L. 554.  >
À André Falconet,
le 31 janvier 1659

Monsieur mon bon ami, [a][1]

Je n’étais pas en peine de vous et n’attendais de vos nouvelles que lorsqu’il plairait à Dieu vous inspirer de m’écrire. Je n’ai point coutume de me mettre en peine de mes amis si je n’en ai quelque occasion ; néanmoins, votre belle lettre du 21e de janvier m’a fort réjoui. J’ai été bien aise d’apprendre que la grande Babylone [1][2] vous ait quitté et que vous soyez déchargé de telle caravane de tant de bonnes gens qui ne font que de l’ordure, de la pauvreté, des dettes et des cocus partout où ils vont. Tout est ici revenu en bonne santé, pour le maître et ce qui lui appartient, Dieu merci. Pour le reste minimum est quod scire laboro, de Iove dumtaxat curam gero, ille solus mihi est omnia[2][3][4][5] j’entends le bon roi, [6] notre maître que Dieu conserve avec son très cher frère. [7] Je ne me soucie guère du reste ; je ressemble au dieu des épicuriens qui, au dire de Lucrèce [8] qui a été sacré le plus savant de tous les poètes latins, Nec bene pro meritis capitur, nec tangitur ira[3] Celui qui a eu la goutte [4][9] en a été quitte à bon marché. Malepeste de la goutte ! [5][10] que n’a-t-il eu la peste puisqu’il la mérite bien, mais qu’y ferions-nous ? Hoc erat in fatis : sic placuit Superis, quærere plura nefas[6] Quelque jour viendra que sui finem reperiet, et tandem desinet miniatus ille Iupiter, ne dicam mactator, et humani generis tortor et carnifex, sed eheu ! Sat. [7][11][12] Vous êtes quitte à bon marché de n’avoir point donné d’argent, je m’en réjouis, non equidem invideo, miror magis ; [8][13] mais je plains bien fort ceux de Dijon [14] qui sont si maltraités ; peut-être qu’ils l’ont mérité ou qu’ils le méritent, eux et leurs parents. On croit bien ici que le roi épousera l’infante d’Espagne [15] et tous, tant que nous sommes de bons Français, le désirons bien fort. Cela fera finir la guerre et elle nous sera une reine de paix, [16] ainsi soit-il. Si le cardinal désire ce mariage, j’en suis ravi, son contentement servira fort à le faire avancer. On dit ici que le prince de Conti [17] et sa femme [18] sont guéris. Il y a eu quelques médecins et chirurgiens enfermés avec eux à Saint-Maur, [19] personne ne doute que la syphilis [20] n’ait été ce qui les a occupés. À la bonne heure qu’il soit bien guéri ! il faut aimer le maître et les parents du maître. On dit qu’un des nôtres nommé Le Coq, [9][21] en parlant de François ier [22] pour qui il était consulté, [23] voyant qu’il avait cette syphilis, dit à Fernel [24] qui proposait son opiate : [25] C’est un vilain qui a gagné la vérole, frottetur [10] comme un autre, et comme le dernier de son royaume ; cela fut rapporté à ce bon roi qui n’en fit que rire et lui en sut bon gré. Vous savez bien pour qui je parle (L.P. et L.P.D.C.). [11]

Pour les malades qui sont morts, entre Crest et Valence, [26] de la vapeur maligne d’un coffre, il y a d’anciennes histoires qui en disent de même d’un coffre qui fut ouvert en Éthiopie, d’où sortit une vapeur si maligne qu’elle infecta et empesta toute l’Égypte, toute la Grèce et une partie de l’Asie. Nous avons eu ici des fièvres continues [27] avec crachement de sang et des inflammations de poumon, [28] mais cela est passé et il n’y a presque point de malades ici ; pour les fièvres quartes, [29] il y en a fort peu. Notre écolier [30] est toujours gai et éveillé, il va voir mes deux docteurs, tantôt l’un, tantôt l’autre. [12] Il me disait hier que le second, qui est Carolus, [31] lui a promis de le mener à Cormeilles [32] et de lui apprendre bien des choses dans ce voyage. Votre fils en est ravi car il aime à apprendre et il prend grand plaisir dans la conversation du mien. Ce sera pour le carême prochain ; au moins ira-t-il à Pâques y voir les arbres fleuris ; et comme nous avons souvent des fêtes en été, il pourra quelquefois y aller pour y être deux ou trois jours, mais il n’y fait pas bon devant la Saint-Jean, car c’est alors qu’on peut y manger des cerises dont il y a plus de 200 arbres ; si bien que depuis ce temps jusqu’à la Toussaint il y a toujours du fruit. Je voudrais que Mme Falconet fût en assez bonne santé pour y venir prendre l’air et y passer un mois ou deux du beau temps d’été. La vue en est fort belle, l’air fort bon et l’eau pareillement. Le jeune M. Choulier [33] y a passé quelques jours, il peut vous en parler. Il y aurait plaisir de faire ce voyage en venant de Roanne [34] par eau jusqu’à Orléans, [35] tandis que le roi irait à Bayonne [36] quérir notre reine, fiat, fiat ! [13]

