Je fais réponse à la vôtre datée du 27e d’avril que je reçus il y a environ douze jours, et ce peut être de la part de notre bon ami M. de Varennes, [2] lequel, nous étant rencontrés par hasard ensemble quelques jours auparavant et m’étant enquis de lui touchant votre santé, me dit qu’il avait un procès à solliciter pour vous. Je lui fis promettre qu’il m’en avertirait afin que je prenne ma part de la sollicitation, ce que je ferai d’aussi bon cœur que vous avez sollicité que j’allasse à Lyon durant notre guerre ; ce que j’aurais infailliblement fait si j’eusse été réduit à quitter Paris, mais le mal n’a jamais tourné de ce côté-là et il n’y a point eu d’apparence qu’il y pût venir, la reine [3] même, le Mazarin, [4] M. le Prince, [5] M. le chancelier [6] et tous les autres chefs du parti contraire ayant pressé pour la première conférence (laquelle conclut la paix le 11e de mars), [7] se voyant à la veille d’une révolte générale par toute la France, et l’Espagnol près de Paris. En quoi ils firent fort bien de terminer la guerre, autrement tout était perdu pour eux. Or, maintenant que nous sommes en liberté, < nous > jouissons de notre droit, causons librement, ut garrula sit atque iocosa epistola. [1] J’aurais été ravi de vous embrasser à Lyon et de vous y entretenir, mais j’espère qu’il s’en présentera quelque meilleure occasion [8] que durant la guerre, et bien que j’aie ici plusieurs fortes attaches qui m’y retiennent tous les jours ; ab ipsis tamen pedicis extricaturum et liberaturum me confido. [2] S’il se présente quelque occasion d’aller jamais à Bourbon, [9] je m’échapperai pour aller voir à Lyon mes meilleurs amis. En attendant, je vous remercie du bon soin particulier que vous avez eu de moi durant notre siège, mais je n’ai point reçu d’autres lettres de vous que celle dont je vous ai fait mention. J’ai envoyé à notre bon ami M. Spon, [10] depuis huit jours, deux ballots où il y a pour vous un Riolan [11] in‑fo avec les deux thèses [12][13] que mon fils [14] a répondues cet hiver passé. Il lui en reste une troisième pour l’hiver prochain, laquelle sera de lue venerea. [3] Je vous remercie de la bonne opinion que vous avez de mon fils. Il ferait bien s’il voulait, mais il n’aime guère à étudier, il est volage et aime à courir. Custode remoto, gaudet equis : cereus in vitium flecti, utilum tardus provisor, prodigus æris ; [4][15] mais j’espère qu’il s’amendera et qu’il mûrira, tandem perventurus ad bonam frugem. [5] Il est encore jeune, il n’aura 20 ans que le mois d’août prochain. Je souhaite qu’il devienne sage de bonne heure et qu’il puisse mériter quelque jour votre faveur et vos bonnes grâces. Mon second, nommé Charles, [16] est bien plus posé et aime les études davantage. Il est savant en grec, en philosophie, en géographie, en droit. Il est avocat, reçu au Parlement dès l’an passé, et n’a pas encore 17 ans. Il est vrai qu’il n’est encore que du nombre des écoutants, mais il fait fonds pour être écouté quelque jour, s’il en vient jusque-là ; [6] aussi faut-il que les avocats soient ici merveilleusement savants pour oser paraître entre de si habiles gens que nous avons ici. Mes deux autres petits [17][18][19] étudient aussi avec application ; [7] mais je vous assure que tous quatre n’ont bougé d’ici durant la guerre et que celui qui s’est présenté à vous était un imposteur ; [8] mais Dieu < le > veuille bien garder de mal, j’ai plus de pitié de lui qu’autre chose. C’est quelque pauvre écolier à qui la nécessité a fait controuver cette imposture. Je vous ai pourtant bien de l’obligation de l’offre que vous fîtes à cause de moi à ce pauvre menteur. Je sais bien que M. Gassendi [20] a envoyé de nouveau à son imprimeur [21] un appendice de quatre feuilles ; mais comme cet homme est un abîme d’érudition qui ne se peut épuiser, j’ai juste crainte qu’avant que cet appendice soit achevé, il n’en attire un autre, et qu’ainsi l’on ne puisse dire Abyssus abyssum invocat. [9][22] J’ai l’opinion que ce sera un beau livre et bien curieux, l’auteur étant si savant et d’un si riche et si agréable entretien. Je ne parle point de sa modestie, de son humilité, de sa sobriété et