L. 23.  >
À Claude II Belin,
le 4 juillet 1635

Monsieur, [a][1]

Après vous avoir prié de m’excuser si j’ai été si longtemps à vous écrire, je vous dirai pour réponse à votre dernière que j’ai prié M. Guillemeau [2] de faire donner assignation à M. Monsaint, [3] et lui ai pour cet effet fait voir votre lettre. Je n’en ai pas eu pour tout cela bonne réponse. Je lui ai dit que le père Cousinot [4] vous l’avait ainsi conseillé ; et même le père Cousinot, que j’ai vu là-dessus, m’a promis de le voir pour cet effet exprès. Si le père Cousinot en peut venir à bout, je vous en enverrai la copie, et solliciterai, bona fide et quantum in me erit[1] ladite affaire vers notre doyen, et ailleurs s’il est besoin. Je prie Dieu qu’en ayez contentement entier. Je vous dirai pour nouvelles de ce pays que samedi dernier arriva en cette ville le gentilhomme normand, nommé Vieuxpont, [2][5] que l’on amenait prisonnier de Dijon, [6] où il avait été arrêté. [3] On dit qu’il s’était vanté en Flandres [7] de tuer le roi, et d’autres méchants actes, pour lesquels on lui fait ici son procès. Dimanche au matin, qui fut le lendemain, mourut au Bois de Vincennes [8] M. de Puylaurens, [9] ex fluxu dysenterico et atrabilario[4][10][11] Il y avait longtemps qu’il y était malade, il avait eu une fièvre continue, [12] accompagnée de pourpre ; [13] depuis était devenu tout enflé ; tandem cessit fatis[5] combien qu’il eût, il n’y a pas longtemps, épousé une des cousines du cardinal[14] Tolluntur in altum quo casu graviore ruant[6][15] Je pense que vous savez bien que la grande flotte que les Espagnols avaient équipée le printemps passé contre nous, pour nous attaquer par la Provence [16] et le Languedoc, a été toute dissipée par les vents ; à cause de quoi on a fait les vers suivants dont je vous fais part :

De classis hispanicæ in Galliam
instructæ naufragio, ann. 1635.

Imperio metas quisquis vel ponit Ibero,
Vel negat Austriaco subdere colla iugo,
Protinus hæreticum gravis illum censor Iberus
Esse iubet ; Mauris adnumeratque suis :
Sic vetat infestum quod crescere Francus Iberum,
Hæresos Francum clamitat esse reum :
Sic Patrem Ausonium, quod non famulatur Ibero,
Hæreseos certas iurat habere notas :
Ecce Deus pelago classem modo mersit Iberam,
Restat ut hæreticum sentiat esse Deum
[7]

M. le Prince [17][18][19] est ici de retour de Lorraine. [8][20] On disait que le roi l’envoyait en Guyenne [21] pour mettre ordre au tumulte de Bordeaux, [22] mais j’ai appris depuis que c’est M. le duc de La Valette [23] qui y est allé et que M. le Prince s’en retourne en Lorraine. [9] Il court ici un bruit que nos armées de Flandre ont pris Bruxelles, [24] mais qui n’est pas encore bien assuré, combien qu’il soit bien vrai que nous y avons été jusqu’ici les plus forts, et les maîtres de la campagne. Si la paix du duc de Saxe [25] se fait avec l’empereur, [10][26] il y enverra une armée contre nous ; mais si ledit électeur ne s’accorde, il faudra que l’empereur tienne ses gens en Allemagne, et alors nous l’aurons belle dans la Flandre ; [11] joint que le cardinal de La Valette [27][28] y va mener une armée de 40 000 hommes, [12] ce qui fera belle peur au cardinal-infant, [13][29] qui n’aura point de lieu ni de retraite plus assurée que la ville d’Anvers, [14][30] laquelle n’est pas imprenable. Je prie Dieu qu’il veuille par sa sainte grâce bien faire prospérer les desseins du roi et les bons conseils de M. le cardinal, [31] qui pristinam valetudinem cum Deo assequitur[15] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur,

Patin.

