Paris contre Montpellier, 1641-1654
L’ultime procès de Théophraste Renaudot contre la Faculté de médecine de Paris, perdu le 1er mars 1644, [1] résume la violente querelle qui opposa la Faculté de médecine de Paris à Renaudot, [2] déclenchée par les activités médicales du Bureau d’adresse qu’il avait établi sur l’île de la Cité en 1628, sous la toute-puissante protection de Richelieu. [3] Guy Patin, l’un des champions du clan parisien, avait publiquement diffamé Renaudot à deux reprises : dans la préface anonyme de son édition des Opera [Œuvres] de Daniel Sennert (Paris, 1641), en le traitant de nebulo et blatero ; [1][4] puis à visage découvert, dans sa thèse L’homme n’est que maladie (17 décembre 1643), [5] en l’enguirlandant d’un infamant acrostiche. [2][6] La très salubre Faculté et son boutefeu Patin sortirent vainqueurs du procès qui s’ensuivit, mais l’Université de Montpellier, où Renaudot avait obtenu son diplôme et puisé sa pratique médicale, en fut aussi meurtrie que vindicative.
Ces péripéties ne se limitaient pas à un combat singulier entre Renaudot et Patin, mais à un affrontement entre les deux plus puissantes écoles médicales françaises. Le principal argument en était doctrinal. [7] En simplifiant, il opposait : au nord, le dogmatisme de Paris, fondé sur la méthode d’Hippocrate et de Galien, [8][9] assise sur la théorie des quatre humeurs corporelles, [10][11][12][13] opposée aux innovations, et préconisant la saignée à tout va [14] et la purgation à l’aide de remèdes végétaux simples, [15] dont le moins antique était le séné, [16] seule concession faite, à contrecœur, à la médecine des Arabes ; [17] et au sud, l’empirisme [18] éclairé de Montpellier, ouvert aux idées de Paracelse, [19] qui avait renversé la théorie humorale et introduit les remèdes chimiques, [20] tels l’antimoine, et qui essayait de sortir la thérapeutique de la vénérée routine qui se résumait à rétablir le bon équilibre (tempérament) du corps par la saignée et la purge. À cette dispute médicale des anciens et des modernes s’ajoutait un différend religieux et politique : Montpellier ouvrait ses bancs aux réformés et aux juifs marranes, [21] tandis que Paris ne graduait presque uniquement que des catholiques ; [22] pour contrer les influents médecins du roi et des premiers princes du sang, dont un bon nombre était issu de Montpellier et d’autres facultés provinciales, Paris les qualifiait d’étrangers et leur interdisait de pratiquer dans la capitale, hors de la cour. [23]
Le discours inaugural de Siméon Courtaud, [24] doyen de Montpellier, [25] prononcé le 21 octobre 1644, et publié l’année suivante, attaquait la Faculté de Paris avec virulence en niant sa prééminence historique et savante. Ce fut le début d’un ouragan de pamphlets souvent non signés qui dura dix ans : Jean ii Riolan et Patin ripostèrent en 1651 avec les anonymes Curieuses recherches ; [3][26] le paroxysme fut atteint en 1655, avec au moins 13 libelles écrits en latin, dont les principales plumes parisiennes identifiables furent Charles Guillemeau, [27] Jacques Thévart [28] et François Blondel. [4][29]
Jean Héroard, [30] premier médecin de Louis xiii [31] et oncle maternel de Siméon Courtaud, est un modèle des médecins originaires de Montpellier que les Parisiens tenaient pour étrangers et accablaient de leurs sarcasmes. Deux libelles latins publiés à Paris en 1654 ont raconté sa vie de façon contradictoire. Ce sont, dans l’ordre où Patin les a commentés dans sa correspondance, qui correspond probablement à celui de leur parution (mais aucun des deux n’est daté par un privilège ou un « Achevé d’imprimer ») :
Dans des styles fort différents, le latin de ces deux biographies est absolument exécrable. J’ai bien vite compris pourquoi nul ne s’était jusqu’ici échiné à les traduire, en dépit des précieux renseignements qu’ils recèlent. Les versions que j’en donne ici sont souvent plutôt des interprétations plausibles que des traductions mot à mot. J’y ai fait fi des incorrections grammaticales, des barbarismes, des discordances des temps de conjugaison et des incohérences de la ponctuation, et allégé de mon mieux les lourdes redondances qui enrobent tant les louanges que les moqueries. Le confort de lecture a primé, et l’impossible fidélité au texte m’a parfois contraint à privilégier le contexte. J’ai aussi inséré des alinéas pour aérer les récits. Étant donné les éclairages différents que les deux narrations projettent sur les faits, j’ai prêté une particulière attention à leur chronologie. Avant d’en venir à ces textes, il convient d’en comprendre la genèse.
Prologue : l’offense faite à Charles Guillemeau
La Seconde Apologie de l’Université en médecine de Montpellier, répondant aux Curieuses recherches des universités de Paris et de Montpellier, faites par un vieil docteur médecin de Paris. Envoyée à M. Riolan, professeur anatomique, par un jeune docteur en médecine de Montpellier… (Paris, 1653) [6][33] avait fort maltraité Charles Guillemeau, tout particulièrement dans ce passage de la section xxxix, Les Rois ne préfèrent point Montpellier à Paris, pages 56‑58 :
« Vous, Jean Roilan, avez connu Monsieur Vautier, et comme il était premier médecin ; [7][34] vous avez connu ceux qui possédaient cette charge avant lui. Monsieur Vautier était médecin de Montpellier ; les autres l’étaient de votre Faculté. Et cependant, avec un affront et ignominie que votre Faculté ne réparera jamais, ils ont été honteusement déquillés pour y mettre Monsieur Vautier en la place, pour cette seule considération qu’il était médecin de Montpellier. [8] Du depuis, on a eu le même égard en la sage et digne élection qu’on a faite de Monsieur Vallot, [35] homme plein d’honneur, de savoir d’expérience et de prudence, en la place de Monsieur Vautier. [9] Il me suffit de vous donner ces deux exemples tout récents pour faire voir la différence qu’il y a entre les docteurs de ces deux universités, et l’estime diverse qu’on en fait.Que s’il est question d’artifices pour parvenir à une telle charge, vous savez comme Monsieur Bouvard [36] y entra. En voici tout le tissu. M. Charles Guillemeau, qui avait l’accès près du roi, l’introduisit pour lui servir de planche à ladite charge, ce rusé et faux rousseau [37] abusant de la candeur et ingénuité de Monsieur Bouvard. Monsieur Héroard, grand médecin, grand politique (vénérable pour sa prud’homie, [38] pour son âge et pour le service par lui rendu à quatre de nos rois successivement), [10] possédait la charge de premier médecin avec l’amour et la bonne grâce de son prince. Il avait contracté une amitié fort étroite avec Maître Jacques Guillemeau le père, chirurgien du roi, [11][39] lequel lui donna son fils Charles Guillemeau, aussi chirurgien. Il l’aime comme fils de son ami, et comme le sien propre, le fait connaître et le met en la bonne estime du roi, qui le reçoit sur le témoignage de Monsieur Héroard. Ce Guillemeau se comporta en apparence d’honnête homme ; enfin, saisi de vanité et de bonne opinion de soi, il desseigne [12] de pousser avant sa bonne fortune. Comme que ce fut, ayant quitté le rasoir et la lancette, [40] il se fait docteur de votre Faculté et muguette la charge de premier médecin ; [13] mais Monsieur Héroard, son créateur et bienfaiteur, l’en empêche. Ce garnement se résout de fermer les yeux pour ne le point considérer, [14] et commence à semer de faux bruits sur l’honneur du dit sieur Héroard, disant qu’il était vieux, que son jugement n’était point de même que par le passé, qu’il ne connaissait pas bien le naturel du roi (lequel cependant il avait heureusement conduit dès sa naissance).
Pour donc parvenir plus aisément et plus tôt à une telle charge, il dresse de loin sa batterie, de peur d’être connu tel qu’il était, se reconnaissant trop jeune d’âge, de prudence et d’expérience. Il retire Monsieur Bouvard du service du public, pour le faire connaître à la cour, et lui faire naître quelque désir de cette première charge, avec ce dessein de l’en débusquer incontinent qu’il y serait établi. Et ainsi, mon galant, ce monstre ingrat, ce perfide rousseau, je dis Charles Guillemeau, lève le talon contre son second père, duquel il devait écouter les paroles comme des oracles, et les suivre comme des règles de bien-vivre. Le doyen a touché en passant, dans son Apologie, la noire ingratitude de ce dénaturé parricide ; mais en termes pleins d’honnêteté, ayant caché le nom de Guillemeau sous le nom de Rousseau, lorsqu’il dit comme<nt> ce vénérable vieillard, et le sage Caton [41] de la cour, étant vu un matin, attendant qu’il fût jour, en l’une des fenêtres qui regardent la basse-cour du Louvre, [42] voyant venir ledit Guillemeau, dit à quelqu’un qui était près de lui : “ Voilà le seul ingrat et perfide que j’aie trouvé. ” [15] Mais cet orgueilleux se trouve bien reculé, [16] pource que jamais personne ne se prit contre ledit sieur Héroard qui ne s’en soit mal trouvé ; mais, entre plusieurs, [17] cet ingrat qui étant le dernier, < est > comme la lie de tous, et le plus détestable. Les amis du sieur Héroard lui conseillaient de lui faire manger la poussière, pour servir d’exemple ; mais la mémoire du père et la qualité de chrétien firent qu’il remit tout cela à Dieu, se contentant du pouvoir qu’il avait de le rendre misérable. Ce que j’ai voulu représenter ici, afin que ses confrères fissent considération du personnage selon ses bonnes et remarquables actions, et eussent souvenance du dire du dit sieur Héroard, “ Que l’ingratitude est un symptôme de la ladrerie ”. [43] Après le décès d’icelui sieur Héroard (qui mourut paisible dans son lit en sa charge, visité en sa maladie par Sa Majesté, et regretté, après sa mort, de Sa dite Majesté, en ces paroles, “ J’avais encore bien besoin de lui ”), Monsieur Bouvard occupe la place ; mais de telle sorte que le scélérat Rousseau trouve plus de résistance qu’il ne s’attendait point de ce bon et franc naturel. Voilà donc comme il fut pourvu de ladite charge par les menées du dit Guillemeau, lequel voulant voir jusques où la fortune le pousserait per fas et nefas, [18] fut repoussé aussi vivement comme il la recherchait ardemment. Et ainsi, ces deux grands hommes, Monsieur Héroard et Monsieur Bouvard, corvum suum rufum deluserunt hiantem. » [19][44]
Charles Guillemeau (qui se défendait d’être roux) a prouvé que sa Vie de Héroard venait de cette attaque : il l’a transcrite, sous le titre d’Extrait du livre intitulé Seconde Apologie…, en exergue de son Cani miuro…
Cani miuro (Charles Guillemeau)
[Page 3 | LAT | IMG] « Écoute donc maintenant ce qui t’afflige, t’enrage, te fait écumer et, ce qu’il y a de pire pour toi et pour ton oncle, [20] vois comme tu seras flatté de m’avoir arraché le récit parfaitement véridique de ce qui s’est passé, [Page 4 | LAT | IMG] sans que j’y aie volontairement et sciemment ajouté d’impudentes médisances !Jean Héroard eut pour père un illustre [21] barbier [45][46] de Montpellier. Il encouragea notre futur premier médecin du roi Louis (car ainsi la Fortune [47] a-t-elle voulu plaisanter) à s’enduire d’une très légère teinture de rudiments lettrés, pour le pousser hors de sa boutique à remèdes ; puis il se consacra à le faire poursuivre en prenant ce qu’on appelle de petites leçons de médecine. Comme Héroard était né sans attrait pour les Muses ni le moindre talent pour les arts d’Apollon, [48] il décide qu’il a mal fait de s’y être essayé : il s’envole du nid et s’enrôle comme simple soldat, dans le parti qui mettait en avant le nom de Religion [49] pour trahir la Couronne sous le commandement de Coligny, [50] auquel il s’était rallié, tout comme son père et sa proche parenté. Ils s’engagent dans la funeste bataille de Moncontour, [22][51] où, dès le tonnerre des premiers coups de canon, notre soldat a d’abord le souffle coupé ; il tourne les talons, non pas pour se jeter de nouveau dans la mêlée, mais pour ne jamais plus reprendre le combat ; et tout en regardant souvent derrière lui, sa fuite finit par le ramener à Montpellier. Là, il se renferme dans la vielle École où, entre-temps, est venu le jeune Jacques Guillemeau, [23] avide de voir et apprendre quantité de nouveautés. Fils et petit-fils de chirurgien royal, il deviendra bientôt chirurgien ordinaire du roi Charles ix. [52] En fréquentant ladite Université, ou par quelque autre hasard, il fait la connaissance de Héroard, et ce bien plus pour l’avantage de ce dernier que pour celui du public.
Guillemeau retourne à Paris pour assurer les quartiers de sa charge. Puis à son tour, Héroard y monte : mécontent de ses déboires militaires, tout comme de ses médiocres études et de son application à la médecine, il espère se ménager n’importe où un avenir moins misérable que là où il était, ayant ouï dire que les hommes se couvraient d’or dans la capitale. Quelques jours après y être arrivé, il rend visite à Guillemeau. Fidèle à sa coutumière amabilité, son bon génie, n’a pas oublié cet homme : il ne l’éconduit pas, mais l’embrasse ; il lui demande pourquoi il est venu, et lui promet son argent et son soutien ; et à quel point lui a-t-il plus tard prouvé qu’il ne faisait pas cela par pure courtoisie ! Héroard lui dit : “ Puissiez-vous me procurer quelque moyen d’existence, car j’en suis venu au point de vouloir sortir de mes misères ! ” Mon père servait auprès d’Ambroise Paré, [53] premier chirurgien du roi Charles, que le souverain avait personnellement chargé de trouver quelque jeune homme capable d’étudier soigneusement l’anatomie du cheval et ses maladies, pour en faire son hippiatre. [24][54] Héroard décide alors de saisir sa chance et d’assouvir son désir le plus cher, qui est [Page 5 | LAT | IMG] d’entrer dans la Maison royale, quelle qu’y soit sa place. Guillemeau en parle immédiatement au premier chirurgien. Héroard se rend, comme convenu, au domicile de Paré, Guillemeau l’y recommande avec ardeur et le confie à son maître, qui l’emmène voir le roi à Vincennes, [55] où il avait coutume de se distraire en jouant à la paume. [56] “ Sire, dit Paré, j’ai amené, comme vous l’avez ordonné, celui qui deviendra votre médecin du cheval. ” Le roi, qui ne voulait pas désapprouver quelqu’un que son chirurgien avait personnellement recommandé, décide d’intégrer Héroard dans sa Maison en qualité d’hippiatre, et lui accorde une pension annuelle de quatre cents livres. Il sert un certain temps dans cette charge et avec ce titre, sous le bon génie de Guillemeau, son protecteur et celui à qui il était redevable de ce bienfait. Chasse, chiens et soins des chevaux étaient le divertissement et le plaisir du roi Charles. À sa mort, Henri [57] lui succède ; [25] mais comme les esprits et les intérêts des rois et des frères diffèrent souvent, Sa Majesté ne prête plus d’intérêt à ces sujets ; et voilà notre hippiatre plongé dans l’inaction, la disgrâce et l’incertitude de son avenir.
Il vient souvent voir Guillemeau, et l’implore et supplie de venir à son aide : “ Ayez soin de moi, Guillemeau, protégez celui en qui vous avez tant de fois mis votre confiance. Efforcez-vous de veiller sur lui ! ” Anne de Joyeuse [58] était comme l’Héphestion du roi, [26][59] et Guillemeau s’était acquis tant de faveur auprès de lui, par la fidélité et le succès de ses services et de ses soins, qu’il jouissait de toute sa confiance. Bien assuré de cette grâce et pensant amicalement à Héroard, son protégé, Guillemeau saisit une bonne occasion pour adresser franchement et non sans à-propos ces paroles à Joyeuse : “ À votre Maison, si vaste et si choisie, Monseigneur, manque ce qui n’a jamais manqué aux grands princes de Rome, [27] à savoir d’y attacher un médecin particulier. Il vous faut en avoir un, et je crois avoir trouvé celui dont vous ne mépriserez ni l’art ni le zèle à servir. Et moi, qui suis votre conseiller, je me porte garant de cet homme, dont voici le nom. ” Quand Joyeuse l’entend, il éclate de rire : “ Pour ma part, mon cher Guillemeau, je vous ai tenu pour homme et ami, mais vous, vous me prenez pour un cheval, qui aura attaché à tout jamais sa personne à un médecin des chevaux ! ” Ferme dans son bienveillant dessein, mon père répond : “ Mais je vous assure qu’il est bel et bien médecin des hommes. Il a exercé en son pays de Montpellier, et aussi à Paris, où il a servi avec assiduité auprès du célèbre Duret. [28][60] Il a supporté de devenir médecin des chevaux, charge qu’il a remplie avec grandeur et bonheur, car elle lui a permis d’obtenir un rang parmi les domestiques du roi. ” Afin que le duc ne refuse pas, il insiste en disant qu’il ne lui proposerait jamais quelqu’un sans être sûr qu’il est parfaitement capable de le servir. Vaincu par tant de persévérance, [Page 6 | LAT | IMG] Joyeuse admet dans sa Maison le protégé de Guillemeau. Assez longtemps après, Guillemeau, comme si Héroard était véritablement son frère, et pensant qu’ils devaient tous deux jouir des mêmes appointements et de la même considération, lui dit : “ Pour vous débarrasser de ce titre de médecin équin et mettre un terme à cette réputation, il nous faut servir notre héros en tant que domestiques de l’Hippone, et y mettre tant de zèle qu’il veuille vous nommer médecin de son écurie, avec une rente identique à celle que vous perceviez comme hippiatre du roi Charles. Au prix de ce seul changement de titre, il ne verra pas de difficulté à vous enregistrer dans cette charge. ” [29][61]
Les efforts de Guillemeau permettent de conclure l’affaire, et il ne faut pas longtemps pour qu’ensuite, grâce à l’appui et à l’influence de Guillemeau, le maître à penser de Joyeuse, qui ne lui refusait rien, Héroard soit aussi nommé médecin du roi, figurant dans l’album de ceux qu’on appelle les serviteurs de saint Théraponte. [30] Jusqu’ici, il est clair, et il restera clair jusqu’à la fin, que la bonté de Guillemeau envers Héroard ne s’est jamais étiolée, et que si l’existence de cet homme a eu quelque valeur, il ne l’a dû ni à lui-même ni à quelque mortel que ce soit, autre que le seul et unique Guillemeau. C’est à lui que Joyeuse s’est plaint de son incompétence, et lui qui l’a souvent entendu plaisanter, avec la franchise et l’esprit qui le caractérisaient : “ Vous m’avez pourvu d’un médecin, mais il est médecin des chevaux ; du reste, c’est à qui se porte garant de rendre des comptes, vous me rembourserez ce que vous m’en devez, et même davantage. ” Et au roi, dont il était l’ami de tous les moments : “ Ma métamorphose vous émerveillera, Sire, quand vous saurez que me voici changé en cheval, et ce n’est pas pour la raison que la fable donne à la transformation de Saturne, [31][62] mais parce que mon médecin est un médecin de chevaux, comme si j’en étais un. ” Il est pourtant rare que la puissance dure longtemps, et plus rare encore qu’elle soit perpétuelle : si grande soit-elle, jamais elle n’est suffisamment solide. Une fois sa faveur refroidie, Joyeuse se voit écarté des illusions de gloire et de pouvoir dans la lutte contre les chefs militaires qui prétendaient mettre leurs forces au service de la liberté religieuse. Héroard, soit pour fuir la guerre, car il ne s’était jamais remis de son épouvante de Moncontour, soit pour avoir eu vent de la brouille survenue entre le roi et Joyeuse, car c’est un homme fort soupçonneux et à l’affût de toutes les rumeurs, avec une ignominie et une ingratitude sans pareilles, délaisse alors ce maître qui avait tant mérité sa reconnaissance et qui l’avait fait passer du vil état d’hippiatre à la dignité de médecin. La souillure de son forfait rejaillit sur Guillemeau, à qui il devait tout. Joyeuse fit mine de l’en blâmer : “ Mon ami, vous avez non seulement confié ma personne à un médecin de cheval, mais à un ingrat. Que disparaisse donc [Page 7 | LAT | IMG] celui qui s’est montré aussi indigne de vos insistantes recommandations que de votre constance à prendre sa défense ! Je me suis naguère aisément passé d’un médecin, et m’en passerai désormais ” Survient alors la mortelle défaite de Joyeuse, [32] mais toujours grâce aux intercessions et au soutien de Guillemeau, Héroard reste en cour. Depuis lors, son assiduité à bien mériter et à bien faire l’y a maintenu pendant quarante années, et s’il avait vécu, celui qui l’avait fait hippiatre puis médecin du roi l’aurait vu devenir archiatre. [33]
Un assassinat aussi abominable qu’impie ayant emporté Henri, le plus aimable des princes, [34][63] Héroard se voit écarté, méprisé, rejeté par la cour, où il n’est tenu pour rien d’autre que le titulaire de la charge d’hippiatre. Néanmoins, il s’incruste dans l’entourage du très grand roi qui est monté sur le trône ; ou, bien plutôt, il s’y accroche en dépit du dédain qu’il y inspire : il n’a personne vers qui se tourner, puisque nul ne le conseille et nul ne lui demande conseil ; dans ses rencontres et ses entretiens avec les autres médecins, il se rend compte de son inaptitude et de son ignorance absolue, tel un banqueroutier redoutant son créancier. [35][64] Le roi se rend à Lyon pour un mariage que tous les honnêtes gens ont souhaité avec ardeur. [36] Héroard, qui n’a en tête que la provision de ses intérêts et de ses bonnes fortunes, seule matière en laquelle son pronostic ait jamais été juste, se dit que, puisqu’il est au moins médecin, il pourrait trouver moyen de devenir médecin du dauphin à naître (étant donné qu’en tout homme l’ambition outrepasse la capacité naturelle). [65] Il sait pourtant bien ne rien posséder du renom et de l’autorité, et encore moins de toutes les vertus qui sont requises pour nourrir une si grande espérance. Qu’y a-t-il que l’argent ne puisse procurer ? Il se fait bien voir, il rassemble huit cents écus, qu’il remet de la main à la main à l’archiatre, Jean de La Rivière ; [37][66] en outre, il tourne ses prières vers Roger de Bellegarde, le très influent hypaspistês, c’est-à-dire le grand écuyer, [38][67] afin que, comme maître de l’Écurie royale, il veille à l’en nommer médecin, ce qui le prédestinerait à devenir celui de Monseigneur le Dauphin. En homme d’aimable commerce et ne pouvant à peu près rien refuser, Bellegarde en discute avec le roi et l’entend dire qu’il n’y a pas besoin d’un médecin pour un enfant qui n’est pas encore né et que s’il lui venait un fils, il n’irait pas le confier à un médecin de cheval : la réputation de Héroard dans cette charge est telle, que c’est le seul titre que le roi lui ait jamais connu. “ Il y a, dit-il, bien assez de médecins dans mon royaume, ne serait-ce qu’à Paris, pour que j’aie l’embarras du choix ; mais vous, grand maître de mon Écurie, vous nous imposez un médecin des chevaux. Valant mieux que vous pour régler cette affaire, je vais moi-même y mettre la main. ” Un dauphin étant né, selon les vœux de tout le peuple, [Page 8 | LAT | IMG] Héroard insiste auprès de Bellegarde. Il harcèle son protecteur, qui ne renonçait pas d’ordinaire à ce qu’il avait entrepris, mais qui, s’il avait mieux connu l’animal, aurait difficilement toléré sa présence dans sa propre écurie. Il persiste à le recommander, avec plus d’énergie et d’assurance que jamais. Après avoir été secrètement informé par Héroard, La Rivière va voir le roi, qui dit à son archiatre : “ Savez-vous quel médecin Bellegarde destine à mon fils ? C’est celui qui s’est rendu célèbre en soignant les chevaux ! ” La Rivière, dont l’or a corrompu les lèvres, lui répond : “ Il est impossible, Sire, de choisir meilleur médecin pour les petits enfants que celui qui ne touche à rien, qui ne prescrit rien. Pour tout médecin et toute médecine, il ne leur faut que la large et saine mamelle de la nourrice ; [68] et s’il arrive au dauphin d’avoir besoin d’un médecin, je ne serai jamais loin. ” Ces prières convainquent si bien le roi qu’il souffre facilement de ne pas dire non, lui le plus fin des connaisseurs et des observateurs, lui que le relent, même lointain, de médecin du cheval offensait encore ; mais hélas il était beaucoup trop bon homme ! Il se fiait pourtant en cela à la diligence et au talent de son médecin, et non pas à ceux de Héroard. Toutefois, comme les choses et les hommes ont coutume de croître ensemble, sans d’ordinaire se dissocier autrement que par la ruine, même quand il s’agit de poutres malsaines, la cour et le très clément roi ont toléré, pendant les neuf premières années suivant sa nomination, un médecin qui n’en avait que le titre, auquel personne n’a jamais eu recours, hormis celui qui aurait ignoré comment s’y prendre pour se désenfler les pieds. [39][69]
Ce Soleil des Français, lumière du siècle et honneur des rois, vient à s’éteindre. [40] Cette nuit, dont l’éternité nous horrifie, abat et suffoque les esprits de tous, depuis la lie du peuple jusqu’au dauphin, alors devenu roi, et qui était né pour l’être. En principe, Héroard a cessé d’être son médecin : tous jugent certes qu’il faut le chasser de sa charge, mais qu’il y satisfera tant que les affaires n’auront pas retrouvé leur calme. La reine [70] et les princes du sang sont de même avis là-dessus. Comme on recherche un médecin d’authenticité et de dignité incontestables, les suffrages se portent sur un homme qui a moins brillé par sa notoriété publique que par ses salutaires actions et ses éminents mérites : vous auriez dit que Simon Piètre, [71] fils de Simon [72] et frère de Nicolas, [73] lui-même médecin parfaitement accompli, était le défenseur et le purificateur de la médecine, dans la mesure où elle défend et purifie les hommes ; vous lui auriez donné la première place devant Caton pour l’intégrité, devant Hippocrate pour le jugement et devant Galien pour la science ; la médecine lui devait plus son salut qu’aux dispendieuses duperies des pharmaciens, [74] [Page 9 | LAT | IMG] aux fumées des souffleurs aux impostures des charlatans, [75] aux fourberies des saltimbanques, aux poisons des stibiatres, [41][76] et il lui a rendu son antique et noble liberté. Le sachant tout à fait étranger à la cupidité et à l’ambition, la cour l’espère plus qu’elle ne le souhaite vraiment. On va néanmoins jusqu’à lui porter un brevet d’archiatre, mais il préfère conserver sa parfaite dignité que s’exposer à l’outrage d’être éconduit, et se contente du fruit de son éminente autorité (seule vertu à laquelle il attachât du prix). [42] On discute avec Héroard afin qu’il cède la place à meilleurs que lui ; mais il lutte, il résiste, il s’accroche comme un poulpe à son rocher, à la manière dont le lierre s’obstine sans fin à tuer l’arbre qu’il enserre de ses rameaux. Ce n’est pas une mince affaire de dénoncer et de chasser un homme qui a si bien connu le tempérament du roi et qui l’a accoutumé à lui en l’accompagnant depuis sa naissance : qu’il arrive quoi que ce soit à Sa Majesté, et il ne manquera pas de gens pour plaider en faveur de cet homme, et condamner la décision de le répudier sur ce qu’ils diront en être la funeste conséquence. Les ministres du Conseil [77] le pressent afin qu’il demande à être soulagé d’un si grand office et d’un si lourd fardeau, en lui promettant qu’il ne quittera pas la cour nu comme au sortir d’un naufrage. On lui présente des accommodements. Lui, très soucieux de ses intérêts, exige une charge de maître des comptes ; on ne lui concède qu’une charge d’auditeur, mais il trouve honnête de n’en vouloir démordre, une, deux et trois fois de suite. Tandis qu’il demeure indécis et que toute la cour ne se demande plus s’il est incapable, mais le croit assurément tel, Concini [43][78] présente une supplique en sa faveur et le cours de la transaction s’inverse, comme font toutes affaires humaines. Héroard a pu s’en réjouir, mais il n’aurait pas dû, car il a lié son destin à celui de la France : vaille que vaille, ce flot l’a projeté dans un port, pour autant que la cour en soit un, et non pas un lieu d’agitation et de tempêtes ; y occuper un premier rang, quand même nous ne nous mettrions pas de la partie, c’est s’abandonner au jugement de tous. Qu’il y serve donc, qu’il en jouisse pleinement, bien que j’aie entendu dire de lui que premier médecin est ce qu’il n’est pas, mais que médecin des chevaux est ce qu’il a été. » [44]
Genius Παντουλιδαμασ (Antoine Madelain ?)
