L. 248.  >
À Charles Spon,
le 4 novembre 1650

Monsieur, [a][1]

Ma dernière lettre fut du jour de Saint-Luc, 18e d’octobre, avec celle de M. Moreau, [2] je ne doute point que ne les ayez reçues. Depuis ce temps-là, nouvelle est venue que M. de Villequier [3] a fait entrer dans Mouzon [4] 400 hommes, [1] lesquels sans doute empêcheront que les Espagnols ne la prennent ; au moins, on tient ici pour le certain que dorénavant ils ne la sauraient prendre. Le maréchal Du Plessis-Praslin [5] avec plusieurs gouverneurs des places frontières assemblent aussi leurs forces afin de pouvoir harceler et incommoder lesdits assiégeants jusqu’à ce que ce qu’ils veuillent se retirer. M. le marquis de La Ferté-Senneterre [6] a défait trois régiments de Lorrains, où il a gagné beaucoup de bagage et plusieurs prisonniers. [2] On dit ici que le roi [7] est sorti de Bordeaux [8] et que le 19e d’octobre il a couché à Saintes. [9] Le Mazarin [10] n’a point eu grand contentement à Bordeaux. Il est vrai que ceux du corps de ville l’ont été saluer, mais non pas ceux du parlement ; outre plusieurs autres affronts qu’il y a reçus. Le pape [11] a député tout nouvellement deux cardinaux pour exhorter les deux rois à la paix générale, Spada [12] pour la France et Pallotta [13] pour l’Espagne. [3] Il est vrai qu’à la fin il la faudra faire et s’y trouveront contraints de part et d’autre car autrement, ils ne pourront plus trouver de soldats ; et puis à la fin de notre minorité, il y aura tout autrement plus belle apparence de finir la guerre afin que le roi commence avec la paix à gouverner son royaume lui-même, Dieu lui fasse la grâce de bien. [4] Si en faisant la paix nous rendons aux Espagnols toutes nos conquêtes, le Mazarin s’en déchargera, et dira que c’est le roi même et non pas lui ; et ainsi, il se couvrira du prétexte d’avoir continué la guerre jusqu’à présent par quelque nécessité, au lieu que ce n’est que pour dérober plus longtemps et piller plus hardiment ce pauvre royaume afin d’enrichir son neveu et ses trois nièces. [14] Nos affaires vont mal en Catalogne, [15] les Espagnols s’y remettent et nous ne leur résistons point comme il faut. On dit que M. le duc de Mercœur [16] se plaint de ce qu’on l’a envoyé là si loin pour le rendre ridicule. [5]

Le samedi 29e d’octobre à onze heures du soir, 30 hommes armés attaquèrent le carrosse de M. de Beaufort, [17] dans la rue Saint-Honoré [18] près de la Croix du Trahoir. [19] Ils voulurent arrêter le carrosse, ils ne purent le faire, ils tirèrent sur le cocher qui fut véritablement blessé, mais néanmoins il n’arrêta point. Comme ils approchèrent du carrosse en tirant dedans, ils tuèrent un gentilhomme qui était dedans, un autre fut blessé ; mais M. de Beaufort n’y était point et ainsi, ils ont perdu leur coup. Ce carrosse l’allait requérir à l’hôtel de Montbazon où il avait fait collation[6] Je pense que vous croyez aisément que je ne suis pas auteur de ce meurtre, mais il n’est point malaisé de deviner d’où vient cette entreprise. Quoi qu’il en soit et de quelque côté qu’il vienne, les assassins ont manqué leur coup et M. de Beaufort est sauvé. [7] C’est à lui à se parer dorénavant de tels rencontres et à se retirer de meilleure heure s’il ne veut une autre fois y être attrapé car sans doute, on ne lui manquera pas. Ces gens-là, qui ne craignent point le serein, [8] sont gagés pour tuer du monde.

Le même jour, samedi au soir, un courrier venu de la cour apporta la nouvelle que la reine [20] était demeurée malade à Amboise [21] et qu’elle y avait été saignée deux fois pour un jour ; quelques jours auparavant elle avait aussi été saignée à Poitiers. [22] Si elle était prise d’une fièvre continue [23] de earum genere quæ hoc anno grassatæ sunt[9] outre le danger qu’elle en encourrait, le Mazarin aurait belle peur ; et même, je ne doute point qu’on ne l’arrêtât de peur qu’il ne prît la fuite en cachette, n’osant point se fier au duc d’Orléans, [24] qui serait régent et qui infailliblement ne se servirait point de ce ministre italien. J’aimerais pourtant mieux qu’il fût arrêté et obligé de nous rendre tout l’argent qu’il a dérobé à la France. La reine traitant avec ceux de Bordeaux, ne leur a point nommé de gouverneur, elle leur a seulement promis qu’elle en arrêterait un lorsqu’elle serait à Paris ; mais leur a laissé M. de Saint-Luc, [25] qui était lieutenant de roi, pour y faire sa charge. [10] Aussitôt que le roi et la reine furent sortis de Bordeaux, un quart d’heure après, la reine leur fit signer qu’elle révoquait l’octroi des 1 500 000 livres qu’elle leur avait accordé d’être pris sur le convoi de Bordeaux pour leur dédommagement. Le parlement de Bordeaux [26] s’étant assemblé là-dessus, cassa l’arrêt du Conseil d’en haut portant cette révocation ; mais le premier président du parlement ne veut point signer cet arrêt ; d’ailleurs, M. de Saint-Luc maltraite dans Bordeaux ceux qui ont été du côté du parlement et en avait fait arrêter deux que le peuple a fait délivrer par force. Tout cela montre que la paix de Bordeaux n’est guère assurée.

Mais, Dieu soit loué que je reçois votre lettre par laquelle j’apprends des nouvelles de votre bonne disposition et de nos bons amis de Lyon. Je vous remercie très affectueusement de la peine qu’avez prise pour ce qu’avez délivré à M. Huguetan. [27] J’écrirai exprès à M. Gras [28] et le remercierai de ses livres dès que je les aurai reçus ; je souhaite fort de les avoir et utinam brevi istud contingat ; [11] j’en ferai autant à M. Garnier. [29] Pour votre Perdulcis[30] je vous en remercie de tout mon cœur. Parmi tous ces livres, vous ne me parlez point de l’Histoire de Bresse[31] N’est-elle point encore achevée ? Si elle est en vente, je vous prie de dire à M. Huguetan qu’il m’en envoie une en blanc et que je lui en tiendrai compte, aussi bien que de la douzaine des exemplaires du Feyneus [32] et des autres livres que j’ai reçus d’eux. [12] Mais à propos de Feyneus, n’avez-vous point encore su de Montpellier en quelle année est mort ce professeur ; je pense qu’il y a bien 50 ans que migravit ad plures[13] Le Thesaurus criticus Gruteri [33] ou bien Lampas, sive fax artium liberalium est en six gros volumes in‑8o, impression de Francfort ; [14] je les ai céans reliés en veau noir à votre service. Ce beau recueil fait par un habile homme est un Cornucopia de grande quantité de plusieurs très bonnes choses. [15] Je serais bien marri si je ne l’avais, les six tomes m’ont autrefois coûté neuf livres, il y a plus de 20 ans. Quelques-uns font passer pour une continuation, ou septième tome, un certain in‑8o qui sont des remarques et des notes de I. Philippus Pareus [34] sur Plaute [35] adversus Iani Gruteri cavillationes[16] etc. Ledit livre est intitulé Analecta Plautina, etc., Francofurti, 1623 ; [17] si jamais vous le trouvez, il mérite d’être acheté. Je suis fort aise qu’ayez eu à gré ce que je vous ai mandé de Paulus Leopardus, [36] dont je fais grand état il y a longtemps. J’ai vu aussi et même ai céans de lui (mais je ne sais où il est) ce commentaire in apophthegmata Stratonici ; ce n’est qu’un petit in‑8o[18][37] Pour votre M. Arnaud le chimiste, [38] j’espère que sa colère passera avec justice, voyant que je ne lui ai jamais donné aucune occasion de se plaindre de moi ; pour la chimie, [39] il la défendra s’il veut et même, impugnera et réfutera s’il veut ou s’il peut notre thèse ; [40] ce que je ne trouverai point étrange, chacun ayant la liberté de ses sentiments pourvu que cela se fasse légitimement, honnêtement et sans injures. Ce qui me déplaisait le plus en tout ce que l’on m’en a dit était son titre diffamatoire, manifestement ridicule et qui lui eût fait plus de tort qu’à moi-même. [19] Il a parlé à M. Falconet, [41] qui a mis l’affaire en bon état. J’attendrai pourtant d’en savoir davantage par M. Mousnier, [42] après que M. Hebet [43] lui en aura écrit. Je ne sais qui est l’auteur des épîtres qui sont devant le livre des Passions de l’âme de M. Descartes, [20][44][45] j’ai grand regret que je ne l’aie demandé à M. Sorbière ; [46] je tâcherai de le savoir de MM. Moreau ou Naudé [47] et si je l’apprends, je vous le manderai. M. Galateau, [48] m’emportant [49] mon livre de feu M. Cousinot, [50] des eaux de Forges[21] n’a fait que ce que l’on dit des Gascons ; néanmoins, ce n’est point la peine de lui en écrire, j’ai peur qu’il ne s’en souvienne plus, ce fut environ l’an 1633. Je suis bien aise qu’avez reçu le livre du P. Caussin [51] par M. Falconet, [22] je vous remercie de la peine qu’avez prise de le délivrer à notre bon ami M. Gras. Quand il se présentera ici quelque chose de meilleur, je tâcherai de vous en faire part, mais il fait merveilleusement froid en la rue Saint-Jacques : [52] tous se plaignent du mauvais temps, non est usque ad unum ; [23] même le plus hardi d’entre eux, qui est M. Cramoisy, [53] fait tout ce qu’il peut pour ne rien entreprendre. J’ai toujours céans les trois exemplaires de M. de Saumaise [54] pour le roi d’Angleterre, [24][55] pour vous, MM. Gras et Falconet, avec quelques petits livrets ; mais j’attends encore quelque chose que je ne sais quand il viendra. Je vous assure que le P. Jarrige [56] n’est point mort, il a passé par ici et a parlé à homme qui me l’a dit. Peut-être bien qu’à la fin les jésuites [57] l’empoisonneront, ils sont assez méchants pour cela ; utinam meliores fiant in posterum[25] Si vous écrivez à M. Volckamer, [58] je vous prie de lui faire mes très humbles baisemains ; j’ai céans quelque chose pour lui que je lui enverrai dans votre premier paquet. Mme la Princesse la douairière[59] qui est retirée à 25 ou 30 lieues d’ici, est malade et faut qu’il y ait apparemment quelque danger puisque, outre qu’elle a près de soi M. Le Gagneur, [60] on est ici venu quérir M. Guénault, [61] qui y est allé. [26]

On imprime en Hollande chez MM. les Elsevier [62] un livre curieux d’un savant Espagnol, sous ce titre, De duplici terra ; l’auteur est Iosephus Gonzalez de Salas. [27][63] je ne sais si ce ne serait point le même qui a fait imprimer l’an 1629 un Pétrone[64] avec des commentaires et Indice perpetuo[28] in‑4o à Francfort. Mme la maréchale de Guébriant [65] a fait faire l’histoire et la vie de son mari, [66] elle en a vers soi la copie tout entière et tout achevée, prête d’être imprimée. Il ne tient plus qu’à de l’argent qu’elle doit avancer à l’imprimeur [67] pour avoir du papier, c’est l’auteur même qui me l’a dit ; [29] mais c’est encore assez, vu que les courtisans ne savent guère ce que c’est que de payer leurs dettes et de récompenser ceux qui leur ont rendu service. Nous avons ici tout de nouveau une requête faite par M. Naudé [68] in‑4o contre les bénédictins[69] touchant l’auteur du livre de Imitatione Christi ; [30][70] [elle] est excellente, je vous l’enverrai dans le premier paquet.

Le même M. Naudé m’a dit qu’à Genève l’on imprimait l’Histoire de feu M. le président de Thou [71] traduite par un jadis ministre ; je pense que c’est un Provençal nommé M. Boule, [72] duquel j’ai entendu dire, il y a longtemps, qu’il travaillait à la traduction de ce beau livre. [31] Je dis beau car je pense que c’est le plus beau et le plus excellent historien qui ait jamais écrit, et le préfère à Thucydide, [73] Tite-Live [74] et Tacite. [75]

On a ce matin trouvé en trois différents lieux publics trois tableaux du Mazarin pendu et étranglé (mais ce n’était qu’en effigie), avec son arrêt de mort pour plusieurs chefs ; le lieutenant civil les a fait ôter. [32] On a pris un prisonnier de ceux qui ont attaqué le carrosse de M. de Beaufort samedi dernier. Un autre, blessé, mourant hier à l’Hôtel-Dieu [76] de sa blessure, [33] confessa des vols qu’il avait faits, mais ne nomma aucun complice. On dit qu’un flux de ventre [77] a soulagé la reine après trois saignées ; qu’elle doit partir d’Amboise, et se rendre demain au soir à Orléans avec le roi et toute la cour. Néanmoins, il n’y a point grande apparence de vérité à tout ce que disent les courtisans : on tient que le Mazarin fait tout ce qu’il peut pour ne point revenir à Paris et même, est soupçonné d’avoir fait mettre par Paris les trois tableaux la nuit passée, afin de tâcher d’empêcher la reine d’y venir. Les trois princes [78][79][80] sont toujours à Marcoussis [81] et moi, je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce vendredi 4e de novembre 1650, à neuf heures du soir.


a.

Ms BnF no 9357, fos 108‑109, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ dans la place de l’herberie,/ À Lyon » ; Reveillé-Parise, no ccxxxix (tome ii, pages 54‑57) ; Jestaz no 45 (tome i, pages 743‑749). Note de Charles Spon au revers : « 1650/ Paris 4 novemb./ Lyon 8 dudit/ Ripost./ Adi 29 dudit. »

1.

Antoine d’Aumont, marquis de Villequier (1602-Paris 11 janvier 1669), avait servi la Couronne de France dans toutes ses guerres contre les protestants puis les Espagnols. En 1635, il avait été nommé gouverneur de Boulogne, du Mont Hulin et d’Étaples (Pas-de-Calais). Fidèle à la cause royale durant la Fronde, il reçut le bâton de maréchal en janvier 1651 et en avril de la même année, le commandement de l’armée des Flandres. Villequier devint gouverneur de la prévôté et vicomté de Paris sur la démission du duc de Bournonville en 1662 et ses terres du marquisat d’Isles-en-Champagne furent érigées en duché-pairie sous le nom d’Aumont en 1665. Il avait épousé en 1626 Catherine Scarron, cousine germaine du poète.

2.

Journal de la Fronde (volume i, fos 311 ro et 314 ro et vo, octobre 1650) :

« Il n’y a autre chose de l’armée que la nouvelle {a} des 400 hommes que M. de Villequier a fait entrer dans Mouzon, tirés de la garnison de Sedan ; mais cela n’empêche que les ennemis ne soient encore logés dans les dehors de cette place où ils n’ont point fait des tranchées. Notre armée est campée vers Chalons d’où l’on doit envoyer quelques troupes au marquis de la Ferté-Senneterre. […]

Les avis de Sedan du 24 portent que le secours entré dans Mouzon n’est que de 300 soldats et de six officiers ; et qu’ensuite un capitaine nommé Campes a fait une sortie fort notable sur les ennemis, dans laquelle il a tué trois capitaines ou huit lieutenants, jeté quatre pièces de leur canon dans le fossé et brûlé les affûts ; néanmoins les ennemis n’ont pas levé le siège, mais en ayant envoyé donner avis à l’archiduc, il s’y est rendu en personne ; et que la place pourra résister du moins jusqu’à la fin de ce mois. Les troupes du marquis de La Ferté-Senneterre, qui sont à présent commandées par le colonnel Flekenstein, ont défait une partie de la garnison de Stenay dans une embuscade qu’elles lui avaient dressée, où il y a eu deux principaux officiers tués, savoir MM. de Valagny et de La Rochefaut. […]

Les lettres de Verdun du 25 portent que le marquis de La Ferté-Senneterre n’y était pas encore arrivé ; qu’on y pariait que les ennemis ne prendraient pas Mouzon ; que le maréchal de Turenne s’était retiré dans Stenay avec toute la noblesse française et que Mme de Longueville lui avait fait grande caresse ; et que les troupes du roi continuaient à faire des désordres inouïs partout où elles passent. Les régiments de Corval et de Nettancourt, qui sont dans Verdun, y exigent 600 livres par jour. »


  1. Du 21.

3.

Le cardinal Giambattista Maria Pallotta (v. note [18], lettre 113) était le candidat de l’Espagne et de l’empereur au conclave de 1655, mais l’animosité que donna Olimpia (v. note [4], lettre 127) nourrissait à son encontre lui fit manquer le pontificat. L’autre cardinal, Bernardino Spada (v. note [3], lettre 112), avait été nonce apostolique en France (1623-1627).

4.

Sous-entendu : faire.

5.

La guerre franco-espagnole avait toujours pour second front la Catalogne. Le duc de Mercœur y commandait pour la France en qualité de vice-roi.

Les Castillans assiégeaient Mirabel et Tortosa (sur l’Èbre). Mercœur ne pouvait secourir ces deux places car les routes d’accès en étaient solidement gardées. Il tenta une diversion en attaquant l’Aragon, mais s’y heurta à une forte armée de mercenaires allemands. Mirabel s’était rendue le 25 octobre et Mercœur, retiré à Balaguer (une vingtaine de kilomètres au nord de Lérida), en était réduit à attendre le renfort de 1 500 hommes amenés de Guyenne par Saint-Mégrain (Journal de la Fronde, volume i, fos 316 ro et 320 vo).

6.

L’hôtel de Montbazon se situait sur l’actuelle rue de l’Université (viie arrondissement de Paris).

7.

Journal de la Fronde (volume i, fo 315 ro et vo, novembre 1650) :

« Le 29 du passé, environ les neuf heures du soir, M. de Beaufort étant allé visiter Mme de Montbazon et ne l’ayant pas trouvée à cause qu’elle était au palais d’Orléans, {a} s’en alla à l’hôtel de Nemours, {b} où il demeura à souper et renvoya ses deux gentilshommes pour souper chez lui. Le carrosse retournant de l’hôtel de Vendôme {c} à onze heures du soir pour l’aller quérir et étant arrivé dans la rue Saint-Honoré entre l’église des pères de l’Oratoire et la Croix du Trahoir, {d} fut attaqué par 15 ou 16 filous armés d’épées, pistolets, mousquetons et poignards ; lesquels ayant en même temps tiré sept ou huit coups sur le cocher sans le blesser et sans pouvoir arrêter le carrosse, accoururent aux portières où ils tirèrent sur ces deux gentilshommes qui étaient dans le fond du carrosse, et en blessèrent légèrement un, nommé Brainville, à la joue. Aussitôt, ceux-ci tirèrent sur ces assassins. En ayant couché un par terre, Brainville sauta hors du carrosse et se trouva parmi eux sans qu’ils lui fissent autre mal ; mais s’étant adressés à son compagnon, nommé le baron {e} de Saint-Aiglan, lui donnèrent un coup de poignard dans le sein au-dessous de la mamelle ; sur cela se retirèrent sans rien prendre ni demander autre chose à l’un ni à l’autre, ayant emporté leur blessé tout mourant. L’on remarqua qu’en s’en allant ils dirent que ce n’était pas lui, ce qui fait croire qu’ils n’avaient autre dessein que de tuer M. de Beaufort, ayant pris pour lui ce gentilhomme qui était blond et avait un visage un peu long comme lui. Le cocher, laissant Brainville dans la rue tout étourdi du coup qu’il avait reçu, poursuivit son chemin à toute bride à l’hôtel de Montbazon pour y laisser Saint-Aiglan ; lequel étant arrivé devant la porte, mourut entre les bras d’un laquais qui le descendit du carrosse. On envoya en même temps à l’hôtel de Vendôme d’où partirent huit ou dix personnes à cheval pour aller chercher les auteurs de cette action ; et cependant, on les fit suivre par deux laquais qu’on fit partir de l’hôtel de Montbazon, lesquels les ayant rencontrés furent battus à coups de bâton ; et on leur ôta leurs souliers afin qu’ils ne puissent pas suivre, les menaçant aussi de les tuer, ce qui les épouvanta si fort qu’ils n’osèrent passer outre ; et ceux qui étaient à cheval ne les purent rencontrer. M. de Beaufort fut fort surpris de cet accident et témoigna grand regret de la perte de ce gentilhomme qu’il aimait fort et à qui même, il avait obligation de l’avoir retiré en sa maison en Normandie pendant sa disgrâce. Quelques conseillers du Parlement en furent le lendemain demander justice à M. le duc d’Orléans, et notamment M. Coulon {f} qui en fit grand bruit, ayant dit tout haut qu’il ne pouvait venir que de la part de M. le cardinal, et qu’on en pouvait faire autant à Son Altesse Royale et à tout le Parlement. On a fait divers commentaires là-dessus : les uns sont de l’avis de M. Coulon, les autres veulent que ces assassins aient cru faciliter la liberté de Messieurs les princes en mettant par ce moyen le chef de la Fronde à bas ; d’autres en soupçonnent le duc de Candale. Le lendemain, le lieutenant criminel ayant reçu ordre d’informer de cet assassinat et les ordres ayant été donnés à tous les quarteniers, dizainiers de chercher dans toutes les maisons de Paris et savoir quelles personnes y logent, et aux chirurgiens de s’assembler pour découvrir le blessé, l’on prit avant-hier {g} un des complices qu’on trouva proche la porte Saint-Victor blessé au bras. Il fut exactement interrogé, et ayant dit qu’il était natif de Neuf-Marché proche Gisors en Normandie et qu’il était soldat, il avoua qu’il s’était trouvé en cette action, nomma dix de ses compagnons dont on en prit hier deux avec leurs femmes ou garces, et dit que c’était un vol qu’ils voulaient faire ; que trois personnes les ayant rencontrés devant le Palais-Royal, les avertirent, un peu devant que le carrosse de M. de Beaufort passât, qu’il y avait 20 000 écus à voler à un homme qui venait de les gagner au jeu, lequel devait passer par la rue Saint-Honoré ; et que sur cet avis, ils se joignirent à ces trois personnes, quoiqu’ils ne les connussent pas, et attaquèrent ce carrosse. L’on a depuis interrogé les autres et l’on en saura bientôt la vérité. L’on a fort remarqué qu’un avocat de cette ville nommé Goesel, qui a fort étudié la physionomie de M. de Beaufort, avait dit à Mme de Montbazon deux jours auparavant que M. de Beaufort avait grand sujet de se donner de garde parce qu’il était menacé de feu, de fer et de poison. »


  1. Le palais du Luxembourg.

  2. Rue Séguier, vie arrondissement.

  3. Rue Saint-Honoré, ier arrondissement, au niveau des actuelles rue de Castiglione et place Vendôme.

  4. V. note [5], lettre 39.

  5. La Vigne de Saint-Aiglan.

  6. V. note [39], lettre 294.

  7. 2 novembre.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, pages 335‑336, octobre 1650) :

« La nuit du samedi 29, à dix ou onze heures, le carrosse du duc de Beaufort, allant de l’hôtel de Vendôme à celui de Montbazon quérir ce duc qui y était, fut attaqué par environ douze ou quinze filous, qui tirèrent des coups de mousqueton et de pistolet au cocher et aux valets, portant flambeaux, et aussi dans le carrosse qu’ils arrêtèrent. Le sieur de Brinville, qui était en une portière, s’étant jeté dehors, se sauva ; le sieur de Saint-Aiglan-La Vigne, qui était au-dedans, sur un siège, reçut des coups de poignard dont il expira à l’hôtel de Montbazon où il fut porté. Son corps, le lendemain, y demeura exposé, puis fut porté en terre à Saint-Roch, église voisine et paroisse de l’hôtel de Vendôme ; et y assista à son service le duc de Beaufort. Il était grand, bien fait et blond, portait nom de La Vigne, fils du sieur de Tréauville, nourri {a} page du duc de Vendôme, fils d’un autre Tréauville et d’une Tourlaville, et petit-fils du baron de Tubeuf près L’Aigle en Normandie. Saint-Aiglan est une maison seule dans l’orée de la forêt de Breteuil, en terres nouvelles fieffées du roi dans la paroisse de Neaufle. Le duc de Beaufort s’y retira, sortant {b} du château de Vincennes. »


  1. Élevé comme.

  2. Après son évasion.

8.

Serein (Furetière) : « humidité froide et invisible qui tombe vers le coucher du soleil, qui engendre les rhumes et les catarrhes. Le serein est dangereux aux vieillards. Les gens de complexion robuste ne craignent point d’aller au serein. »

9.

« du genre de celles qui ont circulé cette année ».

Nicolas Goulas (Mémoires, tome iii, pages 261‑262) :

« Leurs Majestés s’acheminaient en diligence à Fontainebleau, comme le 24e ou 25e d’octobre elles furent obligées d’arrêter à Amboise, la reine ne pouvant plus résister à un grand rhume accompagné d’une grosse fièvre, qui fut d’abord jugée dangereuse. Elle avait résolu de passer les fêtes de la Toussaint à Fontainebleau et cet accident la fit séjourner à Blois ; pendant quoi, Monseigneur {a} protestait continuellement qu’il ne se séparerait jamais d’avec elle, et la faisait presser de changer de dessein et de venir droit à Paris, disant que c’était le bien de l’État et le service du roi. Elle n’avait garde de suivre ce conseil, étant avertie que Monseigneur déchirait le cardinal et que tous ses gens en parlaient, et au palais d’Orléans {b} et dans la ville, comme du dernier de tous les hommes. »


  1. Le duc d’Orléans.

  2. Au palais du Luxembourg.

10.

François d’Espinay, marquis de Saint-Luc, fils de Timoléon (v. note [21], lettre 113), était lieutenant général au gouvernement de Guyenne. Fidèle au roi pendant toute la Fronde, il reçut ensuite le gouvernement du Périgord et mourut en 1670.

11.

« et Dieu veuille que cela arrive le plus vite possible ».

12.

V. notes [49], lettre 166, pour l’Universa Medicina… de Barthélemy Pardoux (Perdulcis) rééditée à Lyon chez Jacques Carteron, et [7], lettre 214, pour l’Histoire de Bresse de Samuel Guichenon, et [12], lettre 252, pour la Medicina practica de François Feynes (ouvrages qui ont tous deux été publiés à Lyon en 1650).

13.

« il nous a quittés pour l’au-delà. »

V. note [11], lettre 235, pour les vains efforts de Charles Spon pour répondre aux interrogations insistantes de Guy Patin sur date à laquelle François Feynes était mort.

14.

V. note [9], lettre 117, pour le Lampas sive fax artium liberalium, hoc est Thesaurus criticus… [Le Flambeau ou la torche des arts libéraux, c’est-à-dire le Trésor critique…] de Janus Grüter (publié de 1602 à 1634).

15.

Cornucopia : corne d’abondance.

16.

« contre les sophismes de Janus Grüter ».

17.

Johannes Philippus Pareus (Johann Philipp Wängler, Hemsbach 1576-Hanau 1648), philologue allemand, professeur de théologie, d’hébreu et de philosophie à Hanau :

Analecta Plautina, in quibus M. Accii Plauti editiones Pareanæ a virulentis Jani Gruteri cavillationibus ac strophis rite vindicantur : multa item qua Græcorum qua Latinorum Authorum loca illustrantur et explicantur…

[Morceaux choisis de Plaute, où les éditions que Pareus a données de Plaute sont défendues comme il faut contre les virulents sophismes et pièges de Janus Gruterus ; et où beaucoup de passages d’auteurs, tant grecs que latins, sont éclaircis et expliqués…]


  1. Janus Grüter (mort en 1627, v. note [9], lettre 117) avait lui aussi publié les comédies de Plaute en 1621, et Pareus avait édité la dernière partie, posthume (tome vii et dernier, 1634), de son Lampas… (v. supra note [14]).

  2. Francfort, veuve de Jonas Rosa, 1623, in‑8o.

Répondant aux attaques des critiques, Pareus y défendait ses précédents travaux sur Plaute :

18.
Vitæ et Chriæ sive Apophthegmata Aristippi, Diogenis, Demonactis, Stratonici, Demosthenis et Aspasiæ. Omnia hæc partim nunc primum, partim accuratius Latio donata, per Paulum Leopardum Furnium. Adiuncta sunt etiam in eorum gratiam qui Græcarum literarum sunt studiosi, Stratonico, Demostheni, et Aspasiæ sua Græca, ab eodem tum collecta, tum emendata.

[Vies et Chries ou Apophtegmes {a} d’Aristippe, Diogène, Démonax, Stratonicus, Démosthène et Aspasie. {b} Tous sont présentés en latin soit pour la première fois, soit avec plus grande exactitude par Paulus Leopardus, natif de Furnes. {c} Pour l’agrément de ceux qui étudient le grec, le même a aussi colligé et corrigé en grec ce qui est attribué à Straton, Démosthène et Aspasie]. {d}


  1. Sentences et paroles mémorables.

  2. V. notes [57], lettre 211, pour Aristippe, [5], lettre latine 137, pour Diogène, et [4], lettre 244, pour Démosthène.

    Démonax de Chypre est un philosophe stoïque et cynique du iie s. de notre ère.

    Stratonicus d’Athènes est un musicien contemporain d’Alexandre le grand (ive s. av. J.‑C.), dont les bons mots ont laissé quelques traces dans la littérature antique.

    Aspasie de Milet était l’influente épouse de Périclès au ve s. av. J.‑C.

  3. V. note [7], lettre 246.

  4. Anvers, Ioannes Bellerus, 1556, in‑8o de 188 pages, latin et grec.

19.

La thèse de Guy Patin sur la Sobriété (v. note [6], lettre 143) servait d’argument au Patinus fustigatus [Patin fouetté] que le médecin chimiste Arnaud voulait publier contre lui (v. note [3], lettre 243 ; libelle introuvable, mais que Patin a longuement commenté dans la précédente lettre à André Falconet).

20.

Les Passions de l’âme. Par René Descartes (Paris, Henri Le Gras, 1649, in‑8o de 286 pages, pour la 1re édition, imprimée aussi à Amsterdam, Louis Elsevier, 1650, in‑12 de 272 pages) est le dernier traité que Descartes a publié de son vivant.

En tête, se trouvent deux lettres non signées, datées de Paris les 6 novembre 1648 (37 pages) et 24 novembre 1649 (2 pages), avec les réponses de Descartes qui y est accusé d’usurpation, d’incompétence et même de charlatanisme dans le domaine des sciences naturelles (médecine en particulier).

Dans l’article vii, Brève explication des parties du corps, et de quelques-unes de ses fonctions (première partie, pages 9‑10), Descartes se prononce sur la circulation du sang (sans parler du chyle) :

« Ceux qui ont tant soit peu ouï parler de la médecine savent, outre cela, comment tout le sang des veines peut facilement couler de la veine cave en son côté droit, et de là passer dans le poumon, par le vaisseau qu’on nomme la veine artérieuse, {a} puis retourner du poumon dans le côté gauche du cœur par le vaisseau nommé l’artère veineuse, {b} et enfin passer de la là dans la grande artère, {c} dont les branches se répandent dans tout le corps. Même tous ceux que l’autorité des Anciens n’a point entièrement aveuglés, et qui ont voulu ouvrir les yeux pour examiner l’opinion d’Herveus {d} touchant la circulation du sang, ne doutent point que toutes les veines et les artères du corps ne soient comme des ruisseaux, par où le sang coule sans cesse fort promptement, en prenant son cours de la cavité droite du cœur par la veine artérieuse, {a} dont les branches sont éparses dans tout le poumon, et jointes à celles de l’artère veineuse, {b} par laquelle il passe du poumon dans le côté gauche du cœur ; puis de là, il va dans dans la grande artère, {c} dont les branches éparses par tout le reste du corps sont jointes au branches de la veine cave, {e} qui portent derechef le même sang en la cavité droite du cœur : en sorte que ses deux cavités sont comme des écluses, par chacune desquelles passe tout le sang, à chaque tour qu’il fait dans le corps. »


  1. Artère pulmonaire.

  2. Veines pulmonaires.

  3. Aorte.

  4. William Harvey.

  5. Cette jonction est restée hypothétique jusqu’à la découverte des capillaires par Marcello Malpighi, publiée en 1661 (v. note [19] de Thomas Diafoirus et sa thèse).

  6. Dans la suite de son traité, Descartes demeure fidèle à la théorie humorale (sans nier l’existence de l’atrabile), et cherche à la lier aux tempéraments de l’âme humaine.

21.

V. note [12], lettre 246.

22.

De Regno et Domo Dei, v. note [50], lettre 176.

23.

« sans exception », il ne se publiait rien d’intéressant à Paris chez les libraires de la rue Saint-Jacques.

24.

V. note [4], lettre 224, pour l’Apologie royale… de Claude i Saumaise, traduction en français de sa Defensio regia…

25.

« Dieu fasse qu’ils en produisent de meilleurs à l’avenir. »

V. note [25], lettre 246, pour Pierre Jarrige (mort en 1670) qui préféra ne pas réintégrer les rangs de la Compagnie de Jésus qu’il avait couverte de boue.

26.

Journal de la Fronde (volume i, fos 319 vo et 320 ro) :

« Mme la Princesse douairière est retombée malade à Châtillon, {a} la fièvre l’ayant reprise avec des assoupissements si grands qu’on doute qu’elle en puisse réchapper. La reine y a envoyé le sieur Vautier, premier médecin du roi ; et les sieurs de Nesmond et Ferrand sont allés la trouver ce matin, {b} le premier ayant reçu lettre de M. le Prince par laquelle il lui mande d’avoir soin de sa mère et de l’assurer de ses obéissances, et de lui faire savoir tous les jours des nouvelles de sa santé. »


  1. V. note [14], lettre 251.

  2. Le 11 novembre 1650.

Les autres mémoires du temps ne m’ont pas permis de trancher entre Vautier et Guénault pour le médecin qu’on envoya au chevet de la princesse, mais Guénault est le plus probable.

27.

De duplici viventium terra Dissertatio paradoxica. Autore Inl. Vir. Don. Iosepho Antonio Gonçalez de Salas Equite Calatrabensi Cruce Purpurato, Vetustæ admodum Domus de los Gonçalez de Vadiella Domino etc. Magni operis, quod inscribitur Epitoma geographico-historica αποσπασματιον.

[Dissertation paradoxale sur les deux terres des êtres vivants. Par l’illustre Don Iosephus Antonius Gonçalez de Salas, {a} chevalier de l’Ordre de la Croix pourprée de Calatrava, {b} seigneur de la très ancienne Maison des Gonçalez de Vadiella, etc. Extrait du grand ouvrage qui sera intitulé Abrégé historico-géographique]. {c}


  1. José Antonio González de Salas (Madrid 1588-ibid. 1651), gentilhomme humaniste et philologue espagnol.

  2. Ordre de chevalerie espagnol fondé au xviie s. à Caltrava (Qal’at Rabah) en Castille lors des guerres hispano-arabes.

  3. Leyde, Elsevier, 1650, in‑4o de 240 pages ; le grand ouvrage annoncé dans le titre est demeuré inédit.

    L’histoire de la Terre est divisée en deux périodes : avant et parès le Déluge.


28.

« et avec un index complet » :

T. Petroni Arbitri E.R. Satiricon. Extrema editio ex Musæo D. Iosephi Antonii Gonsali de Salas.

[Le Satyricon de Pétrone, l’Arbitre des élégances, chevalier romain. {a} Dernière édition tirée du cabinet de José Antonio González de Salas]. {b}


  1. V. note [14], lettre 41.

  2. Francfort, Wolfgangus Hofmannus, 1629, in‑4o. Les commentaires de González de Salas sont suivis de plusieurs annexes :

    • Gasparis Scioppii Franci Symbola critica in T. Petroni Abitrii Satiricon, scripta anno m. dc. iv. [Contributions critiques de Caspar Scioppius, Germain, {i} sur le Satiricon de Pétrone l’Arbitre, écrits en 1604] (pages 445‑462) ;

    • quatre index, dont le plus volumineux (64 pages) reprend toutes les locutions employées dans le roman, intitulé,

      Siren Latina, sive Suada Petroniana : hoc est, omnium purissimarum Vocum T. Petroni Arbitri Satirici promptuarium : ex Musæo Don. Iosephi Antonii Gonsalii de Salas, E.H.

      [Sirène latine, {ii} ou Suada {iii} pétronienne : magasin de toutes les expressions les plus pures du satiriste Pétrone l’Arbitre, tiré du cabinet de José Antonio González de Salas].

      1. V. note [14], lettre 79.

      2. V. notule {b‑vi}, note [2], triade 1 du Borboniana 11 manuscrit.

      3. V. note [7], lettre 33, pour Suada, déesse romaine de la persuasion.

29.

L’Histoire du maréchal de Guébriant… écrite par Jean Le Laboureur ne fut publiée qu’en 1656 (v. note [32], lettre 224).

30.

V. note [32] du Naudæana 3 pour la série complète des factums que Gabriel Naudé a publiés de 1649 à 1652, touchant sa dispute, contre les bénédictins (mauristes) et en faveur des augustins (génovéfains), pour défendre Thomas a Kempis comme véritable auteur de l’Imitation de Jésus-Christ (v. note [35], lettre 242).

31.

Gabriel Boule (né à Marseille, mort en 1650) s’était converti au calvinisme en 1610 pour devenir pasteur à Orange (en 1622) puis (en 1626) à Vinsobres près de Nyons en Dauphiné. Il était revenu à la religion romaine en 1637 et avait reçu une charge d’historiographe du roi qu’il exerça jusqu’à sa mort. Sa traduction de l’Histoire universelle du président de Thou fut refusée parce qu’on la jugea écrite en mauvais français (aux dires de Guy Patin, v. note [34], lettre 469) ; ce fut Pierre Du Ryer qui la publia partiellement en 1659 (v. note [9], lettre 441).

32.

Journal de la Fronde (volume i, fo 317 ro et vo, 4 novembre 1650) :

« Quelques ennemis de M. le cardinal ayant acheté des copies de son portrait, < les > ont attachées cette nuit à des poteaux en quatre endroits de Paris avec une corde qui entrait à l’endroit du col par deux trous qu’on y avait faits, et sortait au-dessus de la tête pour le faire paraître pendu en effigie ; et outre cela, ont appliqué aux coins des rues les deux placards ci joints :

Jules Mazarin,
Pour avoir diverses fois empêché la conclusion de la paix générale ;
Pour avoir fait commettre plusieurs assassinats, desquels par des preuves plus que suffisantes il a été convaincu d’être seul auteur ;
Pour avoir dérobé et transporté les deniers hors du royaume ;
Pour avoir vendu tous les bénéfices qui ont vaqué depuis la régence ;
Pour avoir voulu affamer la ville de Paris et sacrifier à sa haine les bourgeois d’icelle ;
Pour avoir fait enlever les blés hors du royaume et les avoir vendus secrètement aux ennemis de l’État ;
Pour avoir, par ses enchantements et sortilèges, suborné l’esprit de la reine ;
Pour avoir transgressé les coutumes de France et renversé les lois divines et humaines ;
Enfin, pour avoir été par des preuves certaines plusieurs fois convaincu de crimes de lèse-majesté au premier chef, a été condamné d’être pendu et étranglé ; et pour n’avoir encore pu être saisi et appréhendé au corps, son tableau attaché par les mains du bourreau à la potence et exposé pendant 24 heures ès lieux communs et destinés pour faire l’exécution des criminels, savoir à la place de Grève, à la Croix du Trahoir, {a} aux Halles et au bout du Pont-Neuf, le 4 novembre 1650.

Avis aux Parisiens
Peuple de Paris, considère que l’attentat fait samedi dernier en la personne de M. de Beaufort  {b} par le cardinal Mazarin est une marque assurée du dessein qu’il a de le perdre, car il ne l’a osé entreprendre tant qu’il l’a cru son protecteur, jusques à ce qu’il l’ait fait décrier par la ville par mille libelles diffamatoires contre ce seigneur ; et ne l’ayant pu obliger par ses artifices à consentir à sa ruine, il l’a voulu faire assassiner pour ensuite se venger de la ville de Paris, après s’être défait d’une personne si considérable et si incorruptible que les charges, alliances, ni les promesses n’ont pu détourner de tes intérêts, pour lesquels il sera toujours prêt d’exposer sa vie. »


  1. V. note [5], lettre 39.

  2. V. note [7], lettre 248.

Nicolas Goulas (Mémoires, tome iii, pages 263‑264) :

« Le peuple ne fit que rire et le laissa dépendre par les officiers du roi, sans faire de bruit ; ce que ses serviteurs et les personnes de bon sens expliquèrent que la Fronde ne voulait pas qu’il {a} revînt à Paris, afin d’avoir prétexte de le rendre odieux au peuple qui désirait passionnément le retour du roi, et d’exciter quelque sédition. »


  1. Mazarin.

Vallier (Journal, tome ii, pages 213‑214) :

« Enfin, le mépris que l’on avait conçu contre M. le cardinal Mazarin fut si grand et l’insolence des frondeurs, si extrême qu’ils ne craignirent point de faire attacher des portraits dans les principales places de Paris, comme à la Croix du Tiroir, au bout du Pont-Neuf et à la place Maubert, avec des placards imprimés, très injurieux et indignes du respect qui est dû à un premier ministre ; car quoique très malhabile et même très injuste, il n’appartient pas à des sujets d’user de telles voies qui tendent toujours à sédition et sont de très dangereuse conséquence. Ces portraits étaient au naturel, peints en huile et bien enchâssés, {a} et avaient au moins coûté deux pistoles chacun […] et les avait-on attachés et pendus au haut de ces grands poteaux de bois qui sont au milieu des rues et servent à soutenir les chaînes de la ville lorsqu’on les veut tendre.
M. le lieutenant civil en ayant eu avis le matin du 4 novembre, partit incontinent de chez lui pour aller ôter tous lesdits portraits, et commença par celui de la Croix du Tiroir, qui était si bien noué et attaché au poteau qu’il fallut couper la corde pour l’avoir. » {b}


  1. Encadrés.

  2. V. note [19], lettre 247, pour la réaction de Mazarin à cette méchanceté contre lui.

33.

De manière générale un hôtel-Dieu (maison de Dieu) était « le grand hôpital où on reçoit tous les malades dans la plupart des villes de France. Cet homme est menacé de mourir à l’hôtel-Dieu pour dire de mourir gueux et misérable ».

L’Hôtel-Dieu de Paris est réputé avoir été fondé en 651 par saint Landry, évêque de Paris. Il était bâti sur la rive sud de l’île de la Cité, entre le Petit-Pont et le Pont-au-Double (alors pont de l’Hôtel-Dieu, sur lequel l’hôpital était en partie construit), à quelques pas des Écoles de médecine (rue de la Hûchette). Institution religieuse charitable capable de recevoir plusieurs centaines de malades indigents, l’Hôtel-Dieu était placé sous l’autorité du Chapitre Notre-Dame et administré par un bureau des gouverneurs. Une quinzaine de chapelains et 120 religieuses augustines assuraient les soins quotidiens. Garçons chirurgiens et élèves sages-femmes y faisaient leurs premières armes sous la supervision d’un premier médecin placé à la tête d’un collège de six docteurs régents de la Faculté de Paris, d’un maître chirurgien et d’une maîtresse sage-femme titulaires. L’exercice hospitalier n’était pas alors une partie intégrante de l’apprentissage médical. La formation pratique des étudiants et bacheliers était considérée comme assez secondaire par rapport à leur formation dogmatique ; elle dépendait principalement des consultations gratuites dispensées par la Faculté chaque samedi matin (depuis 1639, v. note [5], lettre 32) ; certains privilégiés pouvaient aussi suivre de temps en temps un docteur régent de leur connaissance ou de leur parenté dans les visites qu’il faisait chez ses clients particuliers. Détruit au xixe s., l’Hôtel-Dieu a été reconstruit de 1868 à 1878 sur son emplacement actuel, de l’autre côté du Parvis Notre-Dame.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 4 novembre 1650

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(Consulté le 29/03/2024)

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