L. 53.  >
À Claude II Belin,
le 2 janvier 1641

Monsieur, [a][1]

Je dois réponse à vos deux dernières. Je vous supplie à votre loisir de me faire quelques mémoires de M. Adrien Le Tartier. [2] Je n’ai pas le livret de Papire Masson, [3] des cérémonies du baptême du roi d’à présent. [1] Vous me l’enverrez quand il vous plaira et me ferez plaisir, le tout néanmoins à votre commodité. Je remercie très humblement M. Allen [4] de son souvenir, je vous prie de lui témoigner que je suis son très humble serviteur et que je voudrais bien avoir le moyen de le servir de deçà ; où nous n’avons rien de nouveau de Hollande que Hugonis Grotii Annotationes in Evangelia[5][6] qui est in‑fo[2] et Vossius de Idolatria[7] en deux volumes in‑4o[3] On dit que M. de Saumaise, [8] qui est encore en Bourgogne, a fait imprimer en Hollande un livret de lingua Hellenistica, adversus Dan. Heinsium, mais je n’en ai pas encore vu ici. [4][9][10] Sur ce que le roi est un peu mal fait et mélancolique, [5][11][12][13] le bruit a couru ici que M. Bouvard [14] était disgracié, mais cela n’est pas vrai : il est en crédit autant que jamais. Enfin le Saint-Père [15] a fait 13 cardinaux, au lieu de 26 dont les places étaient vacantes. Des dits 13, le Mazarin, [6][16][17][18] qui est ici, est pour la France, et l’abbé Peretti, [19] qui est à Rome, est pour l’Espagne ; [7] il y a un autre Italien pour l’Allemagne ; les dix autres sont purement dans l’intérêt de la famille Barberini ; [8][20] et voilà ce qui s’est fait de plus remarquable à Rome, in illa negotiosa otiosorum matre[9] depuis peu. Joseph Scaliger [21] dirait de ces 13 têtes rougies Galerati tredecim, una nocturna Vaticana pluvia, tanquam fungi nati[10] Pour réponse à votre seconde, j’ai regardé la liste des conseillers, et ai nommé cinq conseillers des cinq chambres des enquêtes, en comptant M. Regnault [22] pour la première, [11] comme vous avez désiré. Nous aurons crédit aux quatre autres, principalement à celui de la deuxième et de la cinquième. J’en ai fait un mémoire que j’ai laissé céans et qui, depuis, a été rendu à monsieur votre fils, [12][23] qui l’est venu quérir. J’ai nommé M. Vedeau pour la deuxième ; il est mon voisin et mon ami, il s’appelle autrement M. de Grandmont ; [24] j’ai nommé M. du Fos [25] pour la troisième ; je ne me souviens pas de celui de la quatrième ; et pour la cinquième, M. Du Laurens, [13][26] où j’ai tout crédit. Je souhaite qu’en puissiez avoir bonne issue, cito, tuto et iucunde[14] aussi bien que d’une maladie. Je vous baise très humblement les mains, à Mme Belin, à Messieurs vos frères, à MM. Camusat et Allen, et vous prie de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 2d de janvier 1641.


a.

Ms BnF no 9358, fo 59 ; Triaire no lv (pages 182‑184) ; Reveillé-Parise, no xliv (tome i, pages 70‑71).

1.
Relatio ceremoniarum sacri baptismatis, Ludovici Delphini, primogeniti Christianissimi Regis Francorum Henrici iiii. Ad Paulum v. Pontificem Maximum. Autore Papirio Massono Advocato in Senatu Parisiensi.

[Récit des cérémonies du baptême du dauphin Louis, {a} fils aîné de Henri iv, roi très-chrétien de France. Adressé au pape Paul v. Par Jean-Papire Masson, {b} avocat au Parlement de Paris]. {c}


  1. Louis xiii, âgé de cinq ans, avait été baptisé le 14 septembre 1606 au château de Fontainebleau.

  2. V. note [7], lettre 16.

  3. Paris, sans nom ni date, in‑8o de 16 pages.

2.