[Page 48 | LAT | IMG] « Venons-en maintenant à Héroard, pour ne rien laisser à désirer aux vœux et favorables auspices de l’Université de médecine de Montpellier.Le très illustre Jean Héroard, légitime seigneur de la terre et des âmes de Vaugrigneuse, [45][79] mérite très amplement une place au premier rang des nobles et remarquables personnages de son temps, car il a fait luire jusqu’à Paris, très fameuse et incontestée capitale de la France, la gent et la célébrité montpelliéraines. Il naquit non loin du temple d’Apollon Esculape, [80] un 22 juillet, jour où notre Marie l’Égyptienne, [81][82] elle qui adora le Christ en lui essuyant les pieds de sa chevelure aimante, s’envola, munie du saint baptême de pénitence et toute nimbée de lumière, pour le séjour des saints et le merveilleux monde ; et le même jour, s’appuyant sur les vertus de cette sainte, tel un nouveau Soleil levant, Héroard a illuminé l’année 1551. [46] Et pour Montpellier, et pour Esculape, et pour la France, et pour tous les autres, cette naissance ne fut jamais infidèle à l’augure et au renom [Page 49 | LAT | IMG] que cet homme connaît à présent et connaîtra dans la postérité.
Épais suc lactescent de la très opulente glèbe et du sol paternel, et tout proche du Feu, n’étant encore qu’un petit garçon, dans la piètre et incertaine fortune de ce Guillaume, [83] en raison peut-être des défauts de son esprit ingrat, [47] il eut une enfance vagissante. Les débuts de son âge encore tendre et de son adolescence ne furent en rien privés du désir d’apprendre tout ce qui se présentait à lui, envie qui l’agitait sans relâche de toutes ses vertueuses forces : il a rampé, mais confirmé ce qu’on avait bien auguré de lui. Ensuite, séduit par les bienfaits et les agréments de son apprentissage, avec de rares interruptions dues aux mouvements du temps qui s’écoule inlassablement, il se voua à s’illustrer en l’art salutaire de la médecine et s’y appliqua avec zèle. Ayant délaissé tout le reste, puisqu’il vénérait cette demeure sacrée d’Apollon, et armé de tout son courage, il embrassa la déesse Panacée. [84] Il aurait alors poursuivi l’apprentissage de cet art secourable, qui est le plus noble de tous, jusqu’à obtenir les immortels lauriers du doctorat ; mais ses études ayant à peine commencé, [48] la force du destin, l’ampleur de son courage, la noblesse de sa race et de sa famille au service du roi, et son obligation envers son père en ont soudainement détourné Héroard, car la France entière s’enflait des guerres intestines qui l’avaient écrasée, et déjà presque ruinée et dévastée. Encouragé et mû par ce bienveillant génie, à la merci d’horribles dangers, Héroard glorifie Mars, [85] à moins qu’il ne s’agisse de Bellone, [86] il part à l’assaut, il bannit les belles-lettres, et abandonne la très salubre médecine et le plus sage des arts. [49] Le voilà qui repousse les études, empaume le glaive, auquel ses aïeux l’avaient brillamment préparé, laissant quelque peu de côté Hippocrate et Galien, ainsi qu’Avicenne, [87] brandit l’épée, au moment où sa bile s’était échauffée fort à propos. [Page 50 | LAT | IMG] Il s’aguerrit avec constance et résolution : sans dételer ni jamais s’abandonner à l’oisiveté, il prend plaisir à l’escrime, il en fait sa principale activité, consentant toujours au combat, exercice distrayant auquel il s’adonnait avec une adresse inouïe. Il pratique en fine lame, et il gagne. Ayant laissé de côté les friandises de la médecine pour les faits d’armes et pour le service désintéressé, à la gloire des grands, notre vaillant soldat se prépare à la guerre. C’est à ce moment que Condé, [88] dont il se démarquait vivement, et pour ses manières et pour ses visées, et Coligny, dont il épousait les vœux et le parti, menaçaient de ruiner entièrement Paris après en avoir rompu les remparts. [50] Rallié à une petite troupe, en compagnie de quelques amis, il sert dans l’infanterie légère en des contrées éloignées, pour l’un ou l’autre de ces deux chefs. D’abord, il combat glorieusement dans des escarmouches, puis il menace des armées rangées dans de très âpres engagements, il intercepte, il assaille, il vainc ; il est présent et très actif à la bataille qui eut lieu en Saintonge, à Bassac ou Jarnac. [89] Condé y fut tué, bien qu’il ne commandât pas tumultuairement, mais sagement : en luttant comme en y mourant, il n’a rien ôté au renom de ses aînés. [51] Par la bienveillance de Dieu, Héroard sort vivant de ce massacre et, avec Coligny, qui est sauf lui aussi, il prend la fuite, mais à contrecœur et en victime de l’adversité. Il marche à ses côtés pour attaquer et prendre Poitiers ; [90] pourchassée par le duc de Guise, [91] leur armée éprouve les hasards de toute guerre à Moncontour : la bataille y fut très rude ; dans cet engagement acharné d’armées très bien munies, Coligny n’a pas remporté une maigre victoire, car c’est lui qui pressait ses troupes, qui les menait, qui redonnait courage aux fuyards, qui venait en aide aux apeurés, qui protégeait les blessés contre les farouches ennemis. [52]
Après Moncontour et la mort de Condé, [Page 51 | LAT | IMG] dont il soutenait le parti, Héroard regagna Montpellier, où il songea à reprendre les études de médecine qu’il avait brièvement interrompues. Il y brille parmi les autres étudiants, qui s’affrontent souvent à lui dans de plaisantes et amicales disputes académiques, à tel point qu’il est admis à postuler le doctorat, après avoir enduré un si vaste océan de difficultés et être sorti vivant de son expérience guerrière. Quelques jours après, à l’unanimité des suffrages, les professeurs qui dirigeaient alors l’Université jugent notre docteur digne d’appartenir à la descendance d’Hippocrate et d’Esculape, mais non pas à celle de Botal, [92][93] ce charlatan qui est auteur de la pratique médicale empirico-méthodique de la Faculté de Paris. [94] On tient son savoir pour conforme et il est reçu. [53] Il a été formé par cette armée d’illustres personnages, dont beaucoup occupaient des places éminentes, mais aussi de parents et d’amis, dont l’autorité auprès du roi valait bien celle de quantité d’autres. Confiant dans leurs espérances et dans leur soutien, il fut aussi très stimulé par leurs aimables conseils. Parmi eux, Laurent de Fizes, secrétaire des très saints conseils, le plus cher ami de son père, François Sabbatier, prévôt du très saint trésor, son oncle maternel, ainsi que Desictæus, de la même autorité et du même ordre, ainsi que Guillaume Héroard, son parent, et un autre des commentateurs royaux, zélé assesseur des très saints conseils, n’ont pas tenu les moindres rangs. [54] Il se rend à la cour, il suit le roi, sans fréquenter trop assidûment les grands personnages, il intervient avec audace dans des consultations avisées. Son esprit adroit, joint à l’acuité de son intelligence, le mêle à la compagnie de politiques influents et lui acquiert du renom. Son dévouement [Page 52 | LAT | IMG] lui vaut d’être si bien reconnu que Charles ix, roi de France, songe souvent à le voir et à l’écouter, et qu’il est très fréquemment sollicité par ses apparentés et par ceux qu’une fréquentation très amicale et assidue a liés à lui. Ceux-là demandent au souverain de lui attribuer une charge et un office, et le roi accorde l’une et l’autre à Héroard, ne souffrant pas de se séparer de lui, en raison de ses multiples conseils et de la singulière affection qu’il porte à ses intérêts. [55] Héroard obéit à la loi et au roi, qu’il persuade et convainc d’ajouter à l’art médical, qui combat maintes maladies des humains, l’hippiatrie, qui est une pratique extrêmement difficile et qui s’est avérée hautement recommandable au cours des siècles passés. Séduit par le zèle de Héroard pour cette matière et par sa capacité à y consacrer tous ses soins, le souverain suit l’exemple du roi Alphonse d’Aragon, [56][95] qui avait jadis engagé deux docteurs en médecine très expérimentés en l’art de soigner chiens et chevaux malades, en les gratifiant d’un salaire élevé ; il attribue la charge de vétérinaire à Héroard, le nomme officiellement et lui alloue une rente sur les deniers royaux. [57]
Cela met alors Héroard en lumière aux yeux de tous, mais ne fait en rien taire aujourd’hui les médisances de Kakia [96] et de Capon, [97] ce que je ne mentionne pas ici sans malice, tous deux étant acolytes et suppôts de la Compagnie des médecins de Paris. [58] Après la mort du roi Charles, qui était, dirais-je, son héros, c’est pourtant vers notre illustre et vraiment sans malice Héroard que se tourne Henri iii, son frère et successeur, revenu de Pologne [98] pour prendre les rênes de la France. Il porte son regard sur lui, le choisit, l’ajoute au nombre des gens de sa Maison [Page 53 | LAT | IMG] et de sa cour, dont il le nomme médecin. [59]
En la 1584e année de la Rédemption de notre Salut, Héroard ne se soustrait pas et obéit à l’ordre que lui donne le roi d’accompagner l’illustrissime duc de Joyeuse dans son ambassade en Italie. [60] Beaucoup dénoncent déjà le faciès de renard, les yeux noirs enfoncés sous les sourcils, et si vous regardez plus haut, l’esprit farouche, vil et craintif de ce duc, qui comble tout haut Héroard de louanges, et lui fait valoir la priorité qu’il doit donner à combattre ses maladies et à préserver sa santé. Héroard endure la profonde haine des docteurs de la Faculté de Paris, et la désapprobation de ses collègues de Montpellier, qui l’accusent de fourberies visant sournoisement à servir plus sûrement ses propres intérêts et ceux de sa famille, en se vendant à l’ignoble petit peuple des courtisans ; mais le duc paie d’une immortelle reconnaissance cette immense faveur qu’il a reçue du roi. [61] Héroard jouit alors d’une grande autorité auprès du généralissime-duc, il l’assiste au plus près, comme si, tel un second Hippocrate de Cos, il s’était mis de bon cœur au service de Xerxès, roi de Perse. [62][99] Quant aux gratifications promises, Héroard, avec sa coutumière grandeur d’âme, ne se soucie guère de son sort, hormis ses honoraires réguliers. Joyeuse le poursuit en effet d’une si singulière bienveillance qu’il ne passe pas de jour sans Héroard : nulle décision sans l’avis d’Héroard ; nul sentiment sans Héroard ; nulle amicale discussion avec les courtisans sans Héroard ; Héroard en temps de paix comme de guerre ; Héroard est l’Orient et l’Occident du duc de Joyeuse ; pour lui enfin, Héroard toujours et partout, et jamais assez. [Page 54 | LAT | IMG] Mais en 1587, Joyeuse outrepasse toutes les bornes de la raison : il rallie à lui d’autres chefs d’armées, pour s’appuyer sur eux comme sur de très solides soutiens ; Héroard met son maître en garde contre la fidélité variable et l’amitié changeante de ses alliés ; Joyeuse lui ôte la dignité de conseiller ; emporté par l’ardeur changeante des tourbillons de la guerre civile, Héroard craint l’effondrement qui menace, il réduit son zèle à servir la cause publique, en consacrant ses veilles au royaume et à la bonne exécution de sa charge, mais il reste au service de Sa Majesté. Le duc prend la tête d’une armée royale, l’ardeur et le courage de tous les soldats promettent et font espérer les plus heureux succès, ce qui mérite bien d’être noté dans les annales. Cette troupe parfaitement équipée a dessein de terrasser, disperser et détruire celle des très perfides ennemis de la Couronne. Ainsi fortifiée par le duc de Joyeuse, elle décide et entreprend plutôt une guerre d’escarmouches contre le roi Henri de Navarre [100] et le Prince de Condé. [101] Héroard, dont les talents médicaux et guerriers sont sans égal, accompagne le duc avec un zèle et un courage égaux aux siens : il lutte à ses côtés, il combat, il attaque, il accourt, il encourage, il monte à l’assaut, il ravage, il saccage et il tue. Enfin, une bataille rangée s’engage à Coutras pour rompre l’élan de l’ennemi ; mais dans les actions guerrières, l’issue diffère toujours des prévisions : Navarre lance sa puissante armée en bon ordre à l’assaut dans l’arène, elle charge en rangs serrés et l’épée au poing ; elle massacre et, comme escortée par la foudre, elle renverse et fauche lamentablement les troupes royales. Ce carnage, illustre par le nombre de ceux qui y périrent et par l’affront qu’il infligea à la dignité des grands [Page 55 | LAT | IMG] du royaume, [63] est diligemment vengé par Guise, avec les reîtres qu’il tue à Auneau, aux confins du Pays chartrain ; [64][102] mais Coutras est un désastre pour le roi, pour le royaume et pour notre très vaillant Héroard, lui qui, lors de cette bataille, chaque fois qu’on resserrait les rangs face à la charge de l’ennemi, avait lutté au côté du duc de Joyeuse, en heureux augure du bon droit qu’il fallait remettre entre les mains du roi et de la France, car ce duc, qui dirigeait l’armée du souverain et du royaume, et qui était l’espoir de Héroard et l’objet de ses soins assidus, tomba entre les mains des soudards ennemis, et ces vautours se querellèrent pour savoir à qui reviendrait la gloire de tirer la balle qui tua un si illustre prisonnier.
Ainsi périrent aussi les belles espérances de Héroard : ne pouvant plus rien attendre de ce duc à qui il avait lié son destin, il confie son désespoir au roi, qui le coopte et reçoit sur la liste de ses médecins. Il reprend les travaux qu’il avait brièvement interrompus, se remet à écrire son Hippostologie, la développe et, dans la vive inquiétude de pouvoir la faire imprimer, prend soin de la creuser en profondeur, puis il la dédie et consacre au roi. [65] Dans cet intervalle, il s’est mêlé aux factions de malhonnêtes gens qui s’allient les unes aux autres, et à l’agitation des guerres civiles, pour arrêter et réprimer promptement les élans de ce funeste conflit intestin ; mais jamais il n’a abdiqué en se mettant à l’écart de ces clans. Le roi sort de Paris ; cette ville, qui est la plus célèbre capitale de toute l’Europe, n’effraie pas Héroard, mais il s’en éloigne pourtant. Il est entièrement dévoué au roi : quoi qu’il lui demande, tant en matière de médecine que de guerre, il est à son entière dévotion et obéit sur-le-champ à ses ordres. Au château de Saint-Cloud, [103] un sicaire, un quelconque [Page 56 | LAT | IMG] dominicain, [104][105] poignarde perfidement Henri iii et le tue (parricide monstrueux à maudire pour l’éternité). [66] Héroard, jusque-là rompu aux incessants revers de la fortune, sachant que nul mortel n’échappe à l’infinie et capricieuse diversité du destin, voue sa réputation, sa fidélité et ses services au roi Henri iv, tout en étant bien certain de tirer opprobre et moqueries pour avoir ainsi mis fin aux aléas de toute sa vie passée. Le souverain a de l’estime pour les médecins vétérinaires et approuve leur pratique.
Héroard brille au sein de l’honorable, antique et solennel Collège des secrétaires du roi (dit des boursiers), [67] car il n’a pas ménagé sa sueur en ces offices pendant quelques années, et s’est élevé à ce très haut rang par la noblesse de sa famille et de son art. Il y a conservé l’éclat de son prestigieux renom et de son excellente réputation jusqu’au dernier jour de sa vieillesse. C’est dans ces vœux que Henri iv a couvé des yeux celui qu’il savait très sûrement capable de briller dans le traitement des maladies comme dans les conseils, et enfin en toutes circonstances. Quand vient le tant espéré et heureux accouchement de l’illustrissime reine, le roi réfléchit à qui confier la charge de premier médecin du futur dauphin et de la descendance princière. Parmi la foule de ceux qui l’ambitionnent avidement, il désigne notre illustre Héroard ; il demeure ferme et constant dans sa décision, contre le gré de tous les autres, mais avec l’approbation publique de La Rivière et Du Laurens, [106] médecins de Leurs Majestés. [68] Cette résolution royale ne surprend guère Héroard : [Page 57 | LAT | IMG] de longue date, Henri iv s’était fait la meilleure opinion de cet homme qui n’avait aucunement la prétention d’appartenir à l’élite médicale. Le 15 septembre 1601, par l’entremise de la noble et très estimable Madame de Guercheville, [69][107] le roi lui écrit une lettre et M. La Rivière, son premier médecin, lui en adresse une autre le 17e du même mois. Après les avoir lues et méditées, Héroard se rend deux jours plus tard à Fontainebleau, [108] où le roi se repose. Le lendemain, quatre heures après midi, tandis que Héroard cherche à savoir si le dessein du roi n’a pas changé, Sa Majesté, que la chasse vient de grandement distraire, l’appelle à lui ; dans le bruit et la bruine des jets d’eau, il le fixe du regard avec insistance, puis l’avise en disant d’un ton impérieux, comme à son habitude : “ Héroard, je vous ai choisi pour médecin du dauphin qui va naître. Prenez-en diligemment soin ! ” Puis vient le moment tant attendu de l’accouchement, événement dont l’importance et la gloire sont si grandes que l’heure en reste mémorable : le 27 septembre de la même année, que Jupiter [109] a parée pour la faveur du prestige de la Couronne et des Français, un dauphin apparaît, tel un Soleil levant dans toute sa splendeur ; il est une très féconde source de bienfaits et l’apogée de la majesté royale. [70]
Aussitôt, afin que de noires et nocturnes vapeurs n’obscurcissent pas cet éclat, Héroard ajoute quelques grains de mithridate [110] à une cuiller de vin blanc, qu’il donne à sucer à l’enfant pour le ranimer. Ensuite, pour épanouir et garantir la vigueur de ses sens, il le réchauffe en lui frictionnant entièrement le corps et la tête avec du vin rouge, mêlé à une quantité adéquate d’huile rosat. [111] Le lendemain, [Page 58 | LAT | IMG] 28e jour de septembre, Guillemeau le père, chirurgien du roi, en s’y reprenant à plusieurs fois, lui incise et tranche le frein de la langue qui le gênait pour téter ; [71] son opération a accaparé toute l’attention de Héroard, à qui avait été confiée la charge sacrée de cette gloire de la France, conformément à la volonté et à l’affection de notre très invincible roi, ainsi que des premiers médecins, MM. La Rivière et Du Laurens, qui étaient tous transportés de la joie la plus extrême. Afin de nourrir et élever ce dauphin nouveau-né, on décide et ordonne qu’il jouisse de l’air plus sain de Saint-Germain-en-Laye, [112] pour son meilleur avantage, et ceux de son très vénérable père, de ses médecins et de toute la France : ainsi en advient-il, le moment venu. [72] Aussi veilla-t-on sur la très précieuse vie de ce prince, dont la complexion se montrait saine, mais fragile. Si son médecin ne l’avait pas épaulée, car elle avait menacé de chanceler dès le berceau, et si Héroard n’avait bénéficié de mains aidantes, le deuil et les larmes auraient inondé la France entière, que les autres pays du monde regardaient avec extrême attention. On mène donc le dauphin à Saint-Germain, en compagnie de Héroard ; les très éminents MM. La Rivière et Du Laurens sont transportés d’une joie peu commune toutes les fois que s’affermissent leurs certitudes sur les grands talents de cet homme, de ce héros et de ce médecin ; et le roi ne manque pas de s’en réjouir lui-même publiquement. La constitution très fragile du dauphin de France, premier prince du sang, et l’intempérie de toutes les parties de son corps [Page 59 | LAT | IMG] étaient préoccupantes. Héroard rapporte avec art et sans façon que, le 12 janvier 1604 vers six heures de l’après-midi, l’enfant se met à bégayer ; [73][113] de même aussi pour la hernie intestinale apparue tandis qu’il jouait au ballon, le 19 septembre 1602, [74][114] que, suivant son devoir, Héroard a traitée en administrant des remèdes anodins, en vue de lui rétablir et protéger la santé ; il le guérit entièrement et sur-le-champ de cette maladie rebelle, au très grand plaisir du roi, de la reine et des médecins alors présents à la cour. Voilà comment, grâce aux secours d’un meilleur naturel, du roi et de la sérénissime reine, de la France et de tous les soins de Héroard, le dauphin est passé d’un état médiocre et des soupirs d’une complexion languissante, à une santé plus ferme et mieux assurée. Par le livre qu’il a publié sur l’institution morale des princes et qu’il lui a dédié, [75] Héroard, en très brillant homme et très sage médecin, a aussi fait passer le dauphin des jupes et des bagatelles des femmes, j’entends celles de la cour, qui n’ont ni grand talent pour les lettres ni la moindre aptitude pour les armes, à l’autorité du sage et prudent administrateur (bien que les finesses des femmes héroïques ne manquent ni de sagesse ni de prudence), sans oublier ni la gloire ni le jugement des princes. Il saura et devra entendre ce livre avec un œil reconnaissant et le sourire aux lèvres.