Pour M. Du Buisson, [37] il est mort bien vite. Aussi n’y a-t-il rien qui aille si vite que les syncopæ cardiacæ, in quo symptomate cor statim suffocatur præ nimia sanguinis copia, ut cerebrum in vera et proprie dicta apolexia[14][38][39] Il y en a un chapitre dans les Institutions de médecine de Gaspard Hofmann, [40] page 414. [15] Galien [41] a fort bien connu ce mal, [16] mais en ce M. Du Buisson il y avait deux autres choses, savoir ulcère et érosion de la tunique de l’artère, [17][42] qui sont deux symptômes incurables, ανιατα. [18][43] Pour celui que vous dites être à M. l’abbé de Forcoal, [44] je ne le connais point. Pour cet abbé, [19] je l’ai autrefois traité fort malade de plusieurs maladies. Son père [45] me fit dire qu’il voulait me témoigner comme il faisait état de moi et qu’il me donnerait 100 écus par an pour être leur médecin ; cela fut fait et j’en ai reçu trois demi-années. [20][46] Cet abbé (qui ne l’était pas encore, mais seulement aumônier du roi) fut horriblement et grièvement malade ; il en échappa heureusement et on disait force louange de moi. Beaucoup de temps se passa que l’on ne me vint plus quérir de là-dedans. J’appris que Vallot [47] y allait, qui leur donnait des poudres, des eaux et des pilules, et que pour moi, on ne m’avait quitté qu’à cause que j’ordonnais trop peu de drogues (si les malades que j’y ai traités pendant trois ans y fussent morts, regardez ce qu’ils eussent dit, car il n’en mourut aucun). Quand j’ai rencontré le père par la ville, il m’a toujours dit qu’il m’enverrait voir, mais il n’en a rien fait ; aussi j’en suis demeuré là. Leur père était un misérable Cévenol et huguenot [48] qui vint à Paris chercher condition et faire fortune s’il pouvait. Il fut laquais chez un secrétaire du roi nommé M. Addée. [21][49] De laquais, il devint commis chez ce même maître qui était pareillement huguenot. Et enfin, cet homme, qui n’était rien, nuper in hanc urbem pedibus qui venerat albis[22][50] devint gros partisan et se fourra dans beaucoup d’affaires, aux aides, aux gabelles [51] et ailleurs, où il voulait gagner. Depuis, il changea de religion [52] pour devenir secrétaire du Conseil et devint encore plus grand partisan ; puis il maria sa fille unique, [53][54] qui était fort belle, à M. Addée, fils de son ancien maître, [55] qui est borgne et huguenot, mais elle est catholique. [23] Il avait plusieurs fils, dont il a fait l’aîné capitaine ; le second est maître des requêtes, le troisième aumônier du roi, qui est aujourd’hui abbé, Dieu sait à quel titre ! Le procès pour cette abbaye a duré douze ans, contre M. de Moricq, [56] conseiller d’État qui avait été un de ceux qui avaient condamné le pauvre maréchal de Marillac [57] et avait eu le don de cette abbaye pour récompense, outre de l’argent comptant, comme tous les autres en eurent, qui avaient conclu à la mort. [24] Il y a un fils théologien qui est devenu fou et quelques autres petits frères. Enfin, le père Forcoal est mort endetté de cinq ou six millions avec 300 procès de ceux à qui il doit. Le maître des requêtes est persécuté de tous côtés pour avoir répondu pour son père. Le secrétaire du Conseil, qui est un troisième fils bien fait, qui a eu la charge de son père, est en prison il y a plus de quatre mois, dans la Chambre des comptes. Cet aumônier que vous avez vu est un assez bon garçon, mais tout leur fait n’est que banqueroute, rapine du bien d’autrui, partisanterie et larcin, bonne chère en attendant. [25] Le père possédait de grands biens, qui étaient tous saisis plus de neuf ans avant qu’il mourut. Il avait une terre à deux lieues d’ici où il faisait, encore, tout vieux qu’il était, de grandes débauches et beaucoup de folles dépenses. C’était à Pantin, qui a autrefois appartenu à Fernel et dont il est parlé en sa vie. [26][58][59] Tout le secret de ces gens-là n’est que, tandis qu’ils ont bonne main, de prendre de tous côtés force argent, et enfin de faire banqueroute, non pas seulement à leurs créanciers, mais aussi à Dieu, à leur conscience et à leur honneur.