Hugonis Grotii Annotationes in libros Evangeliorum. Cum tribus tractatibus et appendice eo spectantibus.

[Annotations de Hugo Grotius sur les livres des Évangiles. Avec trois traités et un appendice s’y rapportant]. {a}


  1. Amsterdam, Jan et Cornelis Blaeu, 1641, in‑4o de 1 060 pages avec appendices.

Hugo Grotius (de [van] Groot, Delft 1583-Rostock 29 août 1645), éminent diplomate et érudit hollandais, faisait partie du panthéon littéraire de Guy Patin, qui l’a mentionné tout au long de ses lettres. Jurisconsulte, théologien et historien, il mena une brillante carrière politique qui lui forgea une extraordinaire renommée dans toute l’Europe. Dès l’âge de 14 ans, accompagnant une ambassade hollandaise en France, il s’était fait remarquer par Henri iv et se fit, au bout d’un an, recevoir docteur en droit à Orléans. De retour en Hollande, agrégé au barreau de La Haye, il avait plaidé sa première cause à 16 ans. Grotius avait dès lors gravi rapidement les échelons de la carrière juridique jusqu’à recevoir en 1613 la place de conseiller pensionnaire de Rotterdam. Cette dignité, qui le rapprochait du grand pensionnaire Jan van Olden Barneveldt (1547-1619), établit entre eux une amitié qui fut pour Grotius la source de cruelles persécutions, liées à leurs prises de position politiques et religieuses (arminianisme, v. note [7], lettre 100). En 1619, Barneveldt avait été décapité et Grotius condamné à la prison perpétuelle.

Enfermé dans la forteresse de Lœvenstein, sur la Meuse, il était parvenu à s’en évader au bout de deux ans, enfermé dans un coffre, grâce à la complicité de son épouse, Maria van Reigersbergen (v. note [7], lettre 321). Grotius avait alors gagné la France, où Louis xiii l’avait accueilli avec faveur et l’avait doté d’une pension. La mort de Maurice de Nassau, stathouder des Provinces-Unies, en 1625, avait fait naître en Grotius le vain espoir de retourner s’installer en Hollande, mais il n’avait pas accepté les conditions humiliantes qu’on lui avait imposées. Obligé de quitter la France, faute de ressources, il était parti vivre à Hambourg (1632). En 1634, la Suède avait enfin nommé l’illustre exilé ambassadeur en France, emploi dont il s’acquitta avec compétence et droiture jusqu’en 1645. Ayant demandé son rappel, il gagna Stockholm, où il refusa, pour des raisons de santé, une place de conseiller d’État. Durant son voyage de retour en Hollande, une tempête l’obligea à débarquer près de Dantzig, dans un état de santé alarmant ; il se fit transporter à Rostock et y mourut deux jours après (G.D.U. xixe s.).

Le Grotiana (première et seconde parties) regorge de compléments sur la vie, les ouvrages et les opinions de Grotius.

3.

Gerardus Johannes Vossius (Heidelberg 1577-Amsterdam 19 mars 1649) était le fils de Jan Voos, ministre d’une Église réformée dans le Palatinat qui, ayant refusé d’adopter la doctrine de Luther sur l’Eucharistie, fut expulsé par l’électeur et se vit obligé de revenir en Hollande, où il mourut en 1584. Vossius, demeuré orphelin à l’âge de sept ans, avait été élevé à Dordrecht, puis suivi plus tard les cours de l’Université de Leyde. En 1600, il avait été nommé directeur du Collège de Dordrecht. Appelé 15 ans plus tard à la direction du Collège théologique de Leyde, il avait perdu cet emploi au bout de quatre ans pour avoir fait une sorte d’apologie des remontrants dans son Histoire du pélagianisme (1618), qui avait été mieux accueillie en Angleterre et avait valu à son auteur les bienfaits de Charles ier. Vossius avait cependant tenté de calmer ses adversaires, les gomaristes (v. notes [7], lettre 100, et [33] du Borboniana 7 manuscrit), par quelques rétractations, et reçu, en 1633, à l’Académie d’Amsterdam une chaire d’histoire, qu’il conserva jusqu’à sa mort. Vossius s’était marié deux fois, et de ses deux femmes il avait eu dix enfants qui étaient tous admirablement doués, à tel point que Grotius disait du père qu’il contribuait à l’ornement du siècle par sa race autant que par ses livres, et qu’on ne savait s’il était plus habile écrivain qu’heureux père. Cinq de ses fils se firent connaître par des travaux littéraires, mais un seul, Isaac (v. note [19], lettre 220), lui survécut (G.D.U. xixe s.). Samuel Sorbière a parlé de, Dionysius et Matthæus Vossius dans sa lettre probablement écrite à Guy Patin au début 1651 (v. sa note [13]).

