L. 86.  >
À Charles Spon,
le 19 juin 1643

Monsieur, [a][1]

Après vous avoir très humblement remercié de votre belle lettre datée du 2d de ce mois, je commencerai à vous faire réponse par l’action de grâces que je vous dois pour votre Phrygius [2] que j’attendrai en toute dévotion et patience. [1] J’ai fait ici imprimer depuis peu un livre français intitulé Considérations sur la Sagesse de Charron : [3] l’auteur en est inconnu, aut saltem non vult nominari ; [2] un temps viendra qu’il parlera. [4] C’est un in‑8o de 30 feuilles. J’en ai mis un dans votre paquet, je vous prie de l’avoir pour agréable ; lequel paquet je vous prie de me mander à qui vous désirez que je le délivre, étant accompli de tout ce que j’y veux mettre pour le présent. Le roi défunt [5] mourut à Saint-Germain [6] le jeudi, jour de l’Ascension, à deux heures trois quarts après midi. [7] Il fut ouvert le lendemain sur les dix heures du matin. On lui trouva le foie tout desséché, comme aussi était toute l’habitude du corps, un abcès crevé dans le mésentère [8][9] de la largeur d’un fond de chapeau, avec quantité de pus épandu dans le cæcum, côlon et rectum, qui en étaient tout gangrenés ; le pus en était un peu verdâtre et fort puant. Il avait vidé quelques vers [10] durant sa maladie, on en trouva encore un grand dans son ventricule, [3][11] avec cinq petits qui s’y étaient engendrés depuis peu, pour le lait [12] avec horrible quantité de sucre [13] qu’il a pris durant sa maladie, reclamantibus licet ac repugnantibus medicis[4] auxquels il n’a presque point cru en toute cette dernière maladie. Il avait aussi les deux poumons adhérents aux côtes et un abcès dans le gauche, avec beaucoup de sérosités dans le creux de la poitrine. [5][14] Voilà tout ce qui s’en est dit et dont tout habile homme peut mourir. M. Bouvard [15] n’est plus rien, il a de réserve une bonne pension et est retiré chez lui avec 70 ans qu’il a sur la tête. M. Cousinot, [16] son gendre, est premier médecin du roi et a suivi la fortune de son maître, M. le Dauphin. [17] J’ai grand désir de voir les Institutions du C. Hofmannus, [18] tâchez de les faire mettre sur la presse bientôt après que vous les aurez reçues. Pour le Palmarius de pomaceo[19] je ne l’oublierai point quand il se trouvera, il n’est pas mauvais. [6] Le Canonhierus de admirabilibus vini virtutibus [20] est un chétif ouvrage, aussi bien que tout ce qu’il a fait sur les Aphorismes d’Hippocrate [21] en deux volumes in‑4o fort gros. [7] Il semble que ces méchants et misérables écrivains ne brouillent du papier que pour fournir les beurrières et comme dit Martial, [22] Ne toga cordylis et pænula desit olivis[8] J’ai céans Loselius de podagra[23][24] in‑12. [9] Fabr. ab Aquapendente libellus de integumentis animalium [25] n’est pas nouveau, je l’ai vu in‑4o, impression d’Italie. [10] Tous les autres livres que vous m’indiquez me sont inconnus. Nous avons ici pour livres nouveaux celui de M. de Saumaise [26] in‑8o, fraîchement venu de Hollande, sub hoc lemmate : Funus linguæ Hellenisticæ, sive Confutatio exercitationis de Hellenistis et lingua Hellenistica, etc[11] Tout le livre est de 25 feuilles in‑8o contre Dan. Heinsius ; [27][28] duquel néanmoins on n’a pas vu l’Exercitation de deçà, ni M. Moreau [29] même, à qui j’ai présenté vos baisemains. Un chanoine de Limoges, [30] nommé M. de Cordes, [31] qui avait une fort grande bibliothèque [32] et qui se connaissait fort bien en livres, est ici mort depuis six mois. Il a ordonné par testament que sa bibliothèque fût vendue tout à un. Quelques marchands se sont présentés, et entre autres le cardinal Mazarin [33][34] qui en offre 19 000 livres. On en imprime le catalogue, in quo sunt pauci libri medici[12] M. Rigault, [35] bibliothécaire du roi, a mis au jour l’Octavius de Minucius Felix [36] in‑4ocum notis[13] Un président de Toulouse, [37] nommé M. de Gramond, [38] est ici qui a fait apporter un corps d’histoire de France en latin in‑foab excessu Henrici iv[14] imprimé à Toulouse, qui ne va que depuis l’an 1610 jusqu’en l’an 1628 ; mais on n’en fait point ici d’état et n’a aucun débit. Il a dit au commencement en parlant de l’Histoire de feu M. de Thou, [39] et en s’y comparant en quelque façon, Thuanus plura, ego maiora ; [15] mais le bon seigneur n’a que faire de craindre le coup, il ne viendra pas jusqu’à lui, il n’approche en rien de M. de Thou. Son latin n’est guère bon, il flatte fort les jésuites, il n’y a pas un éloge qui vaille, il y a peu de particularités, et n’est guère autre chose que le Mercure français [40] assez mal tourné. Cum primum animum ad scribendum appulit, id sibi negotii credidit solum dari, Richelio ut placerent, quas fecisset fabulas ; [16][41] car il a loué ce tyran [42] mort partout où il a pu ; mais il n’est plus temps, la mort les a trompés tous deux : l’un est passé, l’autre est venu trop tard.