de ses autres perfections, ce ne serait jamais fait. Dieu le conserve encore longtemps afin qu’il puisse voir une seconde édition de son bel ouvrage. Depuis la guerre on ne fait rien ici de nouveau : les libraires sont trop morfondus et depuis quatre mois, les presses n’ont roulé que sur des paperasses mazarines, [23] des meilleures desquelles on nous fait espérer ici qu’on fera un recueil en trois ou quatre tomes in‑4o. [10] Je vous remercie de la promesse que vous me faites du livre de M. Gassendi. Je ne sais ce que je pourrai faire pour contre-peser un si beau présent, mais néanmoins, espérant qu’il se présentera quelque bonne occasion pour m’acquitter, je vous assure que vous aurez en moi un débiteur reconnaissant. M. Riolan m’a dit aujourd’hui qu’il a dessein de mettre bientôt sous la presse un autre livre in‑4o, [11][24] lequel contiendra quatre ou cinq traités français curieux comme des géants, des hermaphrodites, [25] de la circulation [26][27] du sang, [12][28] des recherches curieuses de l’Université de Paris, et particulièrement de notre Faculté, où il y aura quelque chose contre le Gazetier [29] et contre M. Courtaud, [30] doyen de Montpellier. [31][32] Je voudrais que tout cela fût déjà imprimé. [13] Si cela n’est bon, au moins je pense qu’il sera curieux car M. Riolan est un des hommes du monde qui sait le plus de particularités et de curiosités, non pas seulement en la médecine, mais aussi dans l’histoire. Le P. Caussin, [33] jésuite, s’apprête à faire imprimer un livre in‑fo qui sera intitulé De Domo Dei, dans lequel il y aura bien des choses contre la judiciaire, et les astrologues [34] et devins. [14] Les jésuites [35] de Lyon ne sont pas les seuls qui prisent fort Gerardus-Jo. Vossius [36] et toutes ses œuvres. Ceux de deçà en font bien de même et comme j’ai toutes ses œuvres en 15 tomes, je me souviens de les avoir prêtés la plupart, l’un après l’autre, à un de ces pères qui, comme les autres de sa Société, fait grand cas de cet auteur ; mais le pauvre homme est mort, âgé de 72 ans. Il y a quelque livre de lui sous la presse, de quoi nous attendons des nouvelles certaines par les premières < balles > qui nous viendront de Hollande. [15] M. Riolan a réfuté M. de Saumaise [37] de colico dolore, merito quidem, sed paucis, [16] et ce n’a presque été qu’en passant. Vous le trouveriez aisément en la table sous le nom de Salmasius, c’est à la page 656. Je ne sais si la table de ce livre vous déplaira, mais quoi qu’il en soit, je vous avertis que c’est moi qui l’ai faite, en faveur de l’auteur qui m’en a prié et de peur que quelqu’un ne l’entreprît, qui fît encore pis que moi ; et comme tout l’ouvrage est parsemé de quantité de choses fort curieuses, j’ai fait en sorte que la table en retînt quelque chose. Les imprimeurs y ont fait quelque faute, comme ils font partout ; mais entre autres ils en ont fait une sur ce mot Simon Pietrus, pag. 48 de l’indice, [38] où je vous prie de mettre 593 au lieu de 893. [17] J’ai travaillé diverses soirées à faire cette table, mais elle ne m’a pas ennuyé, d’autant que je prenais grand plaisir à parcourir ce bel ouvrage. Je souhaite fort que vous ayez le reste afin que vous m’en donniez votre sentiment.
J’apprends ici que le savant et incomparable M. de Saumaise écrit en faveur du roi d’Angleterre [39] (à la prière de son gendre le prince d’Orange) [40] contre les Anglais qui lui ont coupé la tête. [18] Je prie Dieu qu’il puisse réussir en un si beau sujet, comme il est un des grands personnages du monde. Voilà une matière difficile et extraordinaire, mêlée de religion et de politique, capable d’exercer son grand esprit qui, jusqu’ici, semble n’avoir rien trouvé qui ne fût au-dessous de lui. Je souhaite donc qu’il y réussisse, tant pour son honneur que pour notre profit, afin que nous apprenions par ce grand homme de belles choses sur cette matière. Pour les Anglais, si vous en exceptez un petit nombre d’honnêtes gens, je leur souhaite autant de mal qu’ils en ont fait à leur roi. C’est une nation fière, superbe et maligne, quæque πατροπαραδοτον habet odisse Gallos, [19] comme dit quelque part Scaliger [41] en ses belles épîtres.