Ce 29e de janvier. Mais je viens de relire votre lettre, dont j’ai eu grande joie, où je pense avoir deviné le nom de celui que vous avez vu avec M. l’abbé Forcoal : c’est un jeune homme qui est beau garçon, nommé M. de Courcelles, [60] qui était le commis de M. de Forcoal. C’est lui que j’ai le premier traité en cette maison. Il est le fils d’un procureur de la Cour [61] dont j’ai été le médecin depuis l’an 1628 jusqu’à sa mort, environ l’an 1642. La mère est encore vivante, qui est bonne femme, plura coram ; [27] elle est fille de M. Fournier et d’une bonne femme que j’ai traités jusqu’à leur mort ; ces bonnes gens vere erant reliquiæ auræi sæculi[28]

Le roi est arrivé ce soir dans le Louvre, [62] le cardinal [63] est au Bois de Vincennes. [64] Don Juan d’Autriche [65] est encore dans Bruxelles, [66] on dit qu’il passera par ici, mais je ne le crois pas. [29] On s’apprête en Angleterre pour la séance du Parlement. [30][67] Et même, on dit qu’il sera besoin que le roi fasse un tour jusqu’à Rouen ou à Calais [68] pour renouveler notre alliance de guerre avec les Anglais contre l’Espagne ; mais peut-être qu’une trêve interviendra qui fera pendre les armes au croc aux uns et aux autres. Avant qu’il soit trois mois, nous verrons quel préparatif on fera pour le mariage du roi avec l’infante d’Espagne, qui est la chose du monde que je souhaite le plus fort pour le bien public de toute l’Europe chrétienne. On fait courir le bruit que l’électeur de Bavière [69] est en fort mauvais ménage avec Mme l’électrice [70][71] sur ce qu’on lui impute de l’avoir voulu faire tuer par quatre Italiens ; [31] cela sent le roman et je ne le crois point. Marie Stuart, [72][73] reine d’Écosse, [74][75] avait un secrétaire italien nommé David Rits ; [76] le roi son mari, Jacques v[77][78][79][80] en devint jaloux et le fit poignarder en sa présence et devant sa femme, d’où provint leur mauvais ménage et leur malheur à tous deux. Buchanan, [81] De Rebus Scotorum, en a écrit toute l’histoire doctement et élégamment. [32] Les princes sont malheureux en leurs familles aussi bien que les particuliers, et aussi le méritent-ils comme les autres car ils font quelquefois bien des fautes. On dit que la reine [82] s’est fort plainte à Lyon du voyage qu’on lui avait fait faire durant une si mauvaise saison, qu’elle n’y avait point tant été amenée que traînée, qu’elle en avait su mauvais gré à Son Éminence, qu’ils avaient été dix jours sans se voir, mais qu’enfin le roi les avait accordés.

Je vous supplie d’assurer Mlle Falconet de mes très humbles services. Notre écolier est gaillard et sain, il étudie diligemment et apprend bien l’histoire de Paris. Je lui ai promis que dimanche prochain il verra le roi et la reine à Saint-Germain-l’Auxerrois, [83] qui est leur paroisse et la nôtre, où ils ne manqueront pas de venir à la procession. [33][84][85] Les plus fraîches nouvelles qui courent sont que l’on attend réponse d’un courrier qui a été envoyé en Espagne, que l’empereur [86] même fait des offres pour la paix générale. Néanmoins, le roi de Suède [87] continue toujours ses efforts contre le roi de Danemark ; [88] les Hollandais font de grands efforts pour secourir celui-ci et les Anglais en font autant de leur côté pour l’autre. Le milord Protecteur [89] a découvert quelque traité clandestin fait par des princesses parentes du roi d’Angleterre [90] et y a donné ordre. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce dernier de janvier 1659.


a.

Bulderen, no cxxxiii (tome i, pages 349‑357) ; Reveillé-Parise, no ccccxlxix (tome iii, pages 118‑124).

1.

La cour : « Babylone est prise dans l’Écriture pour un lieu de désordre et de crime [v. notule {a}, note [28] du Borboniana 9 manuscrit]. C’est de-là que nous disons aussi en français dans le même sens, c’est une Babylone, pour dire, en général, un lieu plein de trouble, de désordre, de débauches, de crimes, de confusion » (Trévoux).

2.

« je me soucie fort peu de le savoir ; je me soucie seulement de Jupiter car lui seul est tout pour moi » ; Perse (Satire ii, vers 17‑18) :

Heus age, responde (minimum est quod scire laboro)
de Iove quid sentis ?

