L. latine 452.  >
À Jan van Horne,
le 18 juin 1668

[Ms BIU Santé no 2007, fo 223 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Jan van Horne, docteur en médecine et éminent professeur, à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Comme je revenais du tribunal royal, [2][3] j’ai reçu votre lettre, avec votre très élégante Microtechne, pour laquelle je vous dois d’éternels remerciements. [1] Votre cadeau m’a été remis par ces deux jeunes Frisons, dont j’approuve volontiers les talents et les mœurs ; je fais grand cas de leurs personnes et, à ce titre et en votre nom, ils me seront toujours parfaitement recommandés.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 223 vo | LAT | IMG] Pour votre livre de chirurgie, [4] que je trouve entièrement digne de louanges, je vous dirai sans fard que je l’ai presque entièrement parcouru et dévoré. Il contient bien d’excellentes choses et je trouve qu’on ne peut faire meilleur abrégé de l’art chirurgical.

Si quelques-unes de vos thèses médicales se trouvaient à vendre chez vos imprimeurs, je me les procurerais volontiers en payant rubis sur l’ongle, surtout de celles qui ont été disputées depuis 1660. [26] Je vous prie donc, très distingué Monsieur, de bien vouloir me les acheter ; je vous en rembourserai la dépense par l’intermédiaire d’un ami qui se trouve en ce moment chez vous. Je manque d’autres choses à vous écrire, hormis cette seule requête, qui est de bien vivre et vous bien porter, très distingué Monsieur, mais aussi de m’aimer.

De Paris, le 18e de juin 1668.

Vôtre de tout cœur, G.P.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Jan van Horne, ms BIU Santé no 2007, fo 223 ro et vo.

1.

Joannis van Horne Anat et Chir. Professoris Μικροτεχνη. Seu Methodica ad Chirurgiam Introductio. Editio altera [La Microtechnie (petit art) de Jan van Horne, professeur d’anatomie et de chirurgie. Ou l’Introduction méthodique à la chirurgie. Seconde édition] (Leyde, Gassbek, 1668, in‑12, dédiée à Conrad Victor Schneider, professeur à Wittemberg [v. note [15], lettre 752], avec un frontispice aussi laid qu’horrifiant ; première édition ibid. 1663 ; troisième édition ibid. 1675, cum copioso rerum notabiliorum indice [avec un copieux index des matières remarquables]).

V. notes [2], lettre latine 461, pour le procès entre Guy Patin et le syndicat des imprimeurs parisiens, toujours en cours au Châtelet, et [6], lettre latine 466, pour sa sentence (au début de 1669).

2.

Pages 61‑62 de la Microtekne de Jan van Horne (1668) :

Non debeo prætermittere instrumenta, quæ comprimendo venæ arteriæque læsæ orificia, ad earundem consolidationem non parum juvant ; idque vel eo nomine, quod legerim in historia Batava Illustris Satrapæ Hooffdii l. 19 de consilio Leonardi Botalli (cujus ego ante septennium opera in lucem edidi) vulneratam jugularem venam in collo Celsissimi Arausionum Principis Gulielmi primi, imposito supra eam digito obturatam, sanguinisque ex eadem fluxum inhibitum fuisse. hoc artificium jam olim fuerat descriptum à M. Gatinaria, qui vixit circa annum 1440 lib. de Ægritud. c. de Apoplex. Vicem digitorum præstare possunt ferramenta comprimentia.

[Je ne dois pas omettre les instruments qui, en comprimant les orifices d’une veine et d’une artère, sont d’une aide non négligeable pour leur consolidation. {a} C’est ainsi, comme j’ai lu au livre 19 de l’Histoire des Pays-Bas de l’illustre sénéchal Hooft, {b} que, sur l’avis de Botal (dont j’ai moi-même édité les œuvres il y a sept ans), {c} quand le très éminent Guillaume ier, prince d’Orange, fut blessé au cou, {d} sa plaie de la veine jugulaire a été obturée en posant un doigt dessus et que l’écoulement du sang qui en sortait a cessé. Dans son livre de Ægritudinis, au chapitre de Apoplexia, M. Gatinaria, qui a vécu dans les années 1440, avait déjà décrit cette technique. Au lieu des doigts, on peut se servir de pinces compressives]. {e}


  1. Consolidation : « réunion des lèvres d’une plaie, quand elle commence à se cicatriser » (Furetière).

  2. Pieter Corneliszoon Hooft (1581-1647), Nederlandsche Historien, parue en 1642, continuée en 1654 par Jan Blaeu.

  3. Leyde, 1660 (v. note [8], lettre latine 148).

  4. Guillaume ier d’Orange-Nassau, dit le Taciturne (1533-1584) mena avec succès la révolte des Pays-Bas espagnols (incluant alors les futures Provinces-Unies) contre la Couronne d’Espagne, sous le règne de Philippe ii. Le 18 mars 1582, à Anvers, le Basque Juan de Jauregui avait tenté de l’assassiner en lui tirant une balle dans le cou ; le prince survécut, mais fut assassiné chez lui à Delft le 10 juillet 1584, d’un autre coup de pistolet tiré en pleine poitrine par le Bourguignon catholique Balthazar Gérard. Ses derniers mots furent prononcés en français : « Mon Dieu, ayez pitié de mon âme ! Mon Dieu, ayez pitié de ce pauvre peuple ! »

    V. note [8], lettre 70, pour l’imputation de cet assassinat aux jésuites.

  5. Marco Gatinaria (Gatenaria ou Gattinara), médecin de Pavie mort en 1496, est principalement connu pour sa :

    De Curis ægritudinum particularium noni Almansoris Practica uberrima…

    [Très riche Pratique du neuvième livre à Almansour, {i} sur les Traitements des maladies particulières…] {ii}

    Van Horne y renvoyait à ce passage sur la saignée dans le chapitre intitulé De Cura Apoplexiæ [Traitement de l’apoplexie] (pages 12 ro‑vo) :

    Et licet Rasis in præsenti cura laudet fle. venarum quidem non tamen est fienda neque est in communi usu apud practicos quia est multum periculosa maxime in apoplectis sive paratis suffocationi : quia quando fit fle. oportet multum restringere collum etiam quia fit per eas maxima sang. emissio. Nec de facili consolidari possunt cum non possint ligari et ligatura debite stringi. Vidi enim in quodam scholari robustissimo qui ludens cum socio ense fuit vulneratus in vena quidem et emisit plusquam 20. ℔ sang. in tantum quod nunquam potuit consolidando nisi ut unus continue teneret digitum comprimendo ne sang. egrederetur tanto tempore quo fatigaretur : deinde alius adveniebat quousque fuit facta consolidatio post magnos labores.