De Paris, ce 4e de juillet 1635.


a.

Ms BnF no 9358, fo 29 ; Triaire no xxiii (pages 88‑90).

1.

« avec toute la bonne foi dont je serai capable ».

En tant que doyen de la Faculté de médecine de Paris, il incombait à Charles Guillemeau de chasser Antoine de Monsaint, qui avait déjà tenté en vain de se faire agréger au Collège des médecins de Troyes (v. note [4], lettre 22), et contre qui Claude ii Belin mettait ses collègues parisiens en garde. Le père Cousinot était Jacques i (v. note [26], lettre 7), Iacobus Cousinot Senior, qui était second sur la liste des docteurs régents dressée en 1634, derrière l’ancien, Pierre i Seguin.

2.

Jean de Vieuxpont, gentilhomme du duc d’Orléans, était mêlé aux intrigues qui avaient mené à l’arrestation de Puylaurens (v. note [4], lettre 20) ; il se distingua ensuite (1644-1646) en combattant à Gravelines, Mardyck et Dunkerque (Triaire et Adam).

3.

Dijon (Côte-d’Or) était la capitale du duché de Bourgogne. Louis xi y avait créé le parlement de Bourgogne en 1476 ; s’y ajoutaient une Chambre des comptes, une Cour des monnaies et un présidial. La ville dépendait alors du diocèse de Langres.

4.

« d’un flux dysentérique et atrabilaire ».

Antoine de Puylaurens, duc d’Aiguillon, mourut « de la scarlatine », le dimanche 1er juillet, au château de Vincennes où il avait été enfermé par ordre de Richelieu, son cousin par alliance (v. notes [14], lettre 18, et [4], lettre 20). Le bruit courut à la cour qu’il avait été empoisonné, mais avec d’autres, Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, page 245) a contesté l’assassinat d’État :

« On a dit que Puylaurens avait été empoisonné avec des champignons, et on disait que les champignons du bois de Vincennes étaient bien dangereux ; mais il mourut, comme le grand prieur de Vendôme et le maréchal d’Ornano, à cause de l’humidité d’une chambre voûtée et qui a si peu d’air que le salpêtre s’y forme. Mme de Rambouillet {a} disait plaisamment que cette chambre valait son pesant d’arsenic, comme on dit son pesant d’or. »


  1. Catherine de Rambouillet (1588-1665), fille unique du marquis de Pisani (v. notule {e}, note [27] du Borboniana 10 manuscrit) tint un célèbre « salon littéraire » dans son hôtel parisien.

    Ces réunions, sociétés ou académies littéraires n’ont pris le nom de « salons » qu’au tout début du xixe s., avec celui de Mme de Staël. Au temps de Guy Patin, les dames recevaient dans leur ruelle, c’est-à-dire dans l’espace compris entre le lit et le mur, dans leur chambre à coucher (v. note [4] du Faux Patiniana II‑4).


5.

« enfin il est mort ».

Le pourpre ou purpura est synonyme de fièvre pourprée (v. note [56], lettre 229) : en langue médicale moderne, elle évoque le typhus exanthématique, ou fièvre de bivouac, transmise par les poux (v. note [28], lettre 172).

6.

« Plus lourde est la chute pour qui s’est élevé le plus haut. »

Claudien (v. note [10], lettre 138), Invectives contre Rufin (Flavius Rufinus, préfet du prétoire de l’emprire romain d’Orient au ive s.), livre i, iii, vers 23‑24 :

tolluntur in altum,
ut lapsu graviore ruant
.

7.

« Le naufrage de la flotte espagnole armée contre la France, l’an 1635.

