[Desmarets, livre i, page 123 | LAT | IMG]
Épître xxxiv.
Sur les bibliothèques publiques et le choix de livres qu’on doit y trouver. [a][1][2]
Vous ayant déjà entretenu en une autre lettre sur l’utilité des bibliothèques publiques, [1] il m’a maintenant semblé bon de vous écrire pareillement un mot sur les bibliothèques privées ; ce que je ne crois pas être sans intérêt, car vous en possédez une qui est remarquablement pourvue en livres. Il faut pourtant la tenir pour publique plutôt que strictement privée, dans la mesure où elle est ouverte à l’usage de tous. [3] Je pense donc ne devoir l’examiner qu’au regard de celui qui s’y procure des livres, c’est-à-dire du service qu’elle lui rend, car je suis peu sensible aux parures, ne me souciant guère que les cuirs des reliures soient très précieux et resplendissants, [Desmarets, livre i, page 124 | LAT | IMG] que la plus grande partie en soit de même couleur, ou munie des autres ornements qui se sont substitués aux cornua, umbilici et bullæ, dont on faisait usage dans l’Antiquité. [2] Pareillement, je ne blâme pas les gens riches et de haut rang, qui font presque tout pour la pompe et l’ostentation, et qui, comme dit Sénèque, « n’acquièrent pas des livres pour l’étude mais pour la montre ». [3][4] Quelle n’est donc pas, dit-il encore, la médiocre fortune de ces hommes « qui mettent tout leur plaisir dans les frontispices et les titres de leurs volumes, et n’achètent ces précieux ouvrages de divins génies, semés de leurs illustrations, que pour parader et décorer les murs » ? [4] Il suffit de prendre soin que les livres soient bien imprimés et, par-dessus tout, bien corrigés. Si je recherche quelque ornement dans les bibliothèques, qu’il s’agisse de statues ou de portraits de doctes personnages, comme sont les tableaux qu’on voit à la Bibliothèque Richelieu, [5][5][6] placés au-dessus des rayonnages, où sont peints ceux qui ont brillé par leur savoir au cours de ce siècle ou du précédent ; tout comme vous avez réuni dans la vôtre ceux d’auteurs contemporains, mais aussi plus anciens, que vous aimez tout patriculièrement. [6][7] « L’idée de réunir ces portraits est, à Rome, due à Asinius Pollio, dit Pline [Desmarets, livre i, page 125 | LAT | IMG] l’Ancien, qui le premier, en ouvrant une bibliothèque, fit des beaux génies une propriété publique. » Nous éprouvons en effet un attrait naturel à connaître les visages et les corps de ceux dont, dit le même auteur, « les esprits immortels nous parlent encore en ces mêmes lieux ». [7][8][9][10] Je voudrais cependant surtout d’un choix de livres, en y cherchant moins la quantité que la qualité ; et j’envierais ceux qui collectionnent un grand nombre de livres, en émules du grammairien Épaphrodite de Chéronée, dont Suidas dit qu’il achetait avec une assiduité telle qu’il en amassa jusqu’à trente milliers, mais seulement des meilleurs et des mieux choisis. [8][11][12] Une immense accumulation de volumes en tous genres, même ineptes et futiles, est en effet plutôt un encombrement qu’un ornement d’une bibliothèque. Sénèque dit que la dépense occasionnée par les études est la plus honorable de toutes, tout en ne voulant la tenir pour raisonnable que dans la mesure où elle reste modérée, et s’il ne qualifie pas la Bibliothèque d’Alexandrie [13] de chef-d’œuvre du goût et de la sollicitude des rois, comme fait Tite-Live, [14] mais d’exubérance studieuse, bien qu’il n’y eût alors pas autant de mauvais livres qu’aujourd’hui. [9] Que dire alors de ces bibliothèques publiques et de celles des puissants de ce monde, où ne font que s’accumuler d’innombrables livres, sans presque aucun tri, ni souci de les pourvoir [Desmarets, livre i, page 126 | LAT | IMG] pourvues de bons et utiles livres plutôt que de mauvais ? Par contre, suivant la coutume antique de ne confier les bibliothèques qu’à des grammairiens parfaitement éprouvés, ceux qui les dirigent aujourd’hui, afin que n’y soient conservés les écrits d’aucun auteur inepte, devraient établir une sorte de tribunal des livres. Le fait est que, pour le profit des imprimeurs, ce genre d’ouvrages pullule infiniment : il faudrait s’acharner à les supprimer et anéantir, afin que, par leur multitude, ils ne couvrent et n’étouffent la bien moindre troupe des bons livres. Je tiens alors pour mal placée la diligence de ces hommes qui collectionnent les Cæsius, les Aquinus, les plus mauvais poètes qui sont les plaies de ce temps, enfin tous ses poisons, [10][15][16] et qui ne laissent absolument rien d’inédit dans les tiroirs des libraires. À l’opposé, s’il m’est permis de le dire, je ne puis là-dessus m’empêcher de me fâcher en quelque façon contre les abus religieux des prélats de l’Église, car ils ont, dit-on, livré aux flammes maints remarquables ouvrages des Grecs et des Latins, comme ils ont fait de leurs temples : qu’ils craignent