Il est nécessaire à l’homme de manger pour réparer la substance solide de son corps qui endure une perpétuelle dissipation : à cause de quoi il doit choisir l’aliment qui lui est le plus propre parmi une si grande quantité qu’il y en a en la nature. Et tout ainsi que par ci-devant nous avons dit qu’il y a deux sortes d’air, [1] aussi y a-t-il deux sortes d’aliments, savoir celui qui nourrit seulement et l’autre, qui est médicinal, c’est-à-dire qui en partie nourrit, et en partie change et altère par quelque qualité dominante les esprits ou les humeurs de notre corps. Nous ne parlerons point ici du médicinal, mais seulement du pur et simple aliment, lequel n’est pour autre chose que d’entretenir notre embonpoint, et conserver nos forces en leur être pour une plus grande facilité et intégrité de nos actions ; lequel est tiré de deux principes, savoir des animaux ou des végétaux, c’est-à-dire des plantes.
Touchant l’aliment qui est tiré des plantes, on en peut dire en général qu’il nourrit beaucoup moins que celui qui est tiré des animaux et qu’il contient plus d’excrément que de nourriture, pourvu que l’on en excepte le blé, [2] l’orge, [3] et les autres espèces desquelles se fait le pain, lequel, selon Galien, nourrit amplement et copieusement ; ce que toutefois il faut entendre seulement de celui qui se fait de bon blé, et bien plein ; car, en celui qui est fait autrement, il y a plus d’excrément, à cause du son [4] qui y abonde, que de bonne nourriture. Secondement, il faut qu’il soit bien pur, qu’il n’y ait guère de son, bien levé, bien pétri, et cuit d’une chaleur modérée. Et c’est de tel pain duquel parle Galien, [2][5][6] et Alexandre d’Aphrodisée en ses Problèmes, quand il dit que le pain, sur toutes les viandes, nourrit beaucoup ; et qu’à cause de ce, Homère commande qu’à ceux qui ont bien faim, on leur présente principalement du pain, comme étant de grande nourriture. [3][7][8] Aristote même l’a ainsi entendu au Problème 13, sect. 21, [9] quand il dit que jamais les hommes ne se dégoûtent du pain, à cause que le blé a été donné à l’homme pour une viande particulière, qui nourrissait beaucoup. [4] Or, tout ainsi qu’il y a une grande diversité de grains desquels on fait du pain, aussi y a-t-il diverses sortes de pains, et à raison de leurs matières et de leurs préparations. Celui qui est fait de froment tout pur est le plus excellent, tous les autres lui sont inférieurs, n’étant pas si bons et nourrissant beaucoup moins, tels que sont celui qui se fait de son, [10] de farine entière, de seigle, [11] de méteil, [12] d’orge, [13] d’avoine, [14] et autres. Des pains qui se mangent en ce pays, celui qu’on nomme de chapitre [15] est le meilleur, puis le pain à la mode ; [16] le pire de tous est celui à la reine, [5][17] pour diverses raisons. Le pain sans levain n’est pas sain, parce qu’il cause des obstructions et est difficile à digérer. [18] Le pain salé vaut beaucoup mieux que celui qui ne l’est pas, comme étant plus savoureux et plus agréable ; c’est pourquoi on fait mal à Paris de ne le point saler, vu que de là naissent beaucoup de maladies, desquelles le peuple est affligé ; [19] et peut-être que là même se peut rendre la raison pourquoi les Parisiens, plutôt que les autres peuples, sont si sujets à la pierre, tant des reins que de la vessie, [20][21] de ce que leur pain n’est point salé, comme enseigne et démontre fort bien M. Moreau en ses commentaires sur l’École de Salerne, sur le chap. 17, [22][23] par l’autorité de Galien. [6][24] Le pain nouveau cuit et encore chaud est un dangereux manger, tant pour ce qu’il est difficile à digérer que pour ce qu’il fait enfler l’estomac, outre les obstructions qu’il engendre au foie et aux autres parties. Le vieux cuit, pareillement, n’est pas bon s’il passe quatre ou cinq jours, vu qu’il est de dure digestion, trop sec et sans aucune saveur ; [25] d’où s’est fait le proverbe des bons compagnons : Œuf d’une heure, pain d’un jour, vin d’un an, etc. [7] La mie du pain est de meilleure nourriture que la croûte, qui est trop sèche ; [26] par quoi font bien ceux qui chapellent leur pain. [8]
Au traité du pain on pourrait rapporter la pâtisserie, [27] laquelle en général n’est guère bonne, à mon avis, si on en excepte les biscuits et macarons ; vu que jamais, de quelque sorte que ce soit, il ne se fait pâté, ni tarte, ni poupelin, rissole, dariole, tartelettes, gâteaux feuilletés ou non, qui ne contienne en soi quelque mauvaise qualité, ennemie de l’estomac ou du foie, et qui n’échauffe, ou n’opile, ou n’altère ceux qui en usent. [9] Je pourrais dire beaucoup d’autres telles choses du pain, mais, afin de n’être trop long, je renvoie le lecteur aux doctes commentaires de M. Moreau, sur l’École de Salerne. [6]
Après avoir parlé du pain, qui se fait de diverses sortes de grains et qui est le meilleur aliment qui se tire des plantes, il faut brièvement dire quelque chose des fruits et des herbes, qui sont les deux derniers membres de notre division de ci-dessus, par laquelle avons dit que toute nourriture se tire des végétaux ou des animaux. Des fruits, on en peut assurer, en général, qu’ils humectent et rafraîchissent beaucoup, nourrissent fort peu ; les uns néanmoins plus que les autres.
Presque tous ont quelque qualité vicieuse, engendrent des vents, et ne sont guère bons qu’à ceux qui sont lassés d’un grand chemin et qui sont fort échauffés ; mais ils nuisent à ceux qui ont le cerveau ou l’estomac débile, et qui sont sujets aux obstructions et aux fièvres pourries. [28] Entre les fruits qui ne sont point de garde et qui se corrompent aisément, il faut prendre les plus humides et les manger à l’entrée de table, [10] comme sont les prunes, les pêches et les raisins ; mais les autres, plus solides et astringents, [29] qui ne se pourrissent pas si tôt ni si aisément, doivent être pris à la fin du repas : tels que sont les coings, poires, amandes, châtaignes, marrons, noix et avelines. [11][30] Et c’est une maxime, qui doit être tenue pour toute assurée, que tous les fruits des arbres qui se peuvent cuire au feu n’engendrent guère que mauvais suc si on les mange crus et avant que de les faire cuire ; ce que Galien même confesse avoir éprouvé sur soi et à ses dépens, étant jeune, en ce qu’il a toujours été sujet à maladies tandis qu’il a mangé des fruits crus ; et, au contraire, n’a nullement été par après incommodé, quand il s’en est abstenu. Morbis obnoxius in adolescentia fuit, ob horariorum fructuum immodicum usum : postea vero cum sciret artem esse sanitatis tuenda, huic intentus, salubri deinceps corporis statu usus est. [12][31] Je crois que les cerises et les raisins bien mûrs méritent le premier lieu d’honneur si on les mange en temps et saison ; puis après, les prunes de damas, [13][32] les groseilles rouges, les fraises, les pommes bien mûres, principalement de reinette, de court-pendu [33] et de calville, [14][34] les abricots, [35] les pêches, les noix, etc. Les melons, [36] concombres [37] et citrouilles sont bons aux bilieux [38] car ils rafraîchissent et humectent beaucoup, engendrent un suc grossier, froid et de difficile digestion ; à cause de quoi ils sont bien meilleurs à ceux qui ont l’estomac et le foie échauffés et remplis de bile qu’aux autres de différente température. Platine nous apprend, en son Histoire des papes, [39] que Paul ii [40] fut surpris sur les deux heures de la nuit d’une apoplexie, [41] de laquelle il étouffa soudainement étant seul en sa chambre, ne se plaignant d’aucun mal le jour d’auparavant ; de laquelle mort on ne trouva aucune cause apparente, sinon qu’à son dernier souper il avait mangé deux grands melons tout entiers, ce qui arriva l’an 1471. [15] Plusieurs empereurs et autres grands personnages sont morts pour même cause. Münster in Chron. raconte qu’Albert d’Autriche, empereur d’Allemagne, [42] se trouvant las et fatigué en son voyage de Hongrie, mangea d’un melon pour étancher sa soif ; ensuite de quoi il tomba en un flux de ventre [43] duquel il mourut. [16][44] De même cause moururent deux autres empereurs, savoir Frédéric iii [45] et Henri vii. [17][46] Cardan [47] dit qu’il faudrait tout à fait chasser et exterminer telle sorte de fruits, pour trois raisons : 1. pource qu’ils rafraîchissent trop ; 2. pource qu’ils humectent trop ; 3. pource qu’ils se corrompent trop aisément dedans l’estomac. Et partant, faut remarquer, en passant, qu’ils nuisent extrêmement à un estomac froid et humide, et que le bon vin est le vrai antidote du mal qu’ils peuvent faire, pourvu que le foie ne soit pas bien chaud et sujet à opilation ; [18] car le vin pur étant pris après des fruits crus emporte quant et soi force crudités dans les veines et fait plusieurs obstructions, desquelles, par après, s’engendrent de grandes maladies : c’est pourquoi ceux-là font mal et pèchent grièvement contre leur santé qui, après avoir beaucoup mangé de melons ou de concombres, pensent n’en pouvoir être en nulle façon incommodés s’ils boivent à pleins verres quantité de vin pur, pour cuire et digérer (ce disent-ils) leur viande ; vu qu’au contraire, ce vin pur immodérément pris leur cause tôt après une autre indigestion bien plus dangereuse et de plus grande importance ; [19] ce que j’ai premièrement appris de feu M. Piètre, [48] médecin de Paris, le plus savant en sa profession qui ait été depuis Hippocrate et Galien. C’est pourquoi chacun doit apprendre de son médecin ordinaire le tempérament et la force de son estomac, avec ce qui lui est bon, sans en abuser, comme font ceux qui, sous ombre de le fortifier, mangent de toutes sortes de viandes pêle-mêle, pensant en être quittes pourvu qu’ils boivent après, comme des Suisses [49] et tout leur saoul, de grands vins, desquels l’usage immodéré leur gâte le foie, le cerveau, le poumon et autres parties, d’où naissent l’hydropisie, [50] l’apoplexie, la goutte, [51] les catarrhes, [52] et infinité d’autres malheureux accidents, qui n’arrivent point à ceux qui vivent sobrement. [53] Les poires, les coings, les nèfles, cornouilles et cormes [20][54][55] ne se doivent manger par gens bien sains qu’à la fin du repas, et à leur dessert, afin que par leur vertu astringente ils fassent comprimer le ventricule, [21] et ainsi avancent la digestion.