Sur ces entrefaites, un funeste et terrible trépas emporte notre très généreux et invincible Henri iv ; [40] et le 25 mai 1610, jour où le dauphin, qui est l’espoir le plus cher de la France, devient roi, il désigne Héroard pour occuper de plus hautes fonctions. [Page 60 | LAT | IMG] Sur les recommandations de l’illustrissime et très-chrétienne reine, il reçoit enfin la profondément vénérable et extrêmement honorable charge de premier médecin du roi. Il l’a assurée depuis cette date jusqu’au 10 février 1628, quand Louis xiii, le plus juste des rois, assiégeait La Rochelle, [115] encerclée et attaquée par ses armées, pour griefs de haute trahison, car elle était devenue un retranchement très sûr pour les rebelles, mais nuisible pour la France. [76] Pendant vingt-sept ans, Héroard a diligemment assuré sa charge au plus haut niveau d’honneur, de renom, de réputation et d’estime. Il l’aurait fait plus longtemps encore si, dans la soixante-seizième année de son âge, de sa naissance et de son éclat, cette période critique, où le Soleil éthéré parcourait le dix-huitième grade décisif du Verseau, quand le malveillant Saturne frappe de ses coups cette splendeur éthérée d’Ætreus, [77] ne l’avait soustrait à l’affection du roi, du royaume et de ses amis, et au gosier féroce et vipérin de Guillemeau. [78] Son lumineux rayonnement, l’exemplaire probité de ses mœurs, sa grandeur d’âme, la générosité de son opulence, sa bonté et la recommandation de sa bonté, son zèle et son amour de la recommandation, sa douceur en affection, sa propension innée à accorder des faveurs, sa coutumière réticence à les accepter, et la retenue de tous ses mouvements d’humeur ont immortalisé sa mémoire, malgré la jalousie des botalistes et de tous les autres : que d’affliction, que de larmes ! [79]
Εμοι δ᾽ αχος οξυ γενεσκετο, κηροθι μαλλον
Ανθρωποισιν απασι και εσσομενοισιν αιδην
Αλλα μεν. » [80][116]
Épilogue
Sans prétendre avoir mené une enquête complète, j’ai prêté une particulière attention aux travaux de trois autres biographes qui se sont depuis penchés sur Jean Héroard.
« Il est fâcheux d’être obligé, comme je le suis, de prendre les particularités de la vie de Jean Héroard dans les ouvrages d’un de ses plus grands ennemis, car on ne saurait donner d’autre titre à Charles Guillemeau, dont j’entends parler et qu’il importe de faire connaître pour juger du poids de son témoignage. Il était fils de Jacques Guillemeau, habile chirurgien de Paris, et chirurgien du roi. Il avait acheté, étant encore jeune, la charge de premier chirurgien du roi ; mais flatté de quelques marques de confiance que le roi Louis xiii lui donna, il crut pouvoir aspirer à un poste plus brillant. Guy Patin, qui l’avait bien connu, dit que c’était un rusé courtisan, qui avait grande envie de faire fortune. [81] Il quitta donc sa charge de premier chirurgien, se mit sur les bancs de la Faculté de médecine de Paris, et y reçut le bonnet de docteur en 1625 < sic pour : décembre 1626 >. Revêtu de ce grade, il reparut à la cour et, pourvu d’une charge de médecin par quartier, aspira à la place de Héroard, premier médecin ; et pour l’obliger, à force de dégoût, de s’en démettre, il contrôla et blâma sa conduite dans toutes les occasions.Près de 20 ans après la mort de Héroard, Sim<é>on Courtaud, son neveu, parle de la conduite de Guillemeau et de son ingratitude envers son oncle dans sa fameuse ouverture de l’École de Montpellier en 1644. [3] Ce fut assez pour mettre Guillemeau en fureur. Il fit contre l’oncle et contre le neveu deux satires violentes, où il entasse les injures les plus grossières, comme il serait aisé de le prouver par les titres mêmes qu’il leur a donnés, si j’étais capable de vouloir salir mon ouvrage jusqu’à les rapporter. [82] Mais comme je connais le fonds que l’on doit faire sur ce que dit Guillemeau, je saurai, en parlant de Héroard, me défier, comme je le dois, de la fureur qu’il n’a pas été maître de contenir.
Jean Héroard était de Montpellier. Il fut immatriculé dans le Registre de la Faculté le 27 août 1571, et prit ses degrés en 1575 ; [48] il alla à Paris peu de temps après, et par l’amitié de Jacques Guillemeau, père de Charles, qu’il avait connu à Montpellier, où il était allé pour se perfectionner en chirurgie, il fut reçu chez M. de Joyeuse ; et c’est par le crédit de ce seigneur qu’il obtint l’agrément d’une place de médecin par quartier, qu’il garda pendant le règne de Charles ix et de Henri iii. C’est en cette qualité qu’il fut présent à l’ouverture du corps de ce dernier prince. [83][117]
Sous Henri iv, il eut le bonheur de s’introduire auprès du duc de Bellegarde, [38] favori du roi ; et c’est par sa protection qu’il obtint, à la grossesse de la reine Marie de Médicis, le brevet de premier médecin du dauphin qui naîtrait. Guillemeau prétend qu’il fallut pour cela acheter l’approbation du sieur Ribit de La Rivière, premier médecin, et qu’il lui en coûta huit cents écus. [37]
Cette place mena bientôt Héroard à la première place < sic > parce que le dauphin devint bientôt roi, par la mort malheureuse de Henri iv. Il s’y soutint jusqu’à sa mort avec honneur et avec la confiance du roi, nonobstant les basses manœuvres et les sourdes détractions de Guillemeau, qui ne cessait de blâmer sa conduite dans toutes les incommodités du roi, lesquelles étaient fréquentes. Tantôt, c’était une saignée faite trop tard ; tantôt, une purgation ordonnée trop tard < sic pour : tôt (?) >. On condamnait surtout le régime [118] qu’il laissait garder au roi, et qui était effectivement très mauvais et contribuait à le rendre souvent malade. Mais le roi était né avec une mauvaise constitution. Il était très peu docile, et par conséquent très difficile à conduire sur le régime ; n’aimant que ce qui était contraire. Héroard faisait tout ce qu’il pouvait pour retenir le roi, et pour tâcher de réparer les torts qu’il se faisait par son intempérance ; mais il avançait peu. On peut voir sur tous ces détails le traité composé par Robert Lyonnet, [119] médecin du Puy, intitulé Dissertatio de morbis hæreditariis, imprimé à Paris en 1646 < sic pour : 1647 >, in‑4o. Voici comme il parle de Louis xiii : simplices omnes cibos aversabatur, varietate explebatur, nec nisi tostis et frixis, salsamentis, embammatis, artocreate, placentis, rebusque multo saccharo conditis, et aliis gustum acuentibus delectabatur ; jusculorum, carnium elixarum, ipsius etiam panis, nisi assati usum abhorrebat, [quibus etiam ministrorum favebat assentatio : nam a subornato quodam ex ephebis, sibi singulis matutinis, ex urbe lucanicas clanculum ad ientaculum deferri solitas, ipse sæpius affirmavit, dum pueriles delicias recenseret,] atque horum sive usu, sive caloris et siccitatis incremento sitis intendebatur, invalescebat incendium, dum etiam inane vini aromatitis hauriret pateram, et vinum inter pastus minus dilutum. [84][120]
Malgré toutes les menées de Guillemeau, Héroard conserva toujours la confiance du roi. Il mourut au siège de La Rochelle en 1627 < sic pour : 1628 >, où le roi se trouvait en personne. Charles Bouvard, docteur de la Faculté de Paris, lui succéda. On prétend bien que Guillemeau ne négligea rien pour tâcher d’être nommé à cette place, mais ses brigues furent inutiles. Elles déplurent cependant au cardinal de Richelieu, qui l’éloigna de la cour où il ne put revenir qu’avec beaucoup de peine et par la protection du prince de Condé. » [81][121]
« Dans son Histoire des secrétaires d’État, publiée en 1668, Fauvelet du Toc [122] prétend que lorsque Charles de Beauclerc [123] fut nommé secrétaire d’État en 1624, il le fut “ avec un applaudissement si universel que le cardinal de Richelieu, qui commençait à s’introduire au ministère, en eut de la jalousie ; il appréhenda qu’il ne fît quelque obstacle à son élévation, et ne put s’empêcher de dire qu’il ne craignait que deux hommes auprès du roi, M. de Beauclerc et Héroard, premier médecin de Sa Majesté. ” [86] Si ce mot est historique, il faudrait peut-être ajouter foi à un document d’après lequel “ le sieur Héroard ” est compris parmi les personnages “ emprisonnés sous le ministère du cardinal ” (Archives curieuses de l’histoire de France, 2e série, tome v). [87] Cette détention pourrait être la vraie cause d’une des longues interruptions qui existent dans les dernières années du journal et que des notes ajoutées après coup attribuent à la négligence de la veuve et des parents de Héroard, qui auraient “ misérablement perdu, pillé, dissipé et vilainement employé ” de nombreux cahiers du manuscrit. »
« Jean Héroard était mort depuis seize années lorsque son nom se trouva mêlé, d’abord incidemment, puis avec un éclat bien fâcheux pour sa mémoire, dans la controverse qui agita les facultés de Paris et de Montpellier pendant la seconde moitié du dix-septième siècle. Un des neveux maternels et héritiers de Héroard, Sim<é>on Courtaud, après avoir été, par la protection de son oncle, pourvu pendant quelque temps d’une charge de médecin par quartier, s’était retiré à Montpellier où il était devenu doyen de la Faculté. En 1644, Courtaud, dans un discours latin prononcé à l’ouverture de l’École de Montpellier, mentionne Héroard parmi les docteurs sortis de cette École qui avaient eu l’honneur d’occuper la première place auprès des rois de France. [88] Cette apologie, imprimée à Montpellier, vient aux oreilles des médecins de Paris et provoque de la part d’un d’entre eux, Jean Riolan, une longue réponse publiée en 1651 sous le titre de Curieuses recherches sur les écoles de médecine de Paris et de Montpellier, [3] dans laquelle Riolan insinue en passant que Jean Héroard n’a pas été choisi parce qu’il avait étudié à Montpellier, mais parce qu’il se trouvait déjà auprès de Louis xiii au moment de sa nomination comme premier médecin du roi. Sim<é>on Courtaud réplique en 1653 par un gros in‑4o intitulé Seconde Apologie de l’Université en médecine de Montpellier, etc., envoyée à M. Riolan, professeur anatomique ; [6] et là il reprend l’éloge de son oncle Héroard, à propos de la préférence donnée par les rois à la Faculté de Montpellier sur celle de Paris ; puis il attaque Charles Guillemeau comme ayant abusé de la confiance de son collègue et ami Héroard “ pour mugueter la charge de premier médecin ”. C’est alors que l’année suivante, Charles Guillemeau entre dans la lice avec le libelle latin dont nous avons extrait et traduit librement quelques passages. Il y attaque avec une violence inouïe Héroard et son neveu, qu’il n’appelle pas autrement que le chien Courtaud, et il termine sa brochure par ce parallèle entre Riolan et Héroard : “ Jean Riolan est né à Paris d’un père éminent dans les lettres et dans la médecine, et n’a fait qu’augmenter la gloire du nom de son père ; Jean Héroard a eu pour père un méchant barbier de Montpellier, et le plus ignare de tous parmi les barbiers. Jean Riolan, après avoir puisé les principes sacrés de l’art de la médecine à la Faculté de Paris, a reçu d’emblée son bonnet de docteur ; Jean Héroard n’a jamais été reçu médecin, mais seulement bachelier dans votre École, et encore, par la complaisance du grand Conseil et du doyen de Montpellier. Jean Riolan a érigé des monuments immortels, divins, dans les lettres et dans l’art de la médecine ; Jean Héroard n’a jamais écrit que son Hippostologie, ouvrage bien digne d’un vétérinaire et qui fait que toute la France s’écrie qu’il n’a jamais été un médecin royal, mais un médecin de cheval ! ” Enfin, nous en passons et des meilleurs, “ est-il possible, dit-il à Courtaud, de comparer, sans la plus mortelle injure, Jean Héroard avec ce grand médecin, Jean Riolan ? Non ! il faut le comparer, ton Héroard, à ces charlatans africains dont les éloges, et telle était la Ludovicotrophie de ton oncle, tuaient les gens de bien, pétrifiaient les arbres, faisaient périr les enfants ! à ces Triballiens et Illyriens, peuples de la même espèce, qui ensorcelaient par leurs regards et mettaient à mort tous ceux sur qui ils tenaient trop longtemps les yeux attachés ! Ah ! roi infiniment trop bon ! Ah ! il t’a regardé trop longtemps de son mauvais œil, cet Héroard ! Il faut le comparer encore avec ces sorcières de Scythie, appelées Bythies, avec cette race de Thibiens Pontiques dont Philarque écrit à Pline [124] qu’ils avaient dans un œil deux pupilles et dans l’autre la figure d’un cheval : ce qu’un ami de la médecine peut bien dire d’un médecin de cheval, d’un archi-âne tel que Héroard !... Reléguons-le, cet Héroard maudit, qui a abrégé la vie de son roi et n’a point péri lui-même, parmi ces peuples d’Éthiopie dont l’odeur et les exhalaisons communiquaient la peste par le seul contact de leur corps ! ” [89]
On croirait vraiment, à entendre Guillemeau, que Louis xiii n’a pas survécu quinze ans à son premier médecin ; mais est-il bien nécessaire d’insister plus longtemps sur ces invectives qui se reproduisirent, avec plus de violence encore, dans deux brochures latines publiées l’année suivante, [82] et qui auraient été sans doute suivies de bien d’autres, sans la mort de Guillemeau, arrivée en 1656 ? Cédons pourtant à une dernière tentation, en ce qui concerne Guillemeau, pour rappeler, nous l’apprenons de lui-même, que ce médecin était un protégé du grand louvetier Saint-Simon, [125] père de celui qui s’est montré lui-même si passionné et si injuste dans ses célèbres Mémoires. [90] Les injures, les calomnies, si peu fondées qu’elles soient, laissent toujours après elles, surtout lorsqu’elles se produisent après la mort et que les individus attaqués ne peuvent plus se défendre, des traces profondes, des préventions invincibles. C’est ainsi que Guy Patin, dont l’esprit satirique était d’ailleurs tout disposé à prendre parti pour la Faculté de Paris, dont il était doyen < sic pour : avait été >, écrivait encore en 1663 à son ami André Falconet, médecin de Lyon : “ M. Bouvard m’a dit autrefois qu’il avait entretenu le feu roi du mérite et de la capacité de quelques médecins par les mains de qui Sa Majesté avait passé ; et après qu’il lui en eut dit ce qu’il en savait, que le roi s’écria, Hélas ! que je suis malheureux d’avoir passé par les mains de tant de charlatans ! Ces messieurs étaient Héroard, Guillemeau et Vautier. Le premier était bon courtisan, mais mauvais et ignorant médecin. M. Sanche, le père, [126] m’a dit l’année passée que cet homme ne fut jamais médecin de Montpellier. ” » [81]
Son grand-père, Eustache Héroard, [127] originaire de Normandie, vint à Montpellier au début du xvie s., où il devint chirurgien, avec cette note 3, page 39 :
« Les notices faites sur Jean Héroard affirment toutes qu’il est né en Normandie près de Saint-Lô, à Hauteville-le-Guichard. [128] Deux érudits normands sont à l’origine de cette tradition. […] Une enquête récente faite par Yves Nédélec, directeur des Archives de la Manche, précise que les registres paroissiaux de Hauteville-le-Guichard ne vont pas au delà de 1643 et qu’on ne trouve aucune trace de Jean Héroard dans cette région, bien que l’on y rencontre encore aujourd’hui le patronyme. L’étude d’autres documents originaux confirme les recherches inédites d’Yves Nédélec. Jean Héroard n’est pas normand, mais montpelliérain. »
« À dix-huit ans, il suit les armées qui se mobilisent pour la troisième guerre de Religion et participe à la bataille de Moncontour, le 30 < sic pour : 3 > octobre 1569. [22] C’est le médecin Guillemeau, ennemi juré de Héroard, qui nous donne cette précision, en ajoutant aussitôt avec malveillance qu’il s’enfuit au premier coup de canon. »
« Le 17 août 1571 est une date essentielle. Il a vingt ans et s’inscrit à l’Université de médecine de Montpellier où ont étudié son grand-père et son oncle, et où ce dernier a été professeur ; le registre matricule, précieusement conservé, nous a gardé la mention manuscrite de son nom. [92] À ce moment même, Guillaume < sic pour Gilbert > Héroard, son oncle, subissait l’ostracisme en raison de la querelle religieuse : prétendant à la place de docteur régent de L’Université, vacante par la mort d’Honoré Castellan, [129] il en fut écarté au bénéfice du catholique Jean Hucher. [130] Des conditions exactes dans lesquelles Héroard fit ses études, nous ne savons rien, faute de document.En 1574, il quitte Montpellier pour ne plus y revenir. C’est une autre date essentielle de sa vie. En entrant au service des grands et des rois, il prend le chemin qui le conduira, vingt-sept ans plus tard, auprès du dauphin. »
Gilbert aurait abandonné la médecine et serait parti s’établir à Paris pour entamer une carrière de partisan. Ses deux fils, Pierre, sieur du Mesnil, [131] et Jean, sieur de Raincy, [132] l’auraient suivi dans la carrière des finances et auraient fait banqueroute en 1643. [93]
« Ainsi, l’appartenance de la famille Héroard au milieu protestant, l’ardente personnalité huguenote de Michel Héroard, dont les textes et les mémoires officiels nous rendent compte, demandent-elles à être soulignées. Toute la sensibilité de Jean Héroard, jusqu’à un âge avancé, a été imprégnée de protestantisme. Même si autour de cinquante ans, dans les années qui précèdent son entrée au service du dauphin, il se convertit au catholicisme, [133] il ne faut point oublier les racines huguenotes d’un homme qui sera l’un des éveilleurs de la conscience et de la personnalité du futur roi. »
« C’est en ces termes, en effet, que l’on peut définir l’appartenance religieuse de Héroard, dont l’évolution reste floue. Protestant dans la première moitié de sa vie, catholique à la fin, à quelle date se fit sa conversion ? En 1601, il épouse Anne de Vaugrigneuse [134] devant la sainte Église catholique et romaine. En 1628, tandis que les Héroard de Paris sont inhumés à Charenton, [135] cimetière protestant, il est inhumé en terre d’Église, à Vaugrigneuse, dont il est le seigneur et le protecteur. Est-il un catholique récent ou doit-on faire remonter beaucoup plus haut son abandon de la religion protestante ? A-t-il pu être au service du dévot Anne de Joyeuse, avoir une charge à la cour de Charles ix et plus encore à celle de Henri iii, garder leur confiance, tout en appartenant à la Religion réformée ? Tandis qu’au lendemain des Barricades (12 mai 1588), [136] Henri iii disgracie toute une partie de son entourage qui ne lui inspire pas confiance (le catholique Villeroy, [137] le catholique La Vrillière, [138] le catholique Miron, [139] etc.), [94] il garde Héroard. Mais celui-ci est un fidèle de Henri iv après l’assassinat de Henri iii. Pourrait-il l’être sans continuer de faire partie de la Religion réformée ? Autant de questions auxquelles le silence des textes ne permet pas de répondre…Pierre de L’Estoile [140] affirmait qu’en 1601, il était toujours protestant : un an plus tard, il était catholique. En 1618, un certain Frizon lui dédia un pamphlet contre Pierre Du Moulin, [141] le fameux pasteur réformé de Charenton, où il évoque, sans en préciser la date, la conversion du médecin : “ À Monsieur, Monsieur Héroard, premier médecin de Sa Majesté très-chrétienne. Monsieur, Dieu vous ayant fait la grâce par sa miséricorde infinie de reconnaître, il y a longtemps, la nullité de la Religion prétendue réformée, vous avez été béni du Ciel. ” » [95]
« Carrière d’une apparente uniformité, mais dans laquelle certains détails permettent de distinguer des fragilités, des à-coups. On les voit apparaître à partir de juillet 1608. Il semble que l’on ait remis en cause la charge de Héroard auprès de l’enfant et qu’il ait dû son maintien à Marie de Médicis. Il écrit ainsi le 15 juillet 1608 : “ À dix heures et un quart, à la messe ; puis va donner le bonjour à la reine où je la remerciai de ce que le jour précédent, elle m’avait fait l’honneur de faire résoudre au roi que je demeurerais premier médecin de Mgr le Dauphin. ” Malgré cela, en octobre 1608, on peut constater qu’encore une fois, le médecin doit faire face à des intrigues, alors qu’il s’est absenté durant neuf jours pour aller à Vaugrigneuse. Pendant son absence, l’enfant tombe malade de la rougeole, [142] et est atteint par toute une série de maladies ; le premier médecin aurait dû être appelé en hâte. Or, le 30 octobre, Héroard se confie à son Journal et laisse transparaître amertume et mécontentement : “ L’on ne me donna jamais avis qu’il eût aucune fièvre, mais un simple rhume. [143] Je le trouve avec la fièvre, pouls plein, égal, hâté, chaud, la face toute couverte de rougeurs. ” […]Richelieu […] alla-t-il jusqu’à faire emprisonner Héroard ? Les premiers éditeurs du Journal, Soulié et Barthélemy, le pensent en s’appuyant sur un document dont l’interprétation est discutable ; mais une lettre de Peiresc [144] à Valavez [145] confirme l’insécurité dans laquelle il se trouvait : “ M. de Guise [146] (…) disait l’autre jour que M. Hérouard avait eu son congé, il nous tarde d’en savoir la vérité. ” » [96]
« Deux médecins < sic pour : praticiens > Guillemeau ont été dans l’entourage de Jean Héroard et ont joué envers lui un rôle exactement contraire. Jacques Guillemeau, 1550-1613, élève de Riolan [147] puis disciple d’Ambroise Paré, chirurgien de l’Hôtel-Dieu de Paris, [148] médecin des rois Charles ix, Henri iii, Henri iv. C’est lui qui avait favorisé la venue de Héroard à la cour. Le 1er avril 1609, il lui dédicaça son ouvrage, De la nourriture et gouvernement des enfants, Paris chez Nicolas Buon. [97][149]Charles Guillemeau, fils de Jacques, médecin de la Faculté de Paris en 1626, en fut le doyen en 1634-1635 < sic pour : 1636 >. Il manifesta une violente hostilité à l’encontre de Héroard, et sa malveillance contribua à la mauvaise réputation de celui-ci. Il écrivit contre lui un pamphlet, Cani miuro. »
Ombres et lueurs
Les trois biographies françaises de Jean Héroard que j’ai consultées ne se sont intéressées qu’à la première de ses deux Vies latines, le Cani miuro de Charles Guillemeau ; mais elles ont entièrement ignoré la seconde, celle du Genius Pantoulidamas, où l’École de Montpellier répond vigoureusement aux attaques parisiennes. Polémiques, contradictoires et rédigées dans une langue barbelée, leur ton diffère du tout au tout, passant du tombereau d’injures, dans la première, à la corbeille de louanges dans la seconde. Toutefois, les événements relatés et leurs dates s’y complètent sans beaucoup s’y contredire, après qu’on a fait la part des propos outranciers, aussi suspects d’un côté que de l’autre. Ce sont des textes précieux car écrits par des témoins et acteurs directs des faits, 16 ans après la mort de Héroard, éminent médecin de la cour qui a joué un rôle capital dans la vie intime de Louis xiii.
Il subsiste des zones obscures, mais beaucoup de lacunes sont comblées, notamment sur la carrière militaire de Héroard, qui passa du parti huguenot, aux côtés de Coligny à Jarnac (mars 1569) puis Moncontour (octobre suivant), au parti catholique, aux côtés de Joyeuse à Coutras (juin 1587). Dans l’intervalle, l’existence de Héroard avait pris deux virages importants.
Il est possible qu’il n’ait jamais été reçu docteur : Guillemeau dit qu’il ne dépassa pas le baccalauréat ; [89] Patin, sur la foi de Pierre i Sanche, professeur de Montpellier, écrit qu’il « ne fut jamais médecin ». [81] Le Genius Pantoulidamas (sans date précise) [53] et Astruc (en date de 1575) font état d’un doctorat (mais Astruc ne parle que de « ses degrés ») que Héroard aurait obtenu, tout en semblant bien avoir définitivement quitté Montpellier en 1574 (selon Guillemeau, non contredit par le Genius Pantoulidamas et suivi par Foisil) et en s’étant sûrement mis au service du roi Charles ix à Paris, « quelques mois » avant la mort du souverain, en mai 1574 (selon Héroard lui-même, dans la dédicace de son Hippostologie). [57] Serait-il inconcevable qu’un médecin royal ne fût pas docteur gradué ? Je n’en suis pas persuadé et je me demande si les Montpelliérains (en 1654) et Astruc (en 1767) auraient osé en convenir quand ils chantaient la gloire de leur École médicale.
Quoi qu’il en soit de ces deux questions, il est désormais difficile d’ignorer l’intégralité des deux Vies latines de Héroard dont j’ai présenté les traductions jusqu’ici inédites, en les commentant pour en résoudre les apparentes contradictions. Conscient de leur intérêt historique, je les ai voulues les plus fidèles possible, en dépit des difficultés que j’ai rencontrées à les convertir en français lisible et des quelques incertitudes qui y subsistent.