donc quelque dommage, si minime soit-il, de se porter contre notre religion. [11][17] Jean de Salisbury témoigne solidement que saint Grégoire a non seulement chassé l’astrologie de la [Desmarets, livre i, page 127 | LAT | IMG] cour, mais a aussi livré aux flammes les écrits qui semblaient dévoiler aux hommes l’intention céleste et les oracles. [12][18][19][20] À n’en pas douter, les écrits pernicieux et abominables d’ennemis déclarés de notre culte, tels que furent Celsus, [21] Porphyrius, [22] Julianus, [23] ont été supprimés, et non sans d’excellentes raisons. [13] L’ont pareillement été les volumes qui contribuaient à corrompre les mœurs, tels les opuscules d’Éléphantis, [14][24] le Milesiaka d’Aristide [15][25] et semblables monstruosités tout emplies d’obscénité. Un Italien s’est pourtant efforcé de réparer cette perte au siècle dernier. [16][26] Mais quel crime a donc commis Tacite, [27] auteur qui s’est tant voué à favoriser la prudence citoyenne ? Pourquoi faire disparaître ce qu’il a écrit d’utile sous d’autres rapports ? Il n’a servi à rien pour le malheureux Tacite qu’un empereur de mêmes famille et nom que lui [28] ait fait placer ses œuvres dans toutes les bibliothèques. Tertullien [29] l’appelle le plus verbeux des menteurs, pour quelques passages où il a piqué les juifs et les chrétiens, [17][30] et il s’en est fallu de peu que nous soyons privés de cet éminent historien ; mais lesdits passages figurent encore dans les livres qui nous restent de lui. Ces désastres sont néanmoins légers quand on les compare à ceux que la barbarie des Goths qui, par la suite, a inondé presque la totalité du monde, a infligés [Desmarets, livre i, page 128 | LAT | IMG] aux livres : un peuple dénué de toute civilité semblait avoir déclaré la guerre à tous les éminents chefs-d’œuvre, tout particulièrement littéraires, qui nous rendent plus aimables. Pour terminer enfin, « puisqu’une lettre ne doit pas emplir la main gauche de celui qui la lit », [18][31] j’en reviens au point d’où j’ai entamé ma digression : je n’estime pas les bibliothèques pour leur volume, et fais le plus grand cas de celles dont la taille est moyenne, tout en disposant d’un ample choix de livres courants, mais dont certains doivent sortir du banal. Je permets pourtant à d’autres d’en juger différemment. Vale.
Lettre imprimée, non datée, que Roland Desmarets de Saint-Sorlin a écrite à Guidoni Patino Doctori Medico [Guy Patin, docteur en médecine] : Desmarets, livre i (Paris, 1650, pour la première édition), Epistola xxxiv (pages 123‑128).
Précédente lettre de Roland Desmarest de Saint-Sorlin à Guy Patin.
Par pédantisme mêlé d’ironie, Roland Desmarets évoquait la manière dont on parait les volumes {a} dans l’Antiquité : ils se présentaient sous la forme d’une longue feuille de parchemin ou de papyrus, enroulée {b} sur elle-même autour d’une baguette ; {c} ses deux extrémités portaient le nom d’umbilicus ; {d} elles pouvaient être ornées et renforcées soit par des poma, {e} en corne {f} ou en ivoire, {g} soit par des bullæ. {h} Hermannus Hugo en a donné un bon aperçu dans le chapitre xxv, De ornatu librorum [L’ornement des livres], de son ouvrage De prima scribendo Origine… [De la première Origine de l’écriture…]. {i} L’adoption par les Romains du livre relié, {j} bien plus commode, a ôté tout sens à ces termes.
- Volumina, « rouleaux » au sens latin primitif.
- Voluta.
- Bacillum.
- Pour leur ressemblance, en vue axiale du volume enroulé, avec un ombilic humain.
- Pommes.
- Cornua.
- Eburnea.
- Clous.
- Anvers, 1617, v. notule {a}, note [8] du Naudæana 3.
- Liber.
Sénèque le Jeune, La Tranquillité de l’âme, chapitre 9, § 5 :
Quadringenta millia librorum Alexandriæ arserunt. Pulcherrimum regiæ opulentiæ monumentum alius laudauerit, sicut et Liuius, qui elegantiæ regum curæque egregium id opus ait fuisse. Non fuit elegantia illud aut cura, sed studiosa luxuria, immo ne studiosa quidem, quoniam non in studium, sed in spectaculum comparauerant, sicut plerisque ignaris etiam puerilium litterarum libri non studiorum instrumenta, sed cenationum ornamenta sunt. Paretur itaque librorum quantum satis sit, nihil in apparatum.[Quatre cent mille volumes ont brûlé à Alexandrie. {a} Un autre a loué ce superbe monument d’opulence pharaonique, tout comme Tite-Live disant qu’elle a été le chef-d’œuvre du goût et de la sollicitude de ces rois. {b} Il ne s’agissait ni de goût ni de sollicitude, mais bien d’exubérance studieuse ; je dirais même que studieuse n’est pas le bon mot, car ils ne l’avaient pas acquise pour l’étude, mais pour la montre ; à l’instar de quantité d’ignorants, à qui les livres, même de littérature enfantine, ne servent pas à étudier, mais à décorer leurs salles à manger. Qu’on se contente donc de la quantité de livres qui satisfait notre besoin de lire, sans aucun pour l’apparat].