    [Et bien que Rhazès loue la saignée des veines jugulaires, {iii} il ne faut pas l’entreprendre et les praticiens n’y recourent pas communément car elle est fort périlleuse, notamment chez les apoplectiques ou ceux qui sont atteints de suffocation. Quand on la pratique, il faut fortement serrer le cou car elle provoque un abondant écoulement de sang. On ne peut l’interrompre car il est malaisé de lier ces veines et de serrer convenablement la ligature. De fait, j’ai vu cela chez un très robuste étudiant qui fut blessé d’un coup d’épée à la veine jugulaire {iii} en jouant avec un camarade, et qui perdit plus de 20 livres de sang ; {iv} le débit en était tel que nul ne parvint à l’étancher autrement qu’en appuyant un doigt pour comprimer le vaisseau et empêcher le sang de sourdre, comme le fit un homme qui se trouvait là, si longtemps qu’il s’y épuisa ; en vint alors un autre, qui obtint à grand-peine l’arrêt du saignement].

    1. Almansour (al-Mansur) est le souverain persain auquel Rhazès (v. note [24], lettre 101) a dédié son livre de médecine.

    2. Paris, Jean Ruelle, 1540, in‑4o de 430 pages, pour l’une de nombreuses éditions.

    3. Les éditions ultérieures ont remplacé fle. venarum quidem par phlebotomia venarum carotidarum, « la saignée des veines carotides », c’est-à-dire des veines jugulaires externes.

      La veine jugulaire interne n’était pas accessible à la saignée, et son débit rendait très rapidement mortelle toute plaie qui l’atteignait.

    4. Soit huit à dix litres : exagération manifeste car la masse sanguine humaine n’en dépasse guère six.

3.

Jan i van Heurne avait été l’un des médecins de Guillaume le Taciturne. Guy Patin se souvenait ici évasivement d’un de ses commentaires « sur les Aphorismes d’Hippocrate » (Leyde, Jean Maire, 1638, in‑12 ; v. note [3], lettre 139) ; aphorisme no 3, 1re section (v. note [9] de L’homme n’est que maladie), page 32, § 7 :

Laxabimus talem habitum copiosa evacuatione, maximeque Phlebotomia, hoc est, larga sanguinis emissione. Videmus ex corporibus bene habitis, per vulnera, incredibilem interdum sanguinis copiam efferri sine noxa. Illustrissimus Aurantiæ Princeps Guilielmus Nassocius Antverpiæ a latrone læsus sclopeto in collo, ita ut jugularis vena magna illa maximam copiam sanguinis funderet, per plurimos dico dies, cum cottidie plures libras sanguinis emitteret, salvis viribus evasit. Non enim potuit sisti illa fluxio. Tandem quidam strepto digestivo illito ac involuto colcothare id perfecit.

[Nous relâcherons cette habitude du corps par la purge copieuse, et surtout par la phlébotomie, c’est-à-dire par la saignée abondante. Chez les individus bien constitués, nous voyons qu’une incroyable quantité de sang peut parfois s’écouler d’une plaie sans grave dommage. Quand, à Anvers, un brigand blessa d’un coup de mousquet au cou l’illustrissime prince Guillaume d’Orange Nassau, il en résulta une plaie de la grande veine jugulaire avec énorme hémorragie, mais il s’en est tiré sain et sauf : quotidiennement, pendant de nombreux jours, plusieurs livres de sang se sont écoulées de la plaie ; il était impossible de tarir ce flux, jusqu’à ce qu’enfin quelqu’un y parvienne en enveloppant le cou dans un collier imprégné de colcotar]. {a}


  1. V. note [10] de l’Observation 20.

4.

« un cystotomiste parisien dénommé François Colot » : Guy Patin avait raison de préférer cystotomus à lithotomus et s’en expliquait. Il commentait ce passage sur la cystotomie (taille de la vessie, kustis en grec, et non de la pierre, lithos), aux pages 150‑151 de la Microtekne de Jan van Horne (1668) :

Quæcumque in prima hujus libelli editione retuli ex fide et relatu aliorum de dexteritate Lithotomi Nemausensis nomine Raoues, (quod scilicet ægros imponat femoribus sui famuli ; quod nullo alio instrumento utatur præterquam novacula ; quod impediat ingressum urinæ per vulnus ; quod ita sectionem instituat, ut labia vulneris cutanei, carnis musculosæ, et ipsius vesicæ, ad amussim sibi respondeant ; quod spatio quinque aut sex dierum ita vulnus noverit consolidare, ut possit quis urbem circumire ;) ea omnia fuisse imposturas, postea compertum est. Nam in generoso quodam viro, superficialem in perinæo sectionem fecit, supposititium autem calculum eidem exhibuit loco veri quo laborabat, et quem postea sibi adimi jussit ab alio Chirurgo. Is est Parisiensis Lithotomus, cui Collot nomen est, atavis editus lithotomis, qui satis feliciter in urbe Amstelædamensi quosdam secuit.

[Comme j’ai découvert par la suite, tout ce que j’ai relaté dans la première édition de cet opuscule, {a} sur la foi et le récit d’autrui, quant à la dextérité d’un lithotomiste de Nîmes, nommé Raoues, {b} est un tissu d’impostures : je disais qu’il plaçait les malades sur les cuisses de son serviteur, qu’il n’utilisait aucun instrument hormis un rasoir, qu’il empêchait l’issue d’urine par la plaie, qu’il pratiquait la section de sorte que les lèvres de l’incision cutanée, de la chair musculeuse et de la vessie elle-même répondaient exactement l’une à l’autre, qu’il savait ainsi obtenir la cicatrisation de la plaie en l’espace de cinq ou six jours, de sorte que le malade pouvait alors aller se promener par la ville. Le fait est que, chez un certain noble, il fit une incision superficielle du périnée, lui montra un calcul supposé, au lieu du véritable qui tourmentait le patient, qui jugea préférable de se le faire enlever par un autre chirurgien. Celui-là est un lithotomiste parisien qui se nomme Colot ; {c} il descend d’ancêtres lithotomistes et il a taillé quelques malades avec assez de bonheur à Amsterdam].