Ce 9e de juin[17][43] Mme de Brassac [44] eut son congé de la reine [45] il y a environ dix jours, et Mme de Lansac [46] eut le sien il n’y en a que trois. [18] On a ôté le gouvernement de la Bastille [47] à M. du Tremblay, [19][48] frère du P. Joseph, [49] capucin[50] et a été donné à M. de Saint-Ange, [51] maître d’hôtel de la reine. [20] On a ôté la charge de surintendant des finances à M. Bouthillier, [52] et a été donnée à MM. de Bailleul [53] et d’Avaux. [54] Ce premier était chancelier de la reine, président au mortier ; ce second est frère du président de Mesmes, [55] il a été par ci-devant ambassadeur à Venise, en Pologne et Suède, et puis à Hambourg ; [21][56] et qui est même un des députés que la reine envoie pour traiter de la paix générale. [57] C’est un excellent homme, plein d’honneur et de mérite. Tout le monde croyait ici que la reine donnerait les sceaux à M. le président de Bailleul qu’elle aime fort, il y a longtemps ; mais il y a apparence qu’il n’est pas réservé pour cela puisqu’elle l’a fait être surintendant ; à cause de quoi on croit ici que le chancelier[58] qui branle bien fort, [22] sera un de ces premiers jours désappointé et que les sceaux seront rendus à M. de Châteauneuf [59] qu’elle a tiré de prison d’Angoulême [60] où il était il y a dix ans passés. C’est un homme d’exécution qui n’épargnera pas toute la séquelle et la troupe cardinalesque, à laquelle les gens de bien espèrent que l’on fera bientôt rendre gorge de tant d’or et d’argent qu’ils ont pillé et volé per fas et nefas [23] sous la tyrannie de ce bourreau, dont les poètes de ce temps faisaient rimer le nom à demi-dieu. [24] Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il est de ces flatteurs, poétastres et rimailleurs, [25] qui par leurs flatteries gâtent et corrompent les esprits de nos princes et de ceux qui nous gouvernent. Vous en verrez une très belle remarque dans l’Histoire de M. le président de Thou, sur la fin de Henri ii[61][62] en ces mots : Nec inter postrema corrupti sæculi testimonia recensebantur poetæ Galli, quorum proventu regnum Henrici abundavit, qui ingenio suo abusi per fœdas adulationes ambitiosæ fœminæ blandiebantur, iuventute interim corrupta, etc[26] On dit que tous les princes sont en état de traiter de la paix universelle, hormis l’Espagnol qui n’y veut pas admettre les ambassadeurs du roi de Portugal ; [63] de qua contentione Deus ipse viderit[27][64] Nous avons une reine régente très libérale et qui ne refuse rien. On dit ici que depuis un mois elle a donné la valeur de six millions ; je souhaite qu’il lui en prenne mieux qu’à la feu reine mère, [65] laquelle, au commencement de sa régence, donna prodigieusement à tous les grands, la plupart desquels l’abandonnèrent quand elle n’eut plus rien à leur fourrer. Elle a affaire à d’étranges gens qui sont des courtisans : utinam bene illi cedat, et omnia eius consilia sint fortunatissima, et ex voto bonorum[28]

Ce 16e de juin. La reine, en continuant son dessein, a pratiqué un proverbe grec qui enseigne qu’il faut tuer les louveteaux après qu’on a tué les loups, Stultus qui, occiso patre, sinit vivere liberos[29][66][67] Elle a ôté la charge de surintendant des finances à M. Bouthillier, [68] il y a plusieurs jours ; et depuis deux jours, elle a ôté la charge de secrétaire d’État à M. de Chavigny, [69] son fils. [30] On a aussi mandé au sieur de La Meilleraye, [70] grand maître de l’Artillerie, qu’il ait à venir en la cour, je pense que c’est pour lui ôter le gouvernement de Bretagne. [31][71] Il a outre cela de belles charges et encore bien de l’argent caché, selon la doctrine de son cher prototype, [32] qui ne faisait la guerre et ne brouillait tout que pour avoir de l’argent. Mais à propos de ce docteur à bonnet rouge, je veux vous faire part des vers latins qui me furent hier donnés sur sa mort :

Qui Patribus populoque, et carnem rosit et ossa,
Quam merito carnem rosus et ossa perit !
 [33]

Je pense aussi que vous vous souvenez bien comme il revint de Tarascon [72] à Paris dans une machine avec laquelle, comme par le moyen d’un pont, il se faisait entrer dans les maisons. Et comme on disait aussi que son dessein était de devenir pape, [34] ou au moins patriarche en France, voici d’assez bons vers sur sa machine et sur son pontificat :

Cum fortibus spretis media in tabulata domorum
Richelio placuit scandere ponte novo :
Aut hæc in nostros fabricata est machina muros,
Aut aliquid, dixit Gallia, triste latet.
Ast ego, venit ad hoc post tot molimina, dixi,
Quo sese posset dicere Pontificem
[35]

Le garde des sceaux de Châteauneuf est à une lieue d’ici en sa belle maison de Montrouge, [73] où on croit qu’il n’attend que l’heure d’être rappelé pour reprendre les sceaux. [36] Le chancelier d’aujourd’hui est toujours en branle et ne crois pas qu’il dure longtemps, combien que l’on dise qu’il ait reçu quelques bonnes paroles de la reine qui semblent le confirmer. M. d’Elbeuf [74] est ici de retour, et Mme de Chevreuse [75][76] aussi. [37] Excusez ma prolixité, c’est qu’il ne m’ennuie pas de parler avec vous, adeo suave est tanto amico colloqui[38] Je vous baise les mains très humblement et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 19e de juin 1643.

M. d’Avaux, nouveau surintendant, dit hier au matin qu’il partirait le mois prochain pour s’en aller en Allemagne où il espérait d’y rendre un grand service à la France, savoir d’y faire la paix, et qu’il la tenait presque assurée.


a.

Ms BnF no 9357, fos 6‑7 ; Triaire no lxxxviii (pages 301‑309) ; Reveillé-Parise, no clxxvi (tome i, pages 288‑293). Au revers, de la main de Charles Spon : « 1643, Paris 19, Lyon, 24 juin ; Risposta 7 juillet. »

1.

Commentaire sur les Épidémies d’Hippocrate de Phrygius (Pietro Francesco Frigio) : Lyon, 1643, v. note [11], lettre 78.

2.