- V. note [1] de la précédente lettre de Roland Desmarets.
- Tite-Live (v. note [2], lettre 127), dans un ouvrage aujourd’hui perdu.
Sénèque le Jeune, La Tranquillité de l’âme, chapitre 9, § 6‑7 :
Quid habes cur ignoscas homini armaria e citro atque ebore captanti, corpora conquirenti aut ignotorum auctorum aut improbatorum et inter tot milia librorum oscitanti, cui voluminum suorum frontes maxime placent titulique ?[…] Ignoscerem plane, si studiorum nimia cupidine erraretur ; nunc ista conquisita, {a} cum imaginibus suis discripta, {b} sacrorum opera ingeniorum in speciem et cultum parietum comparantur.
[Quelle raison as-tu d’être indulgent envers un homme qui recherche les rayonnages en citronnier garni d’ivoire, y amasse les œuvres d’auteurs inconnus ou méprisés, puis bâille au milieu de ces milliers de livres et met tout son plaisir dans leurs frontispices et dans leurs titres ?
(…) Je pardonnerais tout à fait cela, si c’était l’égarement d’un excessif amour pour l’étude ; mais on n’achète plus aujourd’hui ces précieux ouvrages de divins génies, semés de leurs illustrations, que pour parader et décorer les murs].
- Emploi du synonyme exquisita dans la lettre de Roland Desmarets.
- J’ai corrigé descripta dans la lettre de Desmarets, parce que ce mot change le sens du propos : des « auteurs dépeints par leurs portraits » au lieu des « ouvrages semés de leurs illustrations ».
Seule la détestation de Mazarin me semble expliquer pourquoi Roland Desmarets donnait le nom de Bibliothèque Richelieu {a} à la Bibliothèque mazarine, fondée et ouverte au public en 1643. {b} Après avoir brièvement été le bibliothécaire de Richelieu (mort en décembre 1642), Gabriel Naudé {c} était devenu celui de Mazarin et enrichissait considérablement depuis sa collection de livres. Aujourd’hui subsiste une distinction entre : la Bibliothèque Richelieu, qui a été et demeure le berceau de la Bibliothèque nationale de France (ci-devant royale puis impériale), sur la rive droite de la Seine (rue Vivienne, iie arrondissement) ; et la Bibliothèque mazarine, qui est rattachée à l’Institut de France, sur la rive gauche (quai de Conti, vie arrondissement).
- Richeliana bibliotheca, bibliothèque que Richelieu avait assemblée dans son Palais-Cardinal (achevé en 1639, v. note [33], lettre 104), mais qu’il n’ouvrit pas au public.
- V. notes [22] et [33], lettre 279.
- V. note [9], lettre 3.
Guy Patin a plusieurs fois donné la liste des portraits (« laraire ») qui décoraient sa bibliothèque : v. le premier paragraphe de la lettre 251, la note [14] de la lettre 467, ou la fin de la lettre latine 99.
Caius Asinius Pollio (Pollion en français), homme politique et littérateur romain mort en l’an 4 de notre ère, consacra une partie de sa fortune à embellir Rome : v. note [2] de la précédente lettre de Roland Desmarets pour la première bibliothèque publique qu’il y créa en 38 av. J.‑C. (avec Varron, v. note [1], lettre 14).
Desmarets citait deux extraits de Pline l’Ancien (Histoire naturelle, livre xxxv, chapitre ii, Littré Pli, volume 2, page 463) :
Non est prætereundum et novitium inventum. Siquidem non ex auro argentove, aut certe ex ære in bibliothecis dicantur illi, quorum inmortales animæ in locis iisdem loquuntur : quin immo etiam quæ non sunt, finguntur, pariuntque desideria non traditos vultus, sicut in Homero evenit. Quo majus (ut equidem arbitror), nullum est felicitatis specimen, quam semper omnes scire cupere, qualis fuerit aliquis. Asini Pollionis hoc Romæ inventum, qui primus bibliothecam dicando ingenia hominum rem publicam fecit.« Il ne faut pas omettre ici une invention nouvelle : maintenant, on consacre en or, en argent, ou du moins en bronze, dans les bibliothèques, ceux dont l’esprit immortel parle encore en ces mêmes lieux ; on va même jusqu’à refaire d’idée les images qui n’existent plus ; les regrets prêtent des traits à des figures que la tradition n’a point transmises, comme il est arrivé pour Homère. C’est, je pense, pour un homme la plus grande preuve du succès, que ce désir général de savoir quels ont été ses traits. L’idée de réunir ces portraits est, à Rome, due à Asinius Pollion, qui le premier, en ouvrant une bibliothèque, fit des beaux génies une propriété publique. » {a}
- V. note [15], lettre de Jan van Beverwijk datée du 30 juillet 1640 pour le commentaire de Juste Lipse sur le sujet, dans son Sintagma de Bibliothecis [Traité sur les bibliothèques] (Anvers, 1602).