  1. Leyde, 1663, v. supra note [1].

  2. Sic pour Raoux, ou Raoul (v. notule {a}, note [1], lettre latine 402).

  3. Locution que Patin reprochait à van Horne, qui n’a rien changé à toute cette relation dans sa réédition de 1676 (pages 106‑107).

    V. note [17], lettre 455, pour François Colot et sa famille.


5.

Pages 217‑218 de la Microtekne de Jan van Horne (1668), sur la transfusion sanguine et l’injection intraveineuse, filles de la circulation du sang :

Intelligo autem Chirurgiam Infusoriam Cl. Professoris Jo. Dan. Majoris, aut D. Elsholzii Clysmaticam Novam, quando per apertam venam immisso tubulo, mediante siphone liquor aliquis nutriens, alterans, cardiacus aut purgans injicitur, qui ad Cor transiens, et deinceps arterias universumque corporis habitum perambulans, eosdem producit effectus, sed breviori tempore, ac si ore haustus in ventriculum demissus fuisset. Hoc ipsum artificium postea amplificatum fuit, facta transfusione sanguinis arterioso canis in venas alterius canis. Imo, ut diarium Doctorum 28 Junii anni superiorioris Gallico idiomate conscriptum, nobis retulit, tentatum fuit hoc experimentum in duobus hominibus, in quorum venas, ad aliquot uncias exinanitas, transfusus fuit sanguis arteriosus agni, qui etiam melius exinde habuerunt : Nec mirum, in locum enim sanguinis haud ita probi, alius inculpatus substitutus fuit. Alium modum transfusendi sanguinem excogitavit D. Tardy M. Doct. Parisiensis ex uno homine in alium : quandoquidem verò arterias majores aperire fas non est in homine, consulit idem, ut sanguis ex unius hominis vena emissus in alterius venam derivetur mediante tubulo : quod & nos in canibus duobus, multis præsentibus ostendimus. Nihil amplius addam, quia Chirurgica Operatio est nova, cujus utilitas frequentioribus experimentis est confirmanda.

[Mais j’entends aussi la Chirurgia infusoria du très distingué professeur Johann Daniel Major, {a} ou la Clymatica nova de M. Elsholtz : {b} quand, après avoir introduit un petit tuyau dans une veine qu’on a incisée, on injecte à l’aide d’un siphon quelque liqueur nutritive, altérante, cardiaque ou purgative, elle se transporte vers le cœur puis circule dans les artères et dans tout le corps, produisant les mêmes effets, mais en un temps plus bref que si elle était descendue dans l’estomac en la buvant. Ce même procédé a ensuite été élargi en transfusant le sang d’un chien dans les veines d’un autre chien. Et même, comme cela a été relaté en français dans le Journal des Sçavans daté du 28 juin de l’an dernier, l’expérience a été tentée chez deux hommes : le sang artériel d’un agneau a été transfusé dans leurs veines, d’où on a vidé quelques onces de sang, et ils s’en sont encore trouvés mieux ; ce qui n’est pas étonnant, car à un sang qui n’était pas de bonne qualité, on a substitué un autre qui était sans défaut. {c} M. Tardy, docteur en médecine de Paris, a conçu une autre manière de transfuser du sang d’un homme à un autre : {d} puisqu’on ne peut se permettre d’ouvrir les grosses artères chez l’homme, il s’est avisé de dériver, à l’aide d’un petit tuyau, le sang émis par la veine d’un homme dans celle d’un autre ; et c’est ce que nous avons démontré chez deux chiens, en présence de nombreuses personnes. Je n’ajouterai rien de plus, parce que cette opération chirurgicale est nouvelle et que son utilité est à confirmer par de plus amples expériences]. {e}


  1. V. note [9], lettre latine 346, pour la Chirurgia infusoria [Chirurgie d’infusion] de Johann Daniel Major (Leipzig, 1664), l’un des premiers ouvrages publiés sur le sujet.

  2. Johann Sigismund Elsholtz (Francfort-sur-l’Oder 1623-Berlin 1688), docteur de Padoue en 1653, médecin et botaniste berlinois : Clysmatica nova, sive ratio nova qua in venam sectam medicamenta immitti possunt ; addita etiam omnibus sæculis inaudita sanguinis transfusione [Le Clystère nouveau, ou la nouvelle méthode qui permet d’injecter des médicaments dans une veine incisée ; avec aussi la transfusion de sang inconnue jusqu’alors] (Cologne, 1661, in‑8o ; réédition à Berlin, 1667).

  3. Lettre de M. Denis, professeur de philosophie et de mathématiques, à M. de Montmor, premier maître des requêtes, touchant deux expériences de la transfusion faites sur des hommes, in‑4o, à Paris, chez J. Cusson (Le Journal des Sçavans, du lundi [sic pour mardi] 28 juin 1667, par le Sr G.P., no xi, pages 134‑136) :