[Or çà, réponds-moi (je me soucie fort peu de le savoir) que penses-tu de Jupiter ?]

3.

« est insensible aux faveurs, indifférent à la colère » ; v. note [5], lettre 428.

4.

Mazarin.

5.

Malepeste : « imprécation qu’on fait contre quelque chose, et quelquefois avec admiration : malepeste que ce potage est chaud ! malepeste que cet homme est méchant, qu’il est cruel ! » (Furetière).

6.

« c’était dans les oracles : ainsi en a-t-il plu aux dieux, en demander davantage est impie » (v. note [12], lettre 237).

7.

« il retrouvera sa propre fin ; et enfin s’éteindra ce Jupiter cramoisi [v. note [50] de la thèse sur la Sobriété (1647)], pour ne pas dire ce massacreur [v. note [14], lettre 463], et ce tortionnaire et bourreau du genre humain, mais hélas ! En voilà assez. »

8.

« je n’envie point votre bonheur, je m’en étonne plutôt » (Virgile, v. note [17], lettre 180).

9.

Antoine Le Coq, natif de Paris (Antonius Gallus, Parisinus), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1526 (Baron), était mort le 28 mars 1550.

10.

« qu’on le frictionne donc » (avec du mercure).

11.

Le prince et la princesse de Conti : on comprend mal ce recours aux initiales, alors qu’ils ont été nommés un peu plus haut.

12.

Noël Falconet, le fils d’André, étudiait à Paris et prenait plaisir à la compagnie des deux fils médecins de son mentor, Robert et Charles Patin.

13.

« advienne que pourra ! » Guy Patin indiquait ici comment on se rendait alors le plus commodément de Lyon à Paris : d’abord de Lyon à Roanne par le grand chemin, puis de Roanne à Orléans en bateau (coche d’eau) sur la Loire, et enfin d’Orléans à Paris par la route. Un autre itinéraire remontait la Saône jusqu’à Chalon (v. note [12], lettre 630).

14.

« syncopes cardiaques, symptôme où le cœur est tout à coup suffoqué en raison d’une abondance excessive du sang, à la manière du cerveau dans l’apoplexie vraie et proprement dite. »

La syncope « est une soudaine et forte défaillance des facultés naturelles, et principalement de la vitale, qui fait que le malade demeure sans aucun mouvement ; et pour cette cause les Anciens l’ont appelée petite mort. La syncope arrive par trois raisons : la première, par une trop grande dissipation d’esprits ; la seconde, par leur oppression ou obstruction, comme dans la crainte et dans les violentes surprises, qui font rebrousser les esprits vers le cœur en abandonnant tout le reste du corps ; la troisième, par corruption, comme il arrive aux corps cacochymes ou qui ont des plaies empoisonnées » (Furetière). V. note [10] de la Consultation 13 pour la différence, subtile et discutable, entre syncope et lipothymie.

La forme extrême de la syncope est la mort subite (soudaine et naturelle). Elle préoccupait alors fort les esprits car elle ne permet pas au défunt de se préparer religieusement et juridiquement au trépas, pouvant ainsi compromettre la destinée de son âme et de ceux qui lui survivent. Maintenant que ses principales causes sont connues, le souci principal est d’en éviter médicalement la survenue.

V. note [11], lettre 307, pour la victime, Pierre Du Buisson, libraire qui avait été actif à Montpellier de 1644 à 1651 (sous réserve qu’il s’agisse bien du même personnage).

15.

Cette page des Institutiones Medicæ [Institutions médicales] de Caspar Hofmann (Lyon, 1645, v. note [12], lettre 92) renvoie au chapitre lxxx du livre iii, intitulé De Syncope cardiaca [La Syncope cardiaque]. Après une fumeuse discussion théorique, le septième et dernier paragraphe (page 415‑416) en vient à ce dont parlait ici Guy Patin :

Non omnes qui subito moriuntur, Apoplexia moriuntur, et frustra sæpe quæritur causa ab Anatomicis in capite, cum in thorace sit. Huius rei historiam cum nuper ostenderim apud Frambesarium in Exam. Doctorand. f. 29. volui heic in apertam lucem producere. Vidit is in milite, subito post longum mœrorem mortuo, visceribus reliquis salvis, in pericardio, non aquam modo, sed et copiosum sanguinem concretum. An hoc modo obierunt duo magni viri, quorum in Patholog. cap. 105. memini, Remus et Piccartus ? An ratio distinctionis est ? In Apoplexia quantumvis forti stertor est, quamdiu id, quod e cerebro accedit musculis thoracicis, ad complementum respirationis, solum est ablatum, durante adhuc ebullitione naturali in corde. In Syncope cardiaca nullus est stertor, quia cor ipsum subito occupatur. An quidam ex iis, qui febribus laborant, præsertim sanguinei, hac syncopa exstinguuntur subito ?

