L. 3.  >
À Claude II Belin,
le 14 mai 1630

Monsieur, [a][1]

Vous m’avez mis au delà du revanche [1] par la courtoisie que j’ai reçue de vous, par le moyen de votre dernière datée du 8e de mai et du paquet de thèses [2] que m’avez envoyé. Je vous remercie donc du paquet des 22 qu’il vous a plu m’envoyer, avec les deux de monsieur votre père, [2][3] lesquelles je vous renvoie toutes. Il y en avait deux sans date, auxquelles j’ai ajouté l’année, selon que j’ai reconnu devoir être de nos statuts [4] et mémoires de l’École, [3] lesquels j’ai consultés. J’en ai tiré copie de quelques-unes et vous renvoie le tout, avec les trois miennes, [5][6][7][8][9][10] desquelles j’ai répondu par ci-devant[4] les deux de M. Guillemeau, [11][12][13] (il n’en a fait que deux en tout) [5] qui eut le premier lieu de notre licence [14] et qui est aujourd’hui médecin ordinaire du roi ; et deux autres qui ont ici fait assez de bruit : l’une du congrès, [6][15] et l’autre des qualités occultes, [7][16][17] en laquelle j’ai disputé. J’ai toutes les thèses qui se sont soutenues à nos Écoles depuis 1609, sans en excepter une ; mais des neuf autres premières années de ce siècle, j’en ai fort peu. Si en avez, me ferez plaisir de m’en faire part et en récompense, vous en donnerai quantité d’autres, que j’ai même deux ou trois fois. Je tiendrai à faveur ce qu’il vous plaira m’envoyer de Montpellier ; [18] j’en ai bien quelques-unes, mais c’est en petit nombre. J’en cherche particulièrement de deux cours qui se sont faits depuis 1604 jusqu’à 1608 en nos Écoles. Je vous envoie un petit livre qui est le paranymphe [19] de l’année 1628, [8][20] qui fut fait à nos Écoles par un jeune homme fort savant nommé M. Naudé. [9][21][22] J’espère que ne l’aurez pas désagréable, parce qu’il contient, outre les harangues encomiastiques des licentiandes, l’antiquité et dignité de notre Faculté, vu que monsieur votre père et vous y avez tenu lieu autrefois. Je voudrais avoir quelque chose de meilleur et qui approchât davantage de votre mérite, pour vous envoyer et vous témoigner que je suis homme qui ai du ressentiment des bienfaits que je reçois des honnêtes gens comme vous. Je vous prie de présenter mes très humbles recommandations à monsieur votre père et à M. Dacier, et vous, de croire que je suis et serai à jamais, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur et ami.

G. Patin.

De Paris, ce 14e de mai 1630.

Je vous envoie aussi la thèse en laquelle j’ai présidé pour la première fois, à un nommé M. Joudouin [23] qui est docteur d’Aix-en-Provence, [24] il y a bien 20 ans, et est maintenant docteur en cette ville. [10][25][26] Elle est de ma façon, comme mes deux quodlibétaires ; mais ma cardinale est de la façon de M. Guérin, [27] mon président. [11]


a.

Ms BnF no 9358, fo 6 ; Triaire no iii (pages 9‑11) ; Reveillé-Parise, no iii (tome i, pages 4‑5).

1.

C’est-à-dire : « dans l’impossibilité de vous rendre la pareille ». J’ai respecté l’emploi de revanche au masculin, bien qu’aucun des dictionnaires consultés ne l’atteste.

2.

V. note [1], lettre 34.

3.

L’histoire des Statuts de la Faculté de médecine (Statuta Facultatis Medicinæ) de Paris (Statuta F.M.P.), qui étaient en vigueur au temps de Guy Patin, est résumée au début (pages 1‑2) de l’édition que le doyen François Blondel (v. note [11], lettre 342) a mise à jour et publiée en 1660 :

Excerpta ex libro Legum et Statutorum Academiæ et Universitatis Parisiensis, quæ lata quidem et promulgata sunt in Senatu iii. Septembris an<n>. Dom. m.d.xcviii. publicata vero in Academiæ Publicis Comitiis xviii. Septembris ann. m.dc. lecta vero in Scholis superioribus Medicorum xviii. Octobris die D. Lucæ dicato, ann. m.dc.ii. presentibus Doctoribus, qui tum frequentes in ipsorum observationem singuli juraverunt, ex præscripto Senatuconsulti in manibus Decani, et suum jusjurandum suo Chirographo Commentariis Facultatis apposito, confirmarunt.

