à M. de Saumaise, pro pooulo Anglicano ; [47] je pense que M. de Saumaise lui répondra. ”
- On a vu des rois qui avaient une antipathie invincible contre des chats ; d’autres, contre des chiens ; d’autres, contre de certaines couleurs. On en a vu aussi qui aimaient naturellement de certains animaux : Honorius [161] aimait une poule ; Alexandre, son Bucéphale ; [162] Commode, [163] un singe ; Néron, [164] un étourneau ; Héliogabale, [165] un moineau. Virgile [166] aimait beaucoup un papillon. [48][167]
- Strigelius [168] mettait en usage sans façon, dans ses livres, les pensées et même des expressions des auteurs anciens et modernes qui l’accommodaient, et il ne prétendait pas pour cela être plagiaire : « Je permets, disait-il, aux autres de se servir de ce qu’ils verront dans mes ouvrages qui leur convienne, je n’y trouverai point à redire ; mais ils ne me doivent pas refuser, sur les leurs, le même droit que je leur donne sur les miens. » Ce Strigelius était de Kansbiere < sic pour : Kaufberen >, [169] ville impériale de Suède < sic pour : Suève (Souabe) >. Il professa la théologie à Gênes < sic pour : Ienne (Iéna) >, [170] à Leipzig [171] et à Heidelberg. [172] Melanchthon [173] avait été son précepteur, aussi a-t-on remarqué qu’il imitait exactement sa méthode. Il a laissé plusieurs ouvrages sur l’Écriture Sainte, sur la théologie et d’autres sujets. Je n’ai de lui que Annotationes in libros Ciceronis de Officiis, de Senectute, de Amicitia, in Somnium Scipionis, in Paradoxa, in io Tusculanarum quæstionum, in Historiam Josephi annotationes, Notæ in Justinum, et une traduction d’Aristote de Vita et moribus. [49]
- “ On imprime un livre de Balzac [174] intitulé Le Socrate chrétien, dans lequel il se déclare fort contre les jansénistes. [175] Quelque savant de ce parti pourra bien lui river son clou, aussi bien qu’autrefois a fait le Père Goulé < sic pour : Goulu >, [176] feuillant. ” [50][177]
- Belle pensée de saint Augustin sur la religion : Christus offerens humano generi medicinam primam miraculis conciliavit authoritatem, authoritatem meruit fidem, et fide contraxit multitudinem, multitudine obtinuit vetustatem, vetustate roboravit religionem. Je voudrais que quelqu’un de nos prédicateurs s’avisât de s’occuper pendant un avent, ou même un carême entier, [178] à commenter cette belle pensée : qu’elle lui fournirait de choses édifiantes et instructives pour ses auditeurs ! [51]
- Nous verrons tout clairement dans le ciel, il n’y aura donc point de foi ; nous n’y désirerons rien parce que nous posséderons tout ce qui peut faire notre parfaite félicité ; il n’y aura donc point d’espérance, il ne nous y restera qu’une vertu, c’est la charité ; nous y posséderons tout ce que nous y aimerons, et nous y aimerons tout ce que nous y posséderons.
Solus amor nobiscum intrat penetralia cœli :
Non habet in cœlo spesve fidesve locum.