    « Enfin, la transfusion du sang, que quelques-uns croyaient impossible, que plusieurs jugeront dangereuse, et que la plupart estimaient au moins inutile, s’est heureusement faite sur deux hommes ; et la première expérience qu’on en a faite a guéri une personne d’une maladie assez fâcheuse. On verra dans cette lettre le récit de ces deux expériences, avec plusieurs raisonnements pour et contre cette opération. […] La première épreuve se fit sur un jeune garçon de 15 à 16 ans qui était travaillé d’une maladie à laquelle on crut que la transfusion serait bonne. Ce garçon, qui de son naturel était assez dispos et assez éveillé, depuis une fièvre opiniâtre dont il avait été tourmenté plus de deux mois, et pour laquelle les médecins l’avaient fait saigner vingt fois, était devenu si pesant et si assoupi qu’il en était tout stupide. Il avait presque perdu la mémoire, son esprit était émoussé et quoiqu’il dormît dix et douze heures toutes les nuits, il s’assoupissait le jour en se mettant à table, en mangeant et en faisant toutes les choses qui ont coutume de chasser le sommeil. On jugea que cet assoupissement venait de ce que le peu qui lui restait de sang s’était trop épaissi par l’ardeur de la fièvre qu’il avait eue ; et ainsi, l’on crut qu’on l’en pourrait guérir en lui donnant de nouveau sang. Ce remède ayant été approuvé, M. Emmerez, {i} qui a une adresse particulière pour cette opération, lui ouvrit sur les cinq heures du matin une veine au pli du coude, et après qu’il en eut tiré environ trois onces de sang, qui était extrêmement noir et épais, il lui donna aussitôt, par la même ouverture, du sang artériel d’un agneau dont il avait ouvert la carotide. Pendant l’opération, ce malade qu’on interrogeait souvent de l’état où il se trouvait, ne se plaignit d’aucune chose, sinon que depuis l’ouverture de la veine jusque sous l’aisselle, il sentait une grande chaleur (qui venait du cours du sang artériel) et néanmoins, il laissa achever l’opération sans témoigner en être beaucoup incommodé. Après qu’on lui eut donné environ huit onces de sang, on ferma l’ouverture de la veine, de la même manière qu’on fait aux saignées ordinaires, et on observa soigneusement ce qui lui arriverait. Le premier avantage qu’il reçut de la transfusion, c’est qu’il se sentit aussitôt allégé d’un mal de côté qu’il avait, pour être tombé le jour précédent, du haut d’une échelle de dix pieds. Il fut aussi en peu de temps parfaitement guéri de son assoupissement ; et dès le même jour, s’étant levé sur les dix heures du matin, il parut beaucoup plus gai que de coutume et dîna fort bien sans s’endormir. Sur les quatre heures du soir, il saigna par le nez trois ou quatre gouttes de sang, et ayant ensuite bien soupé, il dormit seulement depuis dix heures du soir jusqu’à deux heures après minuit, qu’il se réveilla et ne put dormir davantage. Mais le lendemain, il dormit un peu plus longtemps et encore davantage les jours suivants, jusqu’à ce qu’il s’est peu à peu rétabli en parfaite santé, sans avoir été depuis incommodé de son assoupissement. Cette première expérience ayant heureusement réussi, on en fit une seconde, mais plus par curiosité que par nécessité ; car celui sur qui on la fit n’avait aucune indisposition considérable. C’était un porteur de chaise fort et robuste, âgé d’environ 45 ans, qui pour une somme assez modique, s’offrit à endurer cette opération. Comme il se portait bien et qu’il avait beaucoup de sang, on lui fit une transfusion bien plus grande que la première, car on lui tira environ dix onces de sang et on lui rendit à peu près une fois autant de sang d’un agneau dont on avait ouvert l’artère crurale pour diversifier l’expérience. Cet homme, qui de son naturel était assez gai, fut de très belle humeur pendant toute l’opération, fit plusieurs réflexions suivant sa portée sur cette nouvelle manière de soigner, dont il ne pouvait admirer assez l’invention et ne se plaignit de rien, si ce n’est qu’il sentait, comme le premier, une grande chaleur depuis l’ouverture de la veine jusqu’à l’aisselle. Aussitôt que l’opération fut faite, on ne le put empêcher d’habiller lui-même l’agneau {ii} dont il avait reçu le sang ; ensuite de quoi, il alla trouver ses camarades, avec lesquels il but une partie de l’argent qu’on lui avait donné. Et nonobstant qu’on lui eût ordonné de se tenir en repos le reste de la journée et qu’il eût promis de le faire, sur le midi, trouvant occasion de gagner de l’argent, il porta sa chaise à l’ordinaire pendant tout le reste du jour, assura qu’il ne s’était jamais si bien porté, et le lendemain, pria qu’on n’en prît point d’autre que lui quand on voudrait recommencer la même opération. » {iii}

    1. Paul Emmerez, v. note [5], lettre 645.

    2. En ôter la peau et les tripes, et le mettre en état d’être coupé et cuit.

    3. V. note [2], lettre latine 471, pour la conclusion de l’article.
  4. Traité de l’écoulement du sang d’un homme dans les veines d’un autre et de ses utilités, par M. C. Tardy [v. note [35], lettre 156], docteur en médecine, à Paris chez J. du Bray et Cl. Babin (Le Journal des Sçavans, lundi 13 juin 1667, par le Sr G.P., no x, pages 117‑118) :

    « L’expérience ayant fait voir que la transfusion du sang est non seulement possible, mais encore facile, il reste maintenant de savoir s’il est à propos de la pratiquer sur les hommes, et si l’on peut tirer quelque avantage considérable pour la conservation de la santé ou pour la guérison des maladies. L’auteur de ce traité prétend que cette opération doit encore mieux réussir sur les hommes que sur les bêtes. Mais pour éviter les inconvénients qui suivent souvent l’ouverture des artères, il croit qu’au lieu de faire la transfusion d’artère à veine, comme on l’a pratiquée jusqu’ici sur les bêtes, il vaudrait mieux la faire de veine à veine, faisant passer le sang d’une des veines du bras d’un homme dans une veine du bras d’un autre. Il enseigne la manière de faire cette opération, et il traite des précautions qu’il faut apporter afin qu’elle réussisse. Cependant, il suppose que la personne qui fournit le sang ne donne que celui qui lui est superflu ; car autrement, cette opération serait barbare. Pour les utilités qu’on peut en tirer, il tient que les vieillards et ceux dont les vaisseaux sont pleins de mauvaises humeurs et de sang corrompu, peuvent par le moyen de la transfusion se garantir des maux dont ils sont menacés, et entretenir leur constitution naturelle. Il dit aussi que cette opération est très utile pour la guérison des maladies qui viennent de l’acrimonie du sang comme sont les ulcères, les érésipèles, etc. Les médicaments que l’on prend guérissent difficilement ces sortes de maladies parce qu’ils perdent leur force avant qu’ils puissent venir à l’endroit où est le mal. Mais un nouveau sang bien tempéré allant directement dans les parties malades par le moyen de la transfusion, doit donner un soulagement beaucoup plus prompt et plus assuré. Au reste, cet auteur remarque que le sang d’un homme n’est pas absolument nécessaire pour cette opération, et que celui d’un veau ou d’un autre animal peut faire les mêmes effets. »

  5. Les remarques acerbes de Guy Patin contre Tardy n’ont abouti à aucune modification de ce passage dans la réédition de 1675 (pages 155‑156).