Renaudot, Ridiculi, Effrænes, Nefarii, Ardeliones, Vafri, Dolosi, Obscæni, Turbulenti [Ridicules, Effrénés, Néfastes, Agités, Vauriens, Dissimulateurs, Obscènes, Trublions] : v. note [32], lettre 98.
V. notes :
V. note [11], lettre 342, pour une liste de ces pamphlets.
Fort accaparé par ses combats contre l’antimoine, Guy Patin disparut de l’avant-scène après ses deux attaques de 1641 et 1643 contre Théophraste Renaudot, et les Curieuses recherches de 1651, mais il continua à épauler activement la cabale parisienne contre les Montpelliérains.
V. notes :
V. note [54], lettre 348, pour ce libelle attribué à Isaac Cattier (v. note [11], lettre 351), porte-plume de l’Université de Montpellier ; mais Siméon Courtaud n’en a pas renié la paternité puisqu’il l’a appelée « ma Seconde Apologie » dans une lettre qu’il a écrite à Charles Spon (v. note [42], lettre 442).
J’ai maintenu la coquille sur le nom de Jean ii Riolan : il avait été l’infortuné rival de François Vautier (v. note [26], lettre 117) dans l’entourage médical de Marie de Médicis, puis d’Anne d’Autriche, qui le nomma premier médecin de Louis xiv en 1646 (v. note [8], lettre 51).
Guy Patin a consacré un long passage de sa lettre du 6 décembre 1644 au projet que mûrissait déjà François Vautier de succéder à Jacques ii Cousinot, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, dans la charge de premier médecin du jeune Louis xiv : grâce à sa grande habileté politique (plutôt qu’à son doctorat de Montpellier), Vautier y parvint bel et bien en juin 1646, après avoir évincé (« déquillé ») les régents parisiens qui y prétendaient, dont Jean ii Riolan, Michel i de La Vigne, René Moreau, Pierre i Seguin ou Claude Charles ; v. les notes [26]‑[29] de cette lettre.
V. note [18], lettre 223, pour Antoine Vallot, docteur de l’Université de Reims (et non de Montpellier, où il avait seulement étudié sans y être gradué), qui succéda à François Vautier en 1652 dans la charge de premier médecin de Louis xiv, qu’il occupa jusqu’à sa mort, en 1671.
Charles ix, Henri iii, Henri iv et Louis xiii, comme on verra dans les deux Vies de Jean Héroard qui suivent.
V. notes :
V. note [15], lettre 219, pour le chirurgien Jacques Guillemeau, élève d’Ambroise Paré et père de Charles Guillemeau.
Vieille manière d’écrire « il dessine », au sens de « il a dessein ».
« Comme que ce fut » signifie « Ce faisant », et « mugueter », « tâcher de se rendre agréable à une dame », et figurément, avoir « dessein de se rendre maître de quelque autre chose » (Furetière).
« Fermer les yeux, c’est faire semblant qu’on ne voit pas quelque chose, ou qu’elle est de si peu d’importance, qu’elle ne mérite pas qu’on s’y arrête » (Furetière), c’est-à-dire qu’elle ne mérite pas qu’on la « considère » (prenne en considération).
« Le doyen » ne pouvait être que Siméon Courtaud car, à Montpellier, ce titre n’était pas électif comme à Paris, mais attribué à vie au plus ancien des docteurs (v. note [20], lettre 17).
Courtaud donnait lui-même à son Oratio latine de 1644 contre les Parisiens (publiée à Montpellier en 1645, v. supra note [3]) le titre français d’Apologie (v. note [20], lettre 128). Néanmoins, je n’y ai vu ni le mot rufus (roux, rousseau), ni les propos de Jean Héroard contre Charles Guillemeau qui sont ici rapportés dans la Seconde Apologie, sauf à tenir pour telle l’allusion traduite dans la note [88] infra (v. sa notule {g}).
V. note [5] de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot pour la vertu romaine exemplaire de Caton l’Ancien.
En langage moderne : « remis à sa place ».
À entendre comme : « mais en particulier, parmi plusieurs autres… »
« par tous les moyens possibles, bons comme mauvais ».
« se sont joués de leur corbeau rousseau qui bayait du bec » ; imitation d’Horace (Satires, livre ii, poème v, vers 56) :
Scriba ex quinqueviro corvum deludet hiantem[Un scribe, ex-quinquévir, {a} se jouera du corbeau qui bayait du bec].
- Autre nom du pontife dans la Rome antique, v. notule {f}, note [18] du Faux Patiniana II‑1.
Charles Guillemeau apostrophait Siméon Courtaud, qu’il tenait à juste titre pour le parrain, sinon l’auteur, de la Seconde Apologie (v. supra note [6]).
Illustris est mon interprétation (douteuse) du I. imprimé dans le texte latin.
Jean était « fils de Michel Héroard, chirurgien, et de Catherine de Farges, famille farouchement protestante » (Dulieu, tome ii, page 389).
Dans ses Mémoires, {a} Felix i Platter {b} a donné un délicieux récit de sa singulière rencontre avec celui qu’il nommait Michael Edoardus (passage à Genève, à la mi-octobre 1554, lors du Voyage à Montpellier, pages 39‑43) :
« Je me rendis chez M. Calvin, à qui je remis la lettre par laquelle mon père lui recommandait Schoepfius et moi. {c} Dès qu’il en eut pris connaissance, Calvin me dit : “ Mi Felix, {d} tout s’arrange pour le mieux, j’ai justement un excellent compagnon de voyage à vous donner, un aide-chirurgien, Michael Edoardus, de Montpellier même. Il doit se mettre en route demain ou après-demain ; c’est le guide qu’il vous faut. ” […] À notre entrée à Avignon, cité considérable qui appartient au pape, Michael Edoardus me planta là. Il s’en fut loger chez un maître monnayeur de ses amis et me laissa de l’autre côté du grand pont sur le Rhône, dans la partie de la ville qui s’appelle Villeneuve. Je descendis à l’hôtellerie du Coq, un mauvais gîte hanté par des bateliers aux larges chausses {e} et aux bonnets bleus. J’avais grand’peur, car j’étais seul et ne pouvais me faire comprendre de personne. Les habitués du lieu m’inspiraient peu de confiance : de toute la nuit, à peine fermai-je l’œil. […]Le lendemain matin, je me levai de bonne heure. J’étais au désespoir de ne connaître personne ; j’ignorais ce que mon compagnon était devenu. […] Je soupçonnais maître Michel d’être parti sans moi pour Montpellier. De noires pensées me montèrent au cerveau […] ; mais Dieu me vint en aide : j’entrai dans une église, c’était dimanche, on chantait, les orgues jouaient. Cette musique me rasséréna un peu. Je regagnai mon hôtellerie […]. Vers le soir, je me rendis à vêpres afin d’entendre de la musique ; je m’assis tout triste dans un coin. De retour au logis, je trouvai le valet de maître Michel qui m’avertissait d’être prêt de bonne heure. Je lui mandai que pour rien au monde je ne voulais passer une seconde nuit au Coq, craignant d’être assassiné par les mariniers. Il me fit donc venir chez son ami le maître monnayeur ; et après y avoir soupé, je me trouvai en meilleure disposition d’esprit. […]
Nous entrâmes donc à Montpellier au milieu du jour. C’était un dimanche. Tout en chevauchant, je priai Dieu de m’accorder sa grâce et de me permettre, mes études finies, de regagner en bonne santé mon pays et la maison paternelle. […] Après m’avoir indiqué la maison de M. Laurent Catalan, apothicaire, qui était située au coin de la place, maître Michel me quitta pour gagner son domicile. »
- Genève, Jules-Guillaume Fick, 1866, in‑4o de 145 pages, traduits de l’allemand par Edouard Fick.
- Médecin bâlois né en octobre 1536 (v. note [12], lettre 363).
- V. note [15], lettre 97, pour Jean Calvin.
Felix était le fils de l’humaniste bâlois Thomas Platter (1499-1582). Thomas Schoepfius, son compagnon de voyage, était maître d’école à Bâle et voulait se rendre à Lyon.
- « Mon cher Felix ».
- V. note [36], lettre 309.
Au cours de la troisième guerre de Religion (1568-1570), la bataille de Moncontour (en Poitou, aux limites de l’Anjou) a eu lieu le 3 octobre 1569 : l’armée calviniste de Gaspard ii de Châtillon, amiral de Coligny (v. note [156], lettre 166), endura une cruelle défaite face à celle du duc d’Anjou (futur roi Henri iii), qui commandait celle de son frère, le roi Charles ix. Jean Héroard était alors âgé de 18 ans.
Jacques Guillemeau (v. supra note [11]), né en 1550, était alors âgé d’environ 19 ans. Le récit de Charles Guillemeau, son fils, est sans doute outré, mais de première main. Il omet la bataille de Jarnac, à laquelle Jean Héroard aurait aussi participé (v. infra note [51]), mais son témoignage porte sur des faits authentiques, confirmés par le Genius Pantoulidamas.
Un hippiatre (hippiater dans le texte latin de 1654) est un vétérinaire spécialisé dans les maladies du cheval ; cette discipline porte le nom d’hippiatrie ou hippiatrique. Tous ces mots savants combinent deux racines grecques : hippos, « cheval », et iatros, « médecin ».
V. infra note [57] pour le témoignage de Jean Héroard sur sa nomination dans la charge d’hippiatre royal par Charles ix.
Henri iii, alors roi de Pologne, reçut la Couronne de France à la mort de son frère Charles ix, le 30 mai 1574 (v. notes [7], lettre 102, et [56], notule {a}, du Borboniana 2 manuscrit).
Ami d’enfance (et peut-être amant) d’Alexandre le Grand, Héphestion fut son intime confident.
V. première notule {a}, note [47] du Borboniana 8 manuscrit, pour le duc Anne de Joyeuse, beau-frère par alliance de Henri iii, et son plus influent mignon de 1580 à 1587. Six ans semblent donc s’être écoulés depuis la mort de Charles ix.
La Rome moderne, et non antique, où Joyeuse fut chargé d’une brève ambassade en 1583-1584 auprès du pape Grégoire xiii (v. infra note [60]).
V. note [10], lettre 11, pour Louis Duret, qui pratiqua et enseigna la médecine à la Faculté de médecine de Paris (reçu docteur régent en 1552) et au Collège royal (de 1568 à sa mort, en 1586).
Par dérision grandiloquente, Guillemeau (Charles ou Jacques, on ne sait au juste) appelait Hippo Regius [Écurie royale] l’écurie (ιππων, ippôn, en grec) de Joyeuse. J’ai traduit ce mot par « Hippone », nom de l’ancienne ville numide (naguère Beaune, et aujourd’hui Annaba en Algérie), dont saint Augustin a été évêque de 395 à 430 (v. note [5], lettre 91). Le latin utilise ordinairement stabulum ou equile pour désigner le bâtiment où on loge les chevaux.
Afin de convaincre Joyeuse (« notre héros »), il fallait conférer à Jean Héroard un titre qui l’éloignât de l’hippiatrie proprement dite sans l’écarter tout à fait des chevaux qui avaient fait sa première fortune. Guillemeau, me semble-t-il, suggérait au duc, pour le flatter, d’attacher un médecin particulier à son écurie, sur le modèle de celle du roi.
L’Écurie royale était aussi ancienne que la Couronne de France et confiée à divers officiers, dont le plus éminent était le connétable (comte de l’étable, comes stabuli), qui devint au xve s. le grand écuyer (Monsieur le Grand). En 1582, Henri iii scinda son Écurie, installée aux Tuileries depuis 1566, pour en faire une Grande et une Petite Écurie : respectivement dévolues aux chevaux de guerre et aux chevaux de service (chasse et transport), elles étaient dirigées par Monsieur le Grand et par le premier écuyer (Monsieur le Premier). Édouard de Barthélemy a détaillé tout cela dans Les grands écuyers et la Grande Écurie de France avant et depuis 1789 (Paris, Librairie des auteurs dramatiques et de l’Académie des bibliophiles, 1868, in‑4o, chapitre iii, pages 71‑78).
À titre anecdotique, Noël Falconet (v. note [2], lettre 388) fut nommé médecin des Écuries du roi en 1678, au service du duc Louis de Lorraine, alors grand écuyer.
Plusieurs saints catholiques ou orthodoxes répondent au nom de Théraponte ou Thérapon. Ces deux patronymes ont pour racine grecque le verbe thérapeuô, « je soigne » ; mais je ne les ai pas vu employés pour désigner ironiquement les médecins qui servaient le roi par quartier.
Jean Héroard était dans cette charge en 1585, mais je ne connais pas la date exacte de sa réception. Le Genius Pantoulidamas la situe avant 1584 (v. infra note [59]).
Dans le mythe, Saturne, Cronos des Grecs, roi des Titans, fils du Ciel et de la Terre, était le maître du temps, et le père de Jupiter et des métaux. V. notes [12], lettre 295, et [5], lettre 551, pour sa métamorphose en cheval (ou celle de sa bien-aimée Phylira en jument) qui en fit le père du centaure Chiron, le légendaire inventeur de la médecine.
Anne de Joyeuse a connu une fin déplorable : il dirigea d’abord une expédition dans le Poitou, qui aboutit au massacre de la Saint-Éloy, le 21 juin 1587 à La Mothe-Saint-Héray, où 800 huguenots furent mis à mort ; l’atrocité de ce forfait le fit tomber en disgrâce à la cour ; en vue de se racheter, il prit la tête d’une armée qui partit combattre Henri de Navarre (devenu le roi Henri iv en 1589), en Velay et en Auvergne ; mais le 20 octobre il fut battu à plate couture, à Coutras, en Aquitaine, et exécuté sans autre forme de procès par les protestants.
Il s’est écoulé un peu plus de 40 années entre les décès d’Anne de Joyeuse (octobre 1587) et de Jean Héroard (février 1628). Jacques Guillemeau mourut dans l’intervalle, en 1609, soit un an avant que Héroard ne devienne premier médecin de Louis xiii.
Le roi Henri iii a été poignardé par Jacques Clément en août 1589 à Saint-Cloud (v. note [16], lettre 551). Henri iv (dit plus tard le Grand) a pris sa succession.
Par ironie du sort, Guy Patin a mentionné dans sa lettre du 22 octobre 1666 la banqueroute de 40 000 écus qui avait ruiné Charles Guillemeau « il y a dix ans », soit peu de temps avant sa mort, le 21 novembre 1656.
V. note [10] du Borboniana 9 manuscrit pour le second mariage de Henri iv : à Lyon, le 17 décembre 1600, il épousait Marie de Médicis, tout juste arrivée de Florence.
Le Borboniana 10 manuscrit a brocardé la cupidité de Jean Ribit de La Rivière, premier médecin de Henri iv de 1594 à 1605 (v. ses notes [10] et [11]).
En grec, hypaspistês (υπασπιστης) signifie écuyer (armiger en latin).
Roger de Saint-Lary de Bellegarde (1562 ou 1563-1646) était un fidèle allié et conseiller du roi Henri iv, mais ne devint grand écuyer de France (magnus armiger, v. supra note [29]) qu’en 1605.
Charles Guillemeau se ridiculisait lui-même en choisissant un piètre exemple pour illustrer l’incapacité médicale de Jean Héroard : il ne suffit pas toujours de se reposer en surélevant les jambes pour évacuer un œdème des chevilles, car il peut être un symptôme d’hydropisie, défaillance grave du cœur, du foie ou des reins, qui était alors généralement incurable et rapidement mortelle (v. note [12], lettre 8).
Guillemeau a affirmé que Héroard n’avait pas même obtenu le baccalauréat en médecine de Montpellier : v. infra note [89], notule {c}. Les doutes sur l’authenticité de son doctorat sont débattus dans la conclusion de mon étude.
Charles Guillemeau résumait les griefs du clan dogmatique de la Faculté de Paris, alors encore majoritaire (mais de fort peu), contre les pratiques médicales montpelliéraines, amplement développés dans les 11 observations qu’il avait publiées avec l’aide de Guy Patin en 1648. Les stibiatres étaient les praticiens qui prescrivaient de l’antimoine (stibium).
V. note [5], lettre 15, pour Simon ii Piètre (le Grand Piètre, mort en 1618), son frère puîné Nicolas et leur père Simon i, qui formaient alors dynastie la plus prestigieuse de la Faculté de médecine de Paris.
On apprend ici que Simon ii fut pressenti pour la charge de premier médecin de Louis xiii, mais préféra en décliner l’offre. Guy Patin, qui adulait les Piètre, n’en a pas parlé dans les lettres que contient notre notre édition.
De funeste mémoire, Concino Concini, bientôt maréchal et marquis d’Ancre (v. note [8], lettre 89), était le plus influent conseiller de la reine régente, Marie de Médicis.
La suite du Cani miuro… avance maintes allégations sur l’incompétence politique et surtout médicale de Jean Héroard dans diverses circonstances. Elles sont si triviales, douteuses et lassantes que je laisse volontiers au lecteur intéressé le soin d’en faire son miel.
V. infra notes [89] et [90] pour trois autres extraits du libelle de Charles Guillemeau contre Héroard.
Valgridium est une curieuse dénomination de Vallegrunuita, nom latin usuel de Vaugrigneuse, village d’Île-de-France (Essonne), entre Rambouillet et Arpajon, dont Jean Héroard était seigneur, par héritage de son beau-père. Témoin de son opulence, le château qu’il y a fait bâtir est toujours debout.
Le texte imprimé donne 1501 (m.d.i.) pour année natale de Héroard : j’y ai ajouté les 50 (l) années qui y manquent.
Apollon et son fils Esculape (v. note [5], lettre 551) étaient les deux divinités grecques antiques de la médecine : le « temple d’Apollon Esculape » (Apollinis Æsculapii fanum) figurait l’Université de médecine de Montpellier, ville où Héroard était né, comme l’a confirmé Madeleine Foisil : v. infra, 3e paragraphe de mon Épilogue.
Marie l’Égyptienne, ancienne prostituée d’Alexandrie vers le ve s., est devenue sainte après sa conversion, qui la poussa à se retirer dans le désert de Palestine, où elle devint anachorète ; elle est fêtée le 2 avril. De toute évidence, le texte (comme bien d’autres sources) la confondait avec la plus célèbre sainte Marie Madeleine (v. note [20], lettre 207) qui, dans l’Évangile de Luc (repas chez Simon, 7:38), lava de ses larmes les pieds de Jésus, puis les essuya de ses cheveux. Selon la Légende dorée (xiiie s., v. note [21] du Patiniana I‑3), un 22 juillet, devenu le jour de sa fête, Marie Madeleine s’envola aux cieux depuis la grotte de la Sainte-Baume (en Provence, v. note [7], lettre 596), où elle est toujours vénérée aujourd’hui, mais elle n’est pas réputée être passée par Montpellier.
Cette naissance toute nimbée de culte et même de bigoterie catholique surprend quand il est certain que Héroard était issu d’une famille qui professait ardemment le calvinisme (v. notes [21] supra et [49] infra).
En astrologie, l’élément du Feu est associé à trois signes (Bélier, Lion et Sagittaire) : né un 22 juillet, Jean Héroard avait vu le jour au tout début du Lion (22 juillet-23 août).
Gilbert Héroard était son oncle paternel. Dulieu le dit « improprement appelé Guillaume » et reçu docteur en médecine de Montpellier en 1554 à l’issue d’études entreprises en 1537, {a} ce cursus d’inhabituelle longueur s’expliquant pas un séjour en Sicile. Dulieu ajoute que :
« cependant, Felix Platter, qui raconte cette cérémonie, la situe au 3 mars 1555. {b} Il lui offrit des pieds d’élan qu’on venait de lui donner ; {c} < Gilbert > fit des cours de 1555 à 1561 et de 1571 à 1593. »
- Marie-Pierre Litaudon a eu l’extrême obligeance de m’informer que ses recherches archivistiques ont établi que Guillaume et Gilbert Héroard étaient deux frères distincts de Michel (le père de Jean, v. supra note [21]) : le médecin dont il est ici question se prénommait Gilbert ; Guillaume, secrétaire de la Chambre du roi Henri iii, fut plus tard nommé receveur général des gabelles de Paris, puis commis à la recette générale des deniers provenant de la revente des greffes.
- Mémoires de Felix i Platter (Genève, 1866, v. supra note [25]), Séjour à Montpellier, pages 55‑56 :
« Le 3e de mars 1555, Guilelmus Eduardus < sic > fut reçu docteur en médecine. La promotion, présidée par Saporta, {i} fut célébrée dans l’église en grande solennité et au son des orgues. Le récipiendaire rendit grâces en cinq ou six langues, parmi lesquelles l’allemand, quoiqu’il ne le sût pas du reste. On lui fit faire une belle promenade à travers la ville ; un plumet de soie ornait son bonnet carré ; les hautbois jouaient ; on portait dans le cortège des branches de fenouil {ii} et des figurines de sucre. Il y eut une magnifique collation, on lança plus d’un quintal {iii} de dragées ; l’hypocras {iv} était excellent ; ensuite vinrent les danses. »- Ces pieds d’élan (v. note [5], lettre 796) ne figurent pas dans l’édition susdite, mais dans celle qui est intitulée Felix et Thomas Platter à Montpellier, 1552-1559–1595-1599. Notes de voyage de deux étudiants bâlois publiées d’après les manuscrits originaux appartenant à la Bibliothèque de l’Université de Bâle (Montpellier, Camille Coulet, 1892, in‑8o de 502 pages), sur le journal de Felix, en date du 13 décembre 1555, page 124 :
« Hummelius m’écrivait de son côté qu’il m’envoyait des pieds d’élan : je les donnai au docteur Gilbert Héroard. »
La syntaxe latine rend, me semble-t-il, impossible de savoir si « l’esprit ingrat » (vitium ingrati animi) était celui de Guillaume Héroard (Guillemeus) ou celui de son jeune neveu. On en est même à se demander s’il n’y a pas eu confusion entre Guillaume et Gilbert, le médecin, voire leur frère Michel, le chirurgien, père de Jean ; mais il est légitime de faire confiance à l’auteur du Genius Pantoulidamas, plume de Siméon Courtaud, qui appartenait à la famille Héroard.
Selon Jean Astruc (Paris, 1767, livre v, page 365) (repris par Dulieu), Jean Héroard aurait été immatriculé à l’Université de médecine de Montpellier le 27 août 1571, pour y prendre « ses degrés » en 1575 (sans employer le mot doctorat), soit une durée normale d’études dans cette École.
L’auteur du Genius Pantoulidamas, ami de Siméon Courtaud, doyen de Montpellier et neveu de Héroard, affirme pourtant ici que leur héros avait pris sa première inscription à l’Université avant de partir faire la guerre, en 1569. Se serait-il exprimé aussi clairement si cela avait été inexact ? En tenant le détail pour authentique, l’immatriculation de Héroard en 1571 n’a pas été sa première. Celle-là dut avoir lieu pendant l’été 1568 puisque le jeune homme a abandonné ses études ab incœpto statim revocasset, « aussitôt après leur commencement », et qu’il participa à la bataille de Jarnac (13 mars 1569, v. infra note [51]). Il aurait donc été gradué en 1572 ou 1573. Je suis revenu sur ce point dans les Ombres et lueurs qui concluent mon étude biographique.
La première guerre de Religion avait commencé en 1562. Le parti du roi (Charles ix) était antagoniste des protestants. Cette adhésion de la famille Héroard à la cause catholique, tout comme la vénération de Marie Madeleine (v. supra note [46]), est en contradiction avec le calvinisme de Michel Héroard (bien affirmé par ses relations avec Jean Calvin dans la narration de Felix i Platter, v. supra note [21]) et avec la suite immédiate de la Vie de son fils donnée par le Genius Pantoulidamas. Peut-être, cet éloge voulait-il faire passer Jean Héroard pour catholique aux yeux des médecins Parisiens contre lesquels il était écrit, sans trop s’embarrasser de gênants détails.
La nuance symbolique entre Mars (v. note [16], lettre de Samuel Sorbière écrite au printemps 1651) et Bellone, sa sœur ou son épouse (v. note [3], lettre latine 29), pourrait tenir au fait que le premier était le dieu des combattants et la seconde, plutôt la déesse de leurs équipages.
Louis ier de Bourbon, prince de Condé (v. note [16], lettre 128), qui allait périr au combat de Jarnac le 13 mars 1569 (v. infra note [51]), et l’Amiral Gaspard de Coligny (v. supra note [22]), dont l’assassinat, le 24 août 1572, allait inaugurer les massacres de la Saint-Barthélemy, ont été les deux principaux meneurs du parti protestant dans cette période. Ils ont échoué dans leur projet de prendre Paris (s’ils l’ont jamais sérieusement nourri).
Alors âgé de 18 ans, Jean Héroard se rangeait résolument aux côtés des huguenots (avec une préférence pour Coligny sur Condé, que je ne sais pas bien interpréter). Le récit porte nécessairement sur la troisième guerre de Religion (1568-1570) et mène fermement à croire que Héroard a suspendu ses études médicales en 1569 (v. supra note [48]).