[Tous ceux qui meurent subitement ne meurent pas d’apoplexie, et les anatomistes en cherchent vainement la cause dans la tête, quand elle se situe dans le thorax. J’ai ici voulu mettre en lumière une relation de ce fait que j’ai lue récemment au fo 29 de l’Examen doctorandorum de La Framboisière. {a} Chez un soldat mort subitement après un long chagrin, dont les autres viscères étaient sains, il a observé la présence dans le péricarde non seulement d’eau, mais aussi d’une abondance de sang coagulé. N’est-ce pas de cette façon que moururent deux grands hommes, Remus et Piccartus, dont j’ai parlé au chapitre 105 de ma Pathologie ? {b} Est-il raisonnable de les croire différentes ? Dans l’apoplexie, si grave puisse-t-elle être, il y a ronflement mais seulement aussi longtemps que dure l’influx qui parvient du cerveau aux muscles du thorax pour assurer la respiration ; tant que lui seul ne s’est par éteint, subsiste un bouillonnement naturel du cœur. {c} Dans la syncope cardiaque il n’y a aucun ronflement parce que le cœur lui-même est subitement saisi. Parmi ceux qui souffrent de fièvre, principalement s’ils sont de tempérament sanguin, {d} n’y en a-t-il pas certains qu’une telle syncope emporte subitement ?]


  1. Section intitulée De animi pathematis [Des affections de l’esprit] dans la Disputatio ii (hygiène) des Scholæ Medicæ [Conférences médicales] de Nicolas-Abraham de La Framboisière (v. note [3], lettre 26) (page 901 de ses Œuvres, édition de Lyon, 1669, v. note [5], lettre latine 169) :

    Sic 16. die Augusti, anno 1619. apud Turones nobilis iuvenis Montelierus Meussiæ cohortis subpræfectus ob immensum mœrorem in vico colloquens repente e vivis excessit. Dissecto cadavere sana viscera reperta sunt omnia, pericardium duntaxat non aqua modo, sed et copioso sanguine concreto repletum animadvertimus, qui prægressa exercitatione vehementiori, ab ingenti mœstitia constricto corde, per alterutram eius auriculam illuc irrepserat, ac vitæ principium subito suffocaverat, unde repentina mors.

    [C’est ainsi qu’en raison d’un immense chagrin, à Tours, le 16e d’août 1619, un jeune gentilhomme, lieutenant du régiment, {i} est subitement passé de vie à trépas tandis qu’il conversait dans la rue. À l’ouverture du cadavre, on a trouvé tous les viscères sains, à l’exception du péricarde dont nous avons remarqué qu’il était non seulement rempli d’eau, mais d’une abondance de sang coagulé. Il s’y était insinué au travers des deux oreillettes, à la suite d’un très violent exercice, sur un cœur resserré par une immense tritesse ; le principe vital a été suffoqué, ce qui a provoqué une mort soudaine].

    1. Je n’ai su traduire ni l’origine du personnage (Montelierus), ni le nom de son régiment (Meussiæ).

    La description évoque ce qu’on appelle aujourd’hui une tamponnade cardiaque par hémopéricarde, soit un épanchement brutal de sang dans le péricarde qui peut entraîner la mort par constriction cardiaque ; sa cause probable était ici (en l’absence de traumatisme apparent) une rupture du myocarde, en lien possible avec une nécrose (infarctus). V. notule {j}, note [8], lettre 725, pour l’observation plus détaillée d’un autre cas publié par William Harvey en 1649.

  2. Hofmann citait deux de ses défunts collègues d’Altdorf : Georg Remus (1561-1625) y avait enseigné le droit et l’histoire, et Michael Piccartus (1574-1620), la philosophie. Le seul ouvrage d’Hofmann dont le titre contienne le mot Pathologia est son édition de la Pathologia parva [Petite pathologie] de Francesco Frigimelica (Iéna, 1640, v. note [26], lettre 192), mais ne compte que 32 chapitres ; tout comme je n’ai rien trouvé qui corresponde dans le chapitre cv, livre iii des Institutiones, qui traite de la pathologie.

  3. Sans doute à comprendre comme voulant dire battement ou activité cardiaque.

    Il est vrai que, si destructeur soit-il, un accident artériel cérébral (infarctus ou hémorragie) n’est qu’exceptionnellement cause d’une mort instantanée : un coma de durée variable (quelques heures ou jours, voire beaucoup plus) précède le décès.