Des fruits que l’on nous apporte ici de Provence, j’en estime particulièrement le citron, [56] lequel je prise plus que tous les remèdes cardiaques [57] des boutiques de ce temps, qui n’en ont le plus souvent que le nom, et auxquels on fait passer la mer pour nous les vendre plus chers ; car, à vrai dire, en toute sorte de maladies malignes et fièvres pourries, simples ou non, et en la peste même, [58] nous pouvons tirer plus de secours et de soulagement de demi-douzaine de bons citrons que de tout le bézoard de Levant qu’on nous apporte ici, [59] qui n’est qu’une pierre contrefaite par les juifs de Constantinople [60] et ailleurs, et du tout inutile à la guérison des maladies ; indigne même d’être mise au rang des remèdes, comme l’a fort bien montré M. Guybert, en son traité du bézoard, sur la fin du premier tome de son Médecin charitable, [22][61] par plusieurs autorités valables, et diverses bonnes raisons ; ni que de la thériaque [62] ou du mithridate, [63] qu’un tas de charlatans [64] et empiriques [65] ignorants vantent ici tant contre les poisons, vu que ces drogues ne sont bonnes qu’à enrichir ceux qui les vendent et à échauffer ou brûler les entrailles des pauvres malades qui s’en laissent abuser.
Ce que l’expérience démontre à un chacun être très véritable tous les jours, vu qu’il ne se trouve personne (si ce n’est quelqu’un de ceux qui ont intérêt dans le débit de telles drogues) qui assure et affirme avoir jamais reçu aucun soulagement de l’usage de ces compositions que l’on nomme thériaque ou mithridate, en aucune maladie épidémique ou pestilentielle, ou autre, quelconque soit ; mais plutôt qui ne se soit senti grandement échauffé, avec altération, douleur de tête, et autres fâcheux symptômes, que le bouillant tempérament, la mauvaise préparation et composition de ces deux opiates, [66] cause à ceux qui en prennent ; vu qu’aujourd’hui, non seulement à Paris, Lyon, Montpellier ou autres lieux de France, mais aussi en Allemagne et en Italie, voire même, dirai-je hardiment, par toute la chrétienté, plusieurs choses empêchent que la thériaque qui se fait maintenant n’ait les mêmes forces que celle de laquelle Galien a tant prisé les vertus ; [67] tant pour plusieurs simples qui doivent entrer en la thériaque, lesquels nous sont inconnus tout à fait ou que nous n’avons nullement, que pour la négligence, l’ignorance et l’avarice de toute sorte de gens qui se mêlent aujourd’hui de la faire ; vu qu’anciennement les rois et empereurs quittaient toute autre affaire pour vaquer à la confection de la thériaque, laquelle ils faisaient eux-mêmes, et qui, pour être de grand coût, se dispensait à leurs dépens et se distribuait au peuple malade, selon sa nécessité et l’avis des médecins du pays, comme chacun peut apprendre de ce que Galien a écrit ; et de quoi je ne dirai rien davantage, espérant d’en parler ailleurs plus amplement. [23] Mais c’est assez pour cette digression, d’avoir touché l’abus qu’il y a dans l’usage de ces deux drogues ; revenons à nos citrons et montrons, par expérience (qui est la preuve la plus populaire que nous ayons), que ce fruit est plus cordial que toute autre drogue qui croisse ou qui s’apporte en France. L’histoire des deux criminels à qui le poison des aspics [68] ne put nuire pour avoir mangé des citrons, montre évidemment et suffisamment combien nous devons estimer ce seul fruit par-dessus la thériaque, le mithridate, le bézoard, la corne de licorne [69] et autres telles inventions arabesques qui n’ont aucune vertu cardiaque en soi, mais seulement du bruit et de la vogue de la bouche de ceux qui, pour leur extrême avarice, ne cessent de les priser beaucoup afin d’en emplir le corps de leurs malades et, en récompense d’en vider et en tirer la substance de leur bourse. Voici donc comment Athénée en raconte l’histoire autant gentille que véritable, lib. 3 Deipnosoph. : [70] un grand seigneur d’Égypte ayant condamné certains malfaiteurs, pour expiation de leur crime, à être livrés aux aspics, qui sont serpents fort vénéneux, il arriva qu’en les menant au supplice une tavernière, ayant pitié d’eux, leur donna par compassion à chacun un citron, qu’ils mangèrent par chemin ; d’où se fit qu’eux, étant arrivés au lieu du supplice et enfermés dans le parc des aspics (comme telle était pour lors la coutume des Égyptiens), combien qu’ils fussent vivement attaqués, piqués et mordus de ces bêtes vénéneuses, ils n’en furent néanmoins en aucune façon blessés ni l’un ni l’autre ; de quoi le gouverneur du pays, étant fort étonné, s’enquit des archers savoir si ces patients avaient pris quelque contrepoison ou antidote avant qu’être menés au lieu du supplice ; lesquels lui répondirent que ces pauvres gens avaient seulement mangé chacun un citron qui leur avait été donné par une femme en chemin, sans penser à aucun mal, mais seulement par compassion ; de quoi le gouverneur averti fit ramener les patients du lieu du supplice en la prison, jusqu’au lendemain qu’il les livra derechef aux bêtes venimeuses, ayant auparavant donné du citron à manger à l’un d’eux et non à l’autre ; quoi fait, arriva que celui qui n’avait point mangé de citron, incontinent qu’il fut mordu et piqué du serpent, devint tout terni et livide, puis même mourut sur-le-champ ; et au contraire, l’autre, qui avait mangé du citron, échappa sans aucune incommodité et sans avoir aucun mal. [24] En voici encore une autre fort remarquable : Theopompus, au livre 38 de son histoire, [71] dit que Clearchus Heracleotas, roi du Pont, [72] avait fait mourir par poison plusieurs gens, et en eût fait bien mourir davantage (dit l’histoire) si le peuple ne se fût heureusement servi du citron pour contrepoison, [73] duquel il savait fort bien la grande vertu et les propriétés très excellentes. [25] Voilà deux histoires fort véritables, racontées par de bons et graves auteurs, qui montrent évidemment comment les citrons sont les meilleurs cardiaques que nous ayons, et qu’ils doivent être préférés à un tas d’autres remèdes que la stupide et importune superstition des Arabes [74] nous veut faire accroire pour tels, qui n’en approchent d’aucun degré, avec leurs qualités occultes et spécifiques, [75] qui ne sont qu’amusettes d’esprits fainéants et fictions chimériques qu’ils ont introduites en la médecine au grand détriment du public, mauvais soulagement des malades et déshonneur d’un art si divin.
Au reste le citron est de diverse température selon les diverses parties desquelles il est composé. Son écorce est chaude et âcre, un peu plus que tempérée et sèche au second degré ; la semence qui est dedans est sèche et aride, de sorte qu’on la peut dire être au troisième rang des choses desséchantes et rafraîchissantes ; sa chair et substance épaisse est froide et humide ; son odeur est fort excellente en tout temps, et empêche la pourriture et la corruption en quelque lieu qu’on le mette, même contre les poisons et contre la peste, ainsi que j’ai montré ci-dessus, et que Virgile même l’a bien enseigné par ces vers, lib. ii Georgic. : [76]
Media fert tristes succos, tardumque saporem
Felicis mali, quo non præsentim ullum,
Pocula si quando sævæ infecere novercæ,
Miscueruntque herbas, et non innoxia verba,
Auxilium venit, ac membris agit atra venena, etc.