Vossius de Idolatria [Vossius sur l’Idolâtrie] correspond à deux titres parus la même année :

4.

Ouvrage anonyme de Claude i Saumaise :

Funus linguæ Hellenisticæ, sive Confutatio Exercitationis de Hellenistis et lingua Hellenistica. Cui libet exequias ire Hellenisticæ, i, licet. Ecce illa iam effertur.

[Funérailles de la langue hellénistique ou réfutation de l’Essai sur les hellénistes et la langue hellénistique. {a} À quiconque souhaite suivre le convoi de l’hellénistique, je dis : vas-y, mais sache que la voilà désormais ensevelie]. {b}


  1. Dans le sillage de ses vingt livres de Sacrarum Exercitationum… [Essais sacrés…] (Leyde, 1639, v. note [16], lettre latine 2), Daniel Heinsius (v. infra) avait défendu l’existence d’une langue hellénistique, dialecte propre aux juifs parlant le grec, avec l’idée que c’était celle du Nouveau Testament et de la Septante (v. notule {b}, note [7], lettre 183). Saumaise niait fermement cette distinction qu’il jugeait philologiquement infondée. Une querelle de pouvoir académique au sein de l’Université de Leyde assaisonnait le débat.

    La philologie moderne a donné tort à Saumaise. Le mélange et les influences littéraires réciproques du grec et de l’hébreu au cours des quelque six siècles précédant le Christ ont donné lieu à de nombreuses recherches ; en est issue la spéculation des furta Græcorum [larcins des Grecs], où les Grecs sont soupçonnés d’avoir puisé dans le Pentateuque (Livres de Moïse) pour alimenter leurs plus grands ouvrages philosophiques (Aristote, Platon) et poétiques (Homère, Hésiode). Certains auteurs chrétiens s’en sont servi pour les exonérer en partie du paganisme qui a mené à les condamner.

  2. Leyde, Ioannes Maire, 1643, in‑8o. La fin (pages 281‑390) est un supplément au Funus, intitulé Ossilegium Hellenisticæ, sive Appendix ad Confutationem Exercitationis Danielis Heinsii de Hellenistica [Ossuaire de l’hellénistique, ou Appendice à la réfutation de l’Essai de Daniel Heinsius sur l’hellénistique].

Daniel Heinsius (Heinse en flamand, Gand 1580-Leyde 23 février 1655), l’élève le plus éminent de Joseph Scaliger, avait été nommé dès 1605, professeur de politique et d’histoire à Leyde. Il joignit plus tard à ces fonctions celles d’administrateur de la bibliothèque et reçut le titre d’historiographe royal. Il fut aussi l’objet des faveurs de Gustave-Adolphe, d’Urbain viii et de la République de Venise. Dans les querelles théologiques entre les arminiens et les gomaristes (v. notes [7], lettre 100, et [33] du Borboniana 7 manuscrit), il se prononça pour les vainqueurs (tenants de la prédestination), fut nommé secrétaire du Synode de Dordrecht (1618-1619, v. note [12], lettre de Chrsitiaen Utenbogard datée du 21 août 1656), eut la faiblesse de désavouer ses liaisons d’amitié avec Grotius, persécuté par le parti triomphant. Il a cultivé les genres littéraires les plus divers, montrant partout du talent et de l’érudition, et avait pour devise Quantum est quod nescimus ! [Que notre ignorance est étendue !] (G.D.U. xixe s. et Michaud).