  4. V. note [36], lettre latine 98.

Cette discussion est d’un grand intérêt car elle prouve que les savants du premier xviie s., tant médecins que philosophes et théologiens, s’interrogeaient sur la mort subite (mors repentina ou subita). Son origine cardiaque ou vasculaire était suspectée, parfois mêlée à des doutes sur un empoisonnement criminel, mais sa caractérisation précise date d’au moins un siècle plus tard. À ma connaissance, la première description anatomique indiscutable de l’athérosclérose, qui la provoque le plus souvent, date de 1695 (v. note [7], lettre 610). On sait aujourd’hui qu’elle est le plus communément liée à une occlusion soudaine d’une artère qui irrigue le cœur (thrombose coronaire aiguë). Guy Patin est revenu sur ce sujet à la fin de sa lettre à André Falconet datée du 14 février 1662 (v. sa note [8]), avec cette explication : « La syncope est une marque infaillible que les canaux du cœur sont bouchés. »

16.

Galien a abondamment écrit sur la syncope, tout particulièrement au livre xii de son traité De Methodo medendi [La Méthode pour remédier].

17.

Tout ici tient à ce qu’entendait Guy Patin par « artère » :

18.

Dernier aphorisme d’Hippocrate (7e section, no 87) :

« Ce que les médicaments ne guérissent pas, le fer le guérit ; ce que le fer ne guérit pas, le feu le guérit ; ce que le feu ne guérit pas doit être regardé comme incurable. » {a}


  1. ανιατα.

19.

Jean, fils du partisan Jacques de Forcoal (v. note [25], lettre 513), après avoir été aumônier ordinaire du roi, était alors titulaire d’une abbaye dans le Perche. Nommé évêque de Sées par le roi le 31 octobre 1670, il y fut intronisé le 13 mars 1673 et y administra jusqu’à son décès en 1682 (Gallia Christiana). Guy Patin s’est plus loin souvenu que ce jeune homme attaché à l’abbé de Forcoal, et dont André Falconet lui avait parlé, se nommait M. de Courcelles.

20.

C’est une des rares fois où Guy Patin a donné une idée exacte des honoraires médicaux qu’il percevait (v. note [23], lettre 206). À la manière des médecins de l’époque, il n’était souvent pas payé à la consultation, mais forfaitairement à l’année, pour les soins qu’il prodiguait à une famille. Cent écus, soit 300 livres, d’annuité faisaient une coquette somme, si l’on prend sept euros d’aujourd’hui pour équivalent d’une livre tournois (Bluche) ; mais Jacques Forcoal était un richissime partisan.

21.

Emmanuel Addée, sieur du Petitval, conseiller-secrétaire du roi, mort en 1627, avait épousé Marie Berger, fille du conseiller Pierre Berger, enterrée à Charenton en 1618.

22.

« arrivé naguère en cette ville, les pieds blanchis de poussière » (Juvénal, v. note [7], lettre 487).

23.

Marie Forcoal, fille de Jacques et sœur de Jean, avait épousé (avant 1638) un fils d’Emmanuel Addée, probablement le cadet, Samuel, qui était lui aussi devenu conseiller secrétaire du roi.

24.

Isaac Juyé, sieur de Moricq, maître des requêtes, créature de Richelieu, avait participé avec Antoine Bretagne au procès du maréchal de Marillac en 1631-1632 (v. note [29], lettre 549).

25.

Partisanerie est un néologisme formé sur partisan ; « bonne chère » est à prendre pour bonne figure.

26.

Aujourd’hui commune limitrophe de Paris au nord-est (Seine-Saint-Denis), Pantin était alors un village réputé pour son « bon air ». Comme filles et garçons y avaient la réputation d’exceller dans la danse, Pantin a donné leur nom aux figures de carton coloriées qu’on met en mouvement au moyen de fils (Littré DLF).

Universa Medicina [Médecine universelle] (Francfort, 1607, pages *** ro‑vo), Ioannis Fernelii Vita [Vie de Jean Fernel], par son neveu, Guillaume Plancy (v. note [1], lettre 80) :

Uxoris hortatu prædium Pentinianum annis aliquot antequam e vivis abierit, comparavit, ad quod colligendi animi gratia e turbulentis urbis fluctibus tanquam in tranquillum portum se aliquando reciperet. Verum vix semel, aut bis in anno eo proficisci voluit. Erat enim hoc robore animi, atque hac indole virtutis, et continentiæ, ut respueret omnes voluptates, omnemque vitæ suæ cursum in labore corporis, atque in animi contentione conficeret, quem non quies, non remissio, non æqualium studia, non ludi, non convivia delectarent, nihil in vita expetendum putaret, nisi quod esset cum laude et honore, et cum dignitate coniunctum, nihilque ex omnibus rebus humanis præclarius, aut præstantius haberet, quam de Republica Christiana bene mereri, afflictis opem ferre, periculis ægrotos liberare, succurrere omnium saluti, suamque salutem posteriorem salute communi ducere ; denique intercludere omnes morborum vias.