« ou, du moins, ne veut pas être nommé » ; il s’agissait des :

Considérations sur la Sagesse de Charron, {a} en deux parties par M. P.G. D. en M. {b}


  1. V. note [7], lettre 73, pour ce livre de Pierre Charron, que vénérait Guy Patin.

  2. Paris, Claude Le Groult et Jean Le Mire, 1643, in‑8o de 456 pages.

    Achille Chéreau (Bibliographia Patiniana, page 16) a épilogué sur sa publication :

    « C’est aux soins de Guy Patin qu’on doit l’impression de ce livre, dont il avait depuis longtemps le manuscrit entre les mains. […] Les imprimeurs s’étaient trompés en mettant P.G. D. en M. pour P.C. D. en M. (Pierre Chanet, docteur en médecine) : {i} un G à la place d’un C. ; {ii} la même erreur existe dans le privilège, daté du 30 janvier 1643. […]

    Pierre Chanet ne tenait pas absolument au voile dont il avait couvert son nom car, l’année suivante, il le déchirait et publiait une seconde édition de son ouvrage : même format, même pagination ; mais l’avis “ Aux lecteurs ” est changé ; P.G. D. en M. deviennent sieur Chanet. » {iii}

    1. Pierre Chanet (né vers 1603 à Marans en Aunis), médecin de La Rochelle : Patin l’a dit Chanet âgé d’environ 40 ans en 1643, et signalé sa mort en 1651.

    2. V. note [1], lettre 91.

    3. La page de titre de la réédition de Paris, 1661, ne laisse plus planer aucun doute.

Le point le plus curieux de cette affaire est que Patin ait favorisé la parution du livre de Chanet, car il y attaquait Charron et son maître Montaigne ; cela lui valut une vive réplique de Samuel Sorbière (Triaire et La France protestante).

3.

Ventricule est l’ancien nom de l’estomac ; le mot servait aussi (et sert toujours) à désigner les deux grandes cavités du cœur et celles du cerveau.

4.

« en dépit des protestations et interdictions des médecins ».

Au xviie s., le sucre n’était pas la denrée d’usage courant que nous connaissons aujourd’hui. C’était principalement un médicament que les apothicaires faisaient venir à grands frais des Indes. Furetière le décrivait en 1689 comme une intéressante substance qui commençait à perdre sa rareté :

« Suc, ou jus extrêmement doux et agréable, exprimé de certaines cannes qui croissent aux Indes Orientales et Occidentales. Elles sont noueuses. La tige a par bas trois ou quatre pouces de tour, et elles croissent jusqu’à dix pieds de haut. Leur couleur est d’un vert jaune qui porte au-dessus plusieurs feuilles en floquet, longues et aiguës. On a tort de croire qu’elles aient été inconnues aux Anciens. Dioscoride, Galien, Théophraste, Lucain, Pline, Arrian, Sénèque le Jeune et Strabon en ont parlé, et l’ont appellé sel d’Inde, qui coulait de lui-même comme une gomme. Saumaise {a} dit que ces cannes d’Inde étaient fort grosses, que les Indiens les appelaient “ sacamamba ”, et les Latins “ canamelle ”, a canna et melle. {b} Mais l’invention d’en tirer le sucre est nouvelle. Ils savaient pourtant tirer le suc des cannes, mais ils ne savaient pas l’art de le condenser, de le durcir et de le blanchir. On le tire de petites cannes qu’on brise avec des moulins et pressoirs, dont le jus tombe dans des tines {c}, lequel on cuit et recuit jusqu’à ce qu’il ait acquis consistance ; ce qu’il n’acquiert jamais qu’on n’ait jeté dedans du jus de limon. On en fait des pains de figure conique, quand on l’affine, qui servent à assaisonner les fruits et à les confire pour les garder. »


  1. Claude i Saumaise, v. note [16], lettre 95.

  2. « de canne et miel. »
  3. Petites cuves.

Le sucre de canne était alors un luxe réservé aux tables les plus riches. Les autres agrémentaient leurs friandises avec celui du miel ou des fruits.

5.

Dans La mort de Louis xiii, Étude d’histoire médicale d’après de nouveaux documents (Paris, A. Fontemoing, 1897, in‑8o), chapitre intitulé Pompe funèbre et obsèques (pages 47‑61), Paul Guillon a transcrit les circonstances et le rapport officiel de l’autopsie du roi (extraits du manuscrit de Chantilly, no 437, fos 369‑448). Elle eut lieu au château de Saint-Germain le 15 mai à cinq heures du matin « en la galerie qui est proche du cabinet dans lequel le roi était mort ».

Les médecins et chirurgiens présents étaient Charles i Bouvard, premier médecin du roi, Pierre i Seguin, premier médecin de la reine, François Vautier (v. note [26], lettre 117), premier médecin de la feu reine mère du roi (Marie de Médicis), Abel Brunier (v. note [14], lettre 246), premier médecin de M. le duc d’Orléans, Jean Chicot et Augustin Conrade médecins du roi lors en quartier, Michel i de La Vigne, doyen de la Faculté, René Moreau, lecteur et professeur ordinaire du roi, Pierre Yvelin, médecin de la reine régente, Jean de Nogent, médecin servant du duc d’Orléans, Baptiste Bontemps, premier chirurgien et premier valet de chambre de Sa Majesté, Nicolas Pescheval premier chirurgien de la reine régente, Mathieu Colart, premier chirurgien du duc d’Orléans, Antoine Regnault, Pierre Lycot et Alexandre Le Roy tous trois chirurgiens servants du roi, Sébastien Colin, chirurgien de longue robe à Paris, « appelés pour assister à ladite ouverture à laquelle opéraient les sieurs Regnault, Lycot et Le Roy de la main, le sieur Bouvard premier médecin verbalisait et le sieur Moreau médecin susdit écrivait ».