Épaphrodite de Chéronée (en Boétie) est un grammairien du ier s. qui n’est essentiellement connu que par ce qu’en a dit la Souda de Suidas (Adler number “ epsilon, 2004 ”, traduit de l’anglais) : {a}
« Il naquit esclave dans la maison du grammairien Archias d’Alexandrie, qui veilla à son éducation. Il fut ensuite acheté par Modestus, préfet d’Égypte, et devint le précepteur de son fils Petelinus. Il séjourna à Rome depuis Néron jusqu’à Nerva : {b} c’était au temps où vivait Ptolémée, fils d’Héphæstios, {c} ainsi que de nombreux autres éminents pédagogues. Achetant constamment des livres, il posséda 30 000 volumes, tous sérieux et bien choisis. Il était grand de stature imposante et de peau sombre, comme un éléphant. Il résidait dans la ville qui porte le nom de Phaïnanokoria, {d} où il acheta deux maisons. Il mourut à l’âge de 75 ans, atteint d’hydropisie, {e} et a laissé un nombre considérable d’écrits. » {f}
- V. note [47] du Grotiana 2.
- Soit entre 54-68 (règne de Néron) et 96-98 (Nerva).
- Grammairien originaire d’Alexandrie.
- Énigme géographique qui a donné lieu à diverses hypothèses.
- V. note [12], lettre 8.
- Il s’agirait de commentaires sur Homère et d’autres grands littérateurs grecs antiques.
Sénèque le Jeune, La Tranquillité de l’âme, chapitre 9, § 4 :
Studiorum quoque, quæ liberalissima impensa est, tamdiu rationem habet quamdiu modum. Quo innumerabiles libros et bibliothecas, quarum dominus vix tota vita indices perlegit ? Onerat discentem turba, non instruit, multoque satius est paucis te auctoribus tradere quam errare per multos.[Les dépenses occasionnées par les études, qui sont les plus honorables de toutes, ne me paraissent raisonnables que dans la mesure où elles restent modérées. À quoi bon d’innombrables livres et bibliothèques, dont toute la vie de leurs propriétaires suffirait difficilement à lire les titres ? Leur masse écrase celui qui veut apprendre, mais ne l’instruit pas, et te contenter d’un petit nombre d’auteurs vaut bien mieux pour toi que de t’égarer dans une foule d’autres].
V. supra note [3] pour la suite du même chapitre (§ 5), où Sénèque blâme l’éblouissement de Tite-Live devant la Bibliothèque d’Alexandrie.
Parmi ce qu’il tenait pour les calamités littéraires de l’époque, Roland Desmarets visait nommément deux auteurs, que Guy Patin devait connaître. En me fiant au contenu de notre édition (faute de meilleure inspiration et sans écarter la possibilité de synonymes), j’opte pour :
Pour Roland Desmarets, « notre religion » était celle des bons livres, la bibliomanie, qu’il partageait avec Guy Patin ; sans toutefois exclure qu’elle pût être teintée de « libertinage érudit » (v. note [9], lettre 60), mais la suite ne plaide pas pour cette interprétation (v. infra note [13]).
Roland Desmarets résumait un passage du Policraticus (pages 123‑124) de Jean de Salisbury : {a}
Si vero mathematicorum via esset usquequaque laudabilis, on tantopere pœnituisset magnum Augustinum se eorum consultationibus inclinasse. Ad hæc doctor sanctissimus ille Gregorius qui melleo prædicationis imbre totam rigavit et inebroavit ecclesiam, non modo mathesin iussit ab aula recedere, sed ut traditur a maioribus, incendio dedit probatæ lectionisScripta, Palatinus quæcunque tenebat Apollo,in quibus erant præcipua, quæ cœlestium mentem, et superiorum oracula videbantur hominibus revelare. Quid multa ? Nonne satis est quod hanc vanitatem catholica et universalis Ecclesia detestatur, et es, qui eam ulterius exercere præsumpserint, legitmis pœnis mulctat ? Sed ne planetariorum non tam persequi, quam sequi videamur errorem, iam ad reliqua perogrediatur oratio. Qui enim huic curiositati inserviunt, non magis veraces esse possunt, quam humiles et sobrii, qui primos recubitus in cœnis appetuunt, et epulantur quotidie splendide. Postremo plurimos eorum audivi, novi multos, sed neminem in hoc errore diutius fuisse recolo, in quo manus fomini condignam non exercuerit ultionem. {b}
« Au reste, si le procédé des mathématiciens était si louable, le grand saint Augustin {c} ne se fût pas tant repenti d’avoir suivi leurs consultations. Davantage, un des plus doctes des Saints Pères, j’entends Grégoire le Grand {d} qui, par la pluie sacrée de sa prédication arrosa toute la Terre, et l’enivra du torrent de son éloquence, ne bannit seulement pas la judiciaire de la cour, {e} mais encore jeta dans le feu
Les écrits qu’Appollon gardait au Capitole, {f}dont les principaux étaient ceux qui semblaient révéler l’intention des dieux, et les oracles du ciel. Quoi plus ? Vous suffit-il pas que l’Église universelle déteste cette vanité, en châtiant par des supplices légitimes ceux qui l’osent désormais exercer ? Mais de peur qu’on ne nous accuse de suivre plutôt l’erreur des judiciaires que de la poursuivren passons au reste ; car il est certain que ceux qui s’attachent à cette curiosité sont aussi peu véritables que ceux qui affectent les premières places à table, et qui font tous les jours festin peuvent être sobres. En un mot, j’en ai entendu parler de plusieurs, et j’en ai connu quantité, mais il ne me souvient point qu’aucun ait persévéré longtemps dans cette erreur, sur qui la main de Dieu n’ait exercé une équitable vengeance. »
- Livre ii, chapitre xxvi {i} (pages 123‑124), du plus célèbre ouvrage (écrit vers 1159) de Jean de Salisbury, {ii} Policraticus, sive de nugis Curialium, et vestigiis Philosophorum, Libri octo… [Policraticus, {iii} ou huit livres sur les sornettes des courtisans et les vestiges des philosophes…]. {iv}
- Quod sentientia Dei moveri potest, quod consilium Dei immutabile est, et voluntas Dei prima omnium causa, et quod mathesis via damnatione est, « Que Dieu peut rétracter ses arrêts, encore que son conseil soit immuable ; Que sa volonté est la première cause de tout ; Que l’astrologie judiciaire est le chemin de l’enfer » (traduction de François-Eudes de Mézeray, v. infra notule {b}).