Je ne vous saurais rien dire des affaires d’État, vu qu’il n’y a rien de nouveau. Le roi, [42] la reine, le Mazarin, les princes sont à la cour qui est à Compiègne. [43] Les Espagnols ont repris Ypres [44] dès le 12e de mai. [20] On dit qu’ils menacent Dunkerque [45] et je crois qu’à la fin, ils pourront bien aussi le reprendre puisqu’on les laisse faire ainsi, tandis que cinq ou six provinces crèvent de soldats qui ruinent la campagne et que le Mazarin n’a pas le crédit de < les > faire entrer dans le pays ennemi pour s’opposer aux forces des Espagnols, qui ne sont que fort médiocres ; mais c’est folie de nous plaindre, il faut nous résoudre à voir arriver la vérification de la menace que la Sainte Écriture nous a faite : Væ tibi, terra, cuius rex puer est, et in qua principes comedunt mane ! [21][46] Malheur à la terre qui est gouvernée par une femme ! Malheur encore plus grand à celle qui se laisse gouverner par un étranger ! Juste Lipse [47] a fort bien dit dans ses Politiques : Effatum hoc habe, Ut in quam domum vespillones veniunt, signum est funeris, sic reipublicæ labentis, ad quam fulciendam adhibentur peregrini ; [22] ce que je tiens pour très vrai et dont je ne doute nullement, principalement quand ils sont de la trempe du Mazarin, qui est un grand larron, fort ignorant en tout, et principalement au métier dont il se mêle ; mais au reste, grand hâbleur, grand fourbe, grand comédien, bateleur de longue robe et tyran à rouge bonnet. Mais à notre grand malheur, il n’est pas le premier de sa race ni peut-être le dernier, vu la nouvelle qui vient d’arriver de Compiègne que M. de Vendôme [48] et le Mazarin sont fort bien d’accord ensemble, que le dit sieur de Vendôme s’en va être amiral de France [49] avec une survivance pour son fils aîné, M. de Mercœur, [50] à la charge que ce M. de Mercœur épousera l’aînée des nièces du Mazarin, [23][51][52][53] qui donne pour cet effet à sa nièce en don de mariage cent mille écus, et la reine deux cent mille livres. Ledit M. de Mercœur sera aussi vice-roi de Catalogne [54] où il ira bientôt après qu’il aura consommé le mariage avec cette nièce qui est encore à Sedan. [55] Dans la Maison de M. de Vendôme, il n’y a que le père et le fils qui aiment ce mariage ; Mme de Vendôme, [56] Mme de Nemours, [57] sa fille, et M. le duc de Beaufort, [58] notre brave général, se bandent trop contre ce mariage, mais je pense que leur opposition n’y servira de rien. On parle aussi de marier ledit M. de Beaufort à une Barberine, fille du prince préfet, [59][60] qui mourut ici de phtisie [61] il y a environ deux ans. [24] Celle-ci est un peu de meilleure Maison, elle est nièce du pape [62] et de plusieurs cardinaux. D’ailleurs, M. le prince de Condé demande aussi quelque chose de son côté, savoir la charge de connétable, Sedan, La Rochelle [63] et Blaye. [25][64] Je pense qu’on ne manquera pas de lui donner quelque chose afin de le retenir dans le parti de la cour et de peur de le mécontenter. Toutes ces infâmes alliances me font avoir pitié des princes qui sont si lâches et si peu courageux qu’ils ne dédaignent pas de se soumettre à la dive Fortune, [65] et pour un peu de crédit, adorer le veau d’or ; mais habeant sibi res suas, et abeant unde malum pedem attulerunt sæculi sui incommoda, principes pessimi ! [26][66] Enfin, je reconnais tout de bon que j’abuse de votre patience. Je vous demande pardon d’un si mauvais entretien et vous fais protestation que je serai toute ma vie votre, etc.