[Tirés du livre des règlements et statuts de l’Université et de la Faculté de Paris, lesquels furent présentés et promulgués devant le Parlement le 3 septembre de l’an de grâce 1598, puis publiés dans les réunions publiques de l’Université le 28 septembre de l’an 1600, puis lus dans les Écoles de médecine le 18 octobre 1602, jour de la Saint-Luc ; {a} les docteurs, alors présents en grand nombre, ont chacun juré de les observer, suivant la prescription du décret de Parlement remis dans les mains du doyen, et ont confirmé leur serment par leur signature apposée sur les Registres de la Faculté]. {b}


  1. V. notes [46] des Décrets et assemblées de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris.

  2. Les premiers statuts avaient été promulgués le 14 octobre 1350 et étaient demeurés inchangés jusqu’en 1602 (Wickersheimer, introduction pages xl‑xli). Ils ont aujourd’hui disparu, mais Jean-Baptiste Louis Chomel en a fourni une analyse détaillée aux pages 141‑162 de son Essai historique sur la médecine en France (Paris, Lottin l’Aîné, 1762, in‑12 de 288 pages).

Nombre de ceux qui ont écrit sur la médecine parisienne au xviie s. ont puisé dans l’édition qu’a publiée le doyen Hyacinthe-Théodore Baron : Ritus usus et laudabiles Facultatis Medicinæ Parisiensis consuetudines [Rite usuel et coutumes louables de la Faculté de médecine de Paris] (Paris, G.F. Quillau, 1751 ; traduction française, Paris, G. Steinheil, 1903) ; bien que plus détaillée, elle est plus tardive et contient de nombreuses assertions qu’il faut tenir pour suspectes d’anachronisme quand on les applique à la période de Patin.

Les mémoires de l’École sont les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris (Comment. F.M.P.), précieux volumes manuscrits conservés à la BIU Santé, où le doyen en exercice consignait en latin les faits et gestes de la Faculté. Notre édition contient la transcription intégrale des Commentaires rédigés par Guy Patin pendant la durée de son décanat (1650-1652), avec leur traduction, leurs annotations et leur indexation.

4.

Une fois reçu bachelier de médecine (16 octobre 1624), Guy Patin avait disputé les trois thèses de rigueur.

5.

La parenthèse est une annotation portée en marge.

Charles Guillemeau (Paris 1588-ibid. 21 novembre 1656) était fils du chirurgien Jacques Guillemeau (v. note [15], lettre 219). D’abord chirurgien ordinaire du roi (Henri iv puis Louis xiii), Charles s’était fait recevoir docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1626. Sa carrière à la cour fut un temps brisée par son attachement à Marie de Médicis (v. note [28], lettre 7) : Guillemeau y perdit tout crédit en 1630, quand Richelieu provoqua la disgrâce irrévocable de la reine mère ; il sut toutefois en réchapper pour retrouver une place auprès du roi, mais sans obtenir la charge de premier médecin qu’il briguait, dit-on, avec ardeur (v. notes [6], lettre 350, et [12], lettre latine 61).

Doyen de la Faculté de médecine de Paris de novembre 1634 à novembre 1636, Guillemeau fut, avec Jean ii Riolan, l’un des meneurs de la lutte acharnée entre les facultés de médecine de Paris et de Montpellier pour savoir laquelle était la plus éminente et la plus ancienne, et de manière plus terre à terre, si les médecins de Paris avaient le pouvoir d’interdire à ceux de Montpellier d’exercer dans la capitale ; en attestent, dans la suite des lettres, les nombreuses allusions aux écrits polémiques échangés les médecins de Paris et de Montpellier, Théophraste Renaudot ou Siméon Courtaud (v. note [19], lettre 128). Guillemeau appartenait aux orthodoxes de la Faculté, adulateurs d’Hippocrate et Galien (v. note [2], lettre 158, pour sa thèse sur la primauté de la Méthode d’Hippocrate), luttant sans répit contre les innovations anatomiques (circulation du sang et voies du chyle) et thérapeutiques (médicaments chimiques) de l’époque.

