L. 51.  >
À Claude II Belin,
le 6 octobre 1640

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de toute mon affection, et M. Allen aussi, de ce que vous m’avez envoyé des mémoires pour l’éloge de M. François Pithou. [2] J’en ferai mon profit en temps et lieu, [3] et verrai M. le conseiller Pithou [4] quand je pourrai trouver quelqu’un de mes amis qui aura du crédit vers lui. [1] Je connais bien un feuillant nommé dom Jean de Saint-Paul [5][6] (ille est Ioannes Vassanus, in epistolis Ios. Scaliger), [7] qui est son cousin. [2] Je lui en parlerai la première fois que je le verrai, il est fort mon ami. Celui-là est un bon savant moine, qui secularibus negotiis sese non immiscet[3] Il me semble que la Chambre des enquêtes où j’ai le plus de crédit est la seconde. Si votre procès va ailleurs, nous l’y suivrons et adiutores quæremus[4] Le roi [8] et M. le cardinal [9] sont à Saint-Germain [10] et à Rueil. [11] La reine [12] est en couches de M. le duc d’Anjou. [5][13][14][15][16] Turin [17] est prise. [6] Tout cela vous est fort connu, mais il me semble qu’il n’y a ici rien de particulier que je vous puisse mander. M. Riolan [18][19][20][21] l’anatomiste a quitté la reine mère [22] à Londres et est ici venu se faire tirer une grosse pierre de la vessie. [7][23] L’opération en fut faite hier au matin, cum dubia salute, propter quædam symptomata quæ supervenerunt[8] On dit que la reine mère est si lasse et si malcontente en Angleterre qu’elle délibère d’en sortir et de s’en aller à La Haye [24] en Hollande. Les Catalans sont de nouveau révoltés contre le roi d’Espagne [25] et ont envoyé demander au roi sa protection, qui leur a député, pour traiter avec eux, M. d’Espenan, [26] gouverneur de Leucate. [9][27] On tue, vole et massacre ici partout jour et nuit, si impunément que c’est pitié. [10] Nous attendons ici beaucoup de livres de Hollande, de M. de Saumaise [28] et autres. [11] Je vous baise très humblement les mains, à mademoiselle votre femme et à Messieurs vos frères, pour demeurer toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 6e d’octobre 1640.


a.

Ms BnF no 9358, fo 57 ; Triaire no liii (pages 175‑177) ; Reveillé-Parise, no xlii (tome i, pages 67‑68).

1.

Pierre ii Pithou, vicomte de Thorotes, etc., neveu de Pierre i et François Pithou, était le fils d’Antoine Pithou, qui fut commissaire ordinaire des guerres et maire de Troyes, et de Jeanne du Hault, dame de Muelmontier. En 1629, Pierre ii avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en la deuxième des Enquêtes, avant de monter à la Grand’Chambre. Il avait épousé Christine Loisel, fille d’Antoine i Loisel (v. note [3], lettre 91 ; Popoff, no 1996).

Guy Patin l’a appelé « mon bon ami et un peu mon parent » (lettre à André Falconet, datée du 27 février 1660).

2.

« c’est Jean Vassan dans les lettres de Joseph Scaliger ».

On a une lettre de Guy Patin (datée du 8 novembre 1643) à Jean Vassan de Saint-Paul, cousin de Pierre ii Pithou. Dans les épîtres latines de Scaliger (Ép. lat. livre iii, pages 494‑498, v. note [6], lettre 36), on trouve quatre lettres (ccl à ccliii, datées de Leyde, de février à décembre 1607) écrites à Jean Vassan (qui n’était pas encore converti au catholicisme) et à son frère Nicolas.

C’est l’occasion de fournir deux autres exemples du style épistolaire de Scaliger et de ses imprécations contre les jésuites.

3.

« qui ne se mêle pas des affaires séculières. »

4.

« et nous chercherons des aides. »

5.

Philippe, duc d’Anjou (1640-1701), second fils de Louis xiii et d’Anne d’Autriche, futur Monsieur, était né le 21 septembre précédent. On allait l’appeler Monsieur à partir de l’avènement au trône de son frère Louis xiv, en 1655, et il allait devenir Philippe ier, duc d’Orléans, après la mort de son oncle, Gaston, en 1660. Les lettres de Guy Patin ont amplement évoqué les trente premières années du cadet de Louis xiv  :

Hautement respectueux du sang royal ou, ce qui est moins probable, ignorant de ce qui se disait à la cour, Patin n’a nulle part évoqué les mœurs particulières de ce prince.