Le 13 mars 1569, la bataille de Jarnac, en Saintonge, sur la rive droite de la Charente, opposa les troupes royales aux protestants, qui furent battus et perdirent leur chef, le prince de Condé, lâchement exécuté après avoir été capturé. Une partie des hostilités eut lieu à Bassac, village situé à six kilomètres en amont de Jarnac.
La première Vie de Jean Héroard, écrite par Charles Guillemeau, n’a pas parlé de sa participation à cette bataille.
Le panégyriste de Jean Héroard transformait effrontément en victoire la défaite de Coligny à Moncontour (3 octobre 1569, v. supra note [22]) : non levem victoriam reportavit, « il n’a pas remporté une maigre victoire ». Blessé, le chef protestant se replia dans le Languedoc, où il reconstitua une armée, pour guerroyer jusqu’à la paix de Saint-Germain-en-Laye (8 août 1570) qui mit fin à la troisième guerre de Religion.
V. note [1], lettre 463, pour Henri ier, duc de Guise, dit le Balafré, fervent partisan des catholiques qui luttait alors pour le roi, et fut blessé à Moncontour.
Le Genius Pantoulidamas est ici catégorique sur le doctorat de Jean Héroard à Montpellier, mais n’en donne pas la date : on comprend seulement qu’il lui aurait été conféré entre Moncontour (octobre 1569) et les mois précédant la mort du roi Charles ix (mai 1574), probablement en 1572 ou 1573 (v. supra note [48]).
La Medica Praxis Empirico-methodica Scholæ Parisiensis, « pratique médicale empirico-méthodique de la Faculté de Paris », ne correspond à aucune école de pensée bien estampillée, et ne peut à mon avis s’entendre ici que comme un paradoxe ironique {a} car, selon Furetière :
« On appelle à Paris les médecins méthodiques, {b} ceux qui suivent la doctrine de Galien, qui guérissent avec des saignées et purgations appliquées à propos, {c} par opposition aux empiriques et chimistes, {d} qui usent de remèdes violents et de prétendus secrets. »
- On retrouve en effet cet oxymore dans le titre complet du Genius Pantoulidamas… et dans celui de la Lenonis Guillemei Scholæ Parisiensis Empirico-Methodicæ Doctoris… [Apothéose du maquereau Guillemeau, docteur de l’École empirico-méthodique de Paris…], attribuée à Siméon Courtaud (novembre 1654, v. note [2], lettre 380).
- Ou dogmatiques, v. note [2], lettre 70.
- Méthode fondée sur la théorie des quatre humeurs ; v. note [47], lettre 104, pour Léonard Botal, le champion le plus intransigeant de la saignée comme fondement universel de la thérapeutique, qui avait pratiqué et enseigné avec grand succès à Paris sous le règne de Charles ix.
- V. notes [6], lettre 28, pour l’empirisme, et [22], lettre 79, pour la chimie, qui caractérisaient l’École de Montpellier et l’opposaient à celle de Paris, comme je l’ai rappelé plus haut dans l’introduction (Paris contre Montpellier, 1641-1654).
Le doctorat de Jean Héroard situe cette partie du récit en 1572 ou 1573 (v. supra note [48]). Dans l’énumération de hautes personnalités montpelliéraines (dont je ne garantis pas la traduction des offices) qui l’ont gratifié de leur soutien, je n’ai certainement reconnu que son oncle paternel, Guillaume Héroard (v. supra note [47], notule {a}).
L’omission la plus remarquable est bien sûr celle du chirurgien royal Jacques Guillemeau (v. supra note [11]), à qui la première Vie de Jean Héroard a conféré un rôle de tout premier plan dans son ascension parisienne.
La chronologie et la plausibilité de ces faits sont problématiques : d’un côté, Charles ix est mort le 30 mai 1574, deux ans après la Saint-Barthélemy (qui avait fait de lui la bête noire des calvinistes) ; de l’autre, Jean Héroard se serait attaché à ce roi et aurait obtenu une charge à son service, après avoir combattu aux côtes de Coligny, à Jarnac puis à Moncontour, en 1569.
Néanmoins, selon la Vie donnée par Charles Guillemeau et selon Héroard lui-même, Charles ix, peu avant de mourir, aurait créé à son intention la charge d’hippiatre royal (v. notes [24] supra et [56] infra). Il est impossible de s’en tirer sans admettre une erreur de Jean Astruc (v. supra note [48]) sur l’année du doctorat de Héroard à Montpellier, car on ne peut pas croire qu’il soit monté à Paris avant d’avoir obtenu ses diplômes. Il me semble plus probable qu’il les ait reçus (ou qu’il ait au moins postulé le baccalauréat) en 1572 ou 1573, aux alentours de son 21e ou 22e anniversaire, trois ou quatre ans après son retour des guerres, avec une première inscription universitaire en 1568 (v. supra note [48]).
C’est le lieu pour s’interroger aussi sur la religion de Héroard. Né dans le calvinisme paternel, il se convertit au catholicisme, comme en atteste la pieuse épitaphe que fit graver son épouse, née Anne Duval, {a} dans la chapelle de l’église Sainte-Marie-Madeleine de Vaugrigneuse : {b}
« Messire Jehan Herouard, {c} < de son > vivant seigneur de Vaugrigneuse, de l’Orme le Gras et de Launoy-Courçon, conseiller du roi en ses Conseils, secrétaire de Sa Majesté, Maison et Couronne de France et de ses finances, et son premier médecin ; lequel a servi les rois Charles ix, Henri iii et Henri iv en qualité de médecin ordinaire, et Louis xiii, à présent heureusement régnant, en qualité de premier médecin depuis sa naissance, et l’espace de vingt-sept ans < a > témoigné une affection sans exemple envers Sa Majesté, au service de laquelle il décéda à Aytré {d} au camp devant La Rochelle le dixième jour de février 1628, en l’an soixante-septième {e} de son âge ; par son testament a voulu être inhumé dans sa chapelle qu’il a fait bâtir en cette église, laquelle il a fait rétablir en paroisse, qui avait été unie avec la paroisse de Briis {f} plus de cent cinquante ans auparavant, et a voulu être le fondateur de la paroisse de Vaugrigneuse. Priez Dieu pour lui. »
- Jean Héroard avait épousé Anne Duval (du Val) en janvier 1602.
- Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris par l’abbé Lebeuf, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (Paris, Féchoz et Letouzey, 1883, in‑8o, tome troisième, page 460).
- Autre orthographe de Héroard.
- Aytré est une petite ville située à 5 kilomètres au sud de La Rochelle.
- Sic pour soixante-seizième.
- Briis-sous-Forges, commune voisine de Vaugrigneuse.
L’abbé Lebeuf a détaillé (pages 460‑461) les oppositions diocésaines que rencontra Héroard, vers 1630, pour transformer la chapelle de Vaugrigneuse en paroisse et la dédier à sainte Marie Madeleine, ce qui n’a rien de fortuit puisqu’elle était la patronne de son jour de naissance (v. supra note [46]).
On peut raisonnablement supposer que comme maints autres, pour favoriser sa fortune, Héroard a abjuré le protestantisme dès son entrée au service de Charles ix.
Les Ombres et lueurs qui concluent mon étude biographique reviennent sur ces deux questions de graduation médicale et de religion.
Alphonse v, dit le Magnanime (1396-1458), a été roi d’Aragon en 1416 et de Naples en 1442.
Les deux premiers paragraphes de la Notice historique sur l’art vétérinaire en Espagne, traduite de l’espagnol par M. Lebret, interne des hôpitaux de Paris (Recueil de médecine vétérinaire, Paris, Gabon et Béchet, 1825, in‑8o, iie année, tome deuxième, pages 483‑484) expliquent le rôle du roi Alphonse dans l’essor de la médecine vétérinaire moderne.
Jean Héroard a témoigné sa gratitude dans la dédicace Au roi (Henri iv) de son Hippostologie, c’est-à-dire Discours des os du cheval, {a} page a iij r o) :
« Et pour cette raison, le feu roi Charles, lequel, sur toutes choses, {b} prenait un singulier plaisir à ce qui est de l’art vétérinaire, duquel le sujet principal est le corps du cheval, me commanda, quelques mois avant son décès, {c} d’y employer une partie de mon étude, pour en dresser après {d} quelque instruction aux maréchaux {e} et autres qui travaillent, et sans raison et sans science, aux maladies des chevaux, au grand regret le plus souvent de ceux qui, par leur ignorance, perdent les leurs {f} plus favoris. J’avais déjà conçu le gros de l’œuvre et fait dessein de l’ordre que je devais tenir pour élever cet édifice, quand il décéda : de telle sorte que je me vis frustré par son trépas de l’espérance que j’avais de rendre témoignage de mon ardent désir à satisfaire et obéir au vouloir de mon roi ; mais le feu roi {g} me commanda de le poursuivre […]. »
- Paris, Mamert Patisson, 1599, in‑4o illustré de 48 pages.
- Avant tout.
- Le 30 mai 1574, mes italiques soulignent ce point de grand intérêt chronologique.
- Procurer.
- « Maréchal-ferrant, ou simplement maréchal, est un artisan qui ferre les chevaux et qui les panse quand ils sont malades. […] On disait autrefois maréchausser les chevaux pour dire les panser et les ferrer. On a appelé en latin mulomedicus [v. note [14], lettre de Thomas Bartholin, datée du 18 octobre 1662] celui qui guérissait les chevaux et le bétail » (Furetière).
- Chevaux.
- Henri iii.
Ma traduction cherche à rendre un oiseux jeu de mots sur les patronymes de deux docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris ; mais ce par pure plaisanterie, car aucun d’eux n’avait (à ma connaissance) pris une part active dans les querelles entre leur Compagnie et l’Université de Montpellier. Il me semble que le Genius Pantoulidamas voulait seulement irriter l’une et faire rire l’autre.
Médecin par quartier, c’est-à-dire servant à tour de rôle durant un trimestre ; v. supra note [30] pour le récit moins glorieux de Charles Guillemeau sur la nomination de Jean Héroard dans cette charge au service de Henri iii.
J’ai corrigé l’erreur du Genius Pantoulidamas, qui donne 1594 (m. d. xciv) au lieu de 1584 (m. d. lxxxiv) pour année de l’ambassade en Italie d’Anne de Joyeuse. Abraham de Wicquefort {a} en a donné le motif et décrit le fiasco dans la seconde partie de L’Ambassadeur et ses fonctions, {b} livre second, section vi, page 63 :
« En 1583, le duc de Joyeuse, l’un des favoris de Henri iii, ayant dessein de faire un établissement proportionné à sa fortune, jeta les yeux sur le gouvernement de Languedoc ; et ne pouvant obliger le duc de Montmorency {c} à s’en défaire, il tâcha de l’en faire déposséder par des voies indirectes, en faisant accroire au pape {d} que ce seigneur était ami et partisan du roi de Navarre et du prince de Condé, {e} ennemis de la religion catholique romaine.Le roi et la reine mère, {f} qui n’aimaient point la Maison de Montmorency et qui voulaient faire paraître le duc de Joyeuse en Italie avec des marques éclatantes de sa faveur, secondaient ses desseins et lui donnèrent des lettres de recommandation pour le pape et pour les autres potentats de ces quartiers-là. Le duc, en parlant au pape, lui dit que le roi son maître veillait continuellement à la conservation de la religion catholique et de l’autorité du Saint-Siège, mais que ses bonnes intentions étaient toujours traversées ou éludées, principalement par le duc de Montmorency, qui souffrait que la religion huguenote s’établît dans son gouvernement avec plus de liberté qu’à Genève ; qu’il y avait longtemps que le roi songeait au ressentiment qu’il en devait témoigner, et qu’il n’avait rien voulu résoudre sur ce sujet sans la participation du pape et sans avoir pris son avis touchant la conduite qu’il y devait tenir. Le pape, qui avait été averti du sujet de l’ambassade et de l’intention de l’ambassadeur, lui dit, après quelques paroles de civilité, qu’il croyait que le roi n’était pas bien informé de l’affaire du duc de Montmorency ; qu’on n’en pouvait pas faire accroire à lui, {g} qui avait une parfaite connaissance de la piété du duc et qui avait les preuves de son zèle : ainsi, qu’il joindrait ses prières à celles de tous les gens de bien afin que le roi, continuant d’honorer le duc de l’affection que ses services et ceux de ses prédécesseurs méritaient, ne le réduisît point à la nécessité de se jeter entre les bras des ennemis de la religion et d’y chercher son salut. Le pape en dit tant à Joyeuse que ce jeune seigneur, voyant que la cour de Rome n’avait pas pour lui la même considération ni les mêmes sentiments qu’on avait en France, demeura sans réplique et se retira avec confusion. Il avait la qualité d’ambassadeur, mais le sujet de son ambassade ne fut pas fort honnête, ni sa manière d’agir fort prudente. »
- V. note [19], lettre 402.
- Cologne, Pierre Marteau, 1689, in‑4o en deux parties de 219 et 266 pages.
- Le duc et futur connétable Henri ier de Montmorency (v. note [12], lettre 655) était un des plus solides soutiens du parti royal catholique.
- Grégoire xiii (1572-1585, v. note [2], lettre 430).
- Le roi Henri iii de Navarre (roi Henri iv de France en 1589) et son cousin Henri ier de Bourbon prince de Condé (v. note [18] du Borboniana 4 manuscrit).
- Catherine de Médicis.
- Lui raconter n’importe quoi.
On peut comprendre tout et son contraire dans cet inextricable salmigondis latin : ma traduction n’est qu’une interprétation de son propos, où j’ai cru voir une excuse embarrassée des éminents services que Jean Héroard a rendus à l’odieux duc de Joyeuse, ardent massacreur de protestants.
Allusion lourde de sens car Hippocrate (natif de l’île de Cos) aurait gravement nui à sa patrie s’il s’était mis au service de Xerxès, le plus farouche ennemi d’Athènes (v. note [102] du Faux Patiniana II‑7) : Jean Héroard trahissait ses alliés naturels, qui auraient dû être ceux de Montpellier, où le calvinisme était en haute estime.
Curieusement, Charles Guillemeau n’a pas mordu à cet appât-là dans le Cani miuro, se contentant des brocards de Joyeuse sur son médecin des chevaux.
Le récit se contredit ici étrangement : Joyeuse adule d’abord Héroard ; puis je comprends qu’il se brouille avec lui, abreptus per Ducem à Ioyessa dignitati consulendum (mot à mot, « sa dignité de conseiller lui est ôtée par le duc de Joyeuse ») ; mais Héroard n’en met pas moins toute son ardente bravoure à accompagner le duc dans sa fatale expédition contre les protestants. La calamiteuse défaite de Joyeuse à Coutras (v. supra note [32]) a coûté la vie à quelque 2 000 catholiques, dont nombre de valeureux capitaines, contre seulement une quarantaine de protestants.
Dans son Introduction (pages 45‑46), Madeline Foisil {a} a relevé un passage du Journal où Jean Héroard fait brièvement allusion à cette période de sa vie, en date du 25 octobre 1607 (volume 2, fo 493 ro‑vo), {b} à propos du dauphin alors âgé de six ans :
« À deux heures, mis en carrosse, mené à l’abbaye de Saint-Sixt, ; {c} y arrive à trois. […] Il va à l’église comme par force, s’en veut retourner : ramené à quatre heures à Noisy, {d} où il arrive à cinq heures. M. le marquis de Renel {e} et moi parlions, dans le carrosse, des voyages où nous nous étions vus aux armées du temps du feu < roi >, conduites par feu M. de Joyeuse ; il {f} écoutait à l’accoutumée attentivement sans dire un mot. Mme de Montglat {g} lui demande : “ Monsieur, vous ne dites mot ; oyez-vous bien tout ce qu’ils disent ? ” D. : {f} “ J’y songe ”, < dit-il > froidement. » {h}
- V. infra, 3e paragraphe de mon Épilogue.
- Paris, 1868, v. infra note [85].
- Déformation du nom de l’abbaye Notre-Dame-des-Anges à Saint-Cyr (aujourd’hui Saint-Cyr-l’École, à 7 kilomètres au sud de Noisy-le-Roi).
- Le dauphin séjournait dans le château de Noisy-le-Roi, près de Versailles, en raison de la peste qui sévissait à Saint-Germain.
- Louis de Clermont d’Amboise, marquis de Renel, mort en 1615.
- Le dauphin.
- Françoise de Montglat, gouvernante des enfants royaux.
- Comment comprendre cette conversation de carrosse autrement qu’en lisant entre les lignes ?
Héroard ne s’y souvenait que de sa campagne dans les rangs catholiques. En présence du dauphin, il n’osait rappeler ses défaites de 1569 (Jarnac, puis Moncontour), dans le parti adverse ; mais tous les bruits circulent dans les cours princières… En disant « J’y songe », l’enfant royal ne connaissait-il pas la trahison de son médecin envers ses premiers alliés calvinistes, et n’y pensait-il pas « froidement », préférant se passer de commentaire ? Quelque remords gêné ne hantait-il pas Héroard pour qu’il ait trouvé bon de consigner ce petit rien dans son Journal ?
Henri ier de Lorraine, le Balafré (v. supra note [52]), avait été le principal instigateur de la Saint-Barthélemy. Le 26 octobre 1587, lors de la bataille de Vimory, près de Montargis, il mit en déroute l’armée de mercenaires suisses et allemands (reîtres) venus au secours des protestants français ; les rescapés se réfugièrent à Auneau (Alnæus, entre Chartres et Étampes).
Douze années se sont écoulées entre la mort de Joyeuse à Coutras (1587), sous le règne de Henri iii, et la parution de l’Hippostologie de Jean Héroard (1599, v. supra note [57]) dédiée à Henri iv, qui était monté sur le trône en 1589. Le Genius Pantoulidamas grille maladroitement les étapes et laisse entendre que Henri iv avait confirmé Héroard dans la charge de médecin par quartier que lui avait conférée Henri iii peu après son avènement (en 1574, v. supra note [59]). La suite du paragraphe décrit brièvement les principaux événements qui sont survenus entre-temps.
Sous la pression de la Ligue catholique, Henri iii, en mai 1588, a été contraint de quitter Paris pour ne jamais y remettre les pieds. Il fait assassiner Guise, le Balafré chef des ligueurs, à Blois en décembre suivant, puis s’allie au roi de Navarre pour assiéger Paris. Lui-même est mortellement poignardé le 31 juillet 1589 à Saint-Cloud par le dominicain Jacques Clément (v. note [16], lettre 551). Henri iii, roi de Navarre, devient Henri iv, roi de France, les Bourbons succèdent aux Valois.
« On appelle aussi boursiers les notaires [garde-notes] et secrétaires du roi, qui sont à la suite de la grande Chancellerie et qui ont part à la distribution des bourses ordinaires, qui sont distinguées des gages » (Furetière).
Notre glossaire définit (et dévalue) la charge vénale de secrétaire du roi, qu’on surnommait alors la « savonnette à vilain », pour la modeste noblesse et les avantages qu’elle conférait en échange d’une rondelette somme d’argent (mais Jean Héroard devait à son mariage la seigneurie de Vaugrigneuse).
À la naissance du dauphin, le futur roi Louis xiii, le 27 septembre 1601, Jean Ribit de La Rivière (v. supra note [37]) était premier médecin de Henri iv depuis 1595, et André i Du Laurens (v. note [3], lettre 13), premier médecin de Marie de Médicis depuis la mort de Jean Martin, vers la fin du printemps 1601 (v. note [3], lettre 31).
Antoinette de Pons, marquise de Liancourt (v. note [6], lettre 476) était dame d’honneur de Marie de Médicis.
Le précédent mariage de Henri iv, en 1572, avec Marguerite de Valois (la « reine Margot », sœur des rois François ii, Charles ix et Henri iii, v. note [4], lettre latine 456), avait été stérile, mais le « vert galant » avait déjà engendré plusieurs bâtards.
Ce récit est en grande partie emprunté au tout début du Journal de Jean Héroard (Paris, 1868, v. infra note [85]), tome premier, pages 1‑7. Le dauphin naquit, dit-il, « quatorze heures dans la Lune nouvelle, à dix heures et demie et demi-quart [10 h 47], selon ma montre faite à Abbeville par M. Plantard ».
Unique apparition, et peu à son avantage, du chirurgien Jacques Guillemeau (v. supra note [11]) dans la seconde Vie de Jean Héroard, alors qu’il est omniprésent dans la première.
V. note [12] du Borboniana 10 manuscrit pour cette opération du « filet » de la langue princière, relatée dans le Journal de Héroard.
Dans son Journal (tome premier, pages 9‑11), {a} Jean Héroard dit que le dauphin a quitté Fontainebleau le 25 octobre pour arriver à Saint-Germain-en-Laye : {b} « lieu choisi par le roi pour y être nourri », où on arriva le 29 du même mois, après être passé par Melun, Paris et Saint-Cloud.
- Paris, 1868, v. infra note [85].
- Le nom latin habituel du château de Saint-Germain-en-Laye (v. note [16], lettre 10) est Fanum Sangermani in Laia. Laye signifiait « forêt » en vieux français, ce qui peut expliquer le bizarre Incæduus Sagermanus du Genius Pantoulidamas, où incæduus, « non coupé » en latin, semble désigner une forêt (futaie).
Journal de Jean Héroard (tome premier, pages 60‑61) : {a}
« Le dauphin bégaye en parlant ; on remarque que ç’a été depuis deux jours auparavant, quand le roi, couché dans le lit, prenait plaisir à le faire railler avec le petit Frontenac, {b} qui bégayait. Il se fâche quand il ne peut prononcer promptement. » {c}
- Paris, 1868, v. infra note [85].
- Henri de Buade de Frontenac (1585-1623) était fils d’Antoine (mort en 1625), gouverneur du château de Saint-Germain et premier maître d’hôtel du roi (en 1607).
- L’explication semble absurde.
À cette date, ni à aucune autre, je n’ai trouvé trace de hernie abdominale (hernia intestinalis) dans le Journal de Jean Héroard.
De l’Institution du Prince, par Jean Héroard, sieur de Vaugrigneuse, conseiller et secrétaire du roi, médecin ordinaire de Sa Majesté et premier de Monseigneur le Dauphin. À Monseigneur le Dauphin {a} est une recueil de six dialogues (Matinées) entre l’auteur et Monsieur de Souvré {b} sur la manière de veiller à l’éducation physique et morale du dauphin.
Dans le contexte universitaire parisien, l’édition latine m’a plus intéressé :
De Institutione Principis. Liber singularis. Ex Gallico Ioannis Heroardi, Ludovici xiii. filii Henrici Magni, et Galliarum Regis Consilarii et Archiatri, in Latinum vertit Ioannes Degorris, Consiliarius et Medicus Regius.[De l’Institution du Prince. Livre particulier écrit en français par Jean Héroard, conseiller et archiatre de Louis xiii, roi de France, fils de Henri le Grand, que Jean Des Gorris, {c} conseiller médecin du roi, a mise en latin]. {d}
Datée de Paris, le 24 février 1617, l’épître de Des Gorris à D.D. Heroardo, Ludovici xiii. filii Henrici Magni, et Galliarum Regis Consiliairio et Archiatro [M. Héroard, conseiller et archiatre de Louis xiii, roi France, fils de Henri le Grand] montre que le dédicataire ne répugnait pas à être enseveli sous les éloges :
Nec fucum facio, Vir Amplissime, non palpum obtrudo, hæc mea de tuo libello censio est, cum lectissima, haud ita pridem, eruditorum corona, a quibus laudatis viris laudari, rara est messiss ingenii : Et tuarum insuper laudum cumulus accessisset, si quod ego id ipsum tentasses ; quo nemo melius, ætate nostra, monetam Latiaris eloquii Tulliana incude fingere didicit.[Je ne vous jette pas de poudre aux yeux, très éminent Monsieur, ni ne vous gave de flatteries : tel est bien mon avis sur votre petit livre, avec la couronne des savants de tout premier ordre qui vous a naguère été décernée, {e} car c’est une rare moisson du génie que d’être loué par de louables personnages. Et l’amoncellement de vos louanges aura encore augmenté, si vous êtes enclin à croire que j’y ai ajouté quelque chose ; matière où nul, en notre siècle, n’a mieux appris à frapper une médaille sur l’enclume cicéronienne de l’éloquence latine]. {f}
- Paris, Jean Jannon, 1609 in‑8o de 307 pages.
- Gilles de Courtenvaux de Souvré (1540-1626), maréchal de France et précepteur du dauphin.
- Jean iii Des Gorris (v. note [3], lettre 225) a été pendant toute sa vie le courageux étendard du minuscule groupe des régents calvinistes au sein de la Faculté de médecine de Paris, où il avait été reçu docteur régent en 1608. En faisant appel à lui pour traduire son livre, Héroard n’avait pas dû tout à fait oublier ses propres racines religieuses.
- Ibid. Robert Estienne, 1617, in‑8o de 166 pages, dans une typographie beaucoup plus serrée que l’édition française.
Héroard voulait rendre sa prose lisible par toute l’Europe, mais ne devait ni bien maîtriser le latin (v. infra note [97], pour un distique qu’il a forgé dans cette langue) ni être fort introduit dans le monde lettré pour devoir faire traduire son livre par un jeune docteur régent calviniste parisien (reçu en 1608).Tout premier médecin du jeune roi qu’il était, Héroard eût sans doute fort peiné à trouver un membre catholique de la Faculté de médecine de Paris pour consentir à un tel exercice, car il était gradué et natif de Montpellier.