Charles Guillemeau et Guy Patin (de 13 ans son cadet) avaient passé ensemble leur licence de médecine ; Guillemeau avait obtenu le premier rang du classement et Patin, sans doute parce qu’il ne jouissait d’aucune protection familiale à la Faculté, le onzième et dernier. Guillemeau, comme premier chirurgien du roi, n’avait eu à soutenir que deux thèses (au lieu de trois) pour accéder à la licence :

La thèse de Guillemeau qui fit grand bruit est celle qu’il rédigea et présida le 2 avril 1648, sur la Méthode Hippocratique, contre les abus des apothicaires (v. note [13], lettre 151).

Patin appartenait au même clan conservateur que Guillemeau et resta son fidèle allié jusqu’à la fin. Guillemeau est mort sans descendance.

6.

Congrès (Furetière) :

« terme obscène ; action du coït qui se faisait il n’y a pas longtemps par ordonnance d’un juge ecclésiastique, en présence de chirurgiens et de matrones, pour éprouver si un homme était impuissant, aux fins de dissoudre un mariage. On a reconnu que les plus vigoureux et les plus effrontés n’ont pu soutenir la honte du congrès. On a enfin abrogé l’usage du congrès par un sage arrêt du Parlement du 18 février 1677 inséré dans le Journal des Audiences. {a} On tient qu’il n’avait été pratiqué en France que depuis 120 ans ou environ ».


  1. V. note [2], lettre de François Linant, datée du 31 mai 1659.

Guy Patin se souvenait de la thèse quodlibétaire que le bachelier Hugues Chasles (v. note [25], lettre 417) avait disputée le 17 décembre 1626, sous la présidence de Pierre de Beaurains (v. note [15], lettre 336), sur la question An Congressus publicus virilitatis virginitatisque examen ? [Le congrès en public peut-il juger de la virilité et de la virginité ?]. Il s’agit d’une fort belle dissertation qui se conclut par la négative :

Qui ad venerem est inermis, suæque impotentiæ conscius coniugine coniungatur : qui dubius an sit impos, Medicum accersat sagacem, cuius oraculo lis de dubia imbecillitate dirimatur : qui fœcunditer hortum muliebrem irrigat, congressu illo publico abstineat. Nulla viro victoria speranda est, ubi inuita mulier, hospitem nunquam admittit priapum, quæ quasi Thracia Baccha, Orpheum verbis unguibusque dilacerat ; in quo veritas potius obtenebratur, quam elucescit : non quod protervis non sint multi inepti fœminis, sed quod immatura et præcox iuvenum venus, et quod nutanti, vagoque pulsant meretricum diobolarium ariete portas, viros victos, et exsuccos facit, mulieres vero nulla libidine satiatas lassat. Sed quid moror ? amor non imperatur, ubi non est consensus animorum, non potest fieri copula corporum. Ergo solus amor perturbationum maxima, coniugalem sollicitat, et conciliat venerem, non satyrion, non ulla ars, aut ullum medicamen, quod naturæ irritandæ natiuum creditur, non congressus palam nefandus, hominum ignarorum, aut nefarie curiosorum inventum, dedecus sæculi, sexus utriusque infamia, quo testibus testes adhibentur, et dum Naturæ arcana inspiciuntur, despiciuntur.

Non ergo Congressus publicus virilitatis virginitatisque examen.

[Que s’abstiennent de ce congrès public : celui qui n’est pas armé pour l’acte vénérien, mais a épousé une femme, tout en connaissant son impuissance ; celui qui, doutant de sa capacité, consulte un médecin clairvoyant, dont le diagnostic tranchera la question d’une éventuelle faiblesse érectile ; tout comme celui qui est capable d’arroser le jardin féminin pour le féconder. L’homme ne doit espérer aucun triomphe quand la femme ne consent pas : elle n’autorise jamais l’accès à un priape qui lui est étranger et, comme la Bacchante de Thrace, elle met alors Orphée en pièces à l’aide de ses paroles et de ses ongles. {a} En quoi, la vérité s’obscurcit plutôt qu’elle ne s’illumine : ce n’est pas que les femmes impudiques coupent leurs effets à de nombreux hommes, mais que les jouvenceaux sont mal disposés à l’amour, faute d’expérience et de maturité, et que c’est en chancelant que de leur bélier incertain ils enfoncent les portes des putains à deux sols ; {b} et voilà des hommes défaits et épuisés, face à des femmes lasses qu’aucune jouissance ne les ait jamais rassasiées. Mais pourquoi s’y attarder ? L’amour ne se commande pas : quand il n’y a pas d’accord entre les esprits, les corps ne peuvent s’unir charnellement. L’amour seul, qui est la plus grande des passions, incite au coït et dispose à l’acte vénérien. Nul satyrion, {c} nul artifice ou remède, qu’on croit capable de stimuler la nature, nul abominable congrès accompli en public ne sauraient pourtant servir de preuves aux examinateurs. Déshonneur de notre siècle, le congrès est une infamie pour les deux sexes, une invention d’hommes ignorants ou ignoblement voyeurs : on y méprise les secrets de la Nature en les voulant examiner.