De Paris, ce 28e de mai 1649.
Bulderen, no xvii (tome i, 45‑52), à Charles Spon (mais il est cité dans la lettre) ; Reveillé-Parise, no ccclxvi (tome ii, pages 514‑520), à André Falconet.
« de sorte que ma lettre est diserte et enjouée. »
« j’ai pourtant bon espoir que je serai soulagé et libéré de ces entraves. »
V. note [25], lettre 146, pour les Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan (Paris, 1649 et 1650). Les deux thèses du bachelier Robert Patin, fils aîné de Guy, étaient sa première quodlibétaire (disputée le 26 janvier 1649, v. note [58], lettre 166), et sa cardinale (11 mars, v. note [168], lettre 166) ; il lui restait à soutenir sa seconde quodlibétaire, « sur la maladie vénérienne » (9 décembre, v. note [53], lettre 209).
« Enfin libéré de son précepteur, il aime les chevaux : comme une cire molle, il se laisse façonner au vice, regimbe aux avertissements, met longtemps à songer à l’utile, dépense sans compter » ; emprunt tronqué à Horace (Art poétique, vers 161‑165) :
Inberbus iuvenis tandem custode remoto
[L’adolescent imberbe, enfin libéré de son précepteur, aime les chevaux, les chiens, la piste ensoleillée du Champ de Mars ; comme une cire molle, il se laisse façonner au vice, regimbe aux avertissements, met longtemps à songer à l’utile, dépense sans compter, a de l’orgueil, des désirs extrêmes ; il abandonne vite ce qu’il a aimé].
Gaudet equis canibusque et aprici gramine Campi
Cereus in vitium flecti, monitoribus asper,
Utilium tardus provisor, prodigus æris,
sublimis cupidusque et amata relinquere pernix.
« qu’il parviendra enfin à produire une belle récolte. »
« Faire fonds sur quelque chose pour dire en être assuré » (Furetière) ; v. note [8], lettre 176, pour écoutants. Encouragé par son père, Charles Patin, après ces très brillants débuts en droit, allait opter pour les études de médecine. (v. notes [15] et [16] de son Autobiographie).
L’imposteur bien informé qui s’était, à Lyon, fait passer pour un fils de Guy Patin, avait autant cherché à duper Charles Spon (v. lettre précédente) qu’André Falconet.
« L’abîme appelle l’abîme » : « L’abîme appelant l’abîme au fracas de tes écluses, la masse de tes flots et de tes vagues a passé sur moi » (Psaumes, 41:8, Complainte du lévite exilé).
V. note [171], lettre 166, pour le livre de Gassendi sur la vie et la philosophie d’Épicure.
Pour alimenter les vives controverses anatomiques que suscitait son opposition systématique aux découvertes qu’il n’avait pas faites, Jean ii Riolan a publié trois séries d’Opuscula anatomica nova [Opuscules anatomiques nouveaux] (v. note [25], lettre 146) : la première, dont il s’agissait ici, forme la 4e partie des Opera anatomica vetera… (1649, v. note [25], lettre 146) ; elle a aussi été publiée séparément (Londres, Milon Flesher, 1649, in‑4o).
William Harvey (Folkestone 1578-Londres 3 juin 1657) est le très illustre médecin et anatomiste anglais qui avait fait en 1619 l’une des plus remarquables descriptions médicales de tous les temps : la circulation du sang. L’aîné de neuf enfants, il avait renoncé à la carrière du commerce qui lui promettait une belle fortune pour se livrer à la médecine. Après de bonnes études primaires à Cantorbéry, il s’était rendu en 1593 au Collège de Cambridge. Y ayant obtenu son baccalauréat (1597), il avait parcouru la France et l’Allemagne pour arriver à Padoue, où il avait étudié pendant cinq ans, notamment auprès de Fabrizio d’Aquapendente (v. note [10], lettre 86) pour obtenir le grade de docteur, puis s’en retourner à Cambridge. En 1603 Harvey s’établissait à Londres et devenait médecin de l’hôpital Saint-Bartholomew. En 1615, il était nommé professeur d’anatomie et de chirurgie. Premier médecin du roi Jacques ier, il avait conservé ce titre sous Charles ier qu’il suivit dans sa fuite à Oxford quand la guerre civile éclata. Reçu docteur en médecine de cette Université, il y avait été nommé en 1645 président du Merton College. Après la reddition d’Oxford aux troupes parlementaires (bataille de Naseby, 14 juin 1645, v. note [5], lettre 124), Harvey, dépouillé de tous ses titres, mena une vie très retirée, tantôt à Londres, tantôt à Lambeth ou chez un de ses frères à Richmond.