- La charge de premier médecin de Louis xiii en 1610.
- Emprunt fort immodeste de Des Gorris au grandiloquent latin de Symmaque (v. note [11], lettre 407), Correspondance, livre i, lettre iv, à son père :
Unus ætate nostra monetam Latialis eloquii Tulliana incude finxisti.[Toi seul, en notre siècle, as frappé une médaille sur l’enclume cicéronienne de l’éloquence latine].
Le siège de La Rochelle, puissant bastion protestant, a commencé le 10 septembre 1627 ; au prix d’une défense héroïque, la ville s’est rendue aux troupes royales le 28 octobre 1628 (v. note [27], lettre 183). Il est surprenant de lire de si rudes propos dans le Genius Pantoulidamas, écrit sur l’instigation de Siméon Courtaud qui était réputé fidèle à la foi calviniste.
Cette envolée sidérale dépasse de très haut mes compétences en astrologie. Ætrei y est probablement une coquille pour Astrææ, la constellation de la Vierge (du 23 août au 22 septembre dans le zodiaque), ou plus probablement pour Astræi, le Titan Astréus, père des Vents et des Astres, qu’il s’allia pour combattre Jupiter, qui les précipita tous sous les eaux ; après quoi il attacha Astréus au ciel pour en faire une étoile.
Après la brève mention anodine de son père (v. supra note [71]), c’est Charles Guillemeau, l’auteur du Cani miuro, qui est ici nommément mis au pilori.
J’ai traduit de mon mieux la couronne de vertus tressée à la gloire de Jean Héroard, en essayant de ne pas trahir son amphigouri.
V. supra note [53], notule {c}, pour Botal et ses adeptes parisiens, les saigneurs « botalistes ».
« Le sort de ces hommes enflait mon cœur d’une vive souffrance. Puisse la postérité trouver matière à les chanter.
Ainsi soit-il. »
Réunion de deux vers de L’Odyssée d’Homère :
Il convient de retranscrire ici ce que Guy Patin a écrit contre Jean Héroard et Charles Guillemeau dans sa lettre (imprimée, dont le manuscrit a été perdu) du 23 mars 1663 à Charles Spon ou à André Falconet (commentée dans ses notes [3]‑[9]) :
« Je sais bien que M. Bouvard m’a dit autrefois qu’il avait entretenu le feu roi {a} du mérite et de la capacité de quelques médecins par les mains de qui Sa Majesté avait passé ; et après qu’il lui en eut dit ce qu’il en savait, que le roi s’écria Hélas ! que je suis malheureux d’avoir passé par les mains de tant de charlatans. Ces Messieurs étaient Héroard, Guillemeau et Vautier. Le premier était bon courtisan, mais mauvais et ignorant médecin. M. Sanche le père m’a dit ici l’année passée que cet homme ne fut jamais médecin de Montpellier. {b} Le second était un rusé courtisan qui avait grande envie de faire fortune, mais les malheurs de la reine mère, {c} de laquelle il espérait, l’entraînèrent et le démon du cardinal {d} fut plus fort que le sien ; si bien qu’il succomba et quelque effort qu’il ait fait depuis, il n’a pu y revenir, quoiqu’il ait remué ciel et terre, et que même le feu prince de Condé {e} en eût lui-même parlé, tant au cardinal de Richelieu même qu’au feu roi et à la reine mère. {f} Il avait quelques bonnes qualités, il en avait aussi de mauvaises ; je l’ai fréquenté 27 ans, nous étions de même licence, je savais bien sa portée. M. Barralis et moi avons été ses médecins jusqu’à sa mort. Enfin, j’ai reconnu qu’en son fait il y avait beaucoup d’hypocrisie et de finesse, mais aussi y avait-il de la bonne doctrine et de la vertu, c’est-à-dire de la marchandise mêlée. »
- Louis xiii.
- V. note [55], lettre 223, pour Pierre i Sanche, docteur (reçu en 1619) puis professeur (élu en 1641) de l’Université de médecine de Montpellier. Sans le tenir pour solide, ce témoignage, sans doute malveillant, entretient tout de même le doute sur le doctorat de Héroard.
- Marie de Médicis.
- Richelieu
- Henri ii de Bourbon-Condé.
- Anne d’Autriche.
Après son Cani miuro, Charles Guillemeau a publié la Margarita… [Perle…] (Paris, juillet 1655), dont le titre complet, aussi long qu’injurieux, est transcrit et traduit dans la note [3], lettre 390. Jean Astruc (v. supra note [48]) omettait la Defensio altera… [Seconde Défense…] de Guillemeau (janvier 1655, v. note [3], lettre 390).
Montpellier a aussi contre-attaqué dans la Lenonis Guillemei Apotheosis… [Apothéose du maquereau Guillemeau…] (Paris, novembre 1654, v. note [2], lettre 380) ; mais je n’ai trouvé aucun renseignement utile sur la vie de Jean Héroard dans ces trois ripostes en écho.
La chronologie de Jean Astruc n’aurait été plausible que si Charles ix (dont Jean Héroard ne fut pas médecin par quartier, mais hippiatre) n’était pas mort en mai 1574 (quand Anne de Joyeuse n’était âgé que d’environ 14 ans).
Le Rapport du corps mort du très-chrétien Henri troisième, roi de France et de Pologne a été transcrit à la page 857 des Œuvres de chirurgie… de Jacques Guillemeau, rééditées et augmentées par son fils Charles (Rouen, 1649, v. notule {b}, note [1] du Borboniana 7 manuscrit). Il porte la signature de quatre médecins, dont Héroard, et de cinq chirurgiens (parmi lesquels ne figure pas Jacques Guillemeau).
Chapitre ii, page 12 de la « Dissertation sur les maladies héréditaires » de Robert Lyonnet, {a} où j’ai rétabli l’orthographe originelle et ajouté [entre crochets] la partie mise en suspension, et dont voici ma traduction :
« il avait de l’aversion pour tous les aliments simples, il se gavait de leur mélange, ne se délectant que de grillades, de fritures, de salaisons, de condiments acides, de pâtés, de gâteaux et de confiseries extrêmement sucrées, et autres excitants du goût ; il avait en horreur les potages, les viandes bouillies, et même le pain, s’il n’était pas rôti. [Ses serviteurs l’encourageaient même complaisamment à consommer toutes nourritures. Quand il se rappelait les délices de son enfance, il a souvent avoué que l’un de ces jeunes gens, qu’il avait suborné, lui apportait de la ville en cachette des saucisses ordinaires pour son petit déjeuner.] Ces mets l’attiraient ou par habitude, ou pour que leur chaleur et leur sécheresse augmentassent sa soif, allumant ainsi un incendie, qu’il éteignait en buvant une pleine coupe de vin aux aromates, et du vin presque pur entre les repas. »
Journal de Jean Héroard sur l’enfance et la jeunesse de Louis xiii (1601-1628), extrait des manuscrits originaux et publié avec autorisation de S. Exc. M. le Ministre de l’Instruction publique (Paris, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1868, deux tomes in‑8o).
Page 254 de :
l’Histoire des secrétaires d’État, contenant l’origine, le progrès et l’établissement de leurs charges, avec les éloges, les armes, blasons et généalogies de tous ceux qui les ont précédés jusqu’à présent. Par le sieur Fauvelet Du Toc, {a} secrétaire des finances de Monsieur, {b} frère unique du roi. {c}
- Antoine Fauvelet Du Toc.
- Philippe d’Orléans.
- Paris, Charles de Sercy, 1668, in‑4o de 336 pages.
Le blason et la carrière de Charles Le Beauclerc (vers 1590-1630), secrétaire d’État à la Guerre de 1624 à sa mort, occupe les pages 250‑257.
« Le sieur Herouard » figure sans commentaire parmi les Emprisonnés cités à la page 121 des :
Archives curieuses de l’histoire de France depuis Louis xi jusqu’à Louis xiii… Par Félix Danjou. {a}
Cette mention de « Herouard » est difficilement authentifiable car sa source est l’Extrait des noms de ceux qui ont été éloignés, emprisonnés et suppliciés du vivant du feu cardinal de Richelieu, par sa propre volonté et puissance à lui permise, desquels est parlé au présent volume, à l’avant-dernière ligne de la page 26 de l’anonyme :
Seconde partie du Journal du cardinal de Richelieu, contenant plusieurs pièces curieuses dignes d’être mises au jour. Recueillies de ses Mémoires mêmes. {b}
- Paris, Beauvais, 1838, 2e série, tome 5, in‑8o de 447 pages.
- Sans lieu ni nom, 1649, in‑12 de 155 pages : ouvrage clandestin, réédité à Amsterdam en 1664 (v. note [42] des Déboires de Carolus), qui est plus à tenir pour une sorte de « mazarinade » apocryphe que pour une source fiable d’information historique.
Je n’ai rien lu de tel dans le Cani miuro : Charles Guillemeau aurait-il manqué une si belle occasion d’humilier Siméon Courtaud en souillant un peu plus encore la mémoire de son oncle, Jean Héroard ?
Siméon Courtaud n’a ouvertement parlé de Jean Héroard que dans le paragraphe intitulé Spermologia (en grec, « Bavardage » [des médecins]), à la page 33 de son Oratio (v. supra note [3]). C’est l’occasion de rendre hommage à son esprit et à sa plume :
Calamitosa insuper, et morbus alter ægrotantibus illorum sonora polylogia. Loquuntur ubi æger malo obmutescit, et ubi vita laborantis desinit in interim, istorum oratio pomposa, in miserum nec opportunum clysterem terminatur : atrum desinit in piscem mulier formosa superne. Contorta caudicula est elphantis. Detrahunt Medico in actu Medico, ut tradant oratori, et Rhetores apparent, ubi deberent esse Medici ; dumque loquentis lente fluit oratio, decumbentis repente furit ægrotatio. Omnis illorum magniloquentia decoquitur in Senæ folium aut radicem liquiritiæ. Hoc fuit olim, eos locutuleios appellantis, de illis, cum Ludovico Dureto, liberum ingenuumque iudicium viri Sapientissimi, vitæque integritate notissimi, quatuor Regum Medici, Ioannis Heroardi, μητραδελφου nobis et evergetæ ; de quo nemo, nisi pessimus, vel male loqui, vel male sentire potest. Non respuit ornamenta minerva, non medicina splendidam sermonis elegantiam ; gratiam hanc et nos, et illa, Cornelio Celso debemus. Non tamen hac elegantia sed remediorum excellentia morbi tolluntur. Valeat illa, dum hac non minus valeat æger. Medica philomela minus habeat vocis quam carnis, et minus carnis quam plumæ sive celeritatis et diligentiæ. Plus vincebat Alexander celeritate quam mole plaustrorum et exercitus. Celeritatem oportunam medicationis desiderat æger, verborum simplicitatem veritas. Videtis amplissimam verborum nubem per aera volitantem ? gravida est, non pluvia, sed halitu, lapidisque bezoardici conceptu, vel decoctulo ano destinato ; et in amplissima verborum pelvi pugillati substantia furfuris emulgetur. Oratio medentis, quia philosophus est, debet esse quidem plena pinguis et tersa, sed nervosa potissime, quæque semper sequatur et ostendat finis et subiecti sui caput, truncum, et artus. Plurima verborum sarcina non est oneranda necessitas auxilij : neque Pomis aureis Atalanta nostra remoranda.[Leur bruyante polylogie {a} est par-dessus tout calamiteuse. C’est une seconde maladie pour le patient : quand son mal le rend muet, eux parlent ; et pendant que la vie du malade est en train de s’éteindre, leur pompeux discours s’achève par un lavement, aussi misérable que malvenu. Atrum desinit in piscem mulier formosa superne. {b} La petite queue de l’éléphant est entortillée. {c} En se laissant aller à l’art oratoire, ils enlèvent à l’acte médical ce qu’il a de médical : ils jouent les rhéteurs quand ils devraient être médecins ; et tandis que le discours du beau parleur s’écoule lentement, le mal de l’alité se déchaîne subitement. Toute leur grandiloquence se fricasse en feuille de séné et en racine de réglisse. {d} En les appelant jadis bavards, comme faisait Louis Duret, {e} tel fut le libre et ingénu jugement de Jean Héroard, homme très sage et connu pour la parfaite intégrité de son existence, qui fut le médecin de quatre rois et notre oncle maternel et notre euergète, {f} dont seul le pire des individus peut médire ou mal penser. {g} Minerve {h} ne rejette pas les embellissements, la médecine n’est pas opposée à la brillante élégance du discours ; et nous, comme elle, devons cette grâce à Celse. {i} Néanmoins, c’est l’excellence des remèdes qui écarte les maladies, et non celle de l’éloquence : que l’une prospère donc, dans la mesure où le malade titre profit de l’autre. L’hirondelle médicale {j} vaut moins pour son chant que pour sa chair, et moins pour sa chair que pour ses plumes, qui lui confèrent vitesse et diligence. Alexandre le Grand a plus vaincu par sa rapidité que par la masse de ses chariots et de son armée. Le patient recherche la promptitude opportune de la médication, et la vérité recherche la simplicité des mots. Voyez-vous l’immense nuée de paroles qui voltige dans les airs ? Elle n’est pas chargée de pluie, mais de vent, qui accouche de la pierre de bézoard ou d’un anus voué à la décoction ; {k} et quand le son a été bien battu, la plus copieuse averse de mots n’en extrait plus de substance. {l} Le discours du thérapeute, parce qu’il est philosophe, doit certes être sensé, riche et soigné, mais il doit surtout être vigoureux pour exposer successivement la tête, le tronc puis les membres de son but et de son sujet. La nécessité de porter secours ne doit pas s’appesantir d’un copieux attirail de paroles, et notre Atalante ne doit pas se laisser ralentir par des pommes d’or]. {m}
- Hellénisme, πολυλογια, l’« abondance du discours », la « logorrhée », le « verbiage », qui sont si coutumiers aux médecins.
- « Le corps de la belle femme se termine en hideuse queue de poisson » : Horace, Art poétique, vers 3‑4, avec desinit (indicatif) pour desinat (conditionnel).
- Pour dire que la montagne accouche d’une souris.
- Séné (v. note [6], lettre 15) et réglisse (v. note [69], lettre latine 351) étaient deux purgatifs végétaux chers aux médecins parisiens. J’ai emprunté à Furetière le sens figuré du verbe « fricasser » : « consommer son bien en débauche et en bonne chère, ou même en mauvais ménage. »
- Un des maîtres de Jean Héroard en médecine, v. supra note [28]. Courtaud l’a loué page 29 :
Sapiens cum re mutat consilium. Hoc primi nostri proceres fecerunt ; et omnes qui candide suos errores confitentur ut publico prosint ; dum enim confitentur, docentis munus exercent. Hoc idem a vobis desiderat consulitque, præter Fernelium, nobilis et vere prius vester doctusque Duretus, cuius de cautione phlebotomiæ loquentis, verborum acumen, instar oraculi vobis esto.[Le sage change d’avis devant les faits. C’est ce qu’ont fait nos premiers maîtres, et tous ceux qui ont humblement confessé leurs erreurs pour être utiles au public, car ils les ont reconnues du haut de leurs chaires professorales. C’est bien là ce qui vous manque ; mais outre Fernel, c’est aussi ce que conseille Duret, qui a été le plus éminent et le plus savant d’entre vous, et dont la pénétration des propos, à l’instar d’un oracle, vous a mis en garde quand il parlait de la phlébotomie].
- Hellénisme, ευεργητες, « bienfaiteur ».
- Seule possible attaque masquée contre Charles Guillemeau que j’aie su trouver dans l’Oratio de Courtaud.
- Symbole de la sagesse et de toutes les formes du savoir, v. note [13], lettre 6.
- V. note [13], lettre 99.
- Curieuse mais intelligible allégorie médicale : philomela est la métonymie de Philomèle, héroïne mythique, sœur de Progné, épouse de Térée, qui lui avait donné un fils nommé Ithys ; Térée s’éprend follement de Philomèle, la séquestre et la viole ; Progné et sa sœur se vengent sauvagement en sacrifiant Ithys ; elles cuisinent ses membres et les font manger à Térée ; le repas fini, Philomèle jette la tête d’Ithys sur la table ; Térée prend ses armes pour les tuer, mais les deux sœurs lui échappent en se transformant l’une en rossignol et l’autre en hirondelle.
- Fâcheux effet que peut avoir une purgation trop drastique sur le fondement. Médicament ordinairement frelaté, la pierre de bézoard était souvent enrichie d’antimoine (v. note [9], lettre 5).
- Je n’ai pas su traduire autrement qu’en tenant pelvi (datif de pelvis, chaudron) pour une coquille d’imprimerie, à la place de pluvia (pluie).
Quand il a été bien battu, le grain de blé ne laisse que du son, sans le moindre résidu de farine : le laver à grande eau n’en extrait aucune substance nutritive.
- Dans le mythe, la beauté d’Atalante, fille de Schénée, roi de Scyros, lui valait d’attirer quantité de prétendants ; mais son entraînement à la chasse et à la course lui permettait toujours de les distancer ; pour aider Hippomène à l’attraper, Vénus lui donne trois pommes d’or cueuilies au jardin des Hespérides ; il les pose adroitement de loin en loin dans le champ où il doit poursuivre la princesse ; en fuyant, elle voit les joyaux, et freine son élan pour les ramasser ; Hippomène la dépasse et gagne le droit de l’épouser.
Soulié et Barthélemy ont infidèlement traduit et passablement peiné à comprendre le latin barbelé de Guillemeau dans les deux extraits du Cani miuro qu’ils citent, avec quelques fâcheux contresens.
Riolanus Lutetiæ natus est Patre, qua Literarum et Medicinæ nomen patet, inter primores artis eminenti Doctore Scriptoreque : nec a paterna gloria descivit, sed partam {a} auxit, amplificavit, exornavit. Ioannes Heroardus Mompelii tonsorem patrem habuit, ipse infra tonsores omnes imperitia fuit. Ioannes Riolanus Sacris Medicis in principis Scholæ curriculo feliciter operatus, primi Loci missionem ita consecutus est ut perpetuo retinuerit. Ioannes Heroardus nullius Iatrices Doctor fuit, et haud scio an vestri quoque collegii Baccelarius, quod ei, audiente magno Consilio Scholæ tum Decanus Carolus, tam diserte vereque objecit, ut probarit : at ipse, quoad vixit, manifestius quam ullus adversarius posset, convicit. Ioannes Riolanus Medicinam in Urbe annis plus quadraginta insigniter et docuit et fecit. Ioannes Heroardus prælectiones Medicas vix totidem excepit, quam quotannos Riolanus celeberrime præcepit. Ioannis Rioloani opus est, ingens illud in orbe Medico, in Literarum ditione, immortale, divini in humana fabrica opificii monumentum. Ioannis Heroardi dignum Hippiatro documentum Hippostologia est : atque utinam, exclamat Gallia, equarius tantum, non Regis In-medicus existisset ![Jean Riolan est né à Paris, ville dont partout s’étend le renom littéraire et médical, d’un père qui fut un éminent savant et écrivain, parmi les tout premiers de l’art ; et il n’a pas trahi la gloire paternelle, il y a au contraire ajouté sa part, l’a amplifiée, l’a embellie. Jean Héroard eut pour père un barbier de Montpellier, dont le seul talent fut d’être le pire de tous les barbiers. Jean Riolan, après que les cours de la Faculté l’eurent heureusement formé aux principes de médecine, y a obtenu le premier lieu de la licence avec un tel éclat qu’on en garde le perpétuel souvenir. {b} Jean Héroard ne fut jamais docteur en médecine, et je ne sais pas s’il a même été bachelier de votre Collège, parce que lors de son audition par le grand Conseil de l’École, Charles, le doyen d’alors, s’y opposa avec une conviction et une éloquence telles qu’il a été approuvé ; et aussi longtemps qu’il a vécu, il a personnellement confirmé son refus, avec plus d’obstination que nul adversaire n’aurait pu y mettre. {c} Jean Riolan a à la fois remarquablement exercé et enseigné la médecine dans la capitale pendant plus de quarante ans. Le nombre des cours de médecine que Jean Héroard a suivis égale à peine celui des années où Riolan a professé avec une notoriété distinguée. L’immense ouvrage de Jean Riolan {d} est un immortel monument sur l’anatomie humaine, dont l’essence est divine, pour le monde médical et la gloire des lettres. L’Hippostologie de Jean Héroard {e} est une leçon digne d’un hippiatre : et Dieu eût voulu, s’exclame la France, qu’il n’eût existé que comme médecin des chevaux, plutôt que comme non-médecin du roi !]
- Sic pour partem.
- En 1604, Jean ii Riolan fut en même temps reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, et professeur royal d’anatomie et de botanique, en succession de son oncle Simon ii Piètre (v. note [7], lettre 51).
- V. note [1], lettre 139, pour le baccalauréat de Montpellier qui précédait d’une année (voire moins) le doctorat en médecine (après un total de quatre à cinq inscriptions annuelles à l’Université) : ce grade y avait donc plus de valeur académique qu’à Paris, où le bachelier devait étudier trois années supplémentaires pour devenir docteur (après un total de sept inscriptions à la Faculté).
Cet ajournement de Jean Héroard va à l’encontre de ce qu’a écrit Jean Astruc (v. supra note [48]) sur son doctorat. À ma connaissance, aucun doyen de Montpellier au xvie s. n’a porté le nom ou le prénom de Charles (Carolus). Héroard a étudié dans cette Université sous le long décanat d’Antoine Saporta (1552-1588).
- Les trois éditions de son Anthropographie (Paris, 1618, 1626, 1649, v. note [25], lettre 146), complétées par son Manuel anatomique et pathologique et ses divers Opuscules anatomiques.
- V. supra note [57].
Page 38 : {a}
Non igitur cum præstantissimo Medico Ioanne Riolano, quod sine atroci hujus injuria fieri non potest, componendus Heroardus tuus, sed cum Afris illis fascinantibus, quorum etiam laudatione, qualis avunculi tui Ludovicotrophia fuerat, intereant probata, arescant arbores, emoriantur infantes. Cum ejusdem generis Triballis et Illyriis, qui visu quoque effascinent, interimantque quos diutius intueantur. Ah Regem optimum nimis, ah nimis diu, nimis male tuitus est Heroardus ! Cum feminis in Scythia, quæ vocantur Bythiæ ; cum Thibiorum genere in Ponto, quorum notas tradit Philarchus apud Plinium, in altero oculo geminam pupillam, in altero equi effigiem habere, quod Philiatrorum fortasse quispiam de Hippiatro, et Archiatro scilicet Heroardo interpretabitur ; sicuti eosdem quoque non posse mergi, ne veste quidem degravatos, ut ille mergi, supprimi, removeri tamdiu meritus, mersit vitam Regis sui nec mersus est (ô pertinacem decrepiti senis avaritiam, ambitionem obfirmatam, inhærescendi, immoriendi, necandique mortiferam obstinationem !) cum stirpe denique Pharnacum in Æthiopia Heroardum, committant, quorum odor sudorque tabem contactis corporibus adferat : quod de avunculo tuo patientissima quamvis Regis facilitas assidue conquerebatur.[Ton Héroard ne peut donc être comparé avec Jean Riolan, sans faire atroce injure à ce très éminent médecin, mais il est bien à comparer à ces charmeurs africains qui, par leurs incantations, telle que fut la Ludovicotrophie de ton oncle, tueraient les troupeaux, sécheraient les arbres, feraient mourir les petits enfants ; aux Triballes et aux Illyriens, de même engeance, qui même ensorcellent par leur regard, et ôtent la vie à ceux qu’ils fixent longtemps (ah, qu’hélas Héroard a donc trop soigné notre excellent roi ! et trop longtemps, et trop mal !) ; aux femmes de Scythie qu’on appelle des Bythies ; aux Thibiens du Pont, dont Philarque, dit Pline, a remarqué qu’un des yeux a deux pupilles, et l’autre reflète l’image d’un cheval (ce qu’on interprétera comme la marque de tous ceux qui étudient l’hippiatrie, et notamment de l’archiatre Héroard) ; et aussi à ceux qu’on ne peut noyer, même si on les a dépouillés de leurs vêtements, comme cet homme, qui a si longtemps mérité d’être immergé, supprimé, chassé, et qui, faute de l’avoir été, a englouti la vie de son roi (ô tenace jalousie d’un vieillard décrépit, insatiable ambition, obstination mortifère à s’accrocher, à se tuer à la tâche et à détruire !) ; et enfin à la race des Pharnaques d’Éthiopie dont, à l’instar de Héroard, l’odeur et la sueur (le roi déplorait constamment celles de ton oncle, bien qu’il fût d’une urbanité capable de tout endurer) procurent la consomption aux corps qu’ils ont touchés]. {b}
- La page 38 est la dernière du Cani miuro, brûlot que Guillemeau ose conclure avec cette maxime de Publilius Syrus (v. note [9], lettre 511) :
Contumeliam nec fortis potest, nec ingenuus pati.[Le brave ne supporte pas d’affront, l’homme bien né n’en commet pas].