Credendum post funera nil erit, omnia cerno ;
Sperandum mihi nil, omnibus ecce fruor :
Semper erit quod ametur ; amor post funera vivit
Dum Deus in cœlis ipse superstes erit. [52]
Si je faisais un livre intitulé Religio Medici, [179] ces vers m’en fourniraient un excellent chapitre. Ne se trouvera-t-il point quelque habile homme parmi nous pour fronder le méchant livre qui paraît sous ce titre, et pour répondre judicieusement à ceux qui nous regardent comme des gens donnant tout à la nature ? Nous nous appliquons à la connaissance de la nature, il est vrai ; il est vrai aussi que cette application nous fait plus facilement monter au Souverain de tous les êtres, que nous regardons comme le premier mobile de toutes les opérations, secrètes et visibles, de cette même nature. [53]
- “ Monsieur Piètre, [180] notre avocat, a quitté le Palais et s’est fait prêtre, en conséquence de la cure de Saint-Germain-le-Vieil, [181] que la Faculté lui a conférée en son rang, comme patron lai. Il a été préféré à d’autres postulants et compétiteurs, en vertu des obligations que nous avons à ses ancêtres, entre autres : à feu son aïeul, Simon Piètre, [182] doyen l’an 1566, lequel mourut en 1584 ; à son oncle et parrain, Simon Piètre, [183] que l’on appelle encore aujourd’hui le Grand Piètre, qui mourut l’an 1618 ; et à feu Monsieur son père, M. Nicolas Piètre, [184] lequel mourut l’an 1649 durant le blocus de Paris, âgé de huitante ans, l’ancien de notre Faculté ; [185] et même à son frère, M. Jean Piètre, [186] qui a été doyen devant moi ; qui tous quatre ont été incomparables. Il était excellent avocat, et sera aussi bon curé. ” Il y aura peut-être des censeurs qui raisonneront de ce changement, et qui diront que le bénéfice attire le prêtre, comme le prêtre attire souvent à lui le bénéfice ; mais cela n’aura pas d’application véritable à l’égard de M. Piètre, dont la probité est publiquement connue, et qui fera honneur à l’Église par les profondes connaissances qu’il a du droit canonique. [54][187]
- Un savant [188] assure qu’il est certain que Lambin [189] se trompe toutes les fois qu’après avoir corrigé quelque endroit de Cicéron, il ajoute les mots invitis et repugnantibus libris omnibus. Lambin, après avoir enseigné quelque temps les humanités dans Amiens, devint professeur royal à Paris. Joseph Scaliger [190] estime beaucoup son commentaire sur Horace. [191] Nous avons de lui d’autres commentaires, savoir in Plautum, [192] in Æmilium Probum, in < sic pour : seu > Cornelium Nepotem. [55][193]
- Un chasseur court après la proie qui fuit, et la laisse quand il l’a prise :
Venator sequitur fugentia, capta relinquit.
Semper retinentis ulteriora petit. [194]
C’est la devise de l’Amant Banal D.R.C. [195] On pourrait encore l’appliquer à tous ces hommes que rien ne contente, à qui la possession d’un lieu longtemps désiré devient enfin insipide. Ce n’est pas un malheur pour nous d’être peu touchés de la jouissance des félicités humaines. Comme nous sommes appelés à de plus solides, il est bon que nous trouvions de quoi les désirer, par le dégoût de tout ce que le monde offre de plus capable de ravir les sens, et de flatter l’esprit et le cœur. [56]
- On remarque dans la plupart des animaux une certaine prudence qu’on ne peut s’empêcher d’admirer, quand on ne l’aurait produite que par ce qu’on appelle instinct. On dit, par exemple, que les chamois ne vont jamais qu’en troupe et que, comme ils sont naturellement fort timides et fort peureux, il y en a, pendant qu’ils paissent, toujours un ou deux qui font le guet, et que pour cela, ils se placent sur les hauteurs, afin de découvrir de loin les dangers qu’ils craignent, c’est-à-dire ceux qui leur font la chasse ; et qu’aussitôt qu’ils aperçoivent un homme, ils avertissent tous les autres par un sifflement aigu qu’ils reconnaissent entre eux pour le signal de leur retraite. Un voyageur de ce temps le rapporte, avec plusieurs autres traits de circonspections dont se servent les autres animaux pour leur sûreté. [57][196] Il n’y a guère de relation de voyage qui < n’>en remarque quelqu’un.