C’est-à-dire :
En la Médie croît le citron au suc aigre,
Heureux fruit tout doré d’une saveur allègre ;
Il n’est point de meilleur remède si parfois
Les marâtres mêlaient dans les pots achelois
Le poison venimeux, accompagné des herbes
Qu’elles vont recueillant sur les croupes superbes
Des coteaux, marmottant des propos inconnus ;
Il vient tôt au secours et des membres perclus
Il chasse le venin, etc. [26]
Je pourrais dire davantage des admirables vertus de cet excellent fruit, n’était que j’ai déjà outrepassé les bornes requises à la grandeur de ce petit livret par la présente digression, laquelle je prie le lecteur favorable de recevoir d’aussi bon cœur que mon intention est pure et sincère en ce sujet. Les curieux qui en désireront savoir davantage, verront Matthiole, [77] qui en dit merveilles, au chap. 131 du 1er livre de ses commentaires sur Dioscoride, [78] Daléchamps, [79] liv. iii de son Histoire des plantes, chap. v, Pline, liv. xii chap. iii de son Histoire naturelle, [80] Théophraste, livre iv chap. iv sur la fin, en son Histoire des plantes. [27][81]
Les grenades, [82] oranges, [83] limons et poncilles [84][85] suivent de près le citron et approchent de sa qualité en ce qu’ils sont fort cardiaques, et qu’ils résistent aussi fort puissamment à la pourriture, à la peste même, à toute sorte de poisons, à toute débilité de partie noble, mais principalement du cœur, comme aussi aux cardialgies [86] et douleurs d’estomac ; selon qu’enseigne notre grand Fernel, au 5e livre de sa Méthode, chap. xxi. [28][87]
Les câpres [88] et les olives [89] sont un peu dures de digestion, mais louables en ce qu’elles excitent l’appétit et fortifient l’estomac par leur acidité. Les noisettes et les amandes sont presque tempérées, et assez bonnes au dessert. Les pignons [90] et les pistaches [91] échauffent un peu, et fortifient le foie de ceux qui l’ont débile. Les châtaignes [92] et marrons font un sang grossier, engendrent des vents, resserrent le ventre, [29] et ne se digèrent pas aisément.
Tous les légumes que nous avons ici en usage, ne sont guère à priser. Les fèves [93] sont venteuses, troublent les sens, de suc grossier, de dure digestion et de petite nourriture. [30] Les pois [94] leur ressemblent fort, voire même pire. Je ne veux pas pourtant tout à fait les décrier : je sais bien que les dames les aiment fort quand ils sont verts et que cela ne nuit pas aux médecins de cette ville. Les pois chiches [95] nourrissent un peu davantage et déchargent les reins ; en quoi ils sont bons à ceux qui sont sujets à la gravelle. [96]
Les lentilles [97] ne se cuisent que malaisément, nuisent à l’estomac, à la tête, aux nerfs et aux poumons, engendrent un suc grossier et mélancolique, resserrent le ventre et ne nourrissent guère. [31] C’est un abus que les femmes et les charlatans veulent aujourd’hui faire accroire de ce légume, disant que la décoction des lentilles est bonne à faire sortir et pousser dehors la petite vérole des enfants ; [98][99] ce qui est une pure bourde, de l’invention des Arabes, qui en ont bien mis d’autres dans la médecine par l’invention de leurs qualités spécifiques ; [100] vu que nous ne trouvons aucune telle faculté en aucun autre remède, non pas même dans les eaux qu’ils appellent cordiales, ni dans leur bézoard, ni leur corne de licorne, qui ne sont que brides à veaux [32] et amulettes de folles gens ; bien moins encore dans les lentilles, qui au lieu d’ouvrir et donner de l’air à un corps plein de fièvre et de matière pourrie, comme il est en la petite vérole, opilent [18] et resserrent tous les pores et conduits, par lesquels se pourrait faire quelque exhalaison et dissipation de la pourriture contenue dans le corps.
S’il y a au monde quelque remède qui puisse servir à l’éruption de la vérole, et à chasser du dedans au dehors cette vilaine et pourrie humeur qui engendre une si grande et dangereuse maladie, sans doute que c’est la saignée, [101] faite en temps et lieu, principalement de bonne heure, et avant que rien paraisse sur la peau ; combien que le plus souvent les malades en aient encore besoin après l’éruption des pustules ; mais cela doit être régi et modéré par l’avis d’un prudent et judicieux médecin, qui ordonnera ce divin remède après avoir considéré les forces, la portée et les accidents qui pressent le malade ; tout autant de fois qu’il jugera être nécessaire, soit au commencement ou à la fin de la maladie ; et non pas à l’appétit d’un tas de femmelettes ou de charlatans et ignorants empiriques, qui décrient ce salutaire remède pour mettre en avant leur forfanterie bézoardique, puisée de la barbarie des Arabes, appuyée sur des expériences borgnes, sans aucun effet apparent et qui n’a jamais réussi qu’à la confusion de ceux qui la suivent. Car, à vrai dire, quelle apparence y a-t-il que les lentilles servent à l’expulsion de l’humeur morbifique ? Je sais bien que les charlatans disent que cela se fait en provoquant la sueur, et qu’avec la sueur les pustules sortent ; mais cela est dit sans raison aussi bien qu’il est fait sans méthode. Premièrement, les lentilles, de quelque façon qu’elles soient données, ne peuvent provoquer la sueur d’elles-mêmes, étant d’une température toute contraire aux sudorifiques, [102] ce que l’expérience montre être vrai autant que la raison même. Secondement, outre qu’il est défendu de donner aucun sudorifique au commencement de telles maladies, quo tempore omnia sunt adhuc cruda, [33][103] et qu’il ne se peut faire aucune évacuation qui vaille et qui tourne au profit du malade, cum in principio morbi nihil possit esse criticum, [34][104] ces imposteurs-là devraient prouver, ou par raison ou par expérience, que les remèdes qui poussent la sueur hors du corps puissent en même temps et de même effet pousser dehors la matière qui fait la vérole ; ce qu’ils ne peuvent faire et ne feront jamais, vu que la sueur vient d’un endroit, et la matière morbifique de l’autre ; vu que celle-là se peut avancer par force de remèdes chauds, et celle-ci jamais, ni en aucune façon, l’éruption d’icelle dépendant purement de la bonté de la chaleur naturelle qui, selon sa force, avance cette décharge tant qu’elle peut au profit de son malade. Les lentilles sont de mauvais suc, engendrent peu de sang, encore est-il fort mélancolique ; [105] elles sont en leur température froides et sèches, avec beaucoup d’astriction ; d’où manifestement est renversée et convaincue de fausseté l’opinion arabesque de nos charlatans. De plus, on dit que leur premier bouillon lâche le ventre ; et que le second, tout au contraire, resserre ; mais ni l’un ni l’autre ne peuvent servir à pousser dehors la <petite> vérole ; vu que, par le premier, les humeurs du corps sont attirées de la circonférence au centre pour être vidées par le ventre ; par le second, les humeurs sont épaissies et resserrées encore plus avant dans le profond du corps, d’où elles n’en peuvent ressortir que plus malaisément : au lieu de quoi, ils augmentent les obstructions, et emplissent davantage les vaisseaux, qui devraient être désemplis. Finalement, si les lentilles engendrent un suc grossier et mélancolique, si elles sont venteuses, à raison de quoi elles causent des douleurs et tournoiements de tête, des convulsions, et quelquefois même l’épilepsie, [35][106] comme les bons auteurs confessent. Qui osera maintenant assurer qu’elles puissent servir à faire sortir la vérole, qui obéit mieux et se laisse plutôt convaincre à la lancette d’un chirurgien, [107] employée en temps et lieu, qu’à toute la forfanterie des charlatans et leurs drogues sophistiquées, lesquelles on nous veut persuader venir de bien loin, afin de les faire estimer davantage, et les vendre plus cher ? Arrière ces abus avec les lentilles !
Le riz [108] et l’orge mondé [109] sont les meilleurs de tous les légumes, [36] en ce qu’ils nourrissent davantage que les autres, et font moins d’excrément ; ils resserrent tous deux médiocrement, en fortifiant l’estomac, et ne sont point durs à digérer.
Resterait à dire quelque chose des champignons, [110] s’ils le méritaient, mais n’ayant en eux aucune bonne qualité, j’avertirai seulement le lecteur qu’avec grande vérité on peut dire d’eux ce que disent quelques-uns du concombre : quand ils sont bien cuits, bien tournés et bien assaisonnés, ils ne sont bons qu’à être jetés par la fenêtre sans en goûter ; ou, comme l’on dit du fromage, [111] que les meilleurs ne valent rien du tout. Pline les condamne assez apertement quand il dit lib. xxii c. xxiii : Inter ea quæ temere manduntur, boletos merito posuerim, etc. [37][112] I., je mettrai les champignons au rang des choses qui ne se devraient jamais manger, etc. L’impératrice Agrippine [113] les a rendus infâmes et suspects, se servant d’iceux pour empoisonner l’empereur Claude, son mari, [114] afin de faire régner son fils Néron ; [115] il en mangea, mais plus rien après, car il en mourut, comme dit Juvénal, Sat. 5, parlant d’iceux : [116]
Sed qualem Claudius edit
Ante illum uxoris, post quem nil amplius edit. [38]
Clément vii, de la Maison de Médicis, [117] en était si friand que tous les jours à son souper il en mangeait un plein plat. Il avait fait défense aux pays de son obéissance que personne n’eût à en cueillir que pour lui. Aussi mourut-il tôt après, et sa mort montra combien un mauvais régime sert à l’homme à lui accourcir la vie, car il mangeait aussi fort immodérément des melons ; à cause de quoi son médecin Curtius, [118] quelque habile homme qu’il fût, ne le put garantir de la mort, qui lui arriva l’an 1534. [39]
Je sais bien qu’on les distingue en vénéneux, et en d’autres qui ne le sont pas ; mais cette division n’est pas valable puisque les meilleurs ne méritent pas d’être mis sur la table. C’est l’invention et l’artifice des cuisiniers qui en rendent leurs maîtres friands par la bonté de la sauce qui fait manger le poisson. [40] Après cet avis, s’en garde qui voudra.