[Sur l’exhortation de son épouse, quelques années avant de mourir, il acquit une maison des champs à Pantin. Il s’y retirait de temps en temps pour se reposer l’esprit des troubles continus de la ville, comme en un havre de paix, mais sans vouloir s’y rendre plus d’une ou deux fois l’an. Telles étaient en effet sa force d’âme et son penchant pour la vertu et la retenue, qu’il repoussait tous les plaisirs et consacrait ses journées entières aux exercices d’un corps et aux travaux d’un esprit auxquels ni le calme, ni le repos, ni l’affection de ses pairs, ni les distractions, ni les festins ne procuraient de plaisir. Il pensait ne devoir rien attendre de son existence qui ne s’associât à la gloire, à l’honneur et à la dignité. De toutes les occupations humaines, il n’en tenait aucune pour plus brillante et éminente que de bien mériter de la chrétienté, de porter secours aux affligés, de libérer les malades du danger, de subvenir au salut de tous et de le mettre devant le sien propre, et enfin de barrer la route à tous les maux].

27.

« par comparaison à bien d’autres ».

28.

« étaient vraiment des survivants de l’âge d’or » (v. note [10], lettre 254).

29.

Don Juan d’Autriche {a} passa à Paris, et Mme de Motteville (Mémoires, pages 475‑476) a expliqué le savant double jeu de Mazarin à l’occasion de cette visite qui fut l’un des préambules au mariage espagnol de Louis xiv :

« Dans ce même temps {b} don Juan d’Autriche, par le commandement du roi d’Espagne, {c} son père, quitta la Flandre où il commandait, pour retourner en Espagne. Le roi lui avait envoyé des passeports pour passer en France et le cardinal l’avait envoyé visiter sur la frontière. Don Juan lui manda qu’il le suppliait qu’il pût voir la reine. {d} Le cardinal en parut fâché et reprit publiquement Millet, qui était celui qu’il lui avait envoyé, de n’avoir pas évité cet engagement. En effet, la reine qui avait témoigné un grand désir de voir ce prince, tout d’un coup en parla plus froidement ; ce que les gens de la cour remarquèrent convenir fort bien avec le chagrin du ministre, qui voulait persuader les spéculatifs que l’alliance d’Espagne lui faisait toujours peur et qu’il n’y était entré que par la force des événements qui l’y contraignaient, et par celle de la reconnaissance qu’il avait pour la reine ; et ce qui fit croire qu’il n’en avait point envie fut que, dans le même temps, il faisait donner sous main de grandes espérances à Mme de Savoie et qu’il paraissait être le confident de la reine sur l’opposition qu’elle faisait à ce mariage. {e} Il dit un jour à un de ses amis, parlant de cette affaire, que l’aversion qu’elle avait pour la princesse Marguerite l’embarrassait ; que selon ses intérêts, il ne devait point souhaiter l’infante ; qu’elle ne lui saurait point de gré de la marier au roi puisqu’elle s’estimait assez pour croire que le roi ne pourrait avoir dans l’Europe de princesse qui pût l’égaler ; et ajouta qu’il appréhendait que l’infante étant en France, à l’exemple de la reine, sa tante, qui avait haï le cardinal de Richelieu, elle ne fît des intrigues contre lui.

Enfin, la reine voulut voir don Juan d’Autriche qui passa à Paris incognito afin d’éviter les embarras des rangs. {f} Elle le reçut au Val-de-Grâce et eut sans doute beaucoup de joie de voir en lui une personne de son sang. […] Je vis ce prince qui, tout bâtard qu’il était, se faisait beaucoup respecter. […] Après qu’il eut salué la reine, elle le mena dans un recoin de sa chambre, un peu séparé des autres ; ils demeurèrent tout debout trois quarts d’heure ou une heure. Delà {g} il alla loger chez le cardinal Mazarin où il fut traité magnifiquement. […] La reine le fit venir au Louvre par une porte de derrière et le fit entrer dans son cabinet des bains, qui était beau […]. Quand il fut dans le cabinet et qu’il eut été un peu de temps avec elle, la reine fit appeler le roi qui entra un moment pour se montrer ; et comme plusieurs personnes de qualité en foule, selon la mode de France, entrèrent avec lui, don Juan se retourna vers la reine et lui dit Seniora, es esto el particular del rey ? {h} Il le loua beaucoup et dit que s’il n’eût pas été roi par naissance, il méritait de l’être par élection. Enfin, il partit deux jours après, n’ayant vu de Paris que la foire Saint-Germain. La reine en demeura fort satisfaite et on connut par la joie qu’elle eut de voir ce prince combien elle aimait tout ce qu’elle devait aimer. Il était carême et la reine eut de la peine de ce qu’il mangea toujours de la viande, lui et toute sa suite ; elle eût désiré qu’il eût été plus régulier et plus obéissant aux commandements de l’Église ; mais comme le poisson est plus rare à Madrid qu’à Paris, ils sont accoutumés à n’y point faire de jours maigres et ils ne s’en corrigent pas ailleurs. »


  1. Fils bâtard de Philippe iv, Don Juan quittait alors la vice-royauté des Pays-Bas espagnols (v. note [26], lettre 487).