6.

Turin avait été prise par le comte d’Harcourt qui avait remplacé à l’armée d’Italie le cardinal de La Valette, mort le 28 septembre 1639. Le prince Thomas, qui était enfermé dans la ville pendant que les Français occupaient la citadelle, avait capitulé le 22 septembre 1640 (Triaire).

7.

Mentor de Guy Patin, Jean ii Riolan (Paris 19 février 1577 [selon les biographes] ou 1580 [selon Guy Patin]-ibid. 19 février 1657) était fils de Jean i (v. note [9], lettre 22) et d’Anne Piètre (v. note [43], lettre 413, et la Généalogie des Piètre). En 1604, il avait été simultanément reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, et professeur royal d’anatomie et de botanique (en succession de son oncle, Simon ii Piètre). Il avait alors contribué à la création du Jardin des plantes de Paris : Requête au roi [Louis xiii] pour l’établissement d’un jardin des plantes (Paris, 1618, in‑8o).

En 1631, il était devenu premier médecin de la reine mère déchue, Marie de Médicis, dont il avait partagé la captivité et qu’il avait suivie volontairement dans l’exil. Depuis novembre 1638, elle était alors à Londres, auprès de sa fille Henriette, épouse de Charles ier, roi d’Angleterre, et y demeura jusqu’en septembre 1641. À l’automne 1640, écrivait ici Guy Patin, Riolan l’avait quittée pour venir se faire lui-même soigner à Paris (v. aussi note [19], lettre latine 5) ; mais en deux ans passsés à Londres, il avait eu tout le temps de faire l’intime connaissance de William Harvey et de ses découvertes anatomiques, publiées en 1628 (v. note [12], lettre 177).

Riolan donna des soins à la reine jusqu’à sa mort (à Cologne, le 3 juillet 1642) ; il revint définitivement à Paris après la mort de Richelieu (4 décembre suivant), où il recommença ses cours au Collège de France, mais sans jamais plus reprendre de service auprès des grands de la cour. En 1654, une ophtalmie gênante le força à quitter sa chaire, qu’il céda en survivance à Guy Patin.

L’anatomie (qui embrassait alors non seulement la structure du corps, mais aussi son fonctionnement) fut l’activité scientifique la plus notable de Riolan : disséquant lui-même, contrairement à la coutume de son temps qui laissait la besogne à des chirurgiens prosecteurs, il a décrit pour la première fois, d’une manière exacte, l’épiploon et le mésentère (avec l’arcade artérielle toujours dite de Riolan), les appendices adipeux du côlon, la valvule de la veine azygos ou les canaux séminifères du testicule. Toutefois, immuablement accroché aux conceptions des Anciens (v. note [25], lettre 150), il se signala par son opposition farouche aux découvertes sur les circulations du sang, et sur les voies du chyle et de la lymphe, dont il attaqua les auteurs (William Harvey, Thomas Bartholin, Jean Pecquet) avec acharnement.

Les ouvrages anatomiques les plus connus de Jean ii Riolan sont :

Guy Patin les a abondamment cités dans ses lettres et en a mentionné quelques autres. Riolan avait épousé Élisabeth Simon en 1607. Des deux fils du couple qui atteignirent l’âge adulte (v. note [34], lettre 207), aucun ne devint médecin ; cela explique comment Patin devint le fils spirituel de son patron. Jean ii Riolan occupe donc une place éminente dans ses lettres. Il en est une clé essentielle, car il occupait le centre du cercle médical de Patin (v. la Généalogie des Piètre) ; celui de la dévotion aux Piètre et des préjugés contre la circulation du sang et les voies du chyle, contre les médicaments chimiques, contre la Faculté de Montpellier, ou contre les médecins de la cour.

Comme nombre de ses contemporains, Riolan était affecté de lithiase urinaire et eut à subir deux tailles vésicales (cystotomies ou lithotomies, v. note [11], lettre 33) en octobre 1640 et octobre 1641 (v. note [10], lettre 62).

8.