Les truffes, [119] que Pline dit s’engendrer du tonnerre, [120] et Plutarque de la pluie, [121] sont, au dire de Galien, [122] de fort mauvais suc ; [41] et à cause de leur substance terrestre, n’engendrent qu’une humeur grossière et mélancolique, nuisent à l’estomac, causent des apoplexies et paralysies, et donnent grandes coliques [123] par leur indigestion ; bref, sont une viande plus propre à engraisser les porcs qu’à nourrir les hommes. On trouve ici une autre racine bulbeuse, que l’on nomme, à cause du pays d’où elle a été premièrement rapportée, Topinambous, [124][125] et qui en latin se fait appeler Chrysanthemum tuberosum Indicum ; [42] de laquelle je fais pareil jugement que des truffes, vu qu’elle n’est en aucune façon meilleure, donnant des vertiges, douleurs de tête, altération, crudités et vents à ceux qui en usent ; à cause de quoi je suis d’avis qu’on laisse cette viande barbare à ceux qui sont si fols qu’ils n’aiment que ce qui est étranger, et à qui on a fait passer la mer pour leur faire trouver meilleur, puisque nous avons en France d’autres racines plus saines et plus agréables.
Après les fruits suivent les herbes, qui nourrissent fort peu, mais qui, en récompense, ont des qualités altératives, [126] par le moyen desquelles elles échauffent ou refroidissent, humectent ou dessèchent, obscurément ou manifestement, soit prises en potage ou en salade, ou d’autre manière. Galien loue la laitue [127] par-dessus toutes les herbes, comme ayant la vertu de nourrir, encore qu’elle rafraîchisse beaucoup : elle est, dit-il, froide et humide, environ autant qu’est l’eau de fontaine ; elle étanche la soif, arrête le flux de semence, rafraîchissant fort les parties génitales ; est bonne à ceux qui sont inquiétés de songes amoureux et de pollutions nocturnes, outre qu’elle provoque le sommeil. [43][128] Après la laitue, on met au rang des herbes rafraîchissantes l’oseille, [129] la chicorée, [130] le pourpier, [131] la poirée [132] et les épinards, desquels on se sert heureusement tous les jours. Les herbes chaudes sont les artichauts, les raves, les asperges, le houblon, [133] le cresson, [134] le persil, le fenouil, [135] la roquette, [136] la sauge, [137] l’hysope, [138] le thym, [139] la sarriette, [140] la pimprenelle, [141] les aulx, [142] les oignons et poireaux, desquels un chacun connaît le vrai moyen d’en user. [44]
Avant de finir ce discours des herbes et de traiter des viandes, je dirai un petit mot des choses qui nous servent à assaisonner, confire et conserver longtemps. Le miel est chaud et acre ; [143] le sucre le suit de près, [144] encore qu’il soit un peu moins chaud, plus agréable, moins altérant et meilleur à l’estomac. Le sel est chaud et sec, comme sont aussi toutes les épices, [145] principalement le gingembre, [146] le poivre, [147] les clous de girofle, [148] les noix muscade [149] et cannelle. [150] La moutarde [151] est fort chaude et fort sèche. L’huile d’olive est tempérée, [152] c’est-à-dire ni chaude ni froide. Le vinaigre est de tempérament mêlé : [153] en tant que vinaigre, il est froid ; en tant qu’il est fait de vin pourri, il y a quelque petite chaleur, que démontre son acrimonie ; il est néanmoins bien plus froid que chaud ; outre plus, il dessèche grandement, donne l’appétit, fortifie l’estomac, et rend savoureuses les sauces et salades où il est mis. Le verjus [154] lui ressemble en quelque chose, mais il n’échauffe point du tout et restreint davantage ; c’est pourquoi ceux-là font mal qui, pour se purger avec du séné, [155] le mettent à tremper dans du verjus, à cause que ledit verjus est doué d’une faculté fort astringente qui empêche que le séné ne fasse telle opération qu’il ferait si on ne l’avait fait infuser que dans de l’eau toute pure, laquelle étant une liqueur simple, ne participant d’aucune qualité empruntée, tire mieux que toute autre chose les vertus des simples purgatifs [156] que l’on macère et fait infuser en icelle. Au reste le verjus est mis aux sauces et aux potages pour leur donner goût, pour rafraîchir et étancher la soif. [45]
La nourriture qui se prend des animaux est réduite principalement aux chairs et aux œufs qui s’en tirent. La chair est ou de poisson, ou d’oiseaux, ou d’animaux qui vont sur terre.
Quant aux poissons, les saxatiles, [157] qui vivent autour des rochers et parmi les pierres, sont les plus recommandés par Galien au livre des Facultés des aliments, chap. 3. [46] Ceux de mer sont meilleurs que ceux d’eau douce, ceux des rivières que ceux des étangs et autres eaux dormantes, lesquels sont les pires de tous. En fait de poisson, les mâles valent mieux que les femelles, et les jeunes que les vieux, pourvu qu’ils ne soient pas encore tout petits. Les plus excellents de tous sont la truite, le brochet, la sole, le turbot, la plie, le rouget et la barbue ; puis après, le carrelet, l’alose, la carpe, le maquereau, la perche, la raie, l’anguille, le merlan, le saumon, la morue, les harengs, [158] etc. La tanche, les huîtres, [159] les moules, les tortues, écrevisses, escargots sont de plus difficile digestion, et chargent davantage l’estomac ; c’est pourquoi ils sont mis au dernier degré de bonté. Les poissons se mangent bouillis, ou frits, ou rôtis. Les bouillis sont les moins bons, à cause de la grande humidité de laquelle naturellement ils abondent (les uns néanmoins beaucoup plus que les autres), laquelle leur est encore accrue par cette façon de cuire. Les frits sont meilleurs, comme étant moins humides. Les rôtis sont les meilleurs de tous, comme étant les plus secs. Ceux qui sont cuits entre deux plats sont fort dangereux, engendrant beaucoup de crudités ; même quelques-uns disent qu’ils deviennent vénéneux étant cuits de cette façon, parce qu’ils se corrompent aisément dans l’estomac, altèrent puissamment, et font quantité d’ordure dans le ventricule. [47]
Quant aux chairs des oiseaux et des animaux qui vont sur terre, il faut, pour les bien choisir, y considérer plusieurs choses en général. Premièrement, leur âge, car il les faut toujours manger quand ils sont encore jeunes, et non lorsqu’ils vieillissent ni quand ils sont tout nouveau-nés ; car étant vieux, ils ne nourrissent guère et, pour leur grande sécheresse, ne se cuisent et digèrent que malaisément ; et quand ils sont nouveau-nés, ils ne peuvent nourrir, au contraire, ils ne servent qu’à lubrifier le ventre, n’étant remplis que de morve et humidité excrémenteuse. Secondement, leur nourriture, car les chairs des animaux qui sont bien nourris sont toujours les meilleures et les plus agréables. Troisièmement, il faut considérer le lieu où ils demeurent et leur façon de vivre, car les chairs des animaux qui vivent aux montagnes et aux lieux qui ne sont point marécageux se cuisent bien aisément, au contraire des autres ; même les animaux domestiques et privés ont une chair molle et humectent davantage ; au contraire, les sauvages et qui sont nourris dans les forêts, l’ont plus dure et desséchante. En quatrième lieu, il faut avoir égard s’ils sont châtrés ou non, car la chair de ceux qui sont châtrés est toujours plus agréable, et plus éloignée du mauvais goût, que ceux qui ne le sont point, lesquels sentent un bouquin de mauvaise odeur. [48] Or, en particulier, la chair des oiseaux nourrit moins que celle des animaux à quatre pieds, encore qu’elle se digère plus facilement. Entre lesquels le premier lieu d’honneur appartient aux perdrix et oiseaux de montagnes ; après aux bécasses, aux merles, puis aux pigeonneaux, faisans et gélinottes, [49] auxquelles il faut réduire les poulets et les chapons. La chair des paons est mise au dernier rang et est la moins prisée.
Les chairs des animaux à quatre pieds sont fort différentes, et sont diversement choisies selon la nécessité et leurs divers usages. Les meilleures de goût sont celles de chevreau, de mouton et de veau. Celle de porc nourrit bien et beaucoup, pourvu qu’elle rencontre un bon estomac qui la cuise et digère bien : Galien la loue fort, et la préfère à presque toute autre viande. Celle de bœuf est un peu plus grossière que celle de porc et, partant, engendre davantage de suc mélancolique. La chair de brebis va après celle de bœuf, comme étant encore pire ; celle de chèvre suit après, qui est la pire de toutes et qui, sur toute autre viande, engendre un sang corrompu et vicieux.