    La transfusion sanguine s’est longtemps heurtée à l’incompatibilité des sangs humains entre eux, responsable de désastreux accidents, dont les deux relations du Journal des Sçavans ne faisaient nullement état, préférant promouvoir la nouveauté, si invraisemblable fût-elle, que la vraie science. L’obstacle n’a été franchi qu’en 1900, avec la découverte des groupes sanguins par l’Autrichien Karl Landsteiner (prix Nobel en 1930).

    V. note [2], lettre latine 279, pour le contresens sur la conception de la transfusion par le paracelsiste Andreas Libavius dès 1615.


6.

« de faire fortune, honnêtement, sinon par quelque moyen que ce soit » (Horace, v. note [20], lettre 181).

7.

Pages 169‑172 de sa Microtekne (1668), Jan van Horne évoque la vie de l’anatomiste flamand André Vésale (v. note [18], lettre 153), à propos de la césarienne (v. note [7], lettre 159) :

Altum est apud Aquapendentum silentium de Partu Cæsareo, aut, ut Cl. Riolanus mavult, Cæsonio […]. Tres autem sciendum est esse casus, quibus extantibus cogitari potest de hac Chirurgia : 1. cum fœtus mortuus est et mater vivit ; 2. cum mater mortua est et fœtus vivit ; 3. cum ambo et mater et fœtus vivunt. In primo casu non est necesse ægrè parturientem manifesto periculo exponere, quia, si per Chirurgiam non extrahatur, Natura vias invenit alias per anum, umbilicum, inguen etc. […] Secundus casus frequenter accidit, ita ut, (quod deplorandum), damnetur tenebris Embryo, antequam lucem videat, atque spes animantis cum gravida pereat ; ut loquitur Imperator lib. xi. digest. Tit. 8. Cujus culpa ? an Magistratus, utpote sine cujus consensu nonlicet ejusmodi operationes aggredi ? quem antequam impetremus jam periit agendi occasio ; an Cirurgorum ? qui metuunt ne eos idem maneat fatum cum Vesalio ? hic enim, cum dissecaret thoracem cujusdam quem obiisse existimabat (alii referunt, pro partu Cæsareo exercendo hystericæ, quam putabat mortuam, ventrem aperuisse) reperit cor adhuc palpitans : ut refert Melchior Adamus in vita Vesalii, et Jessenius præfat. in Examen Vesalii ad obs. Fallopii. etenim oportet ut sectio fiat in ipso ferè puncto quo mater expirat, aut quamdiu infans adhuc movetur et subsultat. Nec juvat, os gravidæ apertum tenere imposita clavi, hic enim est error vulgi, credentis fœtum respiratione matris vivere.

[Fabrice d’Aquapendente observe un profond silence sur l’accouchement césarien ou césonien, comme préfère dire Riolan (…). {a} Mais trois situations sont à distinguer, qui peuvent légitimer cette chirurgie : 1. quand le fœtus est mort et la mère en vie ; 2. quand la mère est morte et le fœtus en vie ; 3. quand la mère et l’enfant sont tous deux en vie. Dans le premier cas, il n’est pas nécessaire d’exposer péniblement la parturiente à un danger manifeste car, si la chirurgie n’extrait pas le fœtus, la Nature trouve d’autres voies, par l’anus, l’ombilic, l’aine, etc. {b} (…). Le deuxième cas se présente fréquemment, de sorte que (ce qui est à déplorer) l’embryon sera condamné aux ténèbres avant qu’il n’ait vu le jour et que l’espérance d’une vie sera perdue comme celle de sa mère ; ainsi que dit le titre 8 du livre xi du Digeste impérial. {c} À qui la faute ? Est-ce celle du magistrat, puisqu’il n’est pas permis d’accomplir ce genre d’opération sans son consentement et que, avant que nous ne l’obtenions, l’opportunité d’agir est déjà perdue ? Est-ce celle des chirurgiens qui craignent de subir le même sort que Vésale ? C’est en effet lui, tandis qu’il disséquait le thorax d’une personne qu’il croyait être morte (d’autres disent qu’il a ouvert le ventre pour exécuter une césarienne chez une hystérique qu’il croyait morte), qui a trouvé le cœur encore palpitant, comme racontent Melchior Adamus dans la Vita Vesalii, {d} et Jessenius dans sa préface de l’Examen Vesalii ad observationes Fallopii. {e} Et de fait, il faut que la section soit faite presque à l’instant même où la mère meurt, ou tant que l’enfant bouge et tressaille encore. Il n’est pas utile de tenir ouverte la bouche de la mère en y mettant une clef, car c’est là une erreur du vulgaire qui croit que le fœtus vit par la respiration de la mère]. {f}


  1. V. note [10], lettre 86, pour Fabrice d’Acquapendente.

    Livre vi, chapitre viii, de l’Anthropographie de Jean ii Riolan (Opera anatomica vetera [Œuvres anatomiques anciennes], Paris, 1649 [v. note [25], lettre 146], page 389) :

    Deinde si contingat mulierem nono mense gravidam morbi violentia perire, vel in ipso pariendi conatu convulsionibus enecari, si parentes, amici, coniux prolem desiderent, consuevimus statim atque extincta est mater, ex Medicorum et Chirurgicorum adstantium certo iudicio et accurato examine, baculo in os indito, matris mortuæ ventrem aperire, ut fœtus extrahatur : sicque vidimus plures salvos et incolumes eductos fuisse, atque Cæseres, sive Cæsones ita dictos, quod matris mortuæ secto utero in lucem prodierint, authore Festo. Hæcque pia et salutaris fœtui, nequaquam mulieri mortuæ crudelis operatio, fieri deberet in qualibet prægnante mortua, iuxta edictum Iuriconsulti.