Daniel Heinsius était le beau-frère de Janus Rutgerius (v. note [18], lettre 201). Nicolas Heinsius, fils de Daniel, a correspondu avec Guy Patin.

5.

Le substantif mélancolie (de mélaina, noire, et cholê bile, en grec) et son adjectif, mélancolique, avaient trois acceptions distinctes.

  1. Assimilée à la terre, la mélancolie ou bile noire (atrabile, atra bila en latin) était, dans la médecine antique, et demeura jusqu’au début du xixe s., avec le sang, la bile jaune et la pituite (phlegme), l’une des quatre humeurs (v. note [4], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656), dont l’équilibre (le bon mélange ou tempérament) conditionnait la santé du corps humain. La mélancolie, qu’on croyait produite par le foie (v. note [1], Traité de la Conservation de santé, chapitre vii ), voire par les capsules surrénales, et mise en réserve dans la rate (v. note [5], lettre 61), n’a jamais eu, contrairement aux trois autres humeurs, d’existence réelle. Dans les allégories qu’on attachait aux humeurs, la bile noire correspondait à la terre, à la sécheresse froide de l’automne et à l’âge avancé.

    V. notule {a}, note [17], lettre latine 87, pour la saine et visionnaire attaque de Jan Baptist Van Helmont contre la réalité de l’atrabile et l’idée qu’elle serait emmagasinée dans la rate.

  2. « Le tempérament mélancolique [ou atrabilaire] est le plus propre pour l’étude. Il y a des mélancoliques par accident, quand il leur est arrivé quelque grande affliction qui leur donne du chagrin, de la mélancolie. Il y en a qui sont mélancoliques par art, qui se retirent pour méditer, pour écrire, pour rêver dans la solitude. On appelle aussi un fou mélancolique celui en qui la bile noire est prédominante » (Furetière). « Je ne suis pas naturellement mélancolique », confiait Guy Patin au début de sa lettre du 16 février 1645.

  3. La note [1] de la Consultation 12 (Mélancolie sympathique) explique la maladie mentale qu’on appelait mélancolie, telle que décrite Jean Fernel. dans sa Pathologie. Elle n’est qu’une assez lointaine parente du désordre qui porte ce nom en psychiatrie moderne.

6.

Jules Mazarin (Giulio Mazzarino ou Mazzarini, 14 juillet 1602-Vincennes 8 mars 1661) était natif de Pescina, petite ville des Abruzzes, où sa mère, Hortensia, née Bufalini, était allée s’abriter des rigueurs estivales de Rome. Il était le fils aîné de Pietro Mazzarino, cameriere (intendant) du grand connétable Filippo Colonna (v. note [2], lettre 47), petit-fils du vainqueur de la bataille de Lépante (1571).

Pietro avait certes des origine en Sicile (où il possédait quelques terres), mais n’était pas, comme on s’est complu à l’écrire pour médire, un marchand de Palerme qui aurait dû fuir à Rome à la suite d’une banqueroute sordide. Le frère aîné de Pietro, lui aussi prénommé Giulio, était jésuite et illustre prédicateur italien (v. note [26] du Naudæna 3d). Le jeune Giulio avait passé sa jeunesse dans la capitale des États pontificaux sous l’ombre protectrice des Colonna : chez les jésuites, au Collegio Romano, il avait été compagnon de Girolamo Colonna (1604-1666), fils du grand connétable ; vers 1619, tous deux étaient partis étudier deux ans le droit et apprendre la langue castillane à l’Université espagnole d’Alcala de Henares (Madrid) ; Giulio avait achevé ses études en 1628 avec le titre de docteur en droits (civil et canonique) de l’Université la Sapienza de Rome.