De plus, quant à ce qui est de la nourriture tirée des animaux, il ne faut point seulement faire choix des animaux mêmes, mais aussi de quelques-unes de leurs parties. D’où se fait que celui qui veut faire beaucoup de sang [50][160] doit choisir les parties charneuses des dits animaux ; et celui qui veut grossir, les visqueuses. Aussi est fort diverse la préparation desdites chairs, vu qu’elles se mangent bouillies, rôties ou fricassées ; mais il faut premièrement savoir que, s’il faut dessécher, le rôti est meilleur que le bouilli ; s’il faut humecter, alors le bouilli est plus excellent que le rôti. Il faut aussi manger du bouilli quand on a dessein de se refaire bien tôt et qu’on est en langueur, comme ceux qui relèvent de maladie. Car des chairs bouillies, on en a le bouillon [161] qui se prend sans qu’on ait aucune peine de mâcher, qui se digère aisément, est bientôt épandu par le corps, et nourrit assez bien, vu que, selon Galien, 3e de aliment. Facult., toute la force d’une chair bouillie consiste dans les bouillons. D’où vient aussi qu’Aristote assure que les chairs bouillies sont humides d’une humidité étrangère, non substantifique, laquelle demeure dans les bouillons. [51] Les choses qui se mêlent parmi les viandes pour les assaisonner semblent aussi appartenir à leur préparation ; mais parce qu’elles changent presque toutes le tempérament propre de la viande, même qu’elles la rendent en quelque façon médicinale (excepté le sel, qui peut être mêlé parmi les viandes pour leur donner un meilleur goût), je n’en parlerai point ici.
Après avoir traité des poissons, des oiseaux, et des animaux terrestres, il nous faut dire quelque chose des œufs, [162] les meilleurs desquels sont ceux de poule, de faisans, de perdrix ; ceux d’oie sont estimés les pires. Or, tous les œufs, pour être bons, doivent être frais, desquels généralement il faut savoir que les mollets se digèrent et cuisent le mieux ; [52] les durs, avec plus grande peine ; de plus, si nous voulons lâcher le ventre en mangeant des œufs, il faut les humer, desquels néanmoins il se faut garder, si le malade est sujet au vomissement, comme a fort bien enseigné Galien, comment. in i de Acut. [53] La préparation des œufs est fort diverse, car ils se cuisent et avec écaille, et sans écaille : si avec écailles, on les fait bouillir en eau, on les cuit sous la cendre ou entre deux plats ; si sans écaille, on les poche à l’eau, on les cuit au miroir, ou on les fricasse dans la poêle. [54] Les mollets et pochés à l’eau sont les meilleurs de tous ; ceux qui sont cuits sous la cendre et fricassés sont les pires, car ils chargent l’estomac, font roter, ne se cuisent que malaisément, corrompent la viande, font un mauvais sang, et envoient à la bouche et au cerveau quantité d’exhalaisons puantes.
Il se tire aussi des animaux, après les œufs, encore autre chose, comme du lait, du beurre, du fromage, du sang, du boudin, andouilles, etc. Le lait est divers en température comme l’animal duquel il est tiré. Chaque lait est composé de trois substances, l’une desquelles est aqueuse et liquide, de laquelle se fait le lait clair ; [163] l’autre, grosse et épaisse, de laquelle se fait le fromage ; la troisième grasse et huileuse, de laquelle on fait le beurre ; [164] lesquelles trois substances se rencontrent particulièrement diverses selon la diverse espèce des animaux qui donnent lait. Le lait de vache contient plus de beurre que pas un autre, d’où se fait qu’il nourrit beaucoup et rafraîchit moins ; le lait de brebis [165] contient plus de fromage, et est moins bon ; le lait d’ânesse [166] est plus séreux que pas un, d’où il est le meilleur à rafraîchir et humecter. Celui de chèvre [167] est médiocre entre tous, en tout, savoir et en coction, et en vertu de nourrir. Le beurre échauffe un peu, il ne nourrit guère, mais il lâche, amollit et adoucit. Le fromage est de mauvaise nourriture, de gros suc, de difficile digestion, fort opilatif, et particulièrement ennemi de ceux qui sont sujets à la gravelle et à la pierre. C’est pourquoi il fait bon de s’en abstenir, ou au moins en manger en fort petite quantité, et à la fin du repas ; si on le prend autrement, il charge l’estomac, empêche la coction, fait des vents et des obstructions, et cause les autres maux que ci-dessus. Celui-là seul donc est bon que ce verset enseigne :
Caseus ille bonus quem dat avara manus. [55]
C’est-à-dire que tant moins qu’on en mange, tant meilleur il est.
Tout sang est de dure digestion et de petite nourriture ; même le grossier est fort dangereux, témoin celui de bœuf. Les charlatans vantent beaucoup de vertus et facultés qu’ils disent être à de certains sangs, qui le plus souvent ne sont que pures bourdes. Galien ne nie point qu’il y en ait quelques-uns qui ne soient propres à quelque chose en médecine, comme Dioscoride et quelques autres Anciens en avaient écrit avant lui ; mais toutefois il déclare ouvertement qu’il a reconnu par sa propre expérience que la plupart de ce qu’on en dit étaient des choses fabuleuses et controuvées : [168] comme que le sang d’un chat-huant soit bon contre la courte haleine [169] si on le boit ; que celui de chauve-souris empêche de croître les mamelles des filles, et le poil de revenir au lieu où il aura été appliqué ; aussi est faux ce qu’on dit du sang d’agneau à guérir de l’épilepsie, et celui des grenouilles vertes à empêcher de renaître le poil des paupières ; celui de tourterelle ou de pigeon aux fractures du crâne ; celui de coq ou de poule à restreindre le sang qui découle des membranes du cerveau ; et celui de crocodile terrestre à éclaircir la vue.
Sine teste nihil volo tale. [56]
C’est pareillement une fausseté et narration fabuleuse, ce que certains coureurs et empiriques vantent du sang de bouc, disant qu’il casse la pierre qui est en la vessie ; sur quoi je m’ébahis encore davantage de ce grand homme Jules-César Scaliger, qui ose bien l’assurer en l’Exercitat. 344 contre Cardan, num. 8, où il en rapporte autant du sang de lièvre ; [57][170] mais il faut excuser ce bonhomme qui savait mieux sa philosophie que la médecine, dans la pratique de laquelle il s’est souvent trompé ; et crois qu’à bon droit on pourrait dire de lui, quand il vante ses cures admirables, ce que le bonhomme Gourdon disait d’un de nos anciens, qu’il avait bien guéri des malades, qui n’avaient pas laissé d’en mourir ; [58][171] vu qu’il a tenu de très fausses et de très dangereuses opinions en la guérison de certaines maladies.
Quelques-uns disent que le sang du cerf et de renard ont la même vertu de casser les pierres de la vessie, mais je prie le lecteur de croire une fois pour toutes qu’il n’y a en la nature des choses aucun remède qui puisse faire cela. [172] Les fausses et borgnes expériences des charlatans ont toujours démontré la vérité de mon dire, desquels je rapporterais plusieurs exemples pour preuve, n’était que cette petite digression est déjà trop longue. Si de telles matières que les sangs de ces animaux avaient une telle faculté, les pauvres malades qui ont la pierre n’auraient pas la peine de se soumettre à l’opération chirurgicale en laquelle on la tire par incision, [173] où le plus souvent il y a un manifeste danger de la vie, vu que ces autres drogues sont si aisées à recouvrer. Bref, si nous avions en main de tels remèdes, nous n’aurions pas besoin parmi nous de lithotomes, c’est-à-dire de ces bons opérateurs qui s’acquittent si dignement de cette charge, tels que sont ici M. Girault, [174] M. Bonnet, [175] M. Colot, [176] et d’autres, que Dieu bénisse. Deum rogo ut conatus eorum bene fortunet, ad immortalitatem sui nominis gloriam et reipublicæ utilitatem. [59] En cela gît la vraie doctrine : de croire que nul remède du monde, ni pris par la bouche, ni appliqué sur le mal, ne peut casser la pierre dans la vessie : c’est ce que j’ai appris de mes meilleurs maîtres, et particulièrement de M. Moreau, célèbre médecin de Paris et doyen de ladite Faculté, qui l’a doctement démontré en ses beaux commentaires sur l’École de Salerne, pag. 568. Voici ses propres termes, réfutant un auteur italien qui se vante impudemment avoir cassé des pierres en de certains malades avec les petits os qui se trouvent dans les nèfles : [177]
Persuadere cupit, credat Iudæus Apella, non ego. [178]