Admiratifs et reconnaissants de ses mérites, les membres du Royal College of Physicians décidèrent en 1652 que son buste serait placé dans leur salle de réunion. Deux ans après, cette Compagnie lui offrit la présidence qu’il refusa pour cause de santé, tout en continuant d’assister aux assemblées. Son attachement pour le College était si grand qu’en 1656 il lui fit don de sa propriété de Burmarsh (Kent) pour en tirer une rente perpétuelle destinée à couvrir les frais d’une réunion mensuelle (avec collation) et d’une grande célébration annuelle (avec banquet) le jour de la Saint-Luc, durant laquelle devait être prononcée une harangue en latin (la Harveian oration qui existe toujours, mais en anglais),
with an exhortation to the Fellows and Members of the said College to search and study out the secret of Nature by way of experiment ; and also for the honour of the profession to continue mutual love and affection amongst themselves without which neither the dignity of the College can be preserved nor yet particular men receive that benefit by their admission into the College which else they might expect.
[avec une exhortation des compagnons et membres dudit Collège à explorer et révéler le secret de la Nature par le moyen de l’expérimentation ; et aussi pour l’honneur de la profession, afin de perpétuer l’amour et l’affection entre ses membres, sans lesquels la dignité du Collège ne peut être préservée, ni les individus recevoir de leur admission dans ce Collège le bénéfice qu’ils pourraient en attendre].
Outre la circulation, Harvey fit quelques observations bien moins marquantes dans le domaine de la fécondation et de la reproduction. Jean ii Riolan mettait alors la dernière main à son Liber de Circulatione sanguinis (v. note [18], lettre 192), destiné à contredire Harvey.
Contre les notions floues et contradictoires qu’on admettait depuis Galien (iie s. de notre ère, v. note [6], lettre 6) sur le mouvement du sang dans le corps, Harvey a établi que, propulsé par le cœur, il n’oscille pas en un va-et-vient continu dans les vaisseaux, mais accomplit un double mouvement circulaire (v. La circulation du sang expliquée à Mazarin) :
Cette découverte révolutionnaire reposait entre autres sur la déduction rigoureuse que Harvey avait tirée de l’orientation des valvules veineuses décrites en 1574 par son maître Fabrizio (v. note [13] de la Consultation 16) : les valvules destinent les veines à ramener le sang vers le cœur ; leur disposition est incompatible avec le dogme galénique voulant que les veines conduisent le sang depuis le centre (cœur et foie) vers la périphérie du corps.
Ainsi qu’on ne manqua pas de le lui reprocher, Harvey avait évidemment eu des prédécesseurs : les Italiens Matteo Realdo Colombo en 1559 et Andrea Cesalpino en 1571 avaient publié sur le sujet (v. notes [55], lettre 97 et [49] du Procès opposant Jean Chartier à Guy Patin) ; mais aucun n’en avait fourni la démonstration méthodique, ni exactement décrit la double boucle du sang.
Harvey commença à enseigner publiquement la circulation à Londres en 1619, mais ne la fit imprimer qu’en 1628 :
Exercitatio anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in animalibus, Guilelmi Harvei Angli, Medici Regii, et Professoris Anatomiæ in Collegio Medicorum Londinensi.[Essai anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux, par William Harvey, Anglais, médecin du roi et professeur d’anatomie dans le Collège des médecins de Londres].
- Francfort, Guilielmus Fitzerus, 1628, in‑4o de 72 pages (fac-similé imprimé à Florence, R. Lier et Co, 1928) ; dédié Serenissimo et Invictissimo Carolo, Magnæ Britanniæ, Franciæ, et Hyberniæ Regi, fidei defensori [Au sérénissime et invincible Charles, roi de Grande-Bretagne, de France et d’Irlande, défenseur de la foi].
Une traduction française établie, augmentée et commentée par Charles Richet : {a}
Harvey. La Circulation du sang. Des Mouvements du cœur chez l’homme et les animaux. Deux Réponses {b} à Riolan. {c}
- Prix Nobel de médecine ou physiologie en 1913.