Le congrès en public ne peut donc pas juger de la virilité et de la virginité].


  1. Dans le mythe, Orphée, prince de Thrace, célèbre pour ses talents de poète et de musicien, descendit sur les rives du Styx pour obtenir la résurrection de sa très chère Eurydice ; les dieux infernaux lui accordèrent cette faveur à condition qu’il ne regardât pas sa femme avant d’avoir regagné le monde des vivants ; il ne put résister à l’envie de la voir et elle retomba à tout jamais dans les Ombres. « Depuis cette perte, insensible aux douceurs de l’amour, il vit punir ses dédains par les Bacchantes, qui dispersèrent ses membres dans les campagnes et jetèrent sa tête dans l’Hèbre » (Fr. Noël).

    La Bacchante de Thrace (v. note [23], lettre 197, pour cette contrée antique) était un surnom de Cotytis ou Cotytto, « déesse de la débauche, dont les mystères étaient si licencieux qu’on prenait grand soin de les cacher aux yeux du public. Ses ministres passaient pour les plus infâmes de tous les hommes » (ibid.).

  2. Imitation de Silius Italicus (v. note [7], lettre 445) Les Guerres Puniques, livre xii, vers 40 (sur le siège infructueux de Naples par Annibal) : Pulsavit quatiens obstructas ariete portas [Il a vainement tenté de briser les portes par les coups redoublés de ses béliers].

    Toutes ces pudiques allusions font bien comprendre que le jeune homme accusé de ne pas satisfaire son épouse était dénudé et soumis publiquement aux avances d’une prostituée suffisamment fanée pour accepter un tel office.

  3. Plante aphrodisiaque, v. note [4] du mémorandum 7.

7.

Thèse quodlibétaire disputée le 24 janvier 1630 par le bachelier Jacques Mentel (v. note [6], lettre 14), sous la présidence de Jean Complainville (v. note [11], lettre 7) : la question était Danturne in medicina qualitates occultæ ? [Admet-on les qualités occultes en médecine ?] ; la réponse fut négative.

Les qualités (ou propriétés) occultes étaient, dans les sciences, certaines propriétés que la scolastique (v. note [3], lettre 433) « considérait comme la cause cachée d’effets apparents, et l’explication suffisante de ces effets » (Littré DLF). « Les mauvais philosophes qui ne savent point découvrir la cause d’un effet, d’une maladie, disent que cela vient d’une vertu occulte, d’une propriété occulte, d’une cause occulte » (Furetière). Les qualités occultes étaient l’un des fondements de la médecine chimique d’alors. Ainsi, pour Van Helmont (v. note [11], lettre 121), « le plus pernicieux de tous les préjugés des anciennes écoles est l’opinion que deux principes opposés sont nécessaires pour la production des choses : le froid et la chaleur ne sont que des qualités abstraites, et on ne peut absolument rien expliquer par leur réaction. Tout dépend de l’influence de l’entité séminale sur le ferment, et lorsque cette action ne se manifeste pas clairement, alors il y a relolleum, mot qui signifie la même chose que σκινδαψος de Galien [v. note [6], lettre 6], ou que qualité occulte » (Sprengel, tome v, page 28). Skindapsos est en grec un mot de sens indéterminé employé familièrement (comme en français, affaire, chose, etc.) (Bailly). Appartenant donc au péripatétisme, la notion de qualité occulte fut refusée par Descartes, qui y substitua « les idées intelligibles de mouvement, d’impulsion et de force centrifuge » (Littré DLF).