Qui Hippocratis et Galeni doctrina imbutus, et in Parisiensi Schola institutus, frequentite experientia rerum magistra instructus, nullum esse comminuendis renum vesicæque calculis cognovi ; quos etiam adeo duros solidosque interdum deprehendi, ut instrumenta ferrea lithotomorum, vel frangere soleant, vel hebetare. Quid dictum volo, tum contra eos qui arcana quædam sese habere ad calculos in vesica frangendos, impudenter jactitant, tum ad monendos eos qui calculo laborant, ne eiuscemodi impostoribus fidant, eorumve medicamentis erodentibus et exedentibus ; sed tempestive perito lithotomo se committant, cum non sit huic morbo præsidium aliud. [60] Telle même a été l’opinion de Galien en divers endroits, et principalement en son comment. v sur le vie des Epidém. d’Hippoc., duquel voici les mots : Lapis autem vesicæ ab ætatis permutatione, sed à sola manuali opera sanatur, c’est-à-dire, « Pour la pierre qui est en la vessie, jamais elle ne se guérit pour changement d’âge, mais par la seule extraction et opération manuelle ». [61][179][180] Et a été cet avis suivi de tous les médecins qui ont écrit depuis lui. Je pourrais ici produire cinq cents bons auteurs pour confirmer mon dire, mais je m’en retiendrai, de peur de trop grossir ce petit ouvrage, priant le lecteur de croire qu’il est très vrai qu’il n’y a remède aucun en la nature qui puisse casser les pierres des reins ou de la vessie, et que quiconque se vante d’avoir quelque remède ou secret pour cela est un charlatan et affronteur. C’est une folie de croire qu’il y en ait : ce serait temps perdu d’alléguer ici toutes les causes qui montrent qu’il ne peut y en avoir, quoi qu’en disent tous les paracelsistes, [181] et autres charlatans affamés, desquels les prétendues raisons ne sont que rêveries controuvées pour abuser de la crédulité des pauvres malades qui s’y laissent piper. Exemplum desidero sanationis, non autem mortiferæ curationis, vel potius carnificinæ, quam temeraria eorum medicina exercet. [62][182][183] Il faut croire pour une maxime très certaine, et vraie comme l’oracle même, ce qu’en disait cet admirable génie du grand Hippocrate, Louis Duret : Temeraria est omnis Medicina, pestifera et sæpe mortifera, quæ frangendo vesicæ calculo adhibetur. Cui profuerit vidi adhuc meminem ; permultos autem quibus exitio illa fuit. [63] Le même Duret en son Comment. sur Houllier, apporte une histoire mémorable, qui confond tous les imposteurs avec leurs secrets : « Depuis trois ans en çà, (dit-il) je fus appelé pour faire tailler un des fils de Monseigneur le prince de Condé [184] (c’était le marquis de Conti) [185][186] où, étant avec quelques miens collègues, un charlatan se présenta, qui se vantait de guérir assurément ledit petit prince de sa pierre, sans l’incision chirurgicale, par le moyen de quelque breuvage qu’il lui donnerait ; mais parce que Monseigneur le cardinal de Bourbon [187][188] ne voulut point permettre qu’on fît l’épreuve de ce remède sur son propre neveu, on amena un pauvre garçonnet, âgé de dix ans, qui avait la pierre en la vessie, sur lequel on devait hasarder et éprouver l’efficace prétendue de la drogue. Le charlatan vient, qui fait avaler à son plaisir de son remède à l’enfant, qui néanmoins en mourut dans peu de jours, après avoir bien crié et s’être bien tourmenté. On lui trouva deux pierres assez grosses tout entières et qui n’avaient nullement senti la force de la drogue, quelque forte et violente qu’elle fût. » [64] Voilà une histoire digne de foi, et sans aucun reproche, pour réfuter l’effronterie des coureurs et pipeurs d’aujourd’hui, qui promettent merveilles avec leurs drogues. En voici une autre qui n’est pas moins admirable que véritable, rapportée par Hippocrate même, qui a jadis été jugé si habile et si grand homme de bien que les Anciens l’ont honoré de cet éloge de n’avoir jamais trompé personne ni d’avoir pu être trompé d’aucun : nec falli nec fallere potuit, dit Macrobe. [65][189] C’est au cinquième des Épidém., texte 17, qu’il la raconte de la sorte : « Un enfant de Larisse avait la pierre en la vessie, il jetait avec l’urine quelque chose de glutineux, et ce avec grande peine et cruelle douleur, tant devant qu’après avoir uriné, et portait souvent la main sur le prépuce qui lui cuisait ; il vint un charlatan qui lui donna un remède diurétique [190] fort âcre et grandement violent, lequel néanmoins n’alla point jusqu’à la vessie, et pour lequel rien n’en sortit, mais il vomit beaucoup de matière bilieuse et ressemblant à du pus, et rendait aussi de même matière par bas. Son ventre lui faisait grandement mal, et sentait un grand feu là-dedans, mais tout le reste du corps était plus froid que glace ; enfin il demeura perclus de tous ses membres, et ne voulut prendre aucune chose ; il avait le ventre tout ulcéré, par trop grande force et violence du médicament, et en mourut trois jours après la drogue prise ». [66] D’ici appert que ce n’est point chose nouvelle de voir aujourd’hui tant de coureurs et de charlatans, puisqu’il y en avait dès le temps d’Hippocrate ; mais < c’est > bien chose pitoyable que l’on n’en fasse aucune punition pour tant de malheurs qu’ils causent tous les jours ; et chose bien étrange qu’il se trouve même quelques honnêtes gens, savants en beaucoup de bonnes choses et fort entendus en l’administration des affaires publiques, qui se montrent moins équitables envers eux-mêmes et le public pour le fait de la médecine, en ce qu’ils préfèrent à de bons médecins bien expérimentés et approuvés en leur art, et qui ont bien mérité de la république, un tas de souffleurs, empiriques et saltimbanques, quos irata genuit Natura, [67] gens sans lettres, sans aveu, sans raison et sans méthode, qui tant plus qu’ils sont impudents en leurs promesses, tant plus aisément sont crus être grands personnages. Tel ne voudrait point leur avoir prêté cinq sols sans assurance, qui leur confie tôt après sa vie, qui vaut mieux que toutes les fortunes du monde. Et à tant de cet abus.
Revenons au sang que nous avons laissé. Le sang tiré du bras d’un homme sain pourrait en cas de nécessité servir de nourriture assez bonne, pourvu qu’on prît garde à un accident auquel il est sujet, qui est de se cailler dedans l’estomac tout ainsi que le lait ; à cause de quoi, si on vient à en user, il faut ajouter un peu de sel, ou de miel ou de sucre, et le humer incontinent après qu’il est tiré de la veine ; ou bien, quand il est refroidi, il faut le cuire ou fricasser avec quelque graisse ; tout ainsi que du même, de la graisse, de l’oignon et des épices, on a accoutumé de faire ici des boudins ; [191] néanmoins, cet aliment n’est guère commun, vu que nous en avons d’autres en main ; et n’est bon que pour un temps de famine ; [68] auquel même peut être substitué un autre sang, pourvu qu’il soit d’un animal tempéré, ou qui au moins en approche, comme mouton, veau, porc, et semblables ; de même que l’on peut faire à l’emplâtre contre la rupture, [192] où quelques anciens voulaient qu’il entrât du sang humain, et les modernes se contentent de celui de quelque autre animal domestique, pourvu qu’il soit sain et tempéré, ce qui est véritable. [69]
Quelques histoires, ou plutôt fables, d’où l’a tiré cet effronté imposteur et insigne magicien, Paracelse, [193] racontent que le sang humain avalé incontinent après qu’il est sorti des vaisseaux d’un homme égorgé, et encore tout chaud, sert beaucoup à la guérison de la ladrerie ; [194] les autres en distillent de l’eau pour le même effet ; et tout cela se fait avec une superstition damnable. Quelques rêveurs croient qu’un bain de sang des petits enfants guérit cette même maladie, mais c’est une bourde accompagnée de trop de cruauté et d’impiété, même indigne d’être proposée par personnes chrétiennes ; ce qui semble néanmoins avoir été autrefois éprouvé en Égypte, en faveur de quelques rois de ce pays-là qui étaient ladres au rapport de Pline, chap. i du liv. xxvi de son Histoire naturelle, si en cet endroit il ne se trompe, comme il fait en beaucoup d’autres. [70][195][196] Cette superstitieuse erreur des anciens Égyptiens a été remise sus et renouvelée par les charlatans et nouveaux sectateurs de l’impie et profane doctrine de Paracelse qui, suivant la doctrine de leur brouillon et impertinent maître, conseillent de faire avaler à ceux qui sont sujets au haut mal le sang qui sort de la tête d’un homme fraîchement décollé. [71] Et est chose non moins merveilleuse qu’honteuse qu’il s’est trouvé des médecins si simples et si faciles à tromper qu’ils ont ordonné de tels remèdes à leurs malades, ne voyant point qu’en ces breuvages n’y a autre chose que témérité, cruauté et superstition si grande qu’un homme de bien ne saurait jamais assez en abhorrer l’usage abominable et inouï que les charlatans veulent persuader au peuple. Car, comme dit fort bien le docte L. Duret : Superstitio est vel ostentatio celebrare eiusmodi remedia ebriosi illius, fanaticique athei Paracelsi, quorum iampridem explosa est commendatio e schola Hippocratis, exulatque apud hypocritas Medicos et veteratores, quos nulla res præter versutam quandam hypocrisin commendare potest, et quorum vanitas ambagibus tantum solertissima esse solet ;[72] vu même que Tertullien dit que les remèdes préparés avec du sang humain sont remèdes pernicieux et inventés du diable, à la ruine des hommes. [73][197] Pour moi, j’ai toujours détesté l’usage de telles drogues et prie tous ceux qui ont encore en eux quelque piété et humanité de ne se servir jamais de telle invention de remèdes, si remèdes sont ; vu que le bon Dieu, souverain, auteur de la Nature, nous a si bénignement remplis et enrichis de bons et vrais remèdes, en tout pays, que nous n’avons en aucune façon besoin de telle forfanterie superstitieuse et bagatelle inutile.