- Exercitationes duæ anatomicæ [Deux Essais anatomiques] de Harvey (Rotterdam, 1649, v. note [1], lettre latine 45) pour répondre aux objections de Jean ii Riolan.
- Paris, G. Masson, 1879, in‑8o de 287 pages ; réédition avec une préface de Jean Hamburger et une postface de Mirko D. Grmek, sous le titre de De Motu cordis (La Circulation du sang) (Paris, Christian Bourgois, 1991).
Ce traité de Harvey, que Guy Patin n’a jamais explicitement cité dans sa correspondance, est sans conteste et de très loin le phare médical du xviie s., et même l’un des livres médicaux les plus novateurs de tous les temps. Avec une maîtrise et une clarté qui, près de quatre siècles plus tard, émerveillent encore le lecteur, Harvey fait émerger du magma incohérent qui existait avant lui la véritable circulation du sang. Fondant son raisonnement sans faille sur l’observation anatomique, embryologique et physiologique (vivisections de toutes espèces d’animaux, expérience du garrot), il décrit la circulation du sang chez l’homme, avant et après la naissance, en énumérant avec douceur et confiance les erreurs qu’on y a commises avant lui. Le monde médical accueillit diversement la nouvelle théorie.
Jean ii Riolan mena la troupe virulente de ses détracteurs acharnés. Leur premier grief était que la circulation constituait une hérésie : malgré toutes les précautions que Harvey avait prises pour ménager les Anciens (chapitre 17), sa découverte contredisait les enseignements d’Aristote et de Galien :
« Voulez vous faire entendre, écrivait James Primerose {a} à Harvey, que vous savez ce qu’Aristote ignorait ? Aristote a tout observé et personne ne doit oser venir après lui. » {b}
Harvey répondait (Seconde réponse à J. Riolan, ibid. page 221) que :
« les œuvres de la Nature se montrent en toute évidence et que ni l’opinion, ni l’antiquité ne peuvent les entraver, car il n’y a rien de plus antique que la Nature et personne ne peut avoir plus d’autorité qu’elle. »
Un autre reproche majeur était la futilité apparente d’une circulation aussi rapide du sang dans le corps (et encore Harvey estimait-il son débit bien au-dessous de la réalité) : faute d’avoir pressenti les échanges gazeux (hématose) qui assurent, grâce à l’hémoglobine des globules rouges sanguins, la respiration continue des tissus, Harvey n’a trouvé que des arguments théoriques pour répondre à ses contradicteurs (ibid., pages 220‑221) :
« il fallait chercher d’abord si la circulation existe avant de chercher à quoi elle sert ; […] on ne trouve pas que ce soit suffisant, comme en astronomie, de créer de nouveaux systèmes, il faut encore que ces systèmes puissent donner la raison de tous les phénomènes. »
Dans les cinquante ans qui suivirent la parution du De Motu cordis, les opposants à la circulation harveyenne se firent de plus en plus rares. Après la mort de Riolan (1657), il ne resta qu’un nombre infime d’obstinés, dont en France, Guy Patin est resté comme l’archétype (v. Thomas Diafoirus et sa thèse).
Nul pourtant n’est sans tache : Aselli, Pecquet et Bartholin découvrirent les voies du chyle et de la lymphe, du vivant de Harvey et dans son sillage, « mais ce dernier – par malheur pour sa gloire – n’accepta pas leurs découvertes et les traita aussi injustement qu’il avait été traité lui-même » (Ch. Richet, De Motu cordis, page 35). Harvey resta fidèle à la conception erronée qu’il a écrite dans le chapitre 16 de son Exercitatio : le chyle, mélangé au sang, passe directement des intestins au foie par la veine porte (v. notes [26], lettre 152, et [1], lettre latine 45).
Annonce d’un fameux ouvrage (non signé) que Guy Patin a toujours attribué être de Jean ii Riolan :
Curieuses recherches sur les Écoles en médecine de Paris et de Montpellier, nécessaires d’être sues pour la conservation de la vie. Par un ancien docteur en médecine de la Faculté de Paris. {a}
- Paris, Gaspard Meturas, 1651, in‑8o.