- V. note [4], lettre 949.
- Policraticus est un néologisme associant deux mots grecs, polis, « la cité », et kratos, « pouvoir », pour désigner « l’exercice du pouvoir sur la cité », ou « policratique ».
- Leyde, Ioannes Maire, 1639, in‑8o de 931 pages, ouvrage dédié par le libraire à Claude i de Saumaise.
- J’ai recouru à la fidèle traduction française de François-Eudes de Mézeray (v. note [11], lettre 776) : Les Vanités de la cour (Paris, Toussaint Quinet, 1639, in‑4o de 655 pages) (page 193).
- Augustin d’Hippone, v. note [5], lettre 91.
- Le pape Grégoire ier (au vie s., v. note [19] du Naudæana 3).
- L’astrologie divinatoire condamnée par la cour pontificale.
- Ce propos (sans autre source latine identifiée) désigne les écrits que conservait la bibliothèque du mont Palatin établie par Asinius Pollio (v. note [2], première lettre de Demarets). Peu d’entre eux étaient consacrés à l’astrologie, mais elle était le prétexte de leur destruction, dont la véritable raison était le paganisme, qu’entendait anéantir l’Église romaine.
V. notes [41] du Faux Patiniana II‑2 pour l’avis de François i La Mothe Le Vayer sur cet autodafé, et [74] du Naudæana 1 pour celui qui a été commis par l’autre saint pape, Grégoire vii (1073-1085).
Roland Desmarets s’attaquait à trois ennemis du christianisme (« notre culte »), dont les écrits ont été détruits :
Les opuscules d’Éléphantis, poétesse grecque de l’Antiquité, ne nous sont connus que par les allusions contenues dans trois ouvrages latins.
Cubicula plurifariam disposita tabellis ac sigillis lascivissimarum picturarum et figurarum adornavit librisque Elephantidis instruxit, ne cui in opera edenda exemplar imperatæ scenæ deesset.[En divers endroits, il avait décoré des cabinets avec des peintures et des statuettes extrêmement lascives, et y avait aussi rangé les livres d’Éléphantis, afin que nul ne manquât de modèle pour s’adonner au ballet qu’il avait ordonné].
Facundos mihi de libidinosis
Legisti nimium, Sabelle, versus,
Quales nec Didymi sciunt puellæ
Nec molles Elephantidos libelli[Les vers que tu m’as lus, Sabellus, m’en ont bien plus appris sur les débauches que n’en savent les filles de Didyme {a} ou les langoureux opuscules d’Eléphantis].
Obscenis rigido deo tabellas
Ducens ex Elephantidos libellis
Dat donum Lalage : rogatque, tentes,
Si pictas opus edat ad figuras.[En offrande au dieu en érection, Lalage apporte des tablettes qu’elle a tirées des petits livres d’Éléphantis, et demande son aide pour essayer les postures qui y sont dépeintes]. {c}
Elephantis puella Græca σχηματα συνουσω varios coëundi modos scripserat. Ex hujus ergo libris ductas picturas Lalage Priapi sacello suspendit, rogans ut se stuprare velit et tentare, an omnes istos pictos coëundi modos fideliter imitari possit. Hic sensus est carminis, aliud qui dicunt, campas loquuntur.[Éléphantis, jeune femme grecque formée aux relations amoureuses, avait décrit les diverses manières de s’accoupler. De ses livres, Lalage a donc tiré des dessins qu’elle a accrochés dans le petit sanctuaire de Priape, lui demandant qu’il veuille la caresser et la saillir, et puisse reproduire fidèlement toutes les manières de copuler qui y sont dépeintes. Tel est le sens de ce poème, ceux qui l’interprètent autrement s’égarent].