Pour le sang de taureau, Dioscoride et Matthiole, et tous les auteurs conviennent ensemble que si on le boit tout chaud, c’est chose certaine qu’il devient un rude poison, causant une mort soudaine et étouffant incontinent la personne, mais il faut qu’il soit pris chaud, et en quantité ; ce qui ne peut arriver à guère de personnes, si ce ne sont quelques démoniaques ou fous ennuyés de vivre. [75] Le sang de lièvre est recommandé de quelques friands pour en faire le civet qui leur semble bon à cause de son goût de venaison ; mais, néanmoins, la nourriture n’en est pas bonne. Le sang de porc est le plus en usage de tous, parce que d’icelui se font les boudins, avec graisse et boyaux, desquels on mange en quantité durant l’hiver à Paris et ailleurs ; qui toutefois sont de fort mauvaise nourriture et de dure digestion ; outre les dévoiements, vomissements, et flux de ventre pernicieux, que le plus souvent ils causent. Les andouilles [199] sont un peu meilleures, d’autant qu’elles sont faites d’une matière plus nourrissante et de meilleure digestion, pourvu qu’elles ne soient pas trop grasses, bien cuites, bien assaisonnées, et qu’outre tout cela l’on en mange peu.
Quant aux viandes en général, on a égard à leur substance, leur quantité, leur qualité et le moyen d’en user : à raison de la substance, une viande est dite de bon ou de mauvais suc, grossier ou délicat, d’aisée ou malaisée coction ; la quantité comprend le peu, ou beaucoup, ou la médiocrité ; pour la qualité, ou elle échauffe, ou rafraîchit, ou humecte, ou dessèche, etc. ; le moyen d’en user emporte quant et soi la diverse préparation des viandes, combien de fois le jour il faut en manger et quand ce doit être, l’ordre qu’il faut garder en mangeant ; finalement la coutume. Desquels tous en particulier nous dirons brièvement quelque chose.
Quant à la substance de la viande, c’est chose assurée que la grossière est bonne à ceux qui font beaucoup d’exercice, la délicate, à ceux qui vivent en grand repos, et qui en font peu ; c’est pourquoi chacun doit désirer de la viande qui nourrisse beaucoup, qui se digère aisément et qui soit de bon suc, eu égard à ses forces, aux maladies auxquelles il est sujet et aux autres circonstances. Les aliments de meilleure substance sont les œufs frais, le vin, la gelée, [200] les bouillons faits de veau, mouton, volaille, et autres semblables.
Pour la qualité, il est bien difficile d’en définir pour tous, chacun ayant besoin d’un règlement particulier pour soi. C’est néanmoins une chose bien vraie que l’intempérance est la mère nourrice des médecins, et qu’elle tue plus de monde que la guerre même. Platon jugeait une ville pleine de gens débauchés quand il voyait qu’il y avait beaucoup de médecins. [76][201] Nos anciens pères, dit Galien, étaient bien moins malades que nous, et vivaient plus frugalement. Les femmes et les eunuques [202] n’étaient point sujets à la goutte du temps d’Hippocrate, [77][203] mais aujourd’hui l’un et l’autre s’en sentent souvent à cause de l’intempérance et de la crapule qui règnent. Il faut garder le précepte de Socrate : il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. [78][204][205] Il faut boire et manger autant qu’il nous est de besoin pour entretenir nos forces et conserver notre embonpoint. C’est assez de manger médiocrement afin de contenter notre chaleur naturelle. Il ne faut point contenter tout à fait son appétit, mais il faut en avoir encore un peu de reste quand on sort de table. Il faut éviter le trop tant que l’on pourra parce que la coction, empêchée par ce moyen, engendre nécessairement une crudité, d’où vient une grande débilité et plusieurs maladies.
La qualité des viandes se tire de leur propre nature, qu’ils ont telle de tout temps, et celle-là se connaît de leur tempérament et de leur âge, ou qui leur est acquise, principalement par longue coutume, de laquelle nous parlerons ici-bas. Mais il faut regarder en ladite qualité de la viande le pays, la saison et la disposition du temps, qui tous ne se considèrent pas également et qui ont besoin de distinction particulière, presque en chaque individu.
Quant au moyen d’en user, il faut premièrement expliquer leur diverse préparation. Les mélancoliques et bilieux ont plus besoin de bouilli que de rôti ; les pituiteux, [206] au contraire, de rôti que de bouilli ; aux sanguins [207] tout est bon, pourvu qu’ils en usent modérément. Le vin réjouit les mélancoliques, mais il doit être mêlé d’un peu d’eau afin d’être plus fluide, et qu’il humecte plus tôt leurs parties arides. Les bilieux n’en ont guère besoin, mais s’ils veulent ou ont coutume d’en user, je leur permettrai seulement d’en mettre un petit < peu > dans leur eau, qui doit être leur vrai breuvage, pour les humecter et rafraîchir, et tempérer la bouillonnante ardeur du feu qui les consume. Les sanguins y doivent mettre par bonne coutume plus de la moitié d’eau, s’ils ne veulent qu’enfin il leur nuise. Pour les pituiteux, ils le tremperont moins que tout et n’y en ajouteront qu’un peu, qui lui serve de véhicule pour pénétrer plus tôt et atteindre aux parties les plus éloignées. [208]
Quant à la question combien de fois le jour il faut manger, elle ne peut être définie généralement pour tous à cause de la diversité trop grande des tempéraments qui se rencontrent. Je me souviens d’avoir autrefois lu un certain auteur du barreau, qui prétendait que sa jurisprudence dût être de beaucoup préférée à la médecine par cette raison aussi faible qu’elle est hors de propos : que jusqu’ici les médecins n’ont pu s’accorder et répondre pleinement de ce qu’il fallait croire de cette difficulté, tant (disait-il) leur art est plein d’inconstance et peu assuré ; mais ce bon docteur saura, s’il lui plaît, que c’est tout le contraire et que d’autant plus que l’on n’a encore fait aucune décision de cette question, tant plus la médecine est certaine et assurée, ayant égard à tant de circonstances qui se présentent à toute heure fort diverses en chaque personne : et pourra en apprendre la vraie vérité des diorismes suivants. [79] Les pituiteux, qui supportent aisément la faim, peuvent ne manger qu’une fois le jour ; les bilieux au contraire, que le jeûne offense fort, doivent manger peu et souvent, savoir est déjeuner, dîner, souper, mais sobrement et à la mode de Platon, [80][209] qui n’empêche pas le lendemain de déjeuner de bon appétit ; les sanguins doivent garder une grande médiocrité en tout ; mais les mélancoliques doivent trois fois le jour prendre quelque chose pour s’humecter et tempérer leur grande sécheresse. C’est chose bien vraie que nos premiers pères ont été plus sobres que nous, à cause de quoi ils ont vécu plus longtemps, ont été plus forts, plus adroits, plus beaux et plus grands que ceux d’aujourd’hui. Il ne faut pourtant pas croire qu’ils n’aient mangé que du gland, comme racontent les fables des anciens poètes ; [81][210] mais de toute sorte de fruits, et blés, et légumes, et de chairs. Car les saintes Lettres nous apprennent que nos premiers parents, après avoir été chassés du Paradis terrestre, labourèrent la terre et tuèrent des victimes, [82] des chairs et viscères desquelles ils ont pu manger ; mais il est plus difficile de savoir combien de fois le jour ils mangeaient ; toutefois, il y a bien de l’apparence que c’était deux fois le jour, vu que nous lisons qu’Abraham, au 18e de la Genèse, pria trois anges de s’arrêter et de prendre leur réfection chez lui : Je vous présenterai (dit-il) du pain pour vous fortifier le cœur, et après vous vous en irez ; [211][212] ce qu’il n’eût sans doute fait, n’eût été que c’était la coutume de manger quelque chose au matin pour entretenir les forces du corps. Et de vrai, parmi les juifs on dînait et soupait, car on dit que Tobit laissa son dîner pour ensevelir un mort, et qu’il ne mangea qu’après soleil couché. [83][213][214] Josèphe écrit que les Esséniens dînaient vers le midi, ou un peu devant, et qu’ils avaient coutume de souper au soir. [84][215][216] Je n’apporterai point d’autres témoignages pour ce sujet, vu que Jésus-Christ même dans saint Jean dit : Quand vous dînez ou soupez. [85][217] Xénophon rapporte que les Perses mangeaient au commencement une fois le jour seulement, et ce au matin, afin de pouvoir travailler le reste de la journée, mais que par après ils dînèrent et soupèrent. [86][218] Dès le temps d’Homère, les Grecs divisaient leurs repas en dîner et souper ; et Athénée nous apprend que plusieurs Grecs ne se contentaient pas de deux repas, mais qu’ils en faisaient quatre ; enfin, la débauche les ayant gagnés aussi bien que les autres, ils inventèrent un cinquième repas que l’on faisait la nuit ; [87] en quoi les Romains les ont imités entièrement, tant en leur façon de faire du commencement que de la fin, ayant été premièrement assez sobres, puis à la fin gourmands et débauchés comme les autres. Ceux mêmes de notre temps ont ensuivi ces anciennes coutumes, car les uns font quatre repas, les autres davantage ; les autres moins ; quelques-uns n’en font qu’un, mais il dure toute la journée. Néanmoins, pour dire vrai, plusieurs ne font que deux repas, se contentant de dîner et de souper ; d’autres y ajoutent le déjeuner. Le goûter n’est guère que pour les femmes et les enfants, et quelques ouvriers qui sont de grand travail.