« avec une issue encore indécise, à cause de certains symptômes qui sont survenus. »

Jean ii Riolan devait, un an après (v. note [10], lettre 62), subir une seconde fois l’opération de la taille (v. note [11], lettre 33).

Les destinées de deux premiers médecins de Marie de Médicis sont intéressantes à comparer.

Ils revinrent tous deux en grâce à Paris en 1643.

Il en résulta sans doute une tenace et jalouse inimitié de Riolan à l’encontre de Vautier, deux praticiens dont la fidélité à la mère de Louis xiii avait été si inégalement récompensée. Guy Patin épousait les querelles de son maître Riolan, ce qui explique sans doute, mais sans l’excuser, sa partialité obstinée contre les médecins de Montpellier et ceux de la cour, tout comme contre tout ce qui malmenait les dogmes médicaux hérités des Anciens.

9.

Guy Patin a écrit Locate pour Leucate (Aude), alors une place forte assez importante du Languedoc (Roussillon), entre l’étang de Leucate et la Méditerranée, 33 kilomètres au sud de Narbonne. V. note [54] du Borboniana 1 manuscrit pour une récréation étymologique sur le nom de Leucate.

Roger Bussolts, comte d’Espenan, baron du Luc, que Tallemant des Réaux a traité de « grand ignorant » et de « soldat de fortune » (Historiettes, tome i, pages 278 et 284) avait débuté comme coupe-jarrets du duc d’Épernon. Ayant acquis la faveur de Richelieu, il avait été promu maréchal de camp le 28 mai 1637. Nommé par Condé gouverneur de Salses en juillet 1639, c’était lui qui avait rendu la ville aux Espagnols en janvier suivant (v. note [10], lettre 48). Devenu gouverneur de Leucate, il fut compromis en octobre 1640 dans une affaire de détournement de fonds et ses bienveillants protecteurs, Richelieu et Condé, le tirèrent d’embarras en octobre 1641, bien qu’il eût été forcé de baisser pavillon devant les Espagnols une autre fois, à Taragonne, en décembre 1640. D’Espenan mourut gouverneur de Philippsbourg (v. note [4], lettre 111) en 1646 (Adam).

10.

Guy Patin s’est régulièrement plaint, et sans doute à juste titre, de l’insécurité qui régnait dans les rues de Paris. Il était chaud partisan des châtiments exemplaires à l’encontre des contrevenants.

11.

Claude i Saumaise (en latin Salmasius, Semur-en-Auxois 15 avril 1588-Spa 3 septembre 1653), fils de Bénigne Saumaise (v. note [2], lettre 119), conseiller (catholique) au parlement de Bourgogne, fut l’un des érudits les plus estimés de son temps. Après de brillantes études à Paris, où il se fit remarquer par Isaac Casaubon, il s’était rendu, en 1606, à Heidelberg pour y prendre des leçons de jurisprudence, et continua à cultiver les lettres grecques et latines. Marié en 1623 avec Anne Mercier (v. note [5], lettre 95), fille de Josias (v. note [5], lettre 44), il opta pour le calvinisme.

De retour en Bourgogne, son père, l’y fit recevoir avocat au parlement, mais sa religion empêcha Claude de devenir conseiller ; cela lui permit de se consacrer entièrement à son goût pour les lettres et la critique, double carrière dans qui lui procura de grands succès.

Successivement appelé à Padoue et à Bologne, Saumaise était alors à Leyde où il enseignait depuis 1631, comme successeur de Joseph Scaliger. Il refusa les offres que lui firent Richelieu puis Mazarin de venir enseigner en France, mais céda aux instances de Christine de Suède (v. note [11], lettre 127) qui le fit séjourner près d’elle en 1650 pour une année.

Guy Patin vouait une profonde admiration à Saumaise et recherchait son amitié avec avidité. Au fil de ses lettres, il a mentionné plusieurs de ses très nombreux ouvrages (v. l’abbé Papillon, tome second, pages 256‑286 pour leur catalogue complet, comprenant tant les imprimés, anthumes et postumes, que les manuscrits), mais aussi tous les épisodes marquants des 13 dernières années de sa vie. Saumaise a employé divers pseudonymes : Alexius a Messalia, Franciscus Francus, Gelasius de Valle-Umbrosa, Simplicius Verinus, Walo Messalinus.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 6 octobre 1640

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(Consulté le 25/04/2024)

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