- Guillemeau a emprunté toute sa magie maléfique (et ses ses quelques curiosités syntaxiques) à l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (livre vii, chapitre ii, Littré Pli, volume 1, pages 281‑282) :
In eadem Africa familias quasdam effascinantium, Isigonus et Nymphodorus : quorum laudatione intereant probata, arescant arbores, emoriantur infantes. Esse ejusdem generis in Triballis et Illyris adjicit Isigonus, qui visu quoque effascinent interimantque quos diutius intueantur, iratis præcipue oculis : quod eorum malum facilius sentire puberes. Notabilius esse quod pupillas binas in oculis singulis habeant. Hujus generis et feminas in Scythia, quæ Bithyæ vocantur, prodit Apollonides. Phylarchus et in Ponto Thibiorum genus, multosque alios ejusdem naturæ, quorum notas tradit in altero oculo geminam pupillam, in altero equi effigiem. Eosdem præterea non posse mergi, ne veste quidem degravatos. Haud dissimile iis genus Pharnacum in Æthiopia prodidit Damon, quorum sudor tabem contactis corporibus afferat.« Dans la même Afrique sont, d’après Isigone et Nymphodore, {i} des familles de fascinateurs qui, par la vertu de paroles enchantées, font périr les troupeaux, sécher les arbres, et mourir les enfants. Isigone ajoute que chez les Triballes et les Illyriens {ii} il y a des individus de même espèce qui fascinent par leurs regards, et donnent la mort à ceux sur lesquels ils fixent longtemps leurs yeux, surtout leurs yeux courroucés ; les adultes ressentent plus facilement leur influence funeste. Il est remarquable qu’ils ont deux pupilles à chaque œil. Apollonides {iii} dit qu’il y a en Scythie des femmes de cette espèce qu’on appelle des Bythies. Phylarque {iv} place dans le Pont les Thibiens {v} et beaucoup d’autres de même espèce, qu’on reconnaît, dit-il, parce qu’ils ont dans un œil une pupille double, et dans l’autre, l’effigie d’un cheval ; et qui de plus, ne peuvent être submergés, même chargés de vêtements. Damon {vi} a parlé de gens semblables en Éthiopie, les Pharnaques, dont la sueur cause la consomption à ceux qu’elle touche. »
- Isigonus de Nicée est un obscur écrivain grec du ier s. avant ou après J.‑C., auteur de Paradoxes.
Nymphodore de Syracuse est un historien et géographe grec du ive s. av. J.‑C., dont les écrits se réduisent aujourd’hui à quelques fragments.
- Les Triballes étaient un peuple de Thrace. L’Illyrie correspond aux pays qui bordent la rive orientale de la mer Adriatique, de la Slovénie à l’Albanie.
- Probablement Apollonidès de Nicée, grammairien grec du ier s.de notre ère.
- Historien grec du iie s. av. J.‑C.
- Peuple mal identifié des rives du Pont-Euxin (mer Noire).
- Probablement le philosophe pythagoricien grec du ive s. av. J.‑C.
V. note [46], lettre 226, pour Claude de Rouvroy, duc de Saint-Simon, père de Louis, le célèbre mémorialiste.
Charles Guillemeau a notamment rendu hommage à Saint-Simon quand il a évoqué sa candidature à la succession de Jean Héroard (en 1628, Cani miuro, page 32) :
Rex nuperrime illustrissimum jam a Sancto Simone Ducem tum Prothyspaspisten, Cubiculi Nobilem Primarium, inconsulto Richelio, quod huic mortis erat instar, creaverat : de me tam liberum non habebat, quam vellet, invito illo actum peragere ac obtinere. Ita non semper illis quod libet, licet : et sibi quod vehementer volunt, non licere tamen interdum perferunt : verumtamen cum corde suo cogitat, mihique per gratiosissimum illum a Sancto Simone Ducem nunciat, rem mihi ratam esse, perficerem modo de ea sibi, ut Regina Mater, velle se, verbo testaretur. Causam sibi eam fore, ut instanti Richelio, quod nolens receperit, eo exolvatur.[Le roi avait tout récemment nommé premier écuyer et premier gentilhomme de la Chambre le déjà très illustre duc de Saint-Simon, {a} mais sans avoir consulté Richelieu, ce qui était comme un arrêt de mort pour le duc. Le roi n’avait pas été aussi libre qu’il le voulait d’agir à mon égard, en me procurant jusqu’au bout son soutien à l’insu du cardinal. Ainsi n’est-il pas toujours permis à ces gens de faire ce qui leur plaît ; parfois ils n’ont pas la licence de décider seuls ce qu’ils veulent pourtant ardemment. Toutefois, le roi écoute son cœur et me fait annoncer par le duc de Saint-Simon, son principal favori, que mon affaire est arrêtée et que je parviendrai à mon but pourvu qu’un mot de la reine mère atteste de son accord. Elle va plaider ma cause auprès de Richelieu, qui la rejette instamment et sans appel]. {b}
- Saint-Simon a été nommé premier écuyer (v. supra note [29]) en 1627 et premier gentilhomme l’année suivante.
V. supra note [38] pour hypaspistês (écuyer), ici déformé en hyspaspistês et associé au préfixe proto (premier).
- J’ai trouvé inutile de m’échiner à traduire la suite : dans son sabir latin rébarbatif, Guillemeau y détaille à foison les intrigues de cour qui l’empêchèrent d’accéder à la charge de premier médecin. Il y met surtout en avant François Vautier (v. supra note [7]), déjà premier médecin de Marie de Médicis, qui briguait aussi celle d’archiatre royal. Il ne parvint bien sûr pas à cumuler les deux fonctions, en dépit du soutien de Richelieu, qui l’employait à espionner Leurs Majestés.
« Matricule de l’Université de médecine de Montpellier (1503-1599) publié par Marcel Gouron, Genève, [E. Droz,] 1957 » (note de Madeleine Foisil).
V. note [3], lettre 102, pour Honoré Castellan (ou Du Chastel), mort en 1569.
Jean Hucher, mort en 1603, a été docteur (1567), doyen (1578), puis chancelier (1583) de l’Université de médecine de Montpellier (Jean Astruc, livre iv, pages 245‑246).
Gilbert Héroard n’a pas été nommé « docteur régent » (sic pour professeur titulaire) de Montpellier, mais il y a donné des leçons entre 1555 et 1593 (selon Dulieu, v. supra note [47]).
V. supra note [48] pour mes doutes sur la « date essentielle » du 17 août 1571. En revanche, je partage l’insistance de Madeleine Foisil sur 1574, l’année où Jean Héroard « quitte Montpellier pour ne plus y revenir ».
Selon les précieuses informations fournies par Marie-Pierre Litaudon (v. supra note [47], notule {a}), Foisil confondait ici Gilbert Héroard, le médecin, et son frère Guillaume, le secrétaire du roi. Pierre, sieur du Mesnil, et Jean, sieur de Raincy, étaient sans doute fils de Guillaume et non de Gilbert.
Raymond Phélypeaux, seigneur d’Herbault et de La Vrillière (1560-1629), père de Louis (v. note [1], lettre 222), fit carrière sous le règne de Henri iv et de Louis xiii ; il fut secrétaire d’État aux Affaires étrangères de 1626 à 1629.
V. notes [5] du Borboniana 8 manuscrit pour Nicolas i de Neufville de Villeroy, et [6], lettre 550, pour Marc Miron, premier médecin du roi Henri iii, qui le congédia en 1588.
« Le Moulin de Charenton sans farine, ou Discours contre les thrasonismes [fanfaronnades], impudences et hérésies de Pierre Du Moulin, 1618, in‑8o, 32. p. » (note de Madeleine Foisil).
Notre édition a plusieurs fois recouru aux Mémoires-journaux de Pierre de L’Estoile (1546-1611), qui couvrent les règnes de Henri iii et Henri iv. On y lit en septembre 1601 (édition de Paris, 1879, tome septième, pages 314‑315) :
« On donna pour nourrice à M. le Dauphin une nommée Poncet, fille d’une bonne mère, dévote ligueuse, nommée Hottoman, qu’on appelait “ la Mère des Seize ”, {a} et femme d’un mari qui ne valait guère ; mais pour son regard d’elle, {b} fort honnête femme, et la bonne façon de laquelle revenait fort à Leurs Majestés, principalement au roi, qui, nonobstant le dire de son médecin qui y en voulait mettre une autre, voulut absolument qu’elle le fût. {c}Pour médecin de M. le Dauphin, on y mit Héroard, à la faveur et recommandation de M. de Bouillon. {d} Et, pource que ledit Hérouard était de la Religion, on disait “ qu’on avait voulu marier Père Éternel et Agimus ensemble ”. » {e}
- Les Seize étaient les représentants des 16 quartiers de Paris qui avaient formé le Conseil insurrectionnel de la Ligue catholique (1589-1591).
- Quant à la dame Poncet.
- Le Borboniana 10 manuscrit a raconté la dispute vénale qu’il y eut entre Henri iv et son premier médecin, Jean Ribit de La Rivière, sur le choix de la nourrice du dauphin nouveau-né (v. ses notes [11] et [12])
- Unique mention, dans mes recherches, de Henri de la Tour d’Auvergne (v. note [2], lettre 187), protestant convaincu et père du maréchal de Turenne, comme protecteur de Héroard.
- La langue ironique du temps se référait au « Père Éternel » pour désigner les protestants, et à « Agimus » pour les catholiques : « Les réformés plaisantaient les catholiques sur l’usage de prier en latin, en les désignant par le mot Agimus. Les grâces latines commencent par le verbe agimus [gratias Deo] [nous rendons (grâces à Dieu)] qui devint le sobriquet des catholiques » (La Curne de Sainte-Palaye). Le mariage dont on entendait plaisanter était celui d’un médecin protestant et d’une nourrice catholique au service du dauphin.
Dans le tome suivant (1602-1607), je n’ai pas trouvé le passage où L’Estoile disait de Héroard qu’« un an plus tard, il était catholique ».
« Peiresc, Correspondance. Documents inédits pour servir à l’histoire de France, Paris, in‑4o, 1888, t. vii, p. 542 » (note de Madeleine Foisil).
Palamède Fabri de Valavez (1582-1638) était le frère de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (v. note [10], lettre 60). V. note [20], lettre 372, pour Charles de Lorraine, duc de Guise, fils du Balafré.
Jacques Guillemeau : De la Nourriture et gouvernement des enfants dès le commencement de leur naissance, et le moyen de les secourir et garantir des maladies qui leur peuvent survenir dès le ventre de leur mère, et premier âge (in‑8o de 202 pages). {a} Je n’ai pas eu accès à ce livre et à sa dédicace, mais à celle de sa réédition :
De la Grossesse et accouchement des femmes, du gouvernement d’icelles et moyen de survenir aux accidents qui leur arrivent ; ensemble, de la Nourriture des enfants ; par feu Jacques Guillemeau, chirurgien ordinaire du roi. Revu et augmenté de figures en taille-douce et de plusieurs maladies secrètes. Avec un Traité de l’Impuissance, par Charles Guillemeau, chirurgien ordinaire du roi. {b}
Intitulée À Monsieur Monsieur Héroard, seigneur de Vaugrigneuse, conseiller du roi en ses Conseils d’État et privé, et premier médecin de Sa Majesté, elle ne manque pas de surprendre :
« Ce petit ouvrage de feu mon père, qui vous fut acquis dès sa naissance, {c} m’oblige, remis sur la presse, et accru, ainsi qu’un héritage, de beaucoup de recherches appropriées au sujet, de vous le rendre et offrir derechef comme à son propriétaire, et comme à celui que la France honore pour l’excellence d’un savoir qui approche les hommes de la divinité, tirant, par manière de dire, du sépulcre ceux que les infirmités journalières y précipiteraient avant le temps. Je sais que votre facilité pèsera plus la sincérité du courage que la valeur du présent, qui ne peut être digne de vous que sortant de vous-même. Il me suffit que ce faible essai cultive de père en fils l’affection d’honorer un tel personnage, de qui la bienveillance me tient lieu d’un précieux et riche trésor. Recevez-le donc s’il vous plaît, en votre protection… »
- V. note [17], lettre 216, pour le libraire parisien Nicolas Buon.
- Paris Abraham Pacard, 1621, in‑8o de 1 091 pages.
- L’édition de 1609 dédiée par Jacques Guillemeau à Jean Héroard, que je n’ai pas vue.
Jacques Guillemeau (né en 1550) n’était pas médecin, mais pouvait avoir été élève de Jean i Riolan (docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1574, v. note [9], lettre 22), le père de Jean ii.
Dans les Œuvres de chirurgie de Jacques Guillemeau… (Paris, 1602, v. note [15], lettre 219), le Sommaire des livres et traités contenus en ce présent œuvre est accompagné de cette hybride apostrophe latine :
Lector.Authoris faciem sculptor, sed docta minister
Naturæ, quantus fuerit, te scripta docebunt.
Io. Heroardus Regis Med.Candidus imperti meliora, vel utere nostris :
Carpere vel noli nostra, vel ede tua.[Lecteur.
Le graveur (peut représenter) le portrait de l’auteur, {a} mais ses doctes écrits t’apprendront quel grand serviteur de la Nature il a été.
Jean Héroard, médecin du roi.Sois sincère, montres-en de meilleurs, ou recours aux nôtres : ou refuse de critiquer les nôtres, ou publie les tiennes]. {b}
- De nombreuses et splendides gravures illustrent cette édition, mais je n’y ai pas vu le portrait de Jacques Guillemeau, dessiné en 1585, qui a été imprimé dans ses Tables anatomiques… (Paris, 1586), avec ces deux vers anonymes que Héroard a maladroitement repris (en oubliant le verbe dont le premier ne peut se passer) :
Solus non poterat Guilmæum fingere pictor,
Parte sui scriptis hic meliore patet.
Anno Ætatis 35. 1585. A. Valleus fecit.[À lui tout seul, le peintre n’avait pu représenter Guillemeau, ce qu’il a écrit montre ici sa meilleure partie.
En sa 35e année d’âge. 1585. A. Valleus l’a gravé].- Cet autre distique plagie Horace : v. note [22], lettre 181.
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Audi nunc iam quod doleas,
quod ringare, quod expumes, et pessime tibi te, ac avunculo
tuo, dum à me verissimam rerum gestarum seriem invito ac
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nolente improbis maledictis extorsisti, velificatum sentias.
Ioanni Heroardo pater fuit I. tonsor Mompelliensis : is, futu-
rus Ludovici Regis Medicus Primarius (sic voluit Fortuna io-
cari) primis literulis levissime tinctus, Patris hortatu, qui fi-
lium è tonstrina Iatreion propelleret, dedit se excipiendis
illo in Studio Medicis, quas vocant, lectiunculis : quarum ille,
ut natus erat, Musis adversis, et Apolline nullo, brevi pertæ-
sus, male tentatam Medicinam valere iubet, nido avolat, sit
miles gregarius, et in iis quidem partibus, quæ duce Colinio,
Religionis nomen perduellioni obtendebant. Ei autem erat,
item ut Pater, et propinqui, addictus Heroardus. Montcon-
turii funesta illis acie concurritur. Ibi miles meus, ad primum
statim tonantium ballistarum crepitum, exanimatus, dat se
protinus in pedes, non ut denuo, sed ut ne unquam pugnaret,
Mompellium usque fuga illa, subinde respectantem, abstulit :
Ibi, dum vetere se ludo includit, per id tempus Iacobus Gui-
lemeus Regis Chirurgi filius, Regis Chirurgi nepos, Regis
mox Caroli Chirurgus ordinarius, Iuvenis, et plura discendi,
et nova visendi cupidus Mompelium venit : ibi, ut sit, usu et
commercio Scholarum, aut quo alio casu, in eius notitiam
Heroardus incidit, meliore suo fato, quam publico. Redit
Lutetiam ad partes muneris Guillemeus, cum rursus, ut im-
prosperæ militiæ, ita infelicium studiorum, ac Medicinæ, pœ-
nitens Heroardus, qui se ubivis, quam ubi erat, minus mise-
rum speraret futurum, Lutetiam, ubi aureos totos fieri homi-
nes audierat, contendit. Paucis quam advenerat, diebus oc-
currit bono suo genio Gillemeo, qui pro sua humanitate nec
oblitus nec aspernatus, sed amplexus hominem, petit quid
venerit, opem illi et studium suum non benignius pollicetur,
quam deinde præstat. Atque is : ô si mihi per te concilietur
vitæ subsidium aliquod, eò enim veni, ut miserias illas relinque-
rem ! Pater meus, qui Ambrosii Paræi Caroli Regis Chirurgi
Primarii contubernio utebatur, mandatum ipsi à Rege ait, ex-
quireret iuvenem idoneum aliquem, qui rem equariam, equo-
rumque morbos, accurate disceret, ac sibi Hippiater esset.
Tum Heroardus arripere optatissimam spem, et nihil malle,
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quam in Regis familia quocumque loco esse. Agit illico cum
Paræo Guillemeus : venit, ut constitutum erat, Paræi domum
Heroardus, hunc sibi à Guillemeo enixe commendatum et
traditum, Vincennas ad Regem deducit Paræus, pila se Rex
de more oblectabat. Et Paræus, Adduxi, Domine, qualem
jusseras Equi medicum futurum : et Rex, se improbaturum ne-
gat, quem ipse probarit, in familia conscribi Ioan. Heroardum
Hippiatrum jubet, quadringentas libras annuas adsignat. In eo
et nomine et munere aliquamdiu egit, fautore, qui autor fue-
rat, Guillemeo beneficium suum tuente. Vita functo Rege
Carolo, cui venatus, canes, equi studium, lusus et voluptas
erant, successit Henricus, qui, ut sæpe diversa sunt et Regum
et Fratrum ingenia studiaque, non perinde istis afficeretur, fri-
gere, jacere tum Hippiater, et quid se fieret incertus, ad amicum
certum Guillemeum ventitare, implorare, orare ut subveniat
sibi. Curare Guillemeus et tutari, quem semel in fidem susce-
pisset, niti prospicere. Erat Annas Ioyeusa Regis Hephæstion
alter, hunc Guillemeus fideli, felici ope atque opera ita deme-
ruerat, ut præcipuam ei fidem haberet : ea gratia fretus Gil-
lemeus, et de cliente suo Heroardo amice cogitans, hæc ad
Ioyeusam Ducem, capto tempore, libere nec injucunde : Ti-
bi, Domine, in tam ampla lectaque familia deest, qui Roma-
nis illis Proceribus nunquam deerat, privatus et domesticus
Medicus. Is tibi habendus est, et propemodum inveni, cujus
artem et industriam non contemnas. Illi ego, ut conciliator,
ita præs sum : nomen edit. Audito nomine Ioyeusa in risum
effusus ; Ego te, mi Guillemee, et hominem, et amicum puta-
vi, at tu me equum putas, qui equorum medicum usque perpe-
tuum nomen hæsit. Et pater, qua erat benevoli animi firmi-
tate : At eum ego tibi hominum Medicum affirmo, cui studio
et Mompelii in patria naviter operatus est, et Lutetiæ celebri
illi Dureto assiduam operam dedit, equorum medicum fieri se
passus est, quod pro magno ac beato duceret, in Regis famu-
litio quocumque numero censeri. Instare, ne rejiciat, quem
nunquam ipsi, nisi per-idoneum norit, offerat. Victus ea per-
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sevenretia Ioyeusa Guillemei clientem in familiam asciscit, ali-
quanto deinde post, Guillemeus, tanquam germanus ei frater
esset Heroardus, ita de ejus commodis et honestate cogitans,
sic cum eo : Ut Equi medici, inquit, nomen exuas, eamque
famam extinguas, agendum nobis cum nostro Heroë, ut Hip-
ponis regii Domesticorum, adeoque Hipponis (de l’Escurie)
Medicum præfici te velit, iisdem stipendiis, quæ tu Hippiatri
nomine à Carolo Rege capiebas : nec difficile, mutato modo
nomine, munus in te id transcribetur. Annitente Guillemeo
transacta res : nec longo deinde moranti tempore, Guillemei
adnixu atque ope, Ioyeusæ heri, cui nihil negabatur, gratia,
Regis quoque Medicus factus est, ex eorum albo, quos Thera-
pontas .s. servientes vocant. Constat adhuc, et ad extremum us-
que constabit, Guillemei clausa nunquam in Heroardum be-
nignitas, qui, si quid in vita fuit, non per se, non per alium
quenquam, sed per unum mortalium Gillemeum, fuit, qui
ejus imperitiam in se apud Ioyeusam recepisset, et ab illo sæpe
audiret per jocum, ea viri comitas et urbanitas erat, At tu mi-
hi equorum medicum, Medicum admovisti : cæterum, qui
spondet, luit : ejus tu mihi vicem supplebis implebisque. Et
ad Regem, ut erat omnium ipsi horarum amicus, Miraberis,
Domine, metamorphosin meam, cum audies, me in equum,
at non qua Saturnum fabulantur de causa transformatum esse,
nam mihi velut equo, medicus est equorum medicus. Verum
fato potentiæ raro diuturnæ, rarius perpetuæ ; nunquam au-
tem, si nimia est, satis fidæ, refrigerata gratia, Ioyeusa honoris
et imperii specie amandatur adversus Duces copiarum, quæ
Religionis libertate vim suam prætexebant. Et Heroardus,
seu bellum refugiebat, neque dum à Monconturiano pavore
se receperat, seu de immutato in Ioyeusam Regis animo, homo
acriter suspicax, et auscultator, inaudierat, herum de se opti-
me meritum quique ipsum ab Hippiatri vilitate ad Medico-
rum ordinem transtulisset, fædissime ingratissimeque deserit.
Cujus flagitii culpam, is, cui omnia ille debebat, sustinuit
Guillemeus. Ad quem Ioyeusa exprobranti similis, Tu mihi,
Amice, et Equi-medicum, et ingratum applicuisti, sed abeat
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iste tua tam enixa commendatione, tam solicita defensione,
indignus. Ego illo facile carui Medico, et carebo. Accidit
Ioyeusæ clades : substare in Aula, sed Guillemei semper admi-
niculis ac præsidio Heroardus ; quem bene-merendi, beneque
faciendi assiduitate annos quadraginta sic prosequutus est, ut
quem et Hippiatron et regium Medicum fecerat, Archiatron
videret. Sublato per impium ac nefarium scelus Henrico, hu-
manissimo Principe, spretus, contemptus, abjectus, nullius in
Aula, nisi Hippiatrici nominis Heroardus ; hærescit tamen in
Regis successoris maximi Comitiva, imo fastidiis potius adhæ-
rescit : quo se tamen verteret, non habebat, cum nemini con-
suleret, à nemine consuleretur : Cæterorum autem colloquium
commerciumque Medicorum, imperitiæ sibi suæ, et ultimæ
inscitiæ conscius, sic ut creditorem decoctor reformidaret.
Lugdunum Rex venit ad exeoptatum bonis omnibus conju-
gium ; tum Heroardus, qui hanc unam prognosin haberet re-
rum ac fortunarum suarum, ac prognosticus in eo certe esset,
si minus Medicus, tentat, si quam sibi viam munire possit ad
munus Medici (ut naturam quoque antevertit cupiditas) na-
scituri Delphini. Sentiebat, se neque nomen, neque auto-
ritatis quidquam, imo alia omnia ad spem tantam affer-
re : pecunia, quæ non donat ? grassatur, corradit octin-
gentos nummos, quos in manum ferat Archiatro Iano de la
Riviere : sed et preces in eam rem allegat ad commissimum illum
Rogerum Bellagardam Archihypastpiten, id est, Armige-
rum magnum, ut se Hipponis famulitii, cujus Magister ille,
Medicum, Delphini Domini vel in omen, Medicum legendum
curet. Et Bellagarda, qui vix quidquam, obviæ vir comita-
tis, negare posset, agit cum Rege. Audit, Nondum nato, nondum
opus esse Medico : Filius sibi si contingerit, non tamen adhibiturum
equi medicum. quo nomine ita famosus erat, ut eo nomine Re-
gi quoque innotuisset : esse Lutetiæ in-primis, esse in Regno suo,
amplissimam copiam Medicorum, penes autem se, delectum.