- Un grand homme, selon L.P.P., [197] n’est pas celui qui en a toutes les qualités et qui remplit, dans toutes les occasions où il faut, tous les devoirs d’un grand homme ; mais il attend pour porter son jugement sur lui que la fortune se soit déclarée en sa faveur ; de sorte que, sans faire attention sur le mérite, il donne toute son estime à un sot, pourvu qu’il soit heureux. N’est-ce pas avoir la vue bien de travers ? On est assurément très méprisable quand on est estimé d’un tel homme. Au reste, l’on a beau dire, les sots qui sont heureux attirent sur eux une attention de respect qui n’est point donnée à l’homme de mérite, dont la condition est basse ou la fortune médiocre. Si le mérite était aujourd’hui bon à quelque chose, on le rechercherait, on l’estimerait, mais il ne porte point avec soi d’enseignes. Le portier d’un financier ou le suisse d’un grand seigneur ne sont point accoutumés à distinguer le savant, le sage, le philosophe. [58]
- Un gouverneur de Rome trouvant qu’un coupable était trop jeune [198] pour être condamné à mort, Sixte cinquième, [199] qui était pour lors assis sur la chaire de saint Pierre, trouva un accommodement digne de sa sévérité inexorable pour tirer ce gouverneur du scrupule où il était, il dit qu’il donnait dix de ses années au criminel dont il s’agissait. On remarqua que ce malheureux était couvert d’une sueur de sang [200] quand on le menait au supplice, tant l’appareil de sa tragique mort lui donnait de frayeur. On a fait des contes sur ces dix années que donna ce pape, mais ces contes sont si ridicules et si peu vraisemblables qu’on a lieu de croire qu’ils ont été inventés par les huguenots. [59]
- « Je voudrais que les affaires publiques fussent les vôtres, et les vôtres, les publiques », dit à M. Du Mesnil, [201] avocat général, sa femme, avec un ton de plainte, de ce qu’il préférait le bien de l’État à son bien particulier. C’est Du Mesnil qui fit la première des harangues aux ouvertures du Parlement. Il se rendit recommandable dans son temps par sa prudence, par son érudition et par son équité. [60][202][203]
J’ai toujours ouï dire que les gens du Palais faisaient très mal leurs affaires, c’est-à-dire qu’ils épuisaient leurs applications aux affaires d’autrui, et que les leurs propres devenaient indifférentes. À quoi sert pourtant la science du barreau quand on n’en fait pas usage pour soi-même ? Mais je les blâme mal à propos, Medice cura te ipsum. [61][204] Nous guérissons-nous nous-mêmes, et n’arrive-t-il pas souvent qu’un médecin tremblant la fièvre va visiter celui qui ne fait que la craindre ?
- Quand on demandait à Thalès, fameux philosophe de Milet, [205] et un des sept Sages de la Grèce, [206] ce qu’il croyait plus difficile dans la nature, il répondait que c’était de se connaître soi-même. C’est peut-être à cause de cette réponse qu’on mit cette inscription à la porte du temple d’Apollon à Delphes, Nosce te ipsum, pour servir d’instruction à ceux qui entraient. On a allongé l’inscription en disant Nosce te ipsum, nec te quæsieris extra. On se serait, ce me semble, bien passé de cette allonge : pourquoi ne vouloir pas qu’on se cherche en dehors pour se connaître ? Après s’être étudié soi-même, on ne perd pas ses peines si l’on sort de chez soi pour remarquer la conduite de ce qui se passe dehors : par cette remarque, on fait des comparaisons et des parallèles qui n’aident pas peu à parvenir à la connaissance que l’on cherche ; se regarder toujours de trop près n’est pas un moyen bien sûr pour voir bien clair. Tout ce qui nous entoure nous donne des lumières qui nous éclairent utilement, si nous savons et si nous voulons nous en servir. [62][207]
- Les anciens Gaulois et Anglais portaient leurs anneaux dans le doigt du milieu, appelé infâme. Quelques Indiens orientaux les portaient au nez, aux lèvres, aux joues et au menton. Les femmes d’Éthiopie ornaient leurs lèvres d’un anneau d’airain. Quelques autres femmes des Indes portaient leurs bagues aux doigts des pieds. [63][208]
- J’ai à présent deux exemplaires du livre de Erroribus veterum Medicorum. Jean L’Argentier, [209] Piémontais, qui en est l’auteur, s’est rendu particulièrement recommandable par les ouvrages qu’il a faits contre Galien et d’autres anciens médecins, dont il prenait soin de découvrir et de publier les erreurs avec tant d’application qu’on l’appelait le Censeur des médecins. Il est bon que de temps en temps il se trouve des gens de ce caractère pour épurer les sciences, et redresser ceux qui les étudient et qui en font profession. L’Argentier enseigna la médecine à Naples, [210] à Pise, [211] à Montreuil et à Turin. [212] Il mourut dans cette dernière ville. Son fils Hercule [213] prit soin d’écrire sa vie et de la publier avec ses autres ouvrages, qui sont en grand nombre. J’ai trouvé ceux-ci dans un paquet qui m’est venu de Lyon il y a quelques mois : de Signis medicis, de morborum Differentiis, de Temporibus morborum, de Calidi significationibus, et calido nativo, de Urinis, de Somno et vigilia, de Officiis medici, de consulandi Ratione, de Vi purgantium medicamentorum, in Artem medicinalem Galenii commentarii in librum primum, secundum et quartum, Aphorismorum Hippocratis commentarius. [64]