    [Si donc il advient qu’au neuvième mois de sa grossesse, une femme périsse de violente maladie ou meure dans les convulsions de l’accouchement, {i} et si ses parents, amis et mari désirent l’enfant, nous avons coutume, aussitôt que la mère est décédée, sur l’examen soigneux et l’avis assuré des médecins et des chirurgiens appelés à son chevet, et après lui avoir introduit un bâtonnet dans la bouche, {ii} de lui ouvrir le ventre pour en extraire le fœtus. Nous en avons ainsi sorti plusieurs, sains et saufs ; on les appelle Cæsares ou Cæsones, comme a dit Festus, parce qu’ils ont vu le jour après qu’on a incisé l’utérus de leur mère. {iii} Cette opération, pieuse et salutaire pour le fœtus, mais qui n’est en rien cruelle pour la défunte femme, devrait se pratiquer sur toute mère morte en couches, en accord avec un édit du juge].

    1. Éclampsie compliquant une hypertension artérielle de la grossesse (toxémie gravidique).

    2. La fin de l’extrait de Van Horne parle d’une clef (clavis), en relation avec la nécessité superstitieuse que la mère morte puisse continuer à respirer. Pour Riolan, il s’agit plutôt de vérifier l’abolition du réflexe nauséeux, déclenché par l’introduction de n’importe quel objet dans le fond de la gorge, qui est un signe imparfait de suspension des fonctions vitales.

    3. Au livre iii de son lexique, De verborum Significatione [La signification des mots], Sextus Pompeius Festus (v. note [12], lettre 460) a donné ces deux définitions :

      • Cæsones apellantur ex utero matris exsecti [On appelle cæsones (mot dérivé du verbe cædere, fendre) ceux qu’on a extraits en incisant l’utérus de leur mère] ;

      • Cæsar, quod est cognomen Juliorum, à cæsarie dictus est, quia scilicet cum cæsarie natus est [César, qui est le surnom de la Maison julienne, vient de cæsaries (chevelure), parce que Jules vint au monde avec des cheveux], ou plus probablement « coiffé », c’est-à-dire avec l’arrière-faix posé sur la tête (v. note [8] de l’Autobiographie de Charles Patin).

  2. Ces expulsions aberrantes de débris fœtaux reposaient sur des observations exceptionnelles dont la plupart sont à tenir pour imaginaires.

  3. Digeste justinien (v. note [22], lettre 224).

  4. V. note [2], lettre de Charles Spon, datée du 15 janvier 1658, pour les Vitæ Germanorum Ledicorum [Vies des médecins allemands] de Melchior Adam (Heidelberg, 1620). Dans celle de Vésale (pages 129‑134), il transcrit une lettre de Hubert Languet (v. note [5], lettre latine 136), datée du 1er janvier 1565, (page 133) :

  5. Fama est, Vesalium esse mortuum. Audivisti procul dubio, eum profectum esse Hierosolymam. Causa istius peregrinationis est mirabilis : ut ad nos ex Hispania est perscriptum. Commissus fuit cura eius quidam vir nobilis in Hispania : quem cum obisse existimaret : nec satis percepisse causam morbi sibi videretur : petiit a propinquis defuncti, ut sibi liceret cadaver dissecare. Concessum est ei, quod petebat : cumqu pectus aperuisset : reperit cor adhuc palpitans. Cognati mortui non contenti eum accusare facta cædis ; accusant etiam impietatis apud Inquisitionem ; existimantes, se ibi severiorem ultionem confecturos. Cum constaret de cæde ; nec facile excusaretur error tam periti medici : voluit omnino Inquisitio de eo sumere supplicium : vixque potuit rex sua autoritate, vel potius suis precibus eum periculo tanto eripere. Tandem concessus est regi et tota aula, pro eo deprecanti, ea conditione : ut ad expiandum illud scelus proficisceretur Hierosolymam ; et ad montem Sinai.

    [On annonce la mort de Vésale. Sans doute avez-vous ouï dire qu’il s’était rendu à Jérusalem. La raison de ce pèlerinage est singulière, comme on nous l’a écrit d’Espagne : on l’y avait appelé au chevet d’un gentilhomme espagnol ; le jugeant déjà mort, il lui sembla que la cause du décès n’était pas suffisamment bien établie ; il demanda aux proches du défunt de lui permettre de disséquer le cadavre ; ce qu’il demandait lui ayant été accordé, quand il ouvrit la poitrine, il constata que le cœur battait encore. L’entourage du mort ne se contenta pas d’accuser Vésale de meurtre, ils le traduisirent devant l’Inquisition pour sacrilège, estimant qu’il y serait très sévèrement condamné parce qu’il serait convaincu d’assassinat. Le roi eut grand-peine à le tirer de ce péril en jouant de son autorité, ou plutôt de ses supplications. On finit par céder à ses prières jointes à celles de toute la cour, à la condition que, pour expier son crime, Vésale se rendrait à Jérusalem et au mont Sinaï].

    Adam est convenu (page 132) que :

    Vesalium […] Hispani in superficie tantum corporis versatum, veri medici appellatione indignum esse calumniabantur.

    [Les Espagnols intriguaient contre Vésale (…), disant qu’il ne connaissait que la structure du corps, mais qu’il était indigne de porter le nom de véritable médecin].

  6. Johannes Jessenius : {i}

    Andreæ Vesalii Anatomicarum Gabriellis Fallopii Observationum Examen. Magni, humani corporis Fabrica, Operis Appendix.

    [Examen critique d’André Vésale portant sur les Observations anatomiques de Gabriel Fallope. {ii} Appendice du grand ouvrage qu’est la Fabrica humani corporis]. {iii}

    1. V. note [14], lettre latine 154.

    2. V. note [16], lettre 427.

    3. Hanau, héritiers de Wechel, 1609, in‑8o de 260 pages ; v. note [18], lettre 153, pour la Fabrica [Structure du corps humain] de Vésale (Bâle, 1543).