Les Milesiaka [Milésiaques] sont un recueil de contes érotiques grecs écrits par Aristide de Milet au iie s. av. J.‑C., qui ont été traduits en latin. {a} Plusieurs auteurs antiques en ont parlé, tel Plutarque, dans sa Vie de Crassus, après que les Parthes l’eurent vaincu et mis à mort : {b}
« […] Suréna {c} ayant fait assembler le Sénat de Séleucie, {d} leur produisit les livres impudiques d’Aristide qui sont intitulés les Milésiaques, qui n’était pas chose faussement supposée, car ils avaient été trouvés et pris entre le bagage d’un Romain nommé Rustius : ce qui donna grande matière à Suréna de se moquer fort outrageusement et vilainement des mœurs de Romains, qu’il disait être si désordonnées qu’en la guerre même ils ne se pouvaient pas contenir de faire et de lire telles vilenies. Si sembla adonc aux seigneurs du Sénat de Séleucie qu’Ésope avait été bien sage quand il dit que les hommes portaient chacun à leur col une besace, et que dans la poche de devant ils mettaient les fautes d’autrui et dedans celle de derrière, les leurs propres, {e} quand ils considéraient que Suréna avait mis en la poche de devant ce livre des dissolutions milésiaques et en celle de derrière, une longue queue de délices et voluptés parthiennes qu’il traînait après soi en si grande nombre de chariots pleins de concubines que son armée ressemblait, par manière de dire, aux vipères et aux musaraignes, pource que le devant, et ce que l’on y rencontrait de premier front, était furieux et épouvantable, à cause que ce n’étaient que lances, javelines, arcs et chevaux, mais tout cela se finissait puis après en une traînée de putains, d’instruments de musique, danses, chansons et banquets dissolus, avec courtisanes toute la nuit. Je ne veux pas dire que Rustius ne fût bien à reprendre ; mais je dis que les Parthes étaient eux-mêmes bien déhontés de blâmer ces livres des délices milésiennes, attendu qu’ils ont eu plusieurs rois du sang royal des Arsacides {f} nés des courtisanes ioniques et milésiennes. »
- Par l’historien romain Lucius Cornelius Sisenna, sous le titre de Milesiæ Fabulæ [Fables de Milet], au ier s. av. J.‑C., ouvrage perdu dont Ovide a dit (Tristes, livre ii, vers 443‑444) :
Vertit Aristiden Sisenna, nec obfuit illi,
historiae turpis inseruisse iocos.[Sisenna a traduit Aristide, sans être arrêté par la honte de mêler des badinages à son histoire].
- V. note [23] du Faux Patiniana II‑7 ; par fidélité au temps de Guy Patin, j’ai emprunté la traduction de Jacques Amyot (Paris, 1622), tome second, pages 1115‑1116.
- Général parthe au ier s. av. J.‑C.
- Séleucie du Tigre en Mésopotamie (Irak), proche de Ctésiphon et de Bagdad.
- Les deux besaces, fable où Ésope (v. note [6], lettre 650) dénonce les hommes qui voient les défauts d’autrui tout en ignorant les leurs propres : soit « la poutre et la paille » que le Christ a blâmées dans le sermon sur la montagne.
- Dynastie fondée par Arsace ier (v. notule {a}, note [43] du Faux Patiniana II‑6).
Sonetti lussuriosi [Sonnets luxurieux] ou « postures » de l’Arétin (écrits en 1526) : v. note [12] du Patiniana I‑3 ; ce livre ne circulait alors que sous le manteau.
V. notes :
L’empereur Tacite (Marcus Claudius Tacitus) a régné neuf mois sur Rome (de septembre 275 à juin 276). Roland Desmarets empruntait son propos au Flavii Vopisci Syracusii Tacitus, {a} qui figure dans l’édition de l’Histoire Auguste par Isaac Casaubon (Paris, 1603) revue par Claude i de Saumaise, {b} avec ce passage (page 229 de la première partie) :
Cornelium Tacitum, scriptorem historiæ Augustæ, quod parentem suum eundem diceret, in omnibus bibliothecis collocari iussit : ne lectorum incuria deperiret, librum per annos singulos decies scribi publicitus in * euicis archiis iussit, et in bibliothecis poni.[Il ordonna que Cornelius Tacitus, auteur d’une histoire impériale, {c} fût mis dans toutes les bibliothèques, parce qu’il se disait être son parent ; et afin qu’il ne se perde par l’incurie des lecteurs, il ordonna publiquement que le livre fût copié dix fois tous les ans (…) {d} et placé dans les bibliothèques].
- Le Tacite de Flavius Vopiscus de Syracuse, l’un des six auteurs de l’Histoire Auguste (v. notule {a}, note [3] du Borboniana 6 manuscrit). Cette biographie impériale ne figure pas dans toutes les éditions du recueil.
- Paris, 1620, v. note [32], lettre 503.
- L’historien Publius Cornelius Tacitus (Tacite, mort en 120, v. note [20], lettre 176), dont les Annales et les Histoires couvrent la période qui va de 14 à 96 (des empereurs Tibère à Domitien).