- “ La meilleure impression des Épîtres de Casaubon est celle d’Allemagne, < parue > depuis trois ans, augmentée d’environ quatre-vingts lettres par-dessus celle de Hollande. ”
- “ Je n’ai jamais vu Sylvaticus [214] de Morbis simulatis. Celui qui a imprimé le Varandæus [215] à Lyon s’appelle M. Fourmy. [216] L’on imprime toutes les œuvres de Jo. Heurnius [217] in‑fo à Lyon, ce sera un bon livre. Il y a ici un Varandæus, c’est un gros in‑fo. Le même M. Fourmy y a imprimé les Mémoires du maréchal de Tavanes, [218] in‑fo, mais il ne les vend qu’en cachette à cause qu’il n’en a pu obtenir le privilège, pour plusieurs choses bien hardies qui sont là-dedans de François ier, [219] de Henri ii [220] et de Catherine de Médicis. [221] On imprime ici l’Histoire du cardinal de Richelieu [222][223] en deux tomes in‑fo, L’Asie du père Briet [224] in‑4o, un livre in‑fo du Père Yves de Paris, [225] capucin, [226] de Jure naturali, et un certain Gyges Gallus, in‑4o, d’un autre capucin nommé le Père Zacharie de Lisieux. [227] M. Vander Linden [228] nous a donné une nouvelle édition du Cornelius Celsus [229] chez Elsevier, [230] à Leyde, laquelle est fort nette, et en laquelle il a corrigé le texte en huit endroits, en vertu de quelques livres que je lui avais prêtés, [231] à cause de quoi il m’a dédié cette nouvelle édition, tandis que M. Chodisus < sic pour : Rhodius > [232] fait la sienne à Padoue [233] in‑4o ; [234] et à la fin, nous ne manquerons pas de Cornelius Celsus, car nous avons ici M. Mentel [235] qui en veut donner une aussi. [236] Feu M. Moreau avait la même pensée, et il y en a encore un autre, en Flandres, [237] qui idem pollicetur, adeo verum illud Salomonis : Faciendi plures libros, nullus est finis. ” [65][238]
- Je n’ai point de carrosse, je n’ai point d’équipages : tant mieux ! La voie du ciel est étroite, les gens de pied y peuvent passer plus facilement que ceux qui ne marchent qu’avec embarras.
Non equus ad cælos generosum Castora [239] vexit,
Nec puto Triptolemum [240] currus in astra tulit.
Semita cælorum est angusta, pædesribus apta,
Ambulat in lata currus equusque via. [66]
- L’Église a beaucoup souffert pendant le schisme d’Avignon dans le xive siècle. Ces différents partis la déchiraient et semblaient la vouloir détruire. Chaque pape donnait, à l’envi et sans distinction, toutes sortes de grâces et de dispenses, afin de conserver son autorité. On dissimulait les crimes pourvu que ceux qui les commettaient fussent fidèles au parti. Les foudres d’excommunication [241] qu’il lançaient de part et d’autre étaient aussi méprisées qu’elles paraissaient faibles et inutiles. [67][242]
- Ce n’est pas sans raison que Tibulle [243] passe pour galant, il paraît qu’il n’a écrit que pour cela. « Adieu ! », dit-il, dans la 4e élégie de son 2e livre, en se plaignant aux Muses avec un dépit amoureux, « Adieu, Muses, retirez-vous si vous ne servez de rien aux amants ! Je ne fais des vers que pour avoir un facile accès auprès de ma belle. Adieu, Muses, allez-vous-en d’ici, si cela ne sert de rien ! »
Ad dominam faciles aditus per carmina quæro :
Ite procul, Musæ, si nihil ista valent. [68]
- Ne plantera-t-on jamais en France de ces arbres merveilleux qui, selon quelques voyageurs, produisent des animaux pour feuilles ? Quel plaisir ce serait, par exemple, de voir celui qui porte des sauterelles pour fruits ! Voici de quelle manière se fait cette production : les feuilles de cet arbre conservant leurs figures et leurs couleurs naturelles, s’épaississent un peu, et insensiblement poussent par leurs côtés de certains filaments verts, qui font comme autant de longues jambes ; puis une des extrémités de chaque feuille s’allonge en forme de queue ; de sorte qu’enfin elles deviennent animées, et se changent en sauterelles. Si jamais je vis dans ces pays-là, j’étudierai ce prodige avec tant d’attention que je ne désespère pas d’en faire voir l’expérience dans ce pays ici. Mais je crois qu’il m’en faudra rapporter à la bonne foi de ces gens venus de loin, car peut-être que l’espèce de ces arbres-là est à présent perdue, et que ma curiosité ne serait pas satisfaite d’un si long voyage. [69][244]