Jean Chartier a dénoncé Patin comme en étant le véritable auteur (v. note [5] du Procès l’opposant à Patin).
La préface Au lecteur sage et désintéressé donne le motif de l’ouvrage :
« Mon cher lecteur, je vous donne ces remarques pour vous faire voir quelle a été la dignité des deux écoles de médecine les plus célèbres et vous montrer en même temps les avantages que la Faculté de Paris a sur celle de Montpellier, comme sur toutes les autres du monde. Cet ouvrage fut conçu dans la chaleur d’un procès que l’autorité d’un arrêt {a} n’a pu terminer ; et si Théophraste Renaudot se formalise de se voir mêlé dans ce discours, il doit considérer que les écrits diffamatoires dont il a déchiré notre École demeurent toujours, et que ce n’est pas assez que le Parlement ait condamné ses injustes entreprises si on n’efface encore les traits de sa langue et de sa plume. »
Le corps du livre est d’un seul tenant, sans division en parties ni chapitres. Il commence sur le même ton que la préface (avec respect de l’italique d’origine) :
« Enfin Théophraste Renaudot a tant fait par ses poursuites, écritures et chicaneries qu’il a fait réussir son grand dessein et chef-d’œuvre, qui était d’attirer dans son parti l’École de Montpellier et nous mettre aux mains les uns contre les autres, puis se retirer hors de la presse pour voir jouer les coups d’escrime, se rire de nos querelles et disputes très dangereuses pour le public, particulièrement dans la ville de Paris où il avait entrepris de brouiller et détruire totalement la vraie médecine pour y introduire celle de Théophraste Paracelse, {a} son bon maître, qu’il faisait enseigner dans son Bureau d’adresse, assisté d’une troupe de jeunes gens soi-disant médecins de Montpellier qui déclamaient par médisances et calomnies contre les médecins de Paris, particulièrement par la plume de Théophraste Renaudot, leur chef et conducteur. Tout cela s’est fait au vu et au su de toute la ville de Paris et de la France. Les libelles diffamatoires ont été imprimés et distribués avec ses gazettes par tout le royaume, jusqu’aux pays étrangers. Les médecins de Paris se voyant ainsi attaqués et déchirés, leur École et leur doctrine horriblement diffamée, n’ont pu se taire, ont reparti à toutes ces calomnies et injures atroces pour réparer les brèches qu’on voulait faire à leur honneur, sans offenser l’École de Montpellier qu’ils ont toujours par leurs écrits respectée et reconnu avoir produit de savants hommes en la médecine, tant en la théorie qu’en la pratique, selon le climat {b} du pays. Nous n’avons jamais prétendu leur prescrire la méthode d’exercer la médecine en leur pays : en cela et en tout notre procédé, nous avons été plus équitables qu’eux, qui veulent dans notre climat nous forcer à suivre leur forme de pratiquer, mais cela n’est qu’un incident. Notre plus grand crime, c’est d’avoir empêché que tous ces jeunes gens, tout fraîchement forgés docteurs à Montpellier, ne demeurassent en notre ville, et là former École contre la nôtre, qui est dresser Autel contre Autel {c} à la ruine de la vie de nos concitoyens. Les ordonnances de nos rois, les arrêts de la Cour de Parlement, la coutume ancienne de plus de cinq cents ans, nous ont donné ces privilèges. Pourquoi donc endurerons-nous que de jeunes gens présomptueux, ignorants, malicieux nous viennent braver jusque dans nos maisons ? qu’ils publient par tout que nous sommes des ignorants en médecine, que nous faisons mourir les malades par la saignée, et par nos médecines puantes et horribles ? »
- Le véritable nom de Paracelse était Philippe-Auréole-Théophraste Bombast von Hohenheim (v. note [7], lettre 7).
- Climat : inclination.
- V. note [37] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot.
Toute la suite est à l’avenant, et le lecteur moderne y est étonné par la violence des arguments avancés contre les opposants à la pure orthodoxie de la Faculté de médecine de Paris. Par endroits, le style ressemble si fort à celui de Patin dont on est tenté d’admettre qu’il a bien dû y mettre la main.
V. note [50], lettre 176, pour « La Maison de Dieu » du P. Nicolas Caussin contre l’astrologie judiciaire et toutes les superstitions qui s’y attachent.