Le puissant censeur ibérique juge sans ambages qu’est hérétique quiconque établit des bornes à l’empire espagnol, ou refuse de se mettre le cou sous le joug autrichien ; et il l’ajoute au compte de ses Maures. {a} Ainsi, quand le Français empêche que l’Espagnol ne l’envahisse, alors il accuse à grands cris le Français d’hérésie. Ainsi, parce qu’il ne se met pas à son service, l’Espagnol jure que le Père Ausonius {b} présente des signes certains d’hérésie. Voilà comment Dieu a presque englouti la flotte espagnole dans les flots ; il lui reste alors à se rendre compte que Dieu est hérétique. » {c}


  1. Infidèles (musulmans, juifs, protestants) pourchassés par l’Inquisition.

  2. Pater Ausonius, le Père d’Ausonie, ancien nom poétique de l’Italie : le pape Urbain viii.

  3. V. note [18], lettre 18, pour les mouvements de la flotte espagnole en Méditerranée.

Ces vers ont été imprimés dans le Trésor chronologique et historique contenant ce qui s’est passé de plus remarquable et curieux dans l’État, tant civil qu’ecclésiastique, depuis l’an de Jésus-Christ 1200, jusqu’à l’an 1647. Par le R.P. Dom Pierre de S. Romuald, prêtre et religieux de la Congrégation de Notre-Dame de Fueillens. {a} Troisième partie, {b} avec cette surprenante explication (année 1588, page 724) :

« Cette même année, sur la fin du mois de mai, le roi d’Espagne fit démarrer de Lisbonne contre l’Angleterre cette armée de mer si puissante, qu’il préparait depuis trois ans. Elle consistait en 130 grands vaisseaux portant vingt mille hommes, outre les volontaires, et en 2 550 pièces d’artillerie, et devait être conduite par Alphonse Pérez Guzman, duc de Medina Sidonia, {c} […] On l’appelait l’Invincible, mais elle ne l’était pas car elle fut vaincue, partie par les vents et tempêtes, et partie par les Anglais et Zélandais qui, pour avoir eu beaucoup de part en la victoire, firent battre de la monnaie où étaient gravés d’un côté ces mots, Soli Deo gloria, {d} et de l’autre, Classis Hispanica, venit, vidit, fugit, pour dire que l’armée d’Espagne était venue, avait vu et s’en était fuie, {e} sans paraître plus. Quelqu’un, en suite de ce malheur arrivé aux Espagnols, fit cette épigramme pour se rire de leur orgueil naturel et de leur peu de religion, quoi qu’ils veulent faire accroire qu’ils en ont plus que tout le reste des hommes. » {f}


  1. V. note [15] du Patiniana I‑3, pour Pierre Guillebaud de Saint-Romuald ; l’abbaye cistercienne Notre-Dame des Feuillants (ici de Fueillens) était située à Labastide-Clermont près de Toulouse.

  2. Paris, Antoine de Sommaville, 1647, in‑4o de 1 011 pages.

  3. Saint-Romuald parlait de l’Invincible Armada, placée sous le commandement d’Alonso Pérez de Guzman, duc de Medina Sidonia (v. note [8] du Borboniana 10 manuscrit). Philippe ii, roi d’Espagne, attaquait la reine Élisabeth ire d’Angleterre (et ses alliés calvinistes hollandais révoltés contre l’Espagne).

  4. « Gloire à Dieu seul ».

  5. Paraphrase du célébrissime Veni, vidi, vici [Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu], attribué à Jules César revenant de sa guerre contre le roi du Pont en 47 av. J.‑C.

  6. Suivent les vers donnés par Guy Patin, avec une seule divergence, portant sur le 9e vers : morsit [a mordu] pour mersit [a englouti].