De son côté, Girolamo Colonna, sans être prêtre, avait été nommé cardinal en 1627. Le jeune et fringant Mazarin avait été introduit à la cour papale, d’abord comme capitaine dans l’armée pontificale (1625-1627), où il montra bien plus d’habileté à négocier qu’à combattre. On l’avait ensuite attaché au nonce du pape à Milan (territoire espagnol), Giulio Cesare Sacchetti (v. note [29], lettre 395). Rappelé à Rome par la maladie de son frère, le nonce avait confié à Mazarin l’intérim de sa charge, entièrement dévolue à la diplomatie dans cette région qu’agitaient de forts enjeux politiques (succession de Mantoue et du Monferrat, contrôle de la Valteline) entre l’Espagne, la France, l’Empire, et la Savoie. Les pourparlers incessants, où Giulio brillait de tous ses feux, l’avaient mené à une première rencontre avec Richelieu (Lyon, 28 janvier 1630), qui avait jeté les bases d’une confiance et d’une estime mutuelles.

Le 26 octobre 1630, l’armée française renforcée par Schomberg (v. note [10], lettre 209) s’apprêtait à lancer l’assaut de la forteresse de Casal (v. note [20], lettre 39), tenue par les Espagnols, qu’elle assiégeait depuis deux ans. Mazarin, ayant obtenu in extremis le principe d’une trêve, se lança seul à cheval entre les deux armées qui allaient ouvrir le feu, agitant une écharpe blanche et criant Pace ! Pace ! La bataille ne s’engagea pas et l’affaire de Mantoue finit par se régler autrement. Cet acte de bravoure inouïe avait eu un immense éclat dans toute la chrétienté, et valut à son auteur d’entrer enfin dans les bonnes grâces du pape Urbain viii (Maffeo Barberini, v. note [19], lettre 34) et d’être confirmé dans celles de Richelieu (v. note [43] du Naudæana 4).

Au début de 1631, Mazarin avait séjourné pour la première fois à Paris durant un mois pour préparer les traités de paix entre la France et la Savoie, et consolider sa francophilie, ainsi que ses connivences avec Richelieu et la cour de Louis xiii, jusqu’à être désiré pour la nonciature de Paris ; mais en vain, à cause d’un veto espagnol obstiné. Il y était revenu d’avril à juin 1632 comme envoyé du pape, avec l’impossible mission de convaincre la France d’annexer le pays de Genève (protestant) à la Savoie (catholique). Sa première entrevue avec Anne d’Autriche, sa future protectrice, avait probablement eu lieu à cette époque.

Mazarin se refusa toujours à devenir prêtre, ou même à prendre les ordres mineurs, se contentant de la tonsure qu’il avait reçue le 18 juin 1632 à Sainte-Menehould (v. note [60], lettre 297) de la main du nonce Bichi (v. note [27], lettre 332). Elle faisait de lui un simple clerc, mais chose non négligeable, habilité à recevoir des bénéfices ecclésiastiques. Revenu à Rome, Mazarin avait été récompensé de ses services diplomatiques par le canonicat de Saint-Jean-de-Latran (v. note [9], lettre 399), agrémenté de premiers mais fort appréciables revenus, mais l’obligeant, avec de bienveillants indults (privilèges exonérants) pontificaux, à porter la tonsure apparente et la soutane (habito longo), en assistant avec assiduité à tous les offices du rituel. Sa soutane devint vite violette, avec la dignité et le titre de protonotaire apostolique (v. note [19] du Patiniana I‑3), c’est-à-dire le rang d’évêque (Monsignore), sans en avoir les obligations pastorales.

Le nouveau prélat intégra bientôt le proche entourage du pape au rang de référendaire, avec le bénéfice d’un prieuré du diocèse de Modène ; il put marier ses deux sœurs en les dotant fort généreusement. Auditeur du cardinal Antoine Barberini (v. note [4], lettre 130), neveu d’Urbain viii, pour la légation d’Avignon, il en était devenu vice-légat en 1634 (sans y résider).