Sans pourtant adhérer au cartésianisme, Guy Patin était de même avis sur ce point particulier, affirmant, par exemple, que « les citrons sont les meilleurs cardiaques que nous ayons » (v. son Traité de la Conservation de santé, chapitre ii). Au fil de sa correspondance Patin s’est montré imperméable à la notion de qualité occulte, terme qui servait pourtant à couvrir une certaine forme de modestie ignorante, et parfois naïve, qu’il n’admettait pas : toute puissante, la médecine devait expliquer toutes les propriétés des médicaments contre les maladies ; ceux qui n’y satisfaisaient pas étaient à reléguer parmi les drogues seulement bonnes à tromper le peuple entre les mains de charlatans et d’apothicaires cupides. Moins arrogante, son idole médicale la plus vénérée, Jean Fernel (v. note [4], lettre 2), n’était pas de même avis (v. en particulier les notes [8], lettre 512, et [14], lettre 995), et c’était ce qu’à contrecœur Patin lui reprochait le plus.

8.

Les paranymphes (de παρανυμφος, jeune homme qui jadis, chez les Grecs, conduisait l’époux à ses noces) étaient un rituel que la Faculté de médecine de Paris célébrait en grande pompe tous les deux ans.

Le paranymphe était à la fois le discours composé pour cette occasion (oratio panegyrica) à la gloire de la Faculté, et le digne personnage qui le prononçait, un lettré distingué ou l’un des bacheliers promus (v. note [2], lettre 157, pour le paranymphe de Robert Patin en 1648). Suivaient autant de discours encomiastiques (orationes encomiasticæ), c’est-à-dire d’éloges, qu’il y avait de candidats à la licence (v. note [4], lettre 1).

Tout ce cérémonial, qui se concluait par le classement des licenciés, était soigneusement réglé par trois articles des Statuta F.M.P. (1660).

Le lieu de licence influençait la vie entière des quelque 120 médecins que rassemblait la Faculté car en découlait immuablement l’ordre dans lequel étaient reçus les docteurs régents, et donc le rang qu’ils occupaient sur le tableau d’ancienneté (v. note [20], lettre 7). Cette liste, méticuleusement mise à jour chaque mois de novembre, décidait de tous les grands événements du cycle académique : préséances, tour de présidence aux actes (v. note [18], lettre 459), passage du petit au grand banc (c’est-à-dire du statut de jeune à celui d’ancien) et, tout au bout de la carrière, désignation de l’ancien (doyen d’âge, v. note [20], lettre 17), dignité prestigieuse et lucrative dont chacun rêvait pour se consoler de vieillir.

9.

Guy Patin disait de Gabriel Naudé (Paris 2 février 1600-Abbeville 1653) qu’il était l’un de ses plus chers amis : ils s’étaient connus à la fin de leurs études parisiennes au collège, en 1620 (v. note [9] du Patiniana I‑4). Depuis environ la même époque, Naudé avait eu pour fidèle protecteur, et ce durant toute sa vie, Élie Diodati (mort en 1661, v. note [1], lettre 72).

Patin et Naudé avaient ensuite gagné les bancs de la Faculté de médecine. Toutefois, Naudé n’y prit aucun degré : le goût pour des livres l’ayant dévoré depuis l’enfance, il devint bibliothécaire de Henri ii de Mesmes (v. note [12], lettre 49) en 1622 ; il partit une première fois pour l’Italie en 1626, mais la mort de son père (un modeste officier des Finances) l’obligea à revenir à Paris en 1627. En 1631, Naudé devint bibliothécaire du cardinal Bagni (v. note [12], lettre 59), qui l’emmena à Rome où il séjourna onze ans. Comme en témoigne le Naudæana, il s’imprégna très profondément du génie italien de la philosophie, des lettres, des arts et de la politique. Il se fit aussi recevoir docteur en médecine à Padoue en 1633 après avoir disputé quatre thèses (réimprimées à Genève, Samuel Chouët, 1650, in‑8o) :

Il n’est curieusement rien resté de la correspondance que Naudé et Patin durent échanger pendant cette longue période.

Le cardinal Bagni étant mort à Rome le 24 juillet 1641, Naudé fut de retour à Paris le 10 mars 1642, où les cardinaux Richelieu (mort le 4 décembre suivant) et Mazarin lui confièrent successivement le soin d’entretenir et d’enrichir leurs bibliothèques&nbs;: celle de Mazarin comptait 40 000 volumes en 1649.