  2. Que Pimentel négociait secrètement avec Mazarin.

  3. Philippe iv.

  4. Anne d’Autriche.

  5. De Louis xiv avec la princesse Marguerite de Savoie.

  6. Préséances.

  7. Ensuite.

  8. « Madame, est-ce là le particulier [la compagnie ordinaire] du roi ? »

30.

La première assemblée du Third Protectorate Parliament [troisième Parlement du Protectorat] eut lieu le 6 février. Il fut dissous en avril 1659 (v. note [11], lettre 95).

31.

Le duc électeur de Bavière, Ferdinand Maria von Wittelsbach (v. note [4], lettre 405), avait épousé en 1652 Adélaïde-Henriette, une des trois filles de Christine de France, Madame Royale, et de Victor-Amédée ier de Savoie (v. note [9], lettre 378). L’aînée de leurs huit enfants, Marie-Anne-Christine (1660-1690) épousa en 1680 le dauphin, Louis, fils aîné de Louis xiv.

32.

Marie Stuart (Marie ire d’Écosse, 1542-1587), fille de Marie de Guise et de Jacques v Stuart, roi d’Écosse (mort en 1542), fut reine d’Écosse de 1543 à 1567, en même temps que reine de France, de 1559 à 1560, après avoir épousé (1558) le roi François ii, mort de 5 décembre 1560. Toujours reine d’Écosse, elle se remaria en 1565 à son cousin germain Henry Stuart, dit Lord Darnley, ce qui le fit roi consort.

David Rizius ou Rizzio (Rits en français ici), était un chanteur natif de Turin, dont George Buchanan a conté les aventures au livre xvii de sa Rerum Scoticarum Historia [Histoire des affaires écossaises] (Amsterdam, 1643, v. note [7], lettre 740). Ne trouvant pas de quoi subsister à la cour de Savoie, il avait accompagné un ambassadeur en Écosse pour y chercher fortune. Il parvint à conquérir la faveur de la reine Marie, qui prisait fort la musique, et manœuvra si bien qu’il devint son secrétaire particulier. Parvenu arrogant et sans scrupule, Rizius abusa de son pouvoir et s’attira la jalousie de Darnley et de ses partisans qui montèrent un complot pour le supprimer. Le 19 mars 1566, au palais de Holyrood à Édimbourg, en présence de Marie qui tenta en vain de s’interposer, Rizius succomba aux coups des conjurés.

Marie était alors enceinte du futur roi Jacques vi d’Écosse, devenu Jacques ier d’Angleterre en 1603 (v. note [17], lettre 287). Après d’autres mésaventures sanglantes (dont l’assassinat de Darnley en février 1567) et un troisième mariage, Marie Stuart fut contrainte d’abdiquer en juillet 1567. Emprisonnée puis assignée à résidence par sa cousine Élisabeth ire d’Angleterre, elle fut accusée de complot et décapitée en 1587. V. notes [38] et [39] du Naudæana 3 pour les turpitudes et les infortunes de Marie Stuart pendant la seconde partie de son règne écossais, et [13] du Borboniana 2 manuscrit, pour les arguments opposés par ses défenseurs.

Guy Patin (ou ses transcripteurs) commettait une erreur de personne en prenant Darnley, le second époux de Marie Stuart, pour le roi Jacques v d’Écosse, son père.

33.

Le samedi 2 février, fête de la Purification de la Vierge Marie (ou Chandeleur, v. note [5] des Décrets et assemblées de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris), l’Université vint présenter le cierge au roi qui, après une harangue du recteur, Louis Rouillard, alla entendre la messe à l’Oratoire. Il se rendit ensuite à la chapelle de Bourbon pour présider, revêtu du grand collier de l’Ordre, à la procession dans la cour du Louvre. L’après-midi, Louis xiv entendit les vêpres aux Feuillants. Le lendemain, le roi dut assister à la messe dominicale de Saint-Germain-l’Auxerrois avec les autres paroissiens, dont Guy Patin et son jeune élève Noël Falconet.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 31 janvier 1659

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(Consulté le 13/12/2024)

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