En novembre 1634, Mazarin était arrivé à Paris pour la troisième fois de sa carrière en tant que nonce extraordinaire, chargé au nom du pape d’accommoder les affaires entre les Habsbourg et la France, ainsi qu’entre Louis xiii et Gaston d’Orléans, son frère désobéissant ; mais sans parvenir à éviter l’entrée en guerre de la France (26 mars 1635). En janvier 1636, le pape avait intimé à Mazarin l’ordre de quitter Paris pour Avignon, où il demeura en pénitence, jusqu’à regagner Rome en novembre de la même année ; mais ce fut pour y ronger encore son frein durant trois ans, tiraillé entre le parti espagnol qui voulait le faire oublier, et la France qui le réclamait à hauts cris : comme nonce, puis comme cardinal de Couronne (c’est-à-dire nommé par le roi très-chrétien). Lassé de tant d’atermoiements, Mazarin avait obtenu ses « lettres de naturalité » française en 1639 (enregistrées en juin par la Chambre des comptes) ; ce qui n’équivalait pas exactement à ce qu’on appelle aujourd’hui une naturalisation, mais plutôt à l’obtention d’une double nationalité. Le 13 décembre 1639, il avait définitivement quitté Rome pour la France, sur l’invitation de Louis xiii.

Arrivé à Paris en janvier 1640, il s’y était mis au service de Richelieu, prenant en quelque sorte la place du P. Joseph, l’Éminence grise, mort en 1638 (v. note [8], lettre 19). Cédant, de guerre lasse, aux requêtes du roi de France et de son principal ministre, Urbain viii mit Mazarin parmi les 12 cardinaux qu’il créa au consistoire du 16 décembre 1641 (et non 13 comme annonçait ici Guy Patin). Fontenay-Mareuil, nouvellement nommé ambassadeur de France à Rome, put alors dire à Richelieu : « Vous l’avez aujourd’hui plus fait cardinal que le pape même » (Goubert).

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, page 288) :

« J’ai ouï dire à Lyonne que la première fois que le cardinal de Richelieu présenta Mazarin à la reine {a} (c’était après le traité de Casal), il lui dit : “ Madame, vous l’aimerez bien, il a de l’air de Bouquinquant. ” » {b}


  1. Anne d’Autriche.

  2. Buckingham, favori de Charles ier d’Angleterre et ancien soupirant d’Anne d’Autriche (v. note [21], lettre 403).

Les morts de Richelieu (décembre 1642) puis de Louis xiii (mai 1643) allaient donner son impulsion définitive à l’ascension politique de Mazarin en France.

Dès cette première mention du personnage, perce déjà, dans l’emploi par Guy Patin de l’article défini, le Mazarin, une nuance de méfiance, qui n’a fait que croître au fil des lettres pour se transformer en véritable exécration. À ce stade, l’explication la plus plausible en est l’origine italienne d’un homme dont l’influence ne cessait de monter à la cour de France.

7.

Francesco Peretti di Montalto (1595-1653), d’une famille princière italienne, allait devenir archevêque de Monreale (Sicile) en 1650. La nomination des 12 cardinaux ne fut officielle que le 16 décembre 1641.

V. note [45] du Naudæana 1, pour un complément d’informations sur Peretti.

8.

Les Barberini (Barberins en français) formaient une illustre famille italienne originaire de Semifonte, en Toscane, qui s’était établie à Florence dès le commencement du xie s. Sa plus grande illustration fut Maffeo Barberini, le pape Urbain viii. Il avait nommé cardinaux son frère Francesco (1569-1646) en 1624, et deux de ses neveux, Francesco (v. note [7], lettre 112) en 1623 et Antonio (v. note [4], lettre 130) en 1627 ; un troisième neveu, Taddeo, avait été mis à la tête des troupes pontificales.

Les Barberini, peu satisfaits de tant d’honneurs et de richesses, s’étaient rendus maîtres des duchés de Castro et de Ronciglione (v. note [6], lettre 27) et avaient voulu tenter la conquête de celui de Parme ; mais le duc Édouard ier Farnèse avait dispersé leur armée sans combat et les avait forcés de renoncer à leur projet. Les Barberini ont été les padroni de Mazarin, dont ils permirent l’épanouissement politique.