En janvier 1652 (v. note [22], lettre 279), pendant la Fronde, cette splendide collection fut vendue à l’encan malgré les supplications de Naudé qui, moyennant 3 500 livres (tout son avoir), racheta les ouvrages de médecine. En juillet suivant, sans attendre le retour de Mazarin au pouvoir (février 1653), Naudé partit pour Stockholm où Christine, reine de Suède (v. note [11], lettre 127) l’avait invité à devenir son premier bibliothécaire ; mais le climat de Stockholm ne convenant pas à sa santé, il repassa en France et mourut près du terme de son périple, à Abbeville le 29 juillet 1653. Il ne reste rien non plus des lettres que Patin et Naudé se sont écrites pendant ce séjour en Suède (v. note [36], lettre 336).

Naudé a laissé de nombreux ouvrages d’érudition littéraire dont on trouve la trace au fil des lettres de Patin. Il est surtout connu pour avoir été le principal introducteur du libertinage érudit (v. note [9], lettre 60) à Paris, philosophie qu’il était allé puiser en Italie et dont il a teinté la plupart de ses écrits. Il a beaucoup influencé les lectures et les pensées de Patin, ce qui a donné à certaines de ses lettres le ton qui le fait aujourd’hui ranger parmi les libertins. Il a qualifié Naudé, célibataire endurci dont les mœurs étaient réputées irréprochables, de « terrible puritain du péripatétisme » (v. note [4], lettre 608). Sainte-Beuve b (volume ii, page 469), quant à lui, a déploré son style et en a fait « un sceptique moraliste sous masque d’érudit ».

Dans ses écrits politiques, Naudé pâtit encore d’avoir excusé toutes les actions du pouvoir, qui ne peut jamais avoir tort, selon lui, puisqu’il n’agit que pour sa conservation. Cette maxime l’a conduit, par exemple, à louer le massacre de la Saint-Barthélemy (v. note [30], lettre 211) dans ses Considérations politiques… (Rome, 1639, v. note [5], lettre 925).

Patin évoquait ici son :

De Antiquitate et dignitate Scholæ medicæ Parisiensis Panegyris. Cum orationibus encomiasticis ad ix Iatrogonistas laurea Medicinæ donandos. Auctore Gabr. Naudæo, Paris. Phil.

[Panégyrique de l’ancienneté et dignité de l’École de médecine de Paris ; avec les éloges des neuf bacheliers lauréats de médecine. Par Gabriel Naudé, philiatre de Paris]. {a}


  1. Paris, Jean Moreau, 1628, in‑8o.

Ce titre est suivi de la devise de Naudé qui, on le remarque, ne se targuait que du titre de philiatre (étudiant en médecine) de Paris, n’y ayant pas même atteint le grade de bachelier (iatrogonista, « enfant de médecine ») : Divitiis animosa suis [Fière de ses trésors] (attribut de la vertu dans Claudien, Panégyrique sur le consulat de Manlius Theodorus, vers 25). Le privilège est daté du 2 août 1628 et la première dédicace, au Collège des médecins de Paris (alors dirigé par le doyen Nicolas Piètre), du 1er du même mois. La seconde dédicace (pages 10‑11) est adressée au chancelier de l’Université de Paris (v. note [39] des Décrets et assemblées de la Faculté de médecine de Paris en 1651‑1652, dans les Commentaires de Guy Patin sur son décanat) qui avait invité Naudé à prononcer ce discours de vespérie (bien qu’il ne fût pas docteur en médecine de Paris) :

Pareo lubens tuis mandatis (Illustrissime Cancellarie) meque acerrimi tui judicii censura ad hanc præconiis, aut potius Encomiastæ provinciam selectum, coram te sisto ; ut qui mihi onus illud gravissimum imposuisti, et periculosæ plenum opus aleæ injunxisti ; sic etiam, et vires ad illud sustinendum, et mentem ad fortiter agendum, et linguam omni vinculo solutam ad eloquendum, ex singulari benevolentiæ tuæ consuetudine non deneges : atque mihi in procinctu ad dicendum constituto, jam jamque laboriosissimos Iatrogonistas ad Bravium, et Coronam vocanti, tanta, tamque benigna gratiæ non vulgaris, et favoris aura cum insigni potestatis tuæ concessa lenius aspiret ; ut, o Brabeuta sapientissime !