    Le séjour de Vésale en Espagne est évoqué pages 6‑7 de l’épître dédicatoire au duc Henri-Jules de Brunswick-Lunebourg (1564-1613), évêque d’Halberstadt, avec cette explication de son pèlerinage à Jérusalem :

    eo ferunt cuiusdam casus potius, quam erroris humani, ipsi circa cæsarei partus in hysterica obstetricationem infeliciter oborti, expiandi zelo actum. Ah ! quis rebus in humanis semper sapit ? quis non aliquando infelix ?

    [il y a été mené par le zèle d’expier ce qui avait été moins une erreur humaine qu’un malheureux accident survenu lors de l’accouchement d’une hystérique par césarienne. Ah ! qui donc ne se trompe jamais ? À qui donc n’arrive-t-il jamais d’avoir un geste malheureux ?]

  7. Suit le troisième cas envisagé, celui de la mère et de l’enfant vivants : van Horne décrit la véritable césarienne, telle que pratiquée par François Rousset (v. note [7], lettre 159), mais en exprimant ses doutes profonds quant au salut éventuel de la parturiente.

8.

Jean ii Riolan, Anthropographie (1649, v. supra notule {a}, note [7]), livre i, chapitre xi, An vivum hominem secare sit necessarium, et liceat [S’il est utile et permis de disséquer l’homme vivant] (page 43) :

Non possum non detestari ferinam Vesalij et Iacobi Carpensis crudelitatem, qui vivos homines dissecarunt. Id negat factum à Vesalio Crato in Epistolis, nam voti solvendi, non sceleris expiandi causa, in Iudeam et Palæstinam profectus fuerat.

[Il m’est impossible de ne pas maudire la féroce cruauté de Vésale et de Jacopo Carpi, {a} qui ont autrefois disséqué des hommes vivants. Pour Vésale, Craton l’a nié en ses Epistolæ, et y dit que le voyage qu’il fit en Judée et en Palestine fut pour accomplir un vœu, et non pour expier son crime]. {b}


  1. De Jacopo Berengario da Carpi, anatomiste italien du xvie s. (v. note [17], lettre latine 38), Éloy écrit :

    « On a imputé à Carpi d’avoir disséqué vifs à Bologne deux Espagnols malades de la vérole ; ce qui ayant été rapporté au juge, ce médecin fut obligé de se sauver à Ferrare, où il mourut. Il avait, dit-on, choisi des Espagnols plutôt que d’autres, parce qu’il haïssait leur nation. Mais tout cela a bien l’air d’un conte fait à plaisir. L’anatomie avait été fort négligée pendant plusieurs siècles, lorsque notre auteur se mit à la cultiver ; et comme il fut un des premiers qui entreprirent d’en rétablir l’étude, qu’il fit même beaucoup de dissections de cadavres humains pour parvenir à son objet, il étonna ceux qui n’avaient rien vu de semblable. Certes, il n’en fallut pas davantage pour faire dire au peuple, qui grossit toujours les choses les plus simples, que ce médecin anatomisait les hommes en vie. Érasistrate {i} et Hérophile {ii} ont été accusés du même crime, et avec aussi peu de fondement. »

    1. V. note [23], lettre 324.

    2. V. note [4], lettre latine 330.
  2. De 1591 à 1611, Johann Crato von Crafftheim (v. note [2], lettre 845) a publié sept livres de Consiliorum et Epistolarum Medicinalium [Consultations et épîtres médicales]. Le troisième {i} contient une lettre d’Andreas Dudith ab Horekoviza, {ii} datée de Breslau le 22 septembre 1582, où il dit incidemment au médecin Wenceslas Raphanus (pages 304‑305) :

    Vesalius non fuit unquam exul, neque illa, quam Paræus innuit, causa ei fuit peregrinationis ad Christi sepulchrum susceptæ, sed religiosum votum. Mortuus est febre ardenti in Zacyntho, cum iam reverteretur.

    [Vésale ne fut jamais proscrit et la cause de son pèlerinage au sépulcre du Christ ne fut pas celle que signale Paré, {iii} mais un vœu religieux. Il mourut de fièvre ardente à Zanthe, sur le chemin du retour].

    1. Francfort, 1592, 3e référence citée dans la note [13] du Faux Patiniana II‑6.

    2. Évêque hongrois d’origine croate (Buda 1533-Breslau 1589).

    3. Œuvres complètes d’Ambroise Paré (Paris, 1840, tome 2), livre dix-huitième, fin du chapitre liv, Les signes pour connaître si une femme est morte ou non par une suffocation de matrice, page 755, sur les erreurs diagnostiques :

      « Ainsi que de ce siècle est arrivé à un grand anatomiste, je dis grand et célèbre, duquel les livres réparent aujourd’hui les études des hommes doctes ; lequel étant pour lors résident en Espagne, fut mandé pour ouvrir une femme de maison qu’on estimait être morte par une suffocation de matrice. Le deuxième coup de rasoir qu’il lui donna, commença ladite femme à se mouvoir et démontrer par autres signes qu’elle vivait encore, dont tous les assistants furent grandement étonnés. Je laisse à penser au lecteur comme ce bon seigneur, faisant cette œuvre, fut en perplexité, et comme on cria tollé après lui ; tellement que tout ce qu’il put faire fut de s’absenter du pays, car ceux qui le devaient excuser, c’étaient ceux qui lui couraient sus ; et étant exilé, tôt après mourut de déplaisir, qui n’a été sans une grande perte pour la république. »

    Cette autre hypothèse, pour expliquer plus honorablement le pèlerinage de Vésale en Terre sainte, était l’accomplissement d’un vœu, en remerciement au Seigneur pour avoir survécu à une grave maladie. C’est la version défendue par Jacques-Auguste i de Thou dans son Histoire universelle : v. notule {a}, note [4], lettre latine 474.

    Le respect dû au génie de Vésale a aujourd’hui relégué dans les oubliettes de l’histoire la version infamante de son dernier voyage, car elle visait à blâmer son incompétence médicale bien plutôt que sa cruauté.

    La suite est la transcription de la lettre de Hubert Languet publiée par Melchior Adam (v. supra notule {d}, note [7]).