« Rapport des médecins étant à l’ouverture du corps du roi.
Nous avons trouvé les cinq téguments universels communs et particuliers consommés, l’épiploon aussi consommé, les intestins grêles démesurément boursouflés et de couleur blafarde, et nageant dans une quantité de sérosités sanieuses et purulentes, la face extérieure du foie toute pâle comme ayant été bouilli, l’estomac rempli d’une sérosité noirâtre avec un ver de demi-pied de longueur et plusieurs autres petits, laquelle matière avait marqueté {a} le fond de l’estomac, l’intestin duodénum {b} d’une grandeur démesurée rempli de bile porace, {c} le jéjunum {d} rempli de même matière et tout jaune par dedans, l’ileum {e} moins teint et moins plein d’une matière plus épaisse, le cæcum {f} dès son commencement rouge et dépouillé de sa membrane charnue, continuant de plus en plus jusqu’à la fin du côlon, où s’est trouvé un ulcère qui a percé l’intestin causé par la descente de la boue qui sortait du mésentère {g} inférieur qui s’est trouvé ulcéré en plusieurs endroits, et qui a versé sa matière purulente qui s’est trouvée amassée dans tout le ventre, dans laquelle nageaient les intestins, à la quantité de plus d’une chopine. {h} Outre la couleur susdite du foie, on a trouvé en sa partie cave {i} qu’il se fendait et rompait en le touchant, dépouillé de sa propre membrane ; étant coupé, il s’est trouvé tout desséché et recuit dedans comme dehors. Au rein droit il s’est trouvé un petit abcès plein de boue verte enfermée dans un kyste dans sa partie intérieure et charnue. Tout le poumon du côté gauche entièrement attaché aux côtes et moins du côté droit ; en la partie supérieure du gauche, s’est trouvée une grande cavité ulcérée pleine de boue. Tous lesquels accidents ont été reconnus pour véritables causes de son décès. »


  1. Strié.

  2. Premier segment de l’intestin grêle, situé à la sortie de l’estomac.

  3. Couleur verdâtre tirant sur celle du poireau.

  4. Deuxième segment du grêle.

  5. Iléon, troisième et dernier segment du grêle.

  6. Premier segment du côlon (gros intestin), où s’abouche l’iléon.

  7. V. note [4], lettre 69.

  8. Moitié d’une pinte.

  9. Sa concavité, c’est-à-dire sa face inférieure.

Ces observations ont mené à évoquer deux diagnostics : soit une tuberculose multiviscérale (poumon, rein, côlon), soit une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (recto-colite hémorragique ou maladie de Crohn, qui aurait incommodé Louis xiii pendant de longues années) compliquée de tuberculose ; v. par exemple Sidney Goldfischer et Michel Janis, A 42-year-old king with a cavitary pulmonary lesion and intestinal perforation [Un roi de 42 ans avec une caverne pulmonaire et une perforation intestinale] (Bulletin of the New York Academy of Medicine, 1981 ; 57 : 139‑143).

Le rapport d’Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, pages 43‑44) est plus politique et moins savant :

« Le lendemain de sa mort, il fut ouvert en présence du duc de Nemours et du maréchal de Vitry, députés à cet effet, étant de l’ordre que l’ouverture se fît en présence d’un prince et d’un officier de la Couronne. Il avait un abcès dans le poumon, un dans le mésentère, un dans le foie et un dans le rein ; il avait les boyaux percés et, dans le creux de l’estomac, un sac plein de vers ; les uns disent que ce sont les vers qui les ont percés, les autres que c’est du poison. Néanmoins, l’on dit que les médecins ont donné certificat comme < quoi > il n’y avait pas de poison. Dans le petit ventre, il y avait une telle corruption que ceux qui l’ouvraient pensèrent crever. »

6.

V. notes [17], lettre 79, pour le livre « sur le cidre » de Julien Le Paulmier, et [12], lettre 92, pour les Institutiones de Caspar Hofmann (Lyon, 1645).

7.

Médecin natif de Gênes au xvie s., mort à Anvers en 1639, Pietro Andrea Canonhiero (Oetrus Andreas Canonherius), avait quelque temps pratiqué à Parme où il avait été reçu docteur en droit ; puis il s’était rendu en Espagne, avait pris du service dans les troupes espagnoles et publié quelques ouvrages sur la politique, dédiés au roi Philippe iv. Il s’établit ensuite à Anvers, partageant son temps entre les professions d’avocat et de médecin (in Panckoucke). Guy Patin citait ici deux de ses ouvrages :

Avec ses 1 857 pages de commentaires, Canonhiero illustrait la fascination qu’exerçaient au xviie s. les Aphorismes (Αφορισμοι) d’Hippocrate, œuvre tenue pour la plus authentique (v. note [6], lettre latine 356, pour les doutes légitimes de Prospero Marziano) et la plus célèbre, après son bref Serment (celle dont tout le monde se souvient aujourd’hui, v. note [8], lettre 659). C’est une suite de brèves sentences médicales réparties en sept sections qui servait de bréviaire aux médecins du temps de Guy Patin. Chaque étudiant devait les connaître par cœur et être capable d’en faire sur-le-champ un commentaire pertinent. Plus de deux mille ans après avoir été écrits, les Aphorismes formaient le socle de tout enseignement médical digne de ce nom. De très nombreux auteurs des xvie et xviie s. se sont attachés à les commenter et à les traduire (en latin, en français, en prose et en vers). En dehors de quelques généralités sur l’art de soigner, on s’échinerait en vain aujourd’hui à y trouver une parcelle de vérité médicale qui eût résisté à l’érosion des siècles : ils sont à vrai dire devenus aussi indigestes qu’opaques.

Dans le premier paragraphe de sa lettre latine 356 (v. ses notes [1][8]), Guy Patin a recensé et approuvé quelques-uns des nombreux critiques (dont Galien) qui ont mis en doute l’authenticité de tous les Aphorismes qu’on a attribués à Hippocrate.

8.

« Pour que les thons ne manquent pas de toge, ni les olives de manteau » ; Martial (Épigrammes, livre xiii, 1, vers 1) destinait les écrits de ses critiques (« ces papyrus égyptiens qui me font du tort ») à l’emballage des denrées sur le marché.

9.

Johann Lösel (Johannes Losellius, Brandebourg-sur-la-Havel 1607-Königsberg 1655), professeur d’anatomie et de botanique à l’Université de Königsberg :

De Podagra tractatus morbi huius indolem et curam diligenter exponens. Editio secunda locupletata .

[Traité sur la Podagre, {a} exposant soigneusement sa prédisposition et son traitement. Seconde édition enrichie]. {b}


  1. Goutte du pied.

  2. Leyde, Ioannes Maire, 1639, in‑12, avec l’Encomium podagræ [Éloge de la podagre] de Jérôme Cardan.

10.