Dulcem qui strepitum Pieri temperas,
O mutis quoque piscibus
Donature cygni si libeat sonum,
Totum muneris hoc tui sit,

Quod dicam, quod orem, quod laudem, quod placeam.

[Je me soumets volontiers, très illustre chancelier, à vos ordres et à la censure de votre jugement si pénétrant. M’ayant choisi pour prononcer ce discours, ou plutôt cet éloge, je me présente à vous comme à celui qui m’a imposé cette très lourde charge et cette tâche pleine de péril. Aussi donc, par votre habituelle et particulière bienveillance, vous ne dédaignerez ni l’énergie que j’ai mise à y parvenir, ni mon ardeur à le faire hardiment, ni ma langue déliée de toute entrave à déclamer. Dans cette joute oratoire que je me suis assignée pour inviter bientôt les enfants de médecine à la victoire et à la couronne, soufflera la si grande et bienveillante réputation de grâce hors du commun et de faveur, qui s’accorde avec la distinction de votre pouvoir. En sorte que, ô très sage arbitre !

« toi qui modères le doux murmure de Pierus, toi qui donnerais le chant du cygne {a} aux poissons morts, si on t’en confiait la charge », {b}

voilà ce que je dis, ce que je plaide, ce que je loue, ce qui m’est agréable.


  1. V. notule {b}, note [8], lettre 325.

  2. Citation d’Horace dont Naudé a fourni la source (Odes, livre iv, 3, vers 18‑21). Pierus est le père des Muses.

Les deux odes préliminaires prouvent combien leurs auteurs, Pierre Gassendi et Guy Patin, étaient amicalement liés à Naudé. La première (pages 12‑14) est une longue parénèse (exhortation). Le quatrain de Patin, son compagnon d’études (alors tout jeune docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, reçu en décembre 1627), se lit plus facilement (page 14) :

Dum reddis luci Asclepi, Naudæe, nepotes
Doctaque turba libro stat rediviva tuo ;
Iamdudum meritis numquam peritura reponis
Præmia, et Iatricæ redditur artis honos
.

[Ô Naudé, voici que tu amènes à la lumière les enfants d’Esculape, et leur docte troupe s’en trouve revivifiée. Tu confères maintenant leurs prérogatives éternelles à ceux qui les ont bien méritées, et tu honores l’art de soigner].

Le discours de paranymphe recense sans grand relief les gloires passées et présentes de la Faculté de médecine de Paris. Viennent enfin les éloges (discours encomiastiques) des neuf licenciés de 1628, rangés dans leur ordre (lieu) de mérite : Nicolas Brayer de Château-Thierry (v. note [2], lettre 111), Pierre Guénault d’Orléans (v. note [6], lettre 97), Sébastien Rainssant de Châlons-en-Champagne (v. note [6], lettre 240), Jean-Baptiste Ferrand d’Angers (v. note [38], lettre 523), Jean Vacherot (v. note [11], lettre 325), Nicolas Héliot (v. note [4], lettre 164) et Hugues Chasles (v. note [25], lettre 417) de Paris, Georges Joudouin de Rouen (v. infra, note [10]), et enfin Jean Complainville de Paris (v. note [11], lettre 7).

10.

Georges Joudouin, natif de Rouen, d’abord docteur d’Aix vers 1610, avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1629. Guy Patin avait accédé à la régence (v. note [13], lettre 22) en présidant (et rédigeant), le 16 décembre 1627, la première quodlibétaire de Joudouin, Utrum μητρομανια balneum ? [Le bain est-il bon dans la métromanie (hystérie, v. note [14], lettre 97) ?] (affirmative).

Le sujet en avait été inspiré à Patin par un cas de sa clientèle concernant une belle jeune fille que, disait-il, sa mère eût bien voulu lui faire épouser (v. lettre à Spon du 19 septembre 1659, lettre 578). Voici, traduite du latin, la conclusion (5e article) de cette première thèse présidée par Guy Patin (qui l’avait aussi rédigée) :