- Trois mots latins intraduisibles, assortis de ce commentaire de Saumaise (page 418 de la 2e partie, note portant sur la ligne 31) :
Decies scribi publicitus in euicis archiis iussit. Non melius erit hunc locum tetigisse, illi præsertim qui dubiosa et incerta nolit pronuntiare. nos igitur eum hominibus et ingenio et otio paratioribus ventilandum et excutiendum libenter relinquimus, proposita prius scriptura antiquitus excusorum scriptorumque librorum, ut habeant in qua se exerceant et ingenii sui tentamenta capiant. ea est : decies scribi publicitus in euicosarchis iussit. cui non valde dissimilem proposuit ex libris suis Casaubonus. quod facit ad probandam illius in mendo fortasse, scripturæ constantiam.[Decies scribi publicitus in euicis archiis iussit. Il n’y aura pas meilleur façon de traiter ce passage, surtout pour qui ne veut pas se prononcer quand il est dans le doute et l’incertitude : nous laissons donc à des hommes qui disposent de plus d’ingéniosité et de loisir le soin de le discuter et secouer. Pour qu’ils aient de quoi travailler et amorcer leurs cogitations, voici la transcription proposée par les précédents ouvrages manuscrits et imprimés : decies scribi publicitus in euicosarchis iussit ; {i} cela est peu différent de ce que Casaubon a tiré de ses propres livres, {ii} et contribue peut-être à prouver la persistance de sa transcription erronée]. {iii}
- « il ordonna publiquement que [le livre] soit copié dix fois dans les éicosarchies. » Le mot éicosarchies pourrait être un improbable hellénisme désignant les gouvernements (arkhein, commander) des vingt (eikosa) provinces de l’Empire ; mais ce nombre est bien inférieur à celui des provinces qui existaient sous le règne de Tacite.
- L’avis de Casaubon est à la page 240 de la troisième partie (note sur la même ligne 31) :
Minima mutatione potest emendari hic locus, ut scribatur in cunctis archiis, vel ut placebat præstantissimo Scaligero, in æuicis arch. aut ciuicis. sed ne penitus istis emendationibus assentiamur facit scripta lectio, quæ aliud nescio quid in se continere deprauatum videtur. Eam apponam, ut doctis exercendi ingenij sit locus, habent igitur omnes membranæ vel in enchosarchis, ut regiæ ; vel ut Puteani, enicosarchis.[Un minime changement permet de corriger ce passage, pour écrire in cunctis archiis (dans tous les gouvernements) ou, comme il plaisait au très éminent (Joseph) Scaliger, in æuicis arch. (dans les anciens <?> gouvernements) ou ciuicis (pays de citoyenneté romaine) ; mais la lecture de ce qui est écrit, qui semble contenir en soi je ne sais quoi de corrompu, fait que nous n’adhérons pas entièrement à ces corrections. Afin de donner aux savants matière à exercer leur intelligence, j’ajoute donc que sur tous les vieux parchemins, on lit in enchosarchis, comme dans celui de la Bibliothèque royale, ou enicosarchis, comme dans celui des Dupuy].
- L’autorité philologique de Casaubon n’avait pas convaincu Saumaise. Quoi qu’il en soit, voilà un bel exemple de leurs joutes érudites, sur trois mots par lesquels Vopiscus voulait probablement dire que l’ordre de Tacite s’adressait à tout son empire.
L’Histoire Auguste éditée par André Chastagnol (Paris, 1994, pages 1046‑1047) n’a pas éludé la difficulté dans sa transcription, en imprimant ---evicos archiis, mais l’a traduite autrement, par « aux archives […], aux frais de l’État--- ».
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, fin de l’épître xlv :
Sed ne epistulæ modum excedam, quae non debet sinistram manum legentis implere…[Pour ne pas dépasser la longueur convenable d’une lettre, qui ne doit pas emplir la main gauche de celui qui la lit…] {a}
- V. note [8] du Naudæana 3 pour les tablettes sur lesquelles écrivaient les anciens Romains et leur nom de pugillares, indiquant qu’elles ne devaient pas excéder la taille d’une main (pugillus, « poignée »), ce qui interdisait un texte trop long. Sénèque ajoutait que le lecteur tenait la tablette dans la main gauche, sans doute pour avoir la droite libre de prendre des notes (ou de faire n’importe quoi d’autre).
multis, quàm vt bonis, et vtilibus sint in-
structæ, cura habentur ? cùm contrà ex mo-
re Grammaticorum, qui antiquitus non-
nisi probatissimi bibliothecis præficieban-
tur, qui illis hodie præpositi sunt, libro-
rum quasi quemdam Senatum legere de-
berent, ne qua ineptorum hominum scri-
pta in iis reponerentur. Istiusmodi enim
infinita Typographiæ beneficio quotidie
suppullulant, quæ omni ope supprimi, et
aboleri opporteret, ne bonorum multò mi-
norem turbam multitudine sua occultent,
aut obruant. Quorum hominum præpo-
steram diligentiam dum considero, qui
Cæsios, Aquinos, sæcli incommoda pessi-
mos Poëtas, demum omnia colligunt, ve-
nena, nec vlla Librariorum scrinia inex-
cussa reliquunt : ex aduerso non possum
facere, quin veterum Ecclesiæ Antisti-
tum nimiæ, si fas est dicere, hac in re re-
ligioni aliquo modo subirascar ; quos mul-
ta egregia Græcorum et Latinorum mo-
numenta unà cum ipsorum templis, flam-
mis dedidisse aiunt : dum verentur scilicet,
ne hinc etiam minimum in nostram reli-
gionem damnum inuehentur. Certè I.
Sarisberiensis auctor est, sanctum Grego-
rium non modò mathesim pepulisse ab
Epistola xxxiv.
De privatis bibliothecis, et de habendo libro-
rum delectu.