À la mort d’Urbain viii, en 1644, ils perdirent toute leur puissance et se réfugièrent en France auprès de Mazarin, qui les réconcilia avec le Saint-Siège, fit lever le séquestre mis sur leurs biens et leur conserva la principauté de Palestrine. Outre leur insatiable avidité, on reprochait aux Barberini d’avoir enlevé des pierres du Colisée pour la construction d’un palais et on afficha contre eux, sur la fameuse statue de Pasquin (v. note [5], lettre 127), cette épigramme : Quod non Barbari fecerunt, Barberini fecere [Ce que les Barbares n’ont pas fait, les Barberini le font] (G.D.U. xixe s.).

9.

« chez cette mère affairée des oisifs » : emprunt au Scazon de Joseph-Juste Scaliger contre Rome (v. note [24], lettre 207).

10.

« Treize porte-chapeaux, nés comme champignons, en une nuit, d’une pluie vaticane. » La phrase exacte de Joseph-Juste Scaliger contre les cardinaux est :

Alii præterea galerati, una nocturna Vaticana pluvia, tanquam fungi nati, famelicum tenebrionem e patinis culinarum suarum ad id incenderunt.

[Quant au reste, ce sont des porte-chapeaux, nés comme champignons, {a} en une nuit, d’une pluie vaticane ; ils ont allumé pour ça un famélique ami des ténèbres, tout droit sorti des marmites de leurs cuisines]. {b}


  1. Fungi a le double sens de champignons et de crétins.

  2. La phrase vient d’une lettre à Isaac Casaubon, datée de Leyde, le 27 mai 1606 (Ép. lat. livre ii, cxxii, pages 316‑318), où Scaliger se plaint du livre [« ça »] que Scioppius [« un famélique ami des ténèbres », v. note [14], lettre 79] s’apprêtait à publier contre lui : Scaliger hypobolimæus… [Scaliger le faussaire…] (v. note [10], lettre 104).

11.

Edme Regnault (Renaut pour Guy Patin), seigneur de Duchy et de Rebourseau, avait été reçu en 1632 conseiller en la première des Enquêtes du Parlement de Paris. Il mourut le 7 mai 1649 (Popoff, no 2109).

12.

Nicolas Belin, fils aîné de Claude ii, avait commencé d’étudier à Paris et allait plus tard échanger de nombreuses lettres avec Guy Patin.

13.

François Vedeau (mort en octobre 1658, v. note [1], lettre 544), seigneur de Grandmont et de Saint-Lubin, avait été reçu conseiller au parlement de Dijon en 1631, puis à celui de Paris, en 1635, en la deuxième des Enquêtes (Popoff, no 2433).

V. note [73] du Borboniana 4 manuscrit pour Jean ii du Fos, que Popoff (no 1229) dit avoir été reçu en la quatrième des Enquêtes en 1619 (et non en la troisième, comme écrivait ici Guy Patin).

Robert Du Laurens, deuxième fils de Richard (le frère d’André i, l’anatomiste de Montpellier, v. note [3], lettre 13), avait été reçu au Parlement de Paris le 6 juillet 1640 (quatre mois après la mort de son frère aîné, Antoine), en la cinquième des Enquêtes ; monté à la Grand’Chambre le 31 mars 1666, il mourut en 1675, sans alliance (Popoff, no 1544).

14.

« vitement, complètement et heureusement » (termes consacrés en médecine pour marquer le succès d’un traitement).

V. note [3], lettre 56, pour le litige existant alors au sein du Collège des médecins de Troyes. Guy Patin avait ici nommé quatre des cinq magistrats du Parlement de Paris qui instruisaient ce procès. Il était intervenu auprès d’eux pour essayer de les rendre favorables à la cause de son ami Belin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 2 janvier 1641

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(Consulté le 28/03/2024)

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