Tu vero, inquit, Equilis Magister, equorum nobis Medicum
obtrudis. Major me, ut rem video, quam te, meorum cura
tangit. Orto mox ad populorum votum Delphino, instare
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Heroardus, et spes suas perurgere, patrono eodem, qui cœ-
ptis non absistebat, Bellagarda, at si animantem satis nosset, in
equili vix esse locum ei pateretur. Pergit commendare, id-
que eo enixius jam, quo certius. Et Rex, ad Ianum illum Me-
dicum suum, qui tum ab Heroardo summonitus aderat ; Scis,
ait, quem Filio meo Medicum destinet Bellagarda ? Celebrem
illum et notum equorum medicum ; et Archiater, cui os auro
fictum esset, Non potest, Domine, magis idoneus quisquam
infantibus Medicus apponi, quam qui nihil moveat, nihil præ-
scribat : quibus nutricis uber largum et salubre pro Medico ac
medicina est, sin aliquis Medici usus erit, nusquam abero. Tum
Rex, precibus vinci se ita, passus est, ut sagacissimus inspector
notorque, et quem Equi medici vel odor vetus offenderet bo-
nus heu nimium ! Et facilis, non negarit : Medici autem sui cu-
ra et arte, non istius, acquierit. Tamen, ut res hominesque
consuetudine coalescunt, neque fere nisi per ruïnam, etiam
vitiosæ trabes summoventur, passa est Aula, passus est Rex cle-
mentissimus annos 9. stirpis suæ, nomine tenus medicum, cui
nemo privatus, nisi qui non nosset, demulcendos pedes com-
mitteret. Extinctus est Sol ille Galliarum, lumen seculi, Re-
gum decus. Præstrictis oppressisque illa nocte, quam sempi-
ternam horrebamus, omnium mentibus, ut in turbidis quæ in
fundo, sic in Delphini jam Regis, qui Rex natus esset. Medici
munere subsedit Heroardus : cum eum quidem prorsus amo-
vendum censerent omnes, interim tamen ferendum, quoad
constutis rebus, idoneus sufficeretur. Eaque Reginæ ac Pro-
cerum mens erat. Cumque dignissimus ac verissimus Medicus
quæreretur, occurrebat, non magis publicæ famæ, quam salu-
taris operæ, ac præstantium meritorum suffragio, Simon Pie-
treus, Simonis Filius, Nicolai, et ipsius Medici consummatissi-
mi, Frater, quem Medicinæ tantum vindicem, et expurgato-
rem, vere dixeris, quanta hominum vindex et expurgatrix Me-
dicina est : virum, cujus nec integritati Catonem, nec judicio
Hippocratem, nec scientiæ Galenum, anteferres ; cui salutem
suam Medicina melior debet, quam à Pharmacopœorum sum-
ptuosis offuciis, ab Agyrtarum præstigiis, Planorum fraudibus,
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Ciniflorum fumis, Stibianiatrorum venenis, in priscam gene-
rosamque libertatem asseruit. Is, ut erat à cupiditate ambituque
remortissimus, sperare magis quam optare : Tametsi ultro de-
lati ad eum Archiatri codicilli erant. At ille, dignissimum esse
se malebat, quam per se indignissimum depelli, et summæ in-
terim autoritatis (ipsa etenim virtus pretium sibi), fructu con-
tentus esse. Agitur cum Heroardo, ut det locum melioribus :
Ille obluctari, reniti, et, ut polypus ad saxum, ad eam quam
amplexu necat arborem tenacissima hereda, adhærescere.
Non leve negotium esse dicere, notum, assuetum, et Regii
temperamenti inde ab ortu prognatum, abspellere, si quid
Regi accidat, non defuturos qui pro se loquantur, et consilium
ex eventu damnent. Urgent nihilominus rerum Administri,
veniam ut oret tanti muneris, tanti oneris, neque ex Aula sic,
ut è naufragio nudum, discessurum spondent. Parata ipsi
commoda. Ille rerum et rationum suarum diligentissimus, Ra-
tionum Magistri munus poscit, defertur Auditoris : honestum
autem esse, prima sequentem, in secundis tertiisve consistere :
cum semper incerto statu pependisset, ut cujus de inscientia Au-
la omnis non suspicaretur modo, sed crederet, intervenit Con-
cini supplicium, et conversa, ut humana sunt, rerum facies. In
quo sibi gaudere potuit, at non debuit, idem esse suum et Gal-
liæ fatum : quando illo fluctu in portum quodammodo proje-
ctus est, si portus tamen, et non æstus est atque jactatio, in Au-
la Primum esse loci ejus, cui ne insimus quidem, omnium judi-
cio, permittatur. Sed utatur, fruatur sane, per me licet, dum
Primarius Regis Medicus id, quod non est, Equorum Medi-
cus id, quod fuit, audiat.
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Nunc ad Heroardum ne quid in votis, et infelicio-
ribus Monspeliensis Medicorum Universitatis auspi-
ciis desideretur. Illustrissimus Ioannes Heroardus ad
urbem Lutetiam totum Galliæ nobilissimum caput
Valgridii debito clientelæ ditionisque iure dominus,
quem amplissimus locus ut illustris inter nobiles, et
eximios sui temporis viros plurimum et Generis et
Nobilitatis titulis illustravit Monspelii non longe
ab Apollinis Æsculapi fano diem suum Natalem
XI. Kal. Aug. quo die virtutibus nitens et Ægyptia
nostra Maria tersis adorandi Christi suo illo Amico
Capillitio pedibus ad beatas sedes sacro pænitentiæ
lauacro munita præclaraque ad miraculum evolavit,
AN. M. DI. {a} novus velut sol oriens decoravit. Hæc
Natalitia, et Monspelio, et Æsculapio, et Galliæ, et
cæteris omnibus nunquam adversa futuri quidem
- Sic pour : M. DLI.
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hominis præsentis ominis et nominis apud posteros
lactescens uberioris glebæ patriique soli succus pin-
guis, et igni proximus, tantum puerulum, in cuius
Guillemei forte lubricam ac perfidam ex ingrati
animi vitio fortunam, vagientem pueritiam, imo
prima tenellæ adhuc, et adolescentis ætatis primor-
dia addiscendorum quorumcunque non parum cu-
pidæ, ac de probis quam maximè ex augurato solli-
citæ totis viribus arrepsit, et effinxit, quorum post-
hac beneficiis, atque lenociniis illaqueatus hic pau-
cis intermissis decurrentis indefessi temporis moti-
bus sic sedulam Medicinæ salubris artis consequen-
do decori eamque navavit operam, ut cæteris postha-
bitis, cum Sacros illos Apollinis lares veneraretur Pa-
naceam Deam totis animis amplexatus Doctoratus
in hac arte salubri ac omnium nobilissima lauream id
temporis immortalem esset assequutus ni universa Gal-
lia bellis intestinis turgens, pressa peneque labefactata,
atque vastata Heroardum et sortis præstantia, et animi
magnitudine, et generis pro Rege, pro Patris necessi-
tudine, et familiæ nobilitate ab incœpto statim revo-
casset. Hoc animatus, ac motus Heroardus amico
Genio, Martem, Bellonam si videat, licet horrendis pe-
riculis iactatus gloriatur, salit, literas exulat Medicinam
saluberrimam, ac sapientissimam artem relinquit.
Abdicat studia, Gladio se vovet, quem genus illustre
paraverat, Lateri ab Hippocrate Galeno, necnon
et ab Avicenna paululùm deficiens ensem aptando
dum bilis maturiùs effervescebat, constanter accommo-
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dat, deditaque operâ, ac identidem ab officio nus-
quam deflectens umbratilis rudibus ludit, apprimè
utitur, ac semper annuente Palæstritâ rem istam lu-
dicram, in qua cum inaudita solertia versabatur peritè
tractat, ac conficit. Missis factis Medicinæ cupediis,
gratuitæ operæ miles bello sese majorum gloria clarus
accingit, eoque tempore, quo Condæus, cui se fortè
et arte et sorte denoverat, {a} et Colinius, cuius vota ca-
straque sequebatur, effractis Parisiensium moeni-
bus summam ruinam minabantur, parvo comitatu
amicorumque conventu succinctus inter leves di-
stantibus in locis vario mutuove Marte conflictus,
qui tum hinc inde præludiorum instar extitêre, glo-
riosè depugnat, et coactis dein acerrimo prælio co-
piis minatur, intercipit, irrumpit, vincit Bassaco-
que sive Iarnaco cui strenuus interfuit, in sinibus
Xantonum prælio, quo Condæus licet non tumul-
tu, sed consilio rem administraret, occubuit, inter
certandum depugnandumque majorum famæ nihil
detraxit, à qua strage Dei benificio salvus et ere-
ptus unâ cum Colino rapta fugâ, salvo sed adversæ
fortunæ invito prorsus impetu Pictavium oppu-
gnandum expugnadumque constanter adit. Hinc
ab Henrico Guysio pulsus exercitus belli totius
aleam ad Moncontorium probat, pugnatum acer-
rimè, in qua pertinaci quidem, et instructissima pu-
gnâ dum Colinius urgebat, instabat, addebat ani-
mos fugientibus, paventibus occursabat, monebat
cædentes ab adversis hostibus non levem victoriam
reportavit, quo facto Condæoque confecto, ac in-
- Sic pour : dinoverat.
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terempto cuius authoritate nitebatur Monspe-
lium, ac ibi Medicinæ intermissa paululum studia
denuo cogitat, redit, ac amplexatur. In quibus ita
inter cæteros qui cum eo sæpè gratis et amicis disser-
tationibus congrediebantur, effloruit ; ut emenso
tot difficultatum Oceano è bellica peritia in Medici-
na Doctoratus gradu initiatus, Doctorque communi
omnium, qui tum Professores rei præerant, suffra-
gio designatus intra paucos dies et Hippocratis, et
Æsculapii non Botalli circulatoris Medicæ Praxeos
Empirico-methodicæ Scholæ Parisiensis authoris
prole dignus, ac doctrinâ fuerit habitus et acceptus.
Hac illustrium instructus acie, qua plurimi emine-
bant, et consanguineorum et amicorum, quorum
authoritas apud Regem quamplurimos æquabat, spe
et auxilio fretus eorumque gratis monitis non mi-
nimum commotus, inter quos celeberrimus ille
Laurentius Fizius à sanctiorum Conciliorum Epi-
stolis eius patri charissimus, Franciscus Sabbaterius
sanctioris ærarii tribunus, eius avunculus, unâ cum
Desictæo eiusdem authoritatis et ordinis, Guillelmo
etiam Heroardo eiusdem consanguinatis altero à
commentariis regiis et sanctioribus consiliis vica-
riam operam navanti non ultimas tenuerunt ; au-
lam regiam adit, regem sectatur, Clarorum virorum
consuetudine non abutitur, ibi in explorata auda-
cter erumpit consilia, eius non inepta mens summa
ingenii acie, tum politiorum ingeniorum Acade-
miam perlustrat, ei nomen dat, ac dicat, in qua
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eam denuo sibi famam conciliavit ut Carolus Nonus
Galliarum Rex de eo visendo audiendoque sæpe
cogitarit, et ab eius consanguineis, ac iis quos fre-
quentissima amicissimaque cum eo constringebat
necessitudo sæpissime rogarit. Quibus tandem Re-
gi annuentibus pro munere, ac officio singulis à la-
teribus eum Heroardum fecit, ne eundem à se sejungi
unquam pateretur, multis monitis, ac singulari in
suos amore, ut arti Medicæ quâ multis hominum
morbis occurrebat, Hippiatriam ut dificillimam, et
elapsis sæculis plurimum commendatam adjiceret
suasit ac valuit, paret Heroardus et Regi et legi.
Cuius sedulam in hac operam Rex intuens, ut im-
mensas Heroardi curas, ac labores proposito quo-
dam Honorario Alphonsi Aragonum Regis in mo-
rem qui duos olim expertisimos in re Medica Do-
ctores in equorum et canum ægrotantium subsi-
dium, ac gratiam amplo conduxit stipendio, ei in arte
veterinaria statuente Rege, proposita regia
mercede ac sancita Provincia demandata est, ac
delegata. Quæ iam ut quondam in Heroardo velut
Authore apud omnes effulsit, et Kakia et Capono
et akakia non Apono fautoribus Societatis Medi-
cinæ Parisiensis asseclis, non plane sordescit ac silet.
Sed ad Heroardum ακακον et illustrem. Carolo Rege
denato, eius dicam Hero, hunc Henricus tertius Ca-
roli successor, et frater dum è Polonia ad Gallia-
rum Imperium rediret, obviam euntem in suum
cooptavit, et adscripsit, fert in oculis, in domesti-
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cum et commensalem Medicum adscivit. Tùm iubet
Rex ut Ducem in Italia Legatum à Ioyessa sequatur,
nec se aliò recipiat, paret Heroardus Ann. R.S. M.
D. XCIV. {a} Illustrissimo à Ioyessa Duci, non ut iam
multi, qui vulpina facie, sub nigris oculis superci-
lio, si altius videas, truci, demisso, pavidoque
animo toti Versipelles, quia Scholæ Parisiensis So-
cietati prorsus invisi, sed improbati Monspeliensis
Medicorum Universitatis Sociis clam insidiantes,
ut sibi suisque rebus domesticis tutius consulant,
Sordidæ etiam plebeculæ sese mancipant, morbis
expugnandis tuendæque sanitati præest arreptam
occasionem verbis extollit à Ioyessa, laudibus al-
tiori voce cumulat, et de tanto ab ipso rege acce
pto beneficio grates Dux hic immortales ipsi Regi
rependit. Heroardus tum apud eum generalissimum
Ducem magnæ est authoritatis. Proximus assidet
Heroardus, et quasi alter Cous Hippocrates si Xer
xem Persarum Regem lubens adiisset, pro solita
animi magnitudine de propositis præmiis absque
Honorario suam sortem vix curat, quem à Ioyessa
Heroardum ea singulari benevolentia prosequeba-
tur ut ei nulla sine Heroardo dies ; nullum sine He-
roardo consilium : nullus animi sine Heroardo mo
tus : nulla cum Aulicis amica sine Heroardi disce-
ptatio : in pace, Heroardus : in armis, Heroardus :
in fortuna, Heroardus : in bello, Heroardus : Orien-
ti a Ioyessa Duci Heroardus. Occidenti denique
semper et ubique et nusquam satis Heroardus. Nam
- Sic pour : M. D. XXCIV.
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Rex quondam Ann. M. D. XXCVII. Regno fu-
nestum imminens exitium veritus, Ducibus quos
ad se vocaverat ut iis veluti firmioribus sustentacu-
lis res tota niteretur, fide variis, dissimilibus amici
tiâ, prorsus et extra rationis metas dissoluta, licet
diverso fluctuum belli civilis æstu raptus et abre-
ptus per Ducem à Ioyessa dignitati consulendum,
serviendum Reipublicæ, invigilandum Regno,
Officio, at Majestati Regiæ rationem habendam
esse decrevit. Exercitui Dux hic regio præest, om-
nium militum ardor, et animus, annotandum po-
steritati fatum, læta omnia pollicentur, ac spon-
dent. Hoc exercitu cuius erat instructissimus infen-
sissimorum hostium copias prosternere, fundere,
delere, munitus hic à Ioyessa Dux Henrico Navar
ræ Regi Condæoque Principi bellum prælium po-
tius decernit ac suscipit, Heroardus nec arte Medi-
ca, nec armis dispar eundem Ducem eundem et stu-
dio et animi magnitudine, prosequitur, congredi
tur, pugnat, adoritur, advolat, animatur, insurgit,
vastat, diruit ac interimit tandem apud Cutracum
toto martis hostilis impetu pugnatum est, et quia
in belli motibus semper à dispari proposito dispar
sit exitus, hic Navarrus, hic instructa compositaque
acie in arena dimicationeque collatis manibus di-
stricto gladio quemque fundens, cædens, ac ster
nens regium illud agmen veluti quodam fulmine
stipatus miserrimè percellens invasit, fudit, quam
stragem et cæsorum numero et summorum viro-
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rum dignitate multum illustrem Guysius apud Al-
næum in finibus Carnutum Reistræis occisis strenuè
vindicavit, sed Regi, sed Regno, sed Heroardo gene-
rosissimo viro, qui toties in hocce prælio consertis
armis quoties Hostilis occurit impetus cum Duce
dimicaverat in faustum Augurium, Ut rem enim Regi
et Galliæ restitueret, hic à Ioyessa Dux exercitus tum
administrator Regis et regni et Heroardi spes et se-
dula cura mox à rixantibus de tam illustri præda Gre-
gariis noxio lethalique percussus plumbo infaustis avi-
bus concidit, interiit. Ea sic Heroardi spes, sic Hero-
ardus, qui de rebus suis, eam spem quam in eo Duce
collocaverat non amplius intuens, at desperans
apud Regem in Medicorum regiorum album coo-
ptatus se recepit. Priora et intermissa paululum re-
sumit studia, Hippostologiam aggreditur, explicat,
et typis de munere non parum sollicitus, exarari cu-
rat, Regi dicat et consecrat ; interim mutuis coeun-
tibus improborum factionibus, et obortis civilium
bellorum motibus ad compescendos, et coërcen-
dos hostilis illius et intestini belli celeriter impetus
comitatur, nec unquam ab illius partibus recedens
abdicavit, Lutetia Rex discedit, Lutetiam tum ce-
leberrimum Europæ totius oppidum non horret He-
roardus, sed aversatur, quicquid rogat Rex, Heroar-
dus tum in Medicis, tum in bellicis huicce cultum
impendit Regioque statim et citra moram paret
Imperio, Regi totus deditus et addictus. Hoc Rege
ad Divi Clodovei fanum à sicario quodam Domi-
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nicano (detestandum sæculis omnibus et immane
parricidium) perfidiosè trucidato occisoque, He-
roardus, qui sæpius ac semper adversam fortunam
hactenus expertus fuerat, cum summa et incerta
rerum varietas in omnibus mortalibus non fugax,
sed certum opprobrium, veluti gravioris fati indu-
bitatum ludibrium ut vitæ totius aleam absolveret,
Henrico quarto nomen dat, fidem et obsequium,
quem generosissimus ille Rex in Medicis in arte ve-
terinaria ratum habet, et approbatum, in quibus
Heroardus cum aliquot annis non parum insudas-
set, ut pro generis et artis nobilitate altius assurge-
ret, in albo, antiquo, ac veterano Regiorum Secre-
tariorum (Bursarum vocant) collegio claret, cuius
eximius nominis et famæ splendor ad extremum
usque senescentis ætatis diem in hocce collegio
perduravit et retinuit. Hunc iis in votis atque ocu-
lis Henricus quartus Rex habuit, quem in morbis
curandis, in consiliis, in omnium denique congres-
su emicare certissimè novit, ut cum de felici auspi-
catoque illustrissimæ Reginæ partu deque multis
qui primariam Delphini futuri Regiæque prolis
Medici dignitatem inhiabant cogitaret, ipsum He-
roardum virum ac Medicum illustrem in illius re-
giæ prolis Medicum designarit, ac invitis omnibus
aliis apud se firmissimo, imo coram omnibus D.D.
Riviero Laurentioque Primariis Sacræ Majestatis
annuentibus Medicis animi decreto sanciverit, nec
idem latuit Heroardum regium id consilium, Rex
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etenim qui jamdiu optimam de Heroardo Medico-
rum Heroë nullo reclamante conceperat opinio-
nem, nobilis et eximiæ notæ dominæ Guiercheuil-
lanæ ministerio ad Heroardum Parisiis XVII. Kal.
Octob. An. M. DCI. literas scribit ut et D. Rivierus
summi Principis Medicus princeps XV. Kal. Octo-
bris, quibus perlectis, et perspectis Heroardus Font
tem-Bellaqueum Regium secessum, XIII. Kalend.
eiusdem mens. adit ; ubi cum Regem omnibus pro-
sequendum votis inquireret sequenti die statim à
meridie quarta Rex Heroardum allocutus, cum sca-
turientium ac prorumpentium aquarum ibi tubu-
los à renatu {a} summè recreatus curiosissimè intuere-
tur, ac animadverteret accersendo pro more sic fatus
est, te, Heroarde, in Delphini nati Medicum elegi,
cura diligenter. Tum accedente partus expectatissi-
mi tempore, adstante partus tantæ authoritatis ac
dignitatis hora, V. Kal. Octob. eiusdem anni, quem
in Regiæ dignitatis et Gallorum gratiam ornabat
Iuppiter, Delphinus hic fecundissimus bonorum
fons, ac Regiæ Majestatis Culmen splendidissimi
Solis instar oritur. Huic statim Heroardus ne no-
cturni atrique vapores tantillum obscurarent, ali-
quot Mithridatii granis exsiccando roborantibus
albo vino solutis ex cochleari vires addidit ac re-
creavit. Tum demum vino ad robur, et Spirituum
tutelam adstringente eoque rubeo, admixto con-
venienti oleo totum corpus caputque eodem
vino cum oleo rosato illinivit ac fovit. Sequenti
- Sic pour : venatu.
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die IV. Kalend. Octobris noxium linguæ fræ-
num semel iterum atque iterum à Chirurgo Regio
Guillemeo patre abscissum est et excisum, à quo
Guillemei ministerio hoc Sacrum Depositum ac
fidei-commissum Gallicum hoc decus Heroardum
totum tenuit, quod cum rex invictissimus una
cum D.D. Riviero Laurentioque primariis Medi-
cis totis gestientis animi motibus approbaret et ada-
maret, Incædui {a} Sagermani eum Delphinum na-
tum, et colendissimo patri et Heroardo et toti
Galliæ nutriendum alendumque ut salubriori cælo
frueretur, ac gauderet, decrevit ac iussit, sic cum
nato Delphino, sic cum Medicis, sic cum Heroar-
do tum temporis agitur, sic illius charissimæ vitæ
consulitur : quæ sane valetudine, sed infirma no-
tabatur. Et quæ ni adstitisset Heroardus, cum à pri-
mis incunabulis salute nutanti periclitaretur, ni
Heroardus Medicus auxiliares manus addidisset, to-
tam Galliam cæteris orbis regionibus spectatissi-
mam, et luctu, et lachrimis omnimode perfudis-
set. Sagermanum igitur ducitur, Heroardus Sager-
mani Delphini et Comes et Medicus adest, unde
sæpissime celeberrimi viri D.D. Riverius, et Lau-
rentius et naturæ et sanitatis Delphini per Heroar-
dum certiores facti de tanto viro, de tanto Heroë,
deque tanto Medico non mediocriter exultabant,
nec parvo coram tanto Rege gaudio fuere perfusi.
Hic summus Galliarum Delphinus Princeps, quem
partium omnium intemperies ac infirmissimus ur-
- Sic pour : In Leiæ.
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gebat status, linguæ quadam Balbutie, quæ Prid. Id.
Ianuariis anno M. DC. IV. circa Sextam à meridie
correptus ex arte et natura ab Heroardo restitu-
tus, æque ac Hernia intestinali, dum inflato folle
luderet, XIII. Kal. Octobris Anni, M. DC. II.
quem item Heroardus adhibitis levioribus, et ad
sanitatem restituendam tuendamque, et ad mor-
bum alioquin rebellem ex tempore percurandum
remediis ex officio et Regis summa delectatione,
Reginæ delectamento, necnon et Medicorum qui
tum aderant voluptate accurate tractavit, et
sic meliori naturæ et Regi et Serenissimæ Re-
ginæ, et Galliæ et omnibus Heroardi curis auxi-
liatus, et sic à neutro statu languentisque naturæ
suspirio ad certiorem et salubriorem sanitatem re-
vocatus, molliori ad literas et ad arma ineptiori mu-
lierum sexu, curialium, dicam, nugis ad sapientis
ac prudentis, licet sapientia ac prudentia Heroina-
rum mulierum sales, administratoris nutum, ne
laudem, arbitrium, translatus ab Heroardo Clarissi-
mo Prudentissimoque Viro et Medico librum quem
de Instituendis principis moribus ediderat ac tanto
Principi consecrarat, gratis oculis ac animo satis
hilari auditurus et audiendus excepit. Inter hæc
importuno diroque fato præripitur generosissimus
ac invictissimus Henricus Quartus VIII. Kal. Iunii
ann. M. DC. X. quo tempore Delphinus Galliæ
spes expectatissima Rex creatus Heroardum ad al-
tiora designavit, qui tandem, illustrissimæ religio-
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sissimæque Reginæ Monitis ac Imperio Primarii
Regis Medici Munus venerandum penitus et extre-
mis colendum honoribus suscepit, quod honorifi-
cum munus ab eo tempore ad VI. Id. Februarii
ann. M. DC. XXVIII. dum rex æquissimus hic
Ludovicus XIII. Rupellam perduellionis reis tu-
tissimum, sed Galliæ noxium Asylum cinctam ar-
mis et oppugnatam excinderet, in Heroardo maxi-
mo cum decore, nomine, fama et existimatione
diligenter obeundo perduravit, et ulterius ni Cri-
ticus vigesimus septimus huius muneris annus,
dum sol æthereus decimum octavum Aquarii De-
cretorium gradum perlustraret Saturno malefico
feriente Æthereum hunc Ætrei splendorem septua-
gesimum sextum ætatis et originis et lucis annum
agentem à Rege, à Regno, ab amicis, à ferinis et
viperinis Guillemei faucibus abstulisset. Cuius illu-
stris effulgescentia, proborum morum exemplar,
animi magnitudo, magnitudinis comitas, ac man-
suetudo, mansuetudinis commendatio, commen-
dationis studium ac amor, in amore suavitas, in
conferendis beneficiis nativa propensio, in acce-
ptandis excusatio frequens ac repulsa et in omni-
bus animi motibus prudentia, posteris sæculis cum
ipsum invito Botalistarum et cæterorum omnium
livore consecrarunt, sed tam dirum hoc fatum,
quid luctus ? quid lachrimæ ?Εμοι δ᾽ αχος οξυ γενεσκετο, κηροθι μαλλον
Ανθρωποισιν απασι και εσσομενοισιν αιδην
Αλλα μεν.