    Le point essentiel est que le mot Francus [Français] y est bien présent deux fois : il ne peut pas s’appliquer à l’Invincible Armada, qui eût exigé Anglus [Anglais] ; Saint-Romuald (qui ne cite malheureusement pas sa source) s’est donc mépris en lui attachant cette satire ; il s’agissait, comme l’entendait Patin, de l’expédition navale espagnole (royaume catholique) de 1635 contre la France (royaume très chrétien), ce qui rétablit la logique du poème. Sans en transcrire le titre, notre moine historien s’égarait ou maîtrisait mal le latin.


8.

La coutume désignait sous le nom de Monsieur le Prince l’aîné vivant de la famille de Bourbon-Condé. Lui et ses frères étaient princes du sang, en tant qu’apparentés directs et légitimes du roi de France par les mâles. Branche cadette des Bourbons, les Condé étaient issus de Louis de Bourbon (premier prince de Condé), frère cadet d’Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, le père du roi Henri iv (v. note [16], lettre 128, pour de plus amples détails sur les Bourbons et les Condé). Le nom de Condé venait de la seigneurie de Condé-en-Brie, près de Château-Thierry.

En 1635, M. le Prince était Henri ii de Bourbon, troisième prince de Condé (Saint-Jean-d’Angély 1er septembre 1588-Paris 26 décembre 1646). Il était le fils posthume de Henri ier de Bourbon, deuxième prince de Condé (mort le 5 mars 1588, v. note [18] du Borboniana 4 manuscrit), et de Charlotte de La Trémoille (accusée d’avoir empoisonné son mari, v. note [65] du Borboniana 7 manuscrit). Henri iv, son parrain, avait fait élever l’orphelin dans le catholicisme et lui avait fait épouser, en 1609, Charlotte-Marguerite de Montmorency, dont le roi était lui-même follement épris. Pour soustraire sa jeune femme aux ardeurs royales, Condé s’était enfui à l’étranger et n’était revenu en France qu’après la mort du Vert Galant (régicide de Ravaillac, le 14 mai 1610). Les ambitions, les intrigues et les révoltes de M. le Prince avaient troublé les premières années du règne de Louis xiii. Malgré d’énormes sacrifices financiers, la régente, Marie de Médicis, n’avait pu le satisfaire ni assouvir sa cupidité, et avait fini par l’enfermer au château de Vincennes (1er septembre 1616), où il était resté trois ans. Il avait ensuite combattu les protestants dans le Midi, avec plus de bravoure et de zèle ardent que de talent véritable. Discipliné par la forte main de Richelieu, il se montra dès lors le plus soumis des courtisans.

Tallemant des Réaux (tome i, pages 417‑422) n’a guère encensé la mémoire de Feu Monsieur le prince Henri de Bourbon :

« On a une lettre où ce seigneur {a} lui reproche sa sodomie en ces termes : “ Au moins n’ai-je rien fait qui me fasse appréhender le feu du ciel. ” De tout temps Monsieur le Prince a été accusé de ce vice, témoin le sonnet de Bautru, fait du temps que la reine Marguerite vivait encore. {b} On fit aussi une chanson que je n’ai pu trouver, où l’on faisait aller tous les beaux garçons de la cour au devant de lui. Je ne voudrais pas assurer qu’il fût bougaron {c} tout à fait, mais il était grand masturbateur. Une fois, il mit la main dans les chausses à Chalais (celui qui eut la tête coupée à Nantes), {d} par-dessous son manteau. Chalais, tirant brusquement son manteau, fit voir la main de M. le Prince et se mit à chanter Oh la folle entre prise du Prince de Condé ! »


  1. Henri ii, duc de Rohan, v. note [16], lettre 34.

  2. V. notes [15], lettre 198, pour Guillaume i de Bautru et [4], lettre latine 456, pour Marguerite de Valois, première épouse du roi Henri iv. A. Adam a transcrit ce sonnet, intitulé Du sieur Bautru sur M. le Prince et la reine Marguerite :

    « Le même feu du ciel qui consomma Gomorrhe,
    Tomba l’un de ces jours au faubourg Saint-Germain,
    Et cet ange vengeur apparaissant encore,
    L’ire sur le visage et la foudre à la main,

    Lança, plein de fureur, la flamme qui dévore,
    L’horrible et sale hôtel du Sodome échevin,
    Criant et détestant le crime qu’il abhorre,
    C’est trop peu d’un logis pour une telle fin.