V. note [6], lettre 162, pour les De Historicis Græcis et De Historicis Latinis de Gerardus Johannes Vossius.
« sur la douleur colique, avec raison certes, mais en peu de mots » ; v. note [54], lettre 166, pour ce passage de l’Anthropographie de Riolan (page 656) contre Claude i Saumaise (Salmasius) sur la colique du Poitou.
V. note [9], lettre 396, pour le passage sur Simon ii Piètre, à la page 593 des Opera anatomica vetera… (1649) de Jean ii Riolan, qui contenait la réédition de son Anthropographie de 1626.
« et qui a haï les Français de père en fils » ; lettre lxxxv de Joseph Scaliger à Isaac Casaubon, de Leyde le 19 septembre 1603, julien (Ép. lat. livre i, pages 241‑242) :
Audio te cuiusdam summatis literis pellectum cogitare de movendis castris. Cave faxis, et incerta certis anteponas. Præterea esset tibi res eum gente, quæ πατροπαραδοτον habet Gallos odisse.
[J’ai ouï dire que, séduit par les lettres d’un certain souverain, vous songiez à changer de pays. Prenez garde à ce que vous ferez et à ne pas préférer l’incertain au certain. De plus, vous auriez affaire à quelqu’un dont le peuple a haï les Français de père en fils].
Mme de Motteville (Mémoires, page 276) :
« Ypres se rendit aux ennemis {a} le huitième jour de mai 1649, après que Beaujeu {b} l’eut défendue assez de temps pour mériter beaucoup de louanges de sa résistance. L’intrigue du Cabinet occupait tellement le ministre {c} que cette perte ne put pas trouver en lui assez de place pour lui causer de nouveaux chagrins. Ses plus grands maux ne venaient pas des ennemis de l’État, mais plutôt de ceux qui, voulant paraître ses amis, ne l’étaient point, et qui, pour tirer de lui des grâces et des bienfaits, lui faisaient naître de continuelles affaires, afin de le forcer à leur donner davantage. »
« Malheur à toi, terre dont le roi est un enfant et où les princes dévorent de bon matin ! » (L’Ecclésiaste 10:16).
« Tenez pour vrai cet oracle, “ De même que la venue du croque-mort dans une maison est le signe des funérailles, de même celui d’une république qui s’écroule est la venue d’étrangers qui s’appliquent à la soutenir ” ».
Le titre complet des Politiques de Juste Lipse est :
Politicorum sive Civilis Doctrinæ Libri sex ; qui ad Principatum maxime spectant. Editio altera, quam Auctor pro germana et fida agnoscit.[Six livres de Politiques ou de Doctrine civile, qui concernent surtout l’Exercice du pouvoir. Seconde édition, que l’auteur a reconnue pour authentique et fidèle]. {a}
- Francfort, Joannes Wechelus et Petrus Fischerus, 1591, in‑8o de 304 pages, pour la troisième de nombreuses éditions, dont la première a paru à Leyde en 1589.
Le passage que citait Guy Patin est sous-titré (page 295) Ruit respublica, quam ii sustinent [La république qu’ils soutiennent s’effondre] (notes sur le chapitre iv, De Consiliariis [Des Conseillers], du livre iii (2e partie,).
Ce livre a été traduit en français (sans les notes) : Les Politiques, ou doctrine civile de Juste Lipsius. Où est principalement discouru de ce qui appartient à la Principauté… Quatrième édition (Paris, Matthieu Guillemot, 1606, in‑12).
Laure Mancini ; v. note [35], lettre 176, pour le rapprochement des Vendôme avec Mazarin et la reine régente.
Cette Barberine était Lucrezia (1630-1699), fille de Taddeo Barberini (le prince préfet, v. note [8], lettre 132) et d’Anna Colonna ; elle était petite-nièce du pape Urbain viii. Elle n’épousa pas François de Vendôme, duc de Beaufort, mais en 1654, François ier d’Este, duc de Modène (v. note [10], lettre 398).
Blaye (Gironde) est une ville de Guyenne située sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde ; sa forteresse (le château des Rudel) gardait l’accès de Bordeaux.
« que ces fort calamiteux princes, les malheurs de leur siècle, s’occupent donc leurs affaires et s’en retournent là d’où ils sont malencontreusement venus ! » (imitation de Catulle, v. note [104], lettre 166).