Gerolamo Fabrizio (Aquapendente, Latium 1537-1619), généralement connu en France sous le nom de Fabrice d’Aquapendente, a été le plus célèbre médecin italien du xvie s. Il fit ses études à Padoue où il apprit le grec, le latin, la philosophie, puis la médecine sous l’illustre Gabriel Fallope (v. note [16], lettre 427). Le brillant élève hérita de la chaire du maître en 1565, ce qui permit à Padoue de confirmer son rang de capitale européenne de l’anatomie. Outre son œuvre chirurgicale, le plus grand mérite de Fabrizio a été de confirmer, au milieu des querelles les plus animées, l’existence de valvules dans les veines (1574, v. note [13] de la Consultation 16), progrès capital qui permit à William Harvey (v. note [12], lettre 177), son élève, de comprendre la circulation du sang. Guy Patin citait ici son De totius animalis integumentis Opusculum [Opuscule sur les intéguments (membranes qui couvrent les parties internes du corps) de l’animal tout entier] (Padoue, L. Pasquati, 1618, in‑4o).

11.

« sous ce titre : “ Funérailles de la langue hellénistique, ou réfutation de l’Exercice sur les hellénistes et la langue hellénistique, etc. [de Daniel Hensius] ” » : v. note [4], lettre 53, pour ce livre de Claude i Saumaise (Leyde, 1643) contre Heinsius.

Dans la même veine, Saumaise a publié le de Hellenistica Commentarius, controversiam de lingua Hellenistica decidens, et plenissime pertractans Originem et Dialectos Græcæ Linguæ [Commentaire sur l’hellénistique, tranchant la controverse sur la langue hellénistique, et étudiant à fond l’origine et les dialectes de la langue grecque] (ibid. Elsevier, 1643, in‑8o de 664 pages).

12.

« où il y a peu de livres médicaux », v. note [2], lettre 85.

13.

M. Minucii Felicis Octavius, et Cæcilii Cypriani liber de Idolor. vanitate. Nova editio ad fidem veterum exemplarium. Nicolai Rigalti Observationes.

[L’Octavus de Marcus Minucius Felix, {a} et le Livre sur la vanité des idoles de Cæcilius Cyprianus. {b} Nouvelle édition fidèle aux anciens exemplaires. Observations de Nicolas Rigault]. {c}


  1. Marcus Minucius Felix, écrivain latin du iie s. ou iiie s., originaire d’Afrique du Nord, s’était converti au christianisme sur la fin de sa vie. Il figure parmi les Pères de l’Église romaine. Son Octavius est un dialogue visant à montrer que les grands philosophes de l’Antiquité ont été les précurseurs de la doctrine chrétienne.

  2. V. note [13], lettre 195, pour Thascius Cæcilius Cyprianus (saint Cyprien de Carthage), à qui est attribué le livre de Idolorum vanitate.

  3. Paris, veuve de Mathurin du Puis, 1643, in‑4o de 246 pages.

Nicolas Rigault (Rigaltius, Paris 1577-Toul 1654) avait d’abord étudié le droit à l’Université de Poitiers, puis s’était rendu à Paris où il fréquenta le barreau, devint l’ami de Scévole i de Sainte-Marthe, et entra en relation avec l’historien Jacques-Auguste i de Thou qui le chargea en mourant de veiller à l’éducation de ses enfants. Rigault avait été nommé garde de la Bibliothèque du roi en 1614 après la mort d’Isaac Casaubon. Rigault était ensuite successivement devenu conseiller au parlement de Metz (1633), procureur général près la cour de Nancy, et enfin intendant de la province de Toul (G.D.U. xixe s.). Parmi bien d’autres ouvrages, il a ajouté trois livres à l’Histoire universellede de Thou (années 1607 à 1610) qui ont été publiés dans l’édition de Londres et dans la traduction française de cet ouvrage en 1734 (référencée Thou fr dans notre corpus).

14.

« depuis la mort de Henri iv », v. note [11], lettre 84.

15.

« les œuvres de de Thou sont plus copieuses, les miennes sont plus grandes. »

La citation se trouve au 2e paragraphe du Liber Primus (page 3) du livre de Gramond :

Exacti historiam seculi tradidit Thuanus Præses, a Francisco primo, in Henricum iv mihi a Ludovico xiii principium et finis. Thuano sexaginta anni spatium scribendi, mihi triginta tres : sex illi reges, unus mihi cuius tempora memorem : ille plura, ego maiora scribo : illi ab opere, mihi a materie dignitas est ; utrique in patriam amor. At ne comparatione vilescat vir magnus, ire in vestigia præcursoris, quanquam é longinquo, pro magnifico habeo. Mihi studium ingens compilandis memorialibus libris, quo res pure traderem, ut consultæ, ut gestæ. Ceterum nihil odio, nihil per gratiam scribo : una omnium mihi caussa est, neminémque habeo procul, dum omnibus bona fide insisto. Laudo, vitupero, irascor, ut virtus, ut vitia cogunt. Nec mihi iudicium arrogo : opera et stylus mea sunt, cetera actorum.

[Le président de Thou a relaté l’histoire du siècle passé, depuis François ier jusqu’à Henri iv ; pour moi, je suis allé du commencement à la fin de Louis xiii. Ses écrits ont couvert un espace de 60 années, le mien 33 ; pour lui six rois, pour moi un seul dont je raconterai l’époque ; lui a écrit plus de choses, mais moi de plus grandes ; lui tire mérite de son ouvrage, moi de mon sujet, et tous deux de notre amour pour la patrie. Mais pour que la comparaison ne dévalue pas ce grand homme, je me flatte de suivre les pas d’un tel précurseur, même si je m’en tiens fort éloigné. À mon avis, il a mis un zèle immense à piller les mémoires : sitôt étudiés, sitôt emportés, à proprement parler. Je n’écris rien par haine ni par flatterie des autres : je m’intéresse à tous et ne laisse personne à l’écart, je m’attache à tout de bonne foi. Je loue, je blâme, je m’emporte, quand les vertus, quand les vices m’y pressent. Je ne m’arroge pas le pouvoir de juger. Le travail et la plume sont de moi, le reste appartient à ceux dont j’écris les actes].

16.