    Quand une belle dame à la jupe troussée,
    Plus puissante que Loth et bien mieux exaucée,
    Sans s’arrêter aux vœux, recourt à l’action,

    Et cotillons en l’air par toute la famille,
    Prononça ces beaux mots avec affection :
    “ Foutons, foutons en con, nous sauverons la ville ! ” »

  3. Bougre (sodomite).

  4. V. notes [20], lettre 403, pour Chalais, et [36], lettre 309, pour les chausses.

Au moment où écrivait Guy Patin, M. le Prince était lieutenant général pour le roi en Lorraine, province nouvellement conquise. Il allait faire partie du Conseil de régence après la mort de Louis xiii (14 mai 1643). Il eut trois enfants dont les lettres de Guy Patin ont abondamment relaté les faits et gestes, en tant qu’acteurs de tout premier rang dans les affaires politiques du « premier xviie siècle » :

9.

Du 14 au 18 mai, il y eut des émeutes à Bordeaux, consécutives à la levée d’une taxe d’un écu sur le tonneau de vin vendu par les cabaretiers. La sédition s’alluma de nouveau le 15 juin. Le duc de La Valette (futur duc d’Épernon, v. note [13], lettre 18), gouverneur de Guyenne, dut détruire des barricades et ordonner une exécution (R. et S. Pillorget).

10.

Jean Georges ier (Johann Georg i von Sachsen, Dresde 1585-ibid. 8 octobre 1656), électeur (protestant) de l’Empire germanique, duc de Saxe, fils de Christian ier, avait été associé au gouvernement depuis 1607, lorsqu’en 1611 il avait succédé à son frère Christian ii. Pendant la guerre de Trente Ans, il s’était signalé par le continuel changement de ses alliances, avec l’empereur Ferdinand ii et avec le roi de Suède, Gustave-Adolphe.

Le 30 mai 1635, il avait conclu le traité de Prague avec l’empereur, qui lui assurait la possession de la Lusace, puis il entra en guerre contre la Suède. Dès lors, les armées française, suédoise et impériale allaient tour à tour pénétrer dans ses États, qui furent ravagés par la guerre. En 1645, Jean Georges fut contraint de demander un armistice aux Suédois. Les traités de Westphalie (1648) ne lui tinrent pas rigueur de ses incessants et malencontreux changements de parti.

11.

La première de ces prévisions se vérifia : les Français ne firent qu’une démonstration du côté de Bruxelles et vinrent bloquer Louvain, dont il fallut bientôt lever le siège pour se retirer vers la Meuse. Le résultat fort malencontreux de cette expédition fut une grande contre-offensive espagnole en Picardie (v. note [2], lettre 30), entamée le 2 juillet.

12.

Louis de Nogaret d’Épernon, cardinal de La Valette (Angoulême 1593-Rivoli, près de Turin, 27 septembre 1639), surnommé le cardinal Valet, était le troisième et dernier fils de Jean-Louis de Nogaret, duc d’Épernon (v. note [12], lettre 76), et de Marguerite de Foix, comtesse de Candale et d’Astarac.