« Que prescririez-vous à une femme en furie, hormis les liens et les verges d’Hippocrate, s’il ne s’agit pas d’une vierge, mais d’une veuve qui court après les étreintes amoureuses d’un homme ? Il convient pour le moins d’instituer une alimentation très restreinte, réfrigérante et humectante, de tirer souvent du sang des veines basiliques, saphènes et hémorroïdaires, de poser des ventouses aux lombes et à la face interne des cuisses, de faire boire du petit-lait, de mettre des épithèmes {a} réfrigérants sur l’épigastre, les organes génitaux et les lombes, de poser des ligatures aux extrémités et de les frictionner, et de fines plaques de plomb sur les lombes, d’injecter de fréquents clystères, de faire prendre hardiment des hypnotiques à base de diacode {b} et d’opium, plutôt que de laudanum de Paracelse, de répéter souvent la purge douce. Que faire si tout cela ne suffit pas ? Faut-il alors recourir aux émétiques ? ou à l’ellébore ? ou à la pierre magique de lapis ? {c} ou aux purgatifs violents ? ou à l’antimoine ? ou à la menthe ? ou au suc de rue, de vitex, {d} de chanvre ? {e} ou à des médicaments qui diminuent la semence par propriété occulte ? Qu’on s’en abstienne : on arrange toute l’affaire avec le bain fréquent d’eau douce et tiède, qui corrige l’intempérie chaude et sèche de tout le corps, apaise les viscères, calme la ferveur des esprits animaux, réprime la chaleur de l’utérus, éteint l’orgasme {f} de la semence, fait sortir la saleté qui déborde autour de l’utérus, provoque les purgations menstruelles, éteint la tumescence et la démangeaison des parties honteuses, envoie les vapeurs les plus douces à la tête, ménage le sommeil, adoucit l’acrimonie du sang tant veineux qu’artériel, la ferveur de tous les esprits et de la semence. Alors, la pudeur ayant été restaurée, toute pensée lascive s’éteint. Le bain est donc bon pour la passion utérine. »


  1. Humectations (v. note [1] de la Consultation 1).

  2. Sirop de têtes de pavots.

  3. Lapis-lazuli, v. note [2] de l’observation viii.

  4. Agnus castus, ou saule d’Amérique.

  5. Cannabis, v. note [13], lettre latine 109.

  6. La congestion, v. note [7], lettre 479.

11.

L’usage voulait que le président et non le candidat écrivît la thèse (v. note [1], lettre 1) qu’ils soumettaient à la dispute. Il y avait des exceptions à cette règle, comme Guy Patin jugeait ici opportun de le signaler pour ses deux quodlibétaires (1624 et 1625). Sa thèse cardinale, en 1626, avait été présidée et rédigée par Denis Guérin. Natif de Paris, Guérin avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1605 (Baron). Dans sa lettre à André Falconet, datée du 5 mars 1660, Patin a signalé la mort de Guérin le 26 février 1660, âgé de 89 ans.

Dans ses Curieuses recherches sur les écoles en médecine de Paris et de Montpellier… (pages 262‑263 ; v. note [13], lettre 177), contre Siméon Courtaud, doyen de Montpellier, Jean ii Riolan s’est expliqué sur le principal auteur des thèses de Paris :

« Vous nous reprochez la composition des thèses que soutiennent les bacheliers, faites par les docteurs : il est vrai que si les docteurs présidents de l’acte font disputer quelque belle question nouvelle qu’ils auront étudiée, ils donnent le point ou titre au bachelier pour faire sa thèse ; le docteur, de son côté, qui sait l’explication de ce titre, en fait une autre. Si le docteur président ne trouve la thèse de son écolier assez bien faite selon son sens, il fait soutenir la sienne, qui est une besogne plus difficile que si le bachelier l’avait composée ; d’autant qu’il ne remplirait sa thèse de questions qu’autant qu’il lui plairait et sur quoi il serait très bien préparé. Or les bacheliers de Montpellier, qui ont la plupart étudié quelque temps à Paris, remportent avec eux les thèses de l’École, tant vieilles que nouvelles, et ne se servent que des vieilles, qu’ils font imprimer à Montpellier pour les soutenir. Quant au point de la thèse, le docteur et le bachelier s’entendent bien ensemble, et < on > laisse cela à la disposition du bachelier, comme il a été prouvé ci-dessus. Je puis assurer sans vanité que les thèses des disputes en médecine de Paris sont si excellentes et si doctes, si bien expliquées et suivies, qu’elles mériteraient d’être assemblées dans un volume pour faire honte à ces rhapsodies et confusion de thèses des Allemands. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 14 mai 1630

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0003

(Consulté le 26/04/2024)

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