« Dès qu’il a tourné son esprit vers l’écriture, il s’est seulement consacré à produire des fables qui plussent à Richelieu » ; parodie des vers de Térence (Andria, vers 1‑3) :

Poeta quum primum animum ad scribendum appulit,
Id sibi negoti credidit solum dari,
Populo ut placerent quas fecisset fabulas
.

[Un poète dont l’esprit s’est tourné vers l’écriture, s’y est seulement consacré à produire des fables qui plussent au peuple].

Bayle sur de Gabriel Barthélemy de Gramond :

« Le style de cet auteur est un peu trop concis et n’est pas assez naturel, mais il témoigne que le président de Gramond possédait bien la langue latine. […] Christien Funccius {a} débite que le président de Gramond, ayant suivi les traces de M. de Thou dans la hardiesse de dire la vérité, et de découvrir les fautes du gouvernement et celles des grands seigneurs, se fit beaucoup d’ennemis et n’était pas même en sûreté au milieu de sa patrie. […] M. Graverol, avocat de Nîmes qui avait de grandes habitudes à Toulouse et que j’avais consulté sur ce fait, me répondit plusieurs choses, mais rien qui me fît connaître qu’il eût jamais ouï parler d’une telle chose. […] Les Lettres de Patin ne confirment guère ce que l’auteur allemand {a} débite : tant s’en faut que Guy Patin nous représente M. de Gramond comme un martyr de la vérité, qu’il le traite de lâche flatteur. Je crois qu’il outre les choses et qu’au pis aller, l’extrémité de l’écrivain allemand serait moins vicieuse que celle de Guy Patin. »


  1. Christian Funcke (1626-1694), recteur du collège de Görlitz.

17.

Première apparition dans les lettres d’une date inscrite en marge par Guy Patin : ce procédé, très souvent repris par la suite, établit que les longues lettres étaient écrites en plusieurs temps, à la manière d’un journal. Malheureusement, les éditions imprimées ne fournissent cette précieuse information qu’irrégulièrement en la mettant le plus souvent entre parenthèses dans le texte ; on a alors rétabli la manière de Patin chaque fois que possible.

18.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, page 67) :

« Le jeudi matin 11 juin, […] chez M. Le Gras, {a} qui nous a dit que Mme de Lansac avait eu la veille son congé ; qu’elle avait voulu parler à la reine et se plaindre, mais qu’elle n’en était pas sortie satisfaite ; que Mme de Senecey avait sa place avec celle de dame d’honneur. Il me dit que Mme de Lansac avait été si insolente que de faire proposer à la reine, par un capitaine des gardes, qu’elle ferait une action de grande prudence de demander au roi permission de se retirer dans quelque belle maison et de lui laisser ses enfants. La reine répondit à ce capitaine des gardes qu’il était un fou et un insolent, et qu’elle l’avait dit au cardinal, {b} qui avait fait semblant de l’improuver. »


  1. Secrétaire de la reine Anne d’Autriche.

  2. Mazarin.

19.

Charles Leclerc, seigneur du Tremblay (mort en 1655) était le frère aîné du P. Joseph (l’Éminence grise, v. note [8], lettre 19).

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome ii, pages 602‑603) :

« Chacun dans la Bastille disait : “ Je pourrai bien sortir de céans en tel temps. – Et moi, disait-il, {a} j’en sortirai quand M. du Tremblay en sortira. ” Le cardinal {a} étant malade, du Tremblay lui dit : {a} “ Si M. le cardinal meurt, vous ne demeurerez guère ici. – Ni vous aussi ”, répondit-il. ».


  1. Le maréchal de Bassompierre.

  2. Richelieu.

  3. Au maréchal.

Guy Patin se trompait : M. du Tremblay conserva son gouvernement jusqu’en janvier 1649 (v. note [12], lettre 166).

20.

François Le Charron, baron de Saint-Ange (mort le 17 février 1651) premier maître d’hôtel d’Anne d’Autriche (1620), avait épousé en 1621 Madeleine de Boulogne (1606-1667). Fort endetté, en 1624, Saint-Ange avait pu redresser ses finances grâce à l’aide de son beau-père et retrouver une vie mieux réglée grâce à la dévotion de sa femme, fort liée aux jansénistes. Ayant cédé sa charge à son fils en 1650, il se retira du monde pour son château de Saint-Ange et « n’y penser le reste de ses jours qu’à servir Dieu ». Après sa mort, survenue subitement, sa femme régla les affaires familiales et prit le voile à Port-Royal, en 1652, sous le nom de sœur Anne de Sainte-Eugénie de Boulogne (Dictionnaire de Port-Royal, page 900).

21.

Située sur l’Elbe à 110 kilomètres de son embouchure dans la mer du Nord, Hambourg, ville hanséatique (v. note [16], lettre 392) du duché de Holstein (Basse-Saxe), était déjà le plus grand port d’Allemagne.

22.

Reprise de la grivoiserie de Bassompierre sur le Chancelier Séguier : v. post-scriptum de la lettre du 19 juin 1643 à Claude ii Belin.

23.

« par tous les moyens, bons comme mauvais [de façon licite comme illicite] ». Une plume, qui n’est pas celle de Guy Patin, a rayé « la tyrannie de ce bourreau » pour le remplacer (en marge) par « le gouvernement de cet homme ».

24.

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, page 272) :

« Il {a} était avide de louanges. On m’a assuré que dans une épître liminaire d’un livre qu’on lui dédiait, il avait rayé héros pour mettre demi-dieu. »


  1. Richelieu.

25.

Poétastre, « mauvais poète » (La Curne de Sainte-Palaye).

26.

Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou (livre xxii, règne de Henri ii, année 1559, Thou fr, volume 3, page 368‑369), avec en italique la traduction du passage cité par Guy Patin :

« On n’oubliait pas les actions particulières de ce prince qui, étant marié, {a} avait pris une maîtresse, {b} laquelle l’avait comme enchanté par ses maléfices, et avait seulé régné. On disait que de là étaient nés un luxe prodigieux, la dissipation des finances, des débauches honteuses, et la cupidité insatiable des courtisans. En parlant de ce siècle corrompu, il ne faut pas oublier les poètes français, qu’il enfanta en grand nombre. Ces poètes, abusant de leurs talents, flattaient par des éloges honteux une femme vaine, détournaient les jeunes gens des études sérieuses et utiles pour lire des vers obscènes, et gâtaient l’esprit et le cœur des jeunes personnes du sexe le plus faible par des chansons licencieuses. »


  1. Avec Catherine de Médicis.

  2. Nicole de Savigny.

Henri ii (Saint-Germain-en-Laye 1519-Paris 1559), deuxième fils et successeur de François ier, fut reconnu duc de Bretagne en 1536 et couronné roi de France en 1547. Après avoir passé son règne à lutter contre la Réforme et à faire la guerre (aux Impériaux, aux Anglais, aux Italiens), il mourut à la suite d’un tournoi où il avait reçu un coup de lance dans l’œil, malgré les soins que lui prodiguèrent Ambroise Paré (André Vésale fut appelé, mais arriva trop tard pour agir). Époux de Catherine de Médicis (v. note [35], lettre 327), trois de leurs dix enfants devinrent successivement rois de France, sous les noms de François ii, Charles ix et Henri iii, le dernier des Valois.

27.

« Dieu seul connaît la vérité de cette querelle » (Cicéron, v. note [9], lettre 66).

Le roi du Portugal était Jean iv, duc de Bragance (Villa Viçosa 1604-Lisbonne 6 novembre 1656), descendant du premier duc de Bragance, Alphonse, fils bâtard du roi Jean ier d’Aviz, lui-même bâtard du roi Pierre ier. Il avait pris la tête de la révolte du Portugal contre les Catalans et été couronné roi à Lisbonne le 15 décembre 1640, après la réussite de la conspiration de Pinto qui arrachait le Portugal à la domination espagnole (v. note [11], lettre 55). En 1641, Jean iv avait passé un traité d’alliance avec la France. Reconnu par l’Angleterre, les Provinces-Unies et la Suède, il fut méprisé par Rome qui refusa de recevoir son ambassadeur. Appuyé par Richelieu et l’Angleterre, il avait non seulement pu résister aux Espagnols, mais encore les battre à plusieurs reprises, notamment à Badajoz (1644), à Montijo et à Montes-Claros (1645). En outre, il obtint de très grands avantages au Brésil, qu’il enleva totalement aux Hollandais (1654). Le bonheur étonnant que Jean iv eut dans toutes ses entreprises lui fit donner le surnom de Fortuné. À l’intérieur, il eut à réprimer deux conspirations, l’une fomentée par Matos, archevêque de Braga (1641), l’autre qui avait pour but de l’assassiner (1647), et il s’affermit alors sur le trône, qu’on avait conquis pour lui. Son pays lui dut quelques institutions utiles ; mais ce prince, doux, timide, circonspect, avait plus de talent pour les arts que de capacité politique. L’âme virile et l’activité de son épouse, Françoise de Guzmán, l’habileté de ses ministres, aussi bien que l’incapacité des hommes d’État de l’Espagne, firent sa fortune. Ce fondateur de dynastie fut le plus habile musicien de son temps. Il a laissé quelques ouvrages de critique musicale et composé de nombreux morceaux (G.D.U. xixe s.).

28.

« plaise à Dieu qu’il lui en arrive du bien, et que toutes ses décisions soient très heureuses et prises dans l’intention de bien faire. »

C’était le moment où au début de sa régence, dans l’enivrement de son pouvoir, Anne d’Autriche ne savait rien refuser aux courtisans avides, et où les finances et les grandes charges de l’État étaient au pillage, comme au temps de Marie de Médicis (« la feu reine mère »). On colportait ces vers à la cour :

« La reine donne tout,
Monsieur joue tout,
M. le Prince prend tout,
Le cardinal fait tout,
Le chancelier scelle tout. » {a}


  1. V. note [40], lettre 97.

Ils peignaient la faiblesse de la reine, la passion pour le jeu du duc d’Orléans, l’avarice du prince de Condé et la constante obéissance de Séguier au pouvoir royal (Triaire).

Retz (Mémoires, page 273) :

« Vous pouvez juger qu’il ne me fut pas difficile de trouver ma place dans ces moments, dans lesquels d’ailleurs l’on ne refusait rien ; et La Feuillade, frère de celui que vous voyez à la cour, disait qu’il n’y avait plus que quatre petits mots dans la langue française : “ La reine est si bonne ! ” »

29.

« Est insensé celui qui, ayant tué le père, permet à ses enfants de vivre » : Stultus qui patre cæso liberis pepercit [Est fou celui qui, ayant assassiné le père, a épargné les enfants] dans Érasme (Adages, no 953), qui a donné plusieurs variantes latines de ce proverbe, dont il attribue la paternité à Aristote : και τους ελους αναιροιν, ων και τους πατερας.

30.

Chavigny n’avait pas attendu d’être relevé de ses fonctions. Dès que la disgrâce de son père avait été certaine, il s’était retiré et avait vendu sa charge de secrétaire d’État à Henri de Loménie de Brienne. Mazarin le fit cependant rentrer au Conseil comme secrétaire d’État, en septembre 1643 (Triaire).

31.

La Meilleraye se fit prier. Cette invitation lui paraissait redoutable et il craignait qu’on ne voulût l’attirer à la cour pour l’arrêter ; il avait été témoin de tant de précédents sous Richelieu. Le cardinal Mazarin le fit rassurer. On voulait non lui enlever le gouvernement de Bretagne, que Mme de Chevreuse, au nom du parti des Importants (v. note [15], lettre 93), réclamait pour l’ambitieuse Maison de Vendôme, mais en faire passer le gouvernement nominal à la reine, en laissant au maréchal toute l’autorité avec le titre de lieutenant de roi (Triaire).

32.

Le cardinal de Richelieu, cousin germain de La Meilleraye.

33.

« Celui qui a rongé la chair et les os des pères et du peuple, meurt justement rongé de toute chair et jusqu’aux os ! »

Ces deux vers et les six autres qui les suivent se trouvent aussi dans les Grotiana (v. notes [40] et [41] de sa première partie), avec le commentaire de Hugo Grotius.

34.

Mazarin a relevé lui-même ce bruit dans ses carnets : Il rè à Villequier dice che il cardinale defunto voleva esser rè e papa [Le roi a dit à Villequier que le défunt cardinal aurait voulu être roi et pape]. Le jeune roi tenait cette assertion des dames de la cour (Triaire).