Mais quelqu’un désirera savoir lequel vaut mieux : faire plusieurs repas, ou n’en faire qu’un par chaque jour ? À quoi je réponds qu’il est plus sûr et qu’il vaut mieux en faire deux qu’un seul, vu que ce dernier entraîne après soi plus dangereuse conséquence ; mais je voudrais dîner à dix heures du matin et souper à six heures du soir afin de se coucher vers les neuf ou dix heures de la nuit et se lever le lendemain sur les cinq ou six heures du matin.
Il se présente encore ici une autre difficulté, savoir à quel repas des deux il faut manger le plus ou moins, ou au dîner ou au souper ? Cette question a été fort diversement agitée de part et d’autre, jusque là que quelques-uns s’y sont tellement plu qu’ils en ont fait des livres entiers. Pour moi, je dirai en un mot que l’opinion de l’École de Salerne me semble très véritable :
Ut sis nocte levis, sit tibi cœna brevis ; [88]
tant pour les raisons qui la fortifient que pour l’autorité des grands personnages qui l’ont maintenue et pour ma propre expérience, m’étant toujours trouvé fort bien de n’avoir guère soupé. Mais de peur que quelqu’un ne me reproche Erubsecat Iurisperitus sine lege, Medicus sine ratione [89] et que je n’aurai autre preuve que mon expérience, j’apporterai les raisons qui m’obligent à tenir cette opinion. Premièrement, en soupant peu, l’estomac est moins chargé, d’où s’ensuit que l’on s’endort avec moins de peine et que la chaleur naturelle est moins travaillée. Secondement, en soupant peu on évite quantité de ronflements, assoupissements, oppressions et inquiétudes qui ont coutume d’importuner ceux qui soupent beaucoup. Troisièmement, en soupant peu on s’exempte de plusieurs fluxions et catarrhes, douleur de tête, vertiges et autres symptômes auxquels sont sujets ceux qui mangent le soir beaucoup. De plus, si on soupe peu, on s’en trouve plus léger et plus allègre le matin suivant, à cause de la chaleur naturelle qui, faute d’emploi à la nourriture, s’est occupée à digérer divers excréments qui nous surchargent et empêchent ; joint que la coction en est toujours plus aisément faite, et plus tôt achevée. Finalement, en soupant peu, la distribution de la nourriture avance beaucoup, au lieu que si l’estomac est chargé outre mesure, faute d’exercice qui ne se fait pas la nuit comme le jour, la chaleur naturelle engagée sous cette quantité de viandes ne peut rien entreprendre pour sa décharge ; d’où s’engendrent plusieurs obstructions à cause des humeurs qui demeurent en chemin qui, par après, causent cent sortes de fâcheuses maladies. Ces raisons sont confirmées de l’autorité d’Aristote en ses Problèmes, sect. 3, problem. 11, d’Actuarius, liv. 2 chap. x, [219] et de Galien, 5ee de Sanit. tuend. cap. 4, où il raconte la manière de vivre du médecin Antiochus [220 et du grammairien Telephus, [221] lesquels, pour avoir peu soupé en leur vie, devinrent tous deux fort vieux et vécurent bien près de cent ans ; [90][222] de sorte qu’il y a grande apparence que quiconque imitera ces bons Anciens pourra jouir du même bonheur, au moins vivre bien plus longtemps qu’il n’eût fait vivant autrement, s’il garde le même régime qu’eux, en dînant mieux, et soupant moins et plus sobrement. Je sais bien que quelques-uns se servent de plusieurs distinctions pour décider cette question, les uns alléguant qu’il faut avoir égard à la coutume, les autres faisant exception de ceux qui sont sujets à quelques maladies, comme catarrhes, fluxions sur les yeux, sur le poumon, etc. Mais toutes ces raisons ne sont assez valables, vu qu’elles sont trop particulières et qu’il faut ici une conclusion générale, sinon pour tous, au moins pour la plupart, puisqu’il ne se trouve guère personne qui n’ait quelque vice ou incommodité particulière, à cause de laquelle il ne soit très utile de peu souper et fort sobrement. [223] J’avoue bien qu’un homme sain et bien tempéré ne doit s’obliger à aucune de ces lois, pouvant faire ses repas égaux, c’est-à-dire manger également et autant à souper comme à dîner ; mais d’autant qu’il s’en trouve peu de la sorte et qu’il n’y a guère d’hommes doués d’une si parfaite température, je conclus finalement qu’il vaut mieux manger davantage à dîner, et souper beaucoup moins et plus sobrement.
Quant à l’ordre de manger les viandes, l’expérience nous montre qu’il importe beaucoup laquelle on mange la première, vu que telle viande arrête le ventre si elle est prise au commencement du repas, et qu’elle l’amollit si on la prend à la fin, que d’autres donnent des nausées et vomissements si on ne les prend comme il faut, que les aulx, les oignons et les raves sentent plus ou moins, selon le temps et la sorte qu’on les mange, au commencement ou à la fin du repas. C’est pourquoi il faut premièrement prendre les choses qui amollissent le ventre, qui ne sont point de si bon suc, qui se cuisent et descendent aisément du ventricule ; [21] et qui s’y peuvent plus aisément corrompre. Après il faut prendre ce qui peut arrêter le ventre, qui soit de plus dure digestion, qui ne sorte sitôt de l’estomac, et qui soit de meilleur suc et de plus louable nourriture. Car si on n’y garde cet ordre et que l’on mange à la fin du repas les choses qui lâchent le ventre, les fibres de l’orifice supérieur du ventricule se relâcheront, d’où se pourront ensuivre nausée, vomissements et autres accidents qui empêcheront la coction et renverseront toute l’économie naturelle. Et si on prend au commencement ce qui est de plus dure digestion, ce qu’on prendra après demeurera plus longtemps en l’estomac et s’y corrompra, communiquant le pareil vice aux autres viandes. Or, encore que nous ne puissions nier que tout ce que nous mangeons ne se mêle l’un avec l’autre durant la coction dans le ventricule, il ne faut pourtant pas croire que tout l’ordre y soit renversé, mais que les choses plus aisées à cuire, étant les premières prises, sortent les premières dès qu’elles sont cuites, ou que la chaleur naturelle s’en sent chargée, ou qu’il y a danger de quelque corruption.
Ici se rapporte une autre difficulté : de quelle sorte on doit commencer les repas, où à boire ou à manger ? Il semble qu’il faille premièrement boire puisqu’il faut prendre les choses liquides les premières, joint qu’elles sont plus tôt cuites et plus aisément distribuées. De plus, la coction de la viande se fait en notre estomac de même sorte que la chair crue se cuit dans une marmite (d’où vient qu’Aristote compare la première coction à l’élixation) ; [91][224][225] or est-il qu’on met premièrement de l’eau dans le pot, puis après la viande ; donc, il faut premièrement boire, puis après manger. Les auteurs de l’École de Salerne sont de même avis :
Ut vites pœnam, de potibus incipe cœnam. [92]
Ce qu’il faut expliquer des choses liquides, comme les bouillons : les Anciens, au rapport de Pline, [226] avaient coutume de boire avant que de manger, mais cette façon de faire s’est abolie pour plusieurs causes, par le bon conseil des médecins. Le vin pris au commencement du repas offense grandement les nerfs et cause la goutte : joint qu’il engendre une fluctuation dans l’estomac, qui trouble et renverse toute la digestion. À cause de quoi Galien au 7e de la Méthode, [227] veut que l’on mange avant que boire. [93] Pour moi je crois qu’il faut toujours commencer par le bouillon quand il y en a, puis manger de la viande solide quelque peu, puis commencer à boire, afin que tout se mêle également dans le ventre ; et ne manger jamais à la fin du repas (comme on fait presque partout aujourd’hui) aucune sorte de fruit cru, mais seulement quelque peu du cuit, ou de confit, pour faire bonne bouche, sans retarder la digestion ni charger l’estomac.
Quant à la coutume, c’est la vérité que ceux qui se portent fort bien ne se doivent obliger à aucune loi ni règle, de peur que si par hasard ils viennent à être contraints de quitter leur première coutume, ils ne tombent au même temps en quelque grand danger de maladie ; car le grand pouvoir de l’accoutumance paraît particulièrement en la nourriture, qui cause une certaine habitude à l’estomac et autres parties, d’où vient que les choses accoutumées de longtemps, combien que moins bonnes, semblent meilleures à cause de la coutume, tant elle a de pouvoir sur nous, comme l’a enseigné le grand Hippocrate aph. 50 de la sect. 2. [94] Et de là est arrivé que quelques-uns ont autrefois mangé quantité d’ellébore [228] sans en être nullement offensés, au rapport de Théophraste, lib. ix hist. plant. cap. xviii. [95] Galien même, lib. iii Simpl. cap. xviii, fait mention d’une certaine vieille femme d’Athènes, laquelle petit à petit s’accoutuma à manger de la ciguë, et enfin en mangea beaucoup sans s’en trouver en nulle façon incommodée. [96][229] Mithridate, roi de Pont, [230] s’était tellement accoutumé aux venins et poisons, qu’il ne put etiam sciens et volens, [97] mettre fin à sa vie par le moyen d’iceux, mais fut contraint de prier un de ses capitaines de le tuer, afin de ne tomber vif entre les mains du victorieux Pompée [231] et ne lui servir de triomphe à Rome, au