V. notes [9], [10] et [11], lettre latine 456, pour les témoignages de trois autres contemporains sur la mort de Vésale.

Il existe donc au moins deux récits divergents de ce qui aurait été une fatale erreur médicale de Vésale, avec une femme enceinte ou un gentilhomme pour victime. Toute cette histoire est curieuse mais difficile à croire les yeux fermés car elle ternit la mémoire du plus illustre anatomiste du xvie s. V. note [4], lettre latine 474, pour une opinion d’historiens modernes de la médecine sur cet épineux sujet.

9.

Pages 253‑254 de la Microtekne de Jan van Horne (1668), à propos de l’anatomiste italien Gabriel Fallope (v. note [16], lettre 427), rival de Vésale :

Huic subjungo Ambrosium Paræum, sed qualem virum ! Regum Galliarum chirurgum peritissimum, qui ipso rerum usu, gravissimorumque casuum occursu, artem valde locupletavit ; interim scire oportet, ingens illud volumen, quod ipsius nomen in fronte gerit, ab aliis medicinæ doctoribus Parisiensibus concinnatum fuisse, quibus amplam segetem exemplorum chirurgicorum Paræus suppeditavit, quibus alii formam induxerunt ; imo, ut in majorem molem opus excresceret, multa superflua et à chirurgico instituto aliena adjunxerunt. Profecto melius expertus ille vir suæ famæ consuluisset, si singulares curationes et rariorum affectuum observationes, atque remedia, infallibili usu et tot annorum experientia ipsi comprobata, parvo volumine comprehensa edidisset in lucem : ut fecit sane, magna cum nominis sui gloria Gulielm. Fabr. Hildanus, Germanorum decus eximium, et cujus famam sera posteritas loquetur.

[Je place Ambroise Paré au-dessous de lui, mais quel homme ! Très habile chirurgien des rois de France, il a fort enrichi l’art par sa pratique personnelle et sa confrontation avec les cas les plus graves. Il convient cependant de savoir que ce sont d’autres docteurs en médecine de Paris qui ont produit cet énorme volume dont la couverture porte son nom : Paré a fourni en abondance sa belle moisson de cas chirurgicaux à d’autres, qui les ont mis en forme ; et même, pour augmenter l’énorme masse de l’ouvrage, ils y ont ajouté quantité de superfluités étrangères à la pratique chirurgicale. {a} Cet homme expérimenté aurait bien mieux servi sa réputation s’il avait publié, ramassés en un petit volume, les guérisons singulières, les observations de maladies plus que rares et les remèdes qu’il avait lui-même confirmés par un art infaillible et par tant d’années d’expérience, comme le fit sagement, pour sa plus grande gloire, Guillaume Fabrice de Hilden, {b} admirable ornement de l’Allemagne, dont la postérité lointaine chantera toujours les louanges].


  1. V. note [19], lettre 181, pour les médecins, dont Jean Haultin et Henri Blacvod, qui ont probablement participé à la rédaction des livres qu’Ambroise Paré a signés de son seul nom, et pour ce que Jean ii Riolan en a écrit.

  2. V. note [7], lettre 62.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 223 ro.

Cl. Viro D. Io. Van Horne, Med. Doctori et Prof. eximio, Leidam.

Quum è suggestu regio descenderem, Vir Cl. Epistolam tuam accepi, cum
elegantissima tua Microtechne, pro qua gratias ago Tibi immortales. Munus
tuum accepi per duos illos juvenes Frisios, quorum indolem atque et mores lubens
probo atque magnifacio : eóq. nomine ut et tuo mihi semper erunt commendatissimi.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 223 vo.

Quod spectat ad librum tuum Chirurgicum, quem ex omni parte laudandum
censeo, liberè dicam, eum pene totum percurri atque devoravi : atque exhausi : optima multa
continet, nec ullam puto meliorem fieri posse Chirugicæ artis Epitomem.
Pag. 61. historiam Gul. Principis Araus. memini me olim legisse apud Ioan.
Heurnium, comm. ni fallor in aphorismos Hipp. Quod spectat ad pag. 150. dicam verissimè : vidi illum operantem in hac Urbe : merus fuit nebulo, planus et impostor,
philargyriæ morbo supra modum vexatus : Raoux dicebatur : qui suspendio
vitam finijsset, nisi fuga saluti suæ consuluisset. Pag. 151. circa medium,
legi velim Parisiensis Cystotomus, Franciscus Collot dictus ; in ista enim operatione
vesica secatur, non lapis aut calculus : hîc etiam vivunt alij Collotij, Francisco nostro planè impares, et cum eo nullomodo comparandi. Quæ hîc dicitur de fructu trans-
fusionis sanguinis,
pag. 217. meræ sunt fabulæ, et pura puta mendacia : nullum enim suc-
cessum habuit hactenus nova ista medicatio : quin potiùs obierunt omnes illi in
quibus experimentum factum est. Pag. 218. Planè indignus est qui in tuo libro nominetur
iste Cl. Tardi : vir est fatuus, ac penè et delirus, ac penè septuagenarius, ejus-
modi novitatum studio laborans, non alia fini quàm famem sedet, et faciat rem, si non rem,
quocumque modo rem : numquam succedet ista medicatio : et quæ de ea re
scripta sunt hactenus, non solùm fabulosa sunt, sed et ridicula. Pag. 171.
de fato Vesalij vide Rioloanum in Anthropographia, ut et de Ambr. Paræo :
de quo verissimum habeo quod à majorib. nostris olim accepi, ejusmodi Opus Chirur-
gicum Authores habuisse duos juniores Medicos Parisienses, nempe Io. Hautin et
Henr. Blacvod, Scotum, qui pro præsentibus nummis Paræo talem librum consarcina-
runt : et notatu dignum duos illos Doctores valde senes hîc obijsse, anno 1616. Si
ex Disputationibus vestris Medicis vænales aliquot prostarent apud Typo-
graphos vestrates, eas mihi præsentibus nummis libenter compararem :
eas præsertim quæ fuerunt dispropositæ ab anno 1660. de quo negotio rogo
Te, Vir Cl. ut velis cogitare : impensas refundam per amicum qui nunc apud
vos agit. Cætera mihi desunt quæ scribam : hoc unum Te rogo, Vir Cl. vive,
vale, et me ama.
Parisijs, 18. Iunij, 1668. Tuus ex animo, G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Jan van Horne, le 18 juin 1668

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(Consulté le 28/03/2024)

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