Quoniam aliâ espistolâ de publi-
carum bibliothecarum vsu tecum dis-
serui : nunc itidem ad te priuatis aliquid
scribere visum. Quod non abs re mihi fa-
cere videor. Bibliothecam enim libro-
rum supellectile egregiè instructam ha-
bes : quamquam ea non tam priuata dici
debet, quàm publica, vtpote quæ om-
nium vsibus promiscuè pateat. In libris
igitur id solummodò cuius gratiâ compara-
ti sunt, nempe vsum, considerandum cen-
seo. nec me valdè afficiunt ornamenta,
nec magnopere curo, ut volumina pelli-
bus pretiosissimis, et nitidissimis, etiam
magna ex parte vnicoloribus vestiantur,
aliisque rebus exornentur, quæ cornuum,
umbilicorum, et bullarum vice sint, quæ
antiquitas usurpauit. quod equidem non
culpo in opulentis, et principibus viris,
qui ad pompam, et ostentationem omnia
ferè agunt, et libros non in studium, sed
in spectaculum, vt ait Seneca, compa-
rant. Sed quantum est mediocris fortunæ
hominum, quibus, ut inquit idem, volu-
minum suorum frontes maximè placent,
titulique, et exquisita, et cum imagini-
bus suis descripta {a} sacrorum opera ingenio-
rum in speciem, et cultum parietum com-
parantur ? Tantummodò sufficiat curare,
ut librorum editiones sint elegantes, su-
pra verò omnia vt quàm emendatæ. Quòd
si quem ornatum in bibliothecis requi-
ram, statuæ sint, aut imagines doctorum
virorum, quales in tabulis depictas, Ri-
chelanæque bibliothecæ armariis super-
positas vidimus, eorum, qui nostro, aut
superiore sæculo doctrinâ claruerunt, quo-
rum etiam icones non paucas, vt non hu-
ius modò ætatis, sed etiam superiorum
eruditos viros singulariter amas, collegi-
sti. Quod Asinij Pollionis Romæ inuen-
tum fuit, qui primus, vt inquit Plinius
- Sic pour discripta.
Maior, bibliothecam dicando, ingenia ho-
minum publicam rem fecit. Naturâ enim
trahimur ad effigies, et corpora eorum
noscenda, quorum immortales animæ, ut
idem ait, in iisdem locis loquuntur. Sed
præcipuè librorum delectum haberi ve-
lim, nec tam copiam quæri, quàm boni-
tatem : eósque qui quamplurimos libros
colligunt, Epaphroditum Chæronensem
Grammaticum æmulari cupiam, quem
Suidas tradit assiduè libros ementem, ad
triginta millia collegisse, sed optimorum
tantùm, et selectorum. Immensa enim
omnis generis voluminum, etiam inepto-
rum, et futilium congeries impedimen-
tum potiùs est bibliothecæ, quàm orna-
mentum. Quòd si Seneca studiorum,
quam liberalissimam impensam vocat,
tamdiu rationem haberi vult, quamdiu
modus habebitur, et Alexandrinam bi-
bliothecam non, vt Liuius, elegantiæ re-
gnum, curæque egregium opus, sed stu-
diosam luxuriam appellat, cùm tamen
tunc malorum librorum non tantùm esset,
quantùum hodie ; quid dicendum de his
publicis, et magnatum bibliothecis, in
quibus nullo ferè delectu, innumeri tan-
tummodò libri accumulantur, et potiùs vt
aulâ, sed etiam incendio dedisse scripta,
quæ cælestium mentem, et oracula ho-
minibus reuelare videbantur. Apertorum
quidem nostri cultus hostium, quales Cel-
sus, Porphyrius, Iulianus fuerunt, pesti-
fera, et abominanda scripta quin optimo
consilio, et ratione, suppressa sint, non
dubitum est. Similiter quæ ad morum cor-
ruptelam valebant, ut Elephantidis libel-
li, Aristidis Milesiaca, et talium porten-
torum omni obscœnitate referta volumi-
na ; quorum tamen iacturam quidam Ita-
lus superiore sæculo sarcire conatus est.
Sed quid Tacitus ad prudentiam ciuilem
scriptor tam appositus commeruit ? quid
tot alij alioquin vtiles fecerunt, ut peri-
rent ? Profuit ergo nihil misero Tacito,
quòd gentilis, et cognominis Imperator
eius opera in omnibus bibliothecis collo-
cauerat. Ob aliquot scilicet loca, in qui-
bus Iudæos, et Christianos perstrinxit,
pæne nobis periit eximius Historicus, quem
ideò Tertullianus mendaciorum loqua-
cissimum vocat : quamquam ea ipsa loca
in libris qui reliqui sunt, adhuc compa-
rent. Leues tamen sunt eæ clades præ iis,
quas Gothica barbaries, quæ postea vni-
uersum pæne orbem inundauit, libris in-
tulit. Gens enim omnis humanitatis ex-
pers, omnibus egregiorum operum monu-
mentis, sed maximè literis, quæ nos hu-
maniores reddunt, bellum indixisse vide-
batur. Sed ut aliquando finiam, quando-
quidem epistola non debet sinistram ma-
num legentis implere, et eò, unde digres-
sus sum, redeam : bibliothecas ex mole
non æstimo, modicámque cum delectu,
quàm amplam, promiscuis, et quibuscun-
que, etiam è triuio libris refertam, pluris
facio. Alij verò vt aliter sentiant, per me
licet. Vale.