Après une éducation chez les jésuites de La Flèche, puis des études en Sorbonne, il avait d’abord été archevêque de Toulouse (1613), puis nommé cardinal en 1621 (sacré en 1623), bien qu’il n’eût pas encore reçu les ordres. La Valette avait abandonné son archevêché en 1628 pour mener ensuite une carrière politique et militaire : d’abord du côté de Marie de Médicis et de Gaston d’Orléans contre Richelieu, il s’était assez vite rallié au parti du cardinal ministre, qu’il assista dans les difficiles moments précédant la Journée des Dupes (11 novembre 1630, v. note [10], lettre 391). Il était devenu gouverneur d’Anjou (1631), puis lieutenant général du roi au pays messin (1634). Envoyé en Allemagne, avec une armée de 18 000 hommes, il allait en 1635 obliger les Impériaux à lever le siège de Mayence, conjointement avec le duc de Saxe-Weimar qui lui laissa tous les honneurs de ce succès. Il remporta encore des avantages en Allemagne en 1637. L’année suivante, ayant remplacé le maréchal de Créqui dans le commandement de l’armée d’Italie, il s’empara de Verceil (v. note [3], lettre 46), sauva Turin que menaçait l’ennemi, prit Chivas après un siège de 18 jours, et mourut de la fièvre pendant le cours de cette campagne. Comme il avait combattu conjointement avec des hérétiques contre des catholiques, le pape défendit qu’on lui rendît les honneurs funèbres auxquels ont ordinairement droit les cardinaux (G.D.U. xixe s.).

13.

Le cardinal-infant était Ferdinand d’Autriche (don Fernando de Austria, Madrid 1609-Bruxelles 1641), le plus jeune fils de Philippe iii, roi d’Espagne, et de Marguerite de Habsbourg ; ses aînés étaient Anne d’Autriche, reine de France, épouse de Louis xiii, et Philippe iv, roi d’Espagne. Nommé en 1619, à l’âge de 10 ans, sur la volonté de son père, cardinal du titre de Sainte-Marie in Porticis, et archevêque de Tolède (1620), Ferdinand était devenu vice-roi de Catalogne (1632-1633), puis gouverneur du duché de Milan (1633-1634), et enfin gouverneur des Pays-Bas espagnols (nommé le 4 novembre 1634) après la mort de sa tante, l’infante Isabelle. Homme de guerre de premier ordre, il était arrivé à Bruxelles avec une dizaine de milliers d’hommes. Son renfort avait été capital dans la victoire de Nördlingen (6 septembre 1634, v. note [1], lettre 20) remportée par les Habsbourg contre les Suédois. Anne d’Autriche fut suspectée, à juste titre, d’intelligence avec son frère pour lui transmettre des renseignements d’ordre militaire (R. et S. Pillorget).

Don Fernando mourut à Bruxelles le 9 novembre 1641 (Adam, tome ii, page 1476) :

« Louis xiii se fit un plaisir de l’annoncer à la reine en lui criant tout haut la nouvelle, de la porte de son cabinet. Et comme on consolait la reine en lui disant que le cardinal avait fait une mort édifiante, Louis xiii répondit qu’en vérité le cardinal, son beau-frère “ avait trois ou quatre garces autour de lui ”. L’abbé Henry Arnauld, en écrivant ces choses au président de Barrillon, ajoutait : “ il ne faut point vous dire que ceci doit demeurer entre nous. ” »

En dépit de tous ses titres ecclésiastiques, don Fernando n’avait reçu que les ordres mineurs et eut une fille illégitime.

14.

Anvers (Belgique, Antwerpen en néerlandais, Anveres en espagnol), dans le Brabant sur l’Escaut, à une soixantaine de kilomètres de son embouchure dans la mer du Nord, était le port le plus important des Pays-Bas espagnols.

15.

« qui recouvre, grâce à Dieu, sa bonne santé de naguère. » Nouvelle preuve que Guy Patin vouait alors une profonde admiration pour Richelieu, qu’on ne lui retrouvera pas pour Mazarin. Elle traduisait son adhésion implicite au parti des bons Français, que Richelieu défendait à l’extérieur contre celui des dévots, sympathisants des catholiques espagnols. La fin du ministère de Richelieu allait pourtant modifier la bonne opinion de Patin à son égard.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 4 juillet 1635

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(Consulté le 12/12/2024)

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