35.

« Avec le plus insolent mépris, il a plu à Richelieu de monter au premier étage des maisons à l’aide d’un pont nouveau : ou bien cette machine a été fabriquée pour franchir nos murs, {a} ou bien, dit la France, elle cache quelque tragédie. Il en est venu là après de tels efforts que, je l’affirme, il pourrait se déclarer pontife. » {b}


  1. Virgile, Énéide, chant ii, vers 46.

  2. Jeu de mots entre pont et pontife, dont l’explication est fournie dans notule {c}, note [41] du Grotiana 1.

36.

Alors située dans la campagne environnant Paris au sud, entre Gentilly à l’est et Vaugirard à l’ouest, Montrouge (Hauts-de-Seine) est aujourd’hui limitrophe de la capitale. Les Châteauneuf en avaient acquis la seigneurie vers 1600 et le garde des sceaux, Charles de L’Aubespine, marquis de Châteauneuf, y avait fait construire un château dont rien ne subsiste aujourd’hui.

37.

Marie de Rohan–Montbazon, duchesse de Chevreuse (1600-1679), fille d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon, avait épousé en 1617 Charles d’Albert, duc de Luynes, favori de Louis xiii et connétable de France ; en 1618, elle avait été nommée surintendante de la Maison d’Anne d’Autriche. Veuve en 1621, la duchesse de Luynes s’était remariée en 1622 avec Claude de Lorraine (v. note [2], lettre 195), fils de Henri de Guise, devenant duchesse de Chevreuse. Elle s’était dès lors lancée dans une spirale étourdissante d’intrigues amoureuses et politiques, dont la première avait été la conspiration de Chalais (v. note [16], lettre 13).

Elle en avait tant fait, et de tant de sortes, que Louis xiii et Richelieu l’avaient rangée parmi les personnes les plus dangereuses et les plus haïssables de la cour, d’où elle fut bannie à plusieurs reprises. L’ancienne amie et confidente d’Anne d’Autriche était alors exilée à Bruxelles depuis 1641. Peu avant de mourir, Louis xiii avait pris la précaution d’écrire au sujet de celle qu’il appelait le Diable : « Comme notre dessein est de prévoir tous les sujets qui pourraient, en quelque sorte, troubler le bon établissement que nous avons fait pour conserver le repos et la tranquillité de notre État, la connaissance que nous avons de la mauvaise conduite de la dame duchesse de Chevreuse, des artifices dont elle s’est servie jusqu’ici pour mettre la division dans notre royaume, les factions et les intelligences qu’elle entretient au-dehors avec nos ennemis, nous font juger à propos de lui défendre, comme nous lui défendons, l’entrée de notre royaume. » Malgré cette interdiction, le 14 juin 1643, un mois après la mort du roi, la bannie rentrait triomphalement en France, à la cour de la reine régente (G.D.U. xixe s.).

La Rochefoucauld (pages 106-107) a évoqué ce retour :

« Mme de Chevreuse me témoigna de vouloir suivre entièrement mes avis. Elle arriva à la cour dans cette résolution, et bien qu’elle fût reçue de la reine avec beaucoup de marques d’amitié, je n’eus pas grande peine à remarquer la différence de la joie que la reine avait de la revoir à celle qu’elle avait eue autrefois de m’en parler. Mme de Chevreuse ne remarqua pas néanmoins cette différence et elle crut que sa présence détruirait en un moment ce que ses ennemis avaient fait contre elle. Le duc de Beaufort et les Importants {a} la fortifièrent encore dans cette pensée et ils crurent qu’étant unis, ils détruiraient facilement le cardinal Mazarin avant qu’il fût entièrement affermi. Cette liaison, et quelques marques de tendresse et de confiance que Mme de Chevreuse reçut de la reine lui firent regarder toutes les avances que lui faisait artificiellement le cardinal comme des preuves de sa faiblesse ; elle crut que c’était assez y répondre que de ne se déclarer pas ouvertement contre lui et qu’il suffisait, pour le ruiner insensiblement, de faire revenir M. de Châteauneuf. Son bon sens et sa longue expérience dans les affaires étaient connus de la reine ; il avait souffert une rigoureuse prison pour avoir été dans ses intérêts ; il était ferme, décisif ; il aimait l’État et il était plus capable que nul autre de rétablir l’ancienne forme de gouvernement que le cardinal de Richelieu avait commencé de détruire ; il était de plus intimement attaché à Mme de Chevreuse et elle savait assez les voies les plus certaines de le gouverner ; elle pressa donc son retour avec beaucoup d’insistance. »


  1. V. notes [14] et [15], lettre 93.

Mazarin fut un moment prêt de céder en reprenant les sceaux au Chancelier Pierre iv Séguier, affaibli dans l’opinion pour la part qu’il avait prise à la condamnationde de de Thou et Cinq-Mars. Châteauneuf, retiré dans sa maison de Montrouge, s’attendait en effet à chaque instant à être appelé à la cour pour les recevoir ; mais il avait présidé lui-même la commission militaire qui avait condamné à mort le duc de Montmorency (1632, v. note [15], lettre 12), et la princesse de Condé (née Charlotte de Montmorency) déclara qu’elle quitterait la cour plutôt que d’être exposée à y rencontrer le meurtrier de son frère. Mazarin, qui ne voulait pas se brouiller avec la Maison de Condé et qui ne tenait pas à introduire auprès de la reine un rival éventuel, allait opter pour la lutte contre la duchesse de Chevreuse, les Importants et leur chef, le duc de Beaufort. Châteauneuf dut attendre les sceaux jusqu’au 2 mars 1650, pour les rendre l’année suivante (Triaire).

La duchesse de Chevreuse allait se trouver dès le 1er septembre 1643 de nouveau condamnée à la relégation, d’abord dans ses terres d’Anjou, puis en Angleterre. Les lettres ultérieures de Guy Patin ont évoqué la suite de ses interminables aventures.

38.

« tant il est agréable de converser avec un ami tel que vous. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 19 juin 1643

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(Consulté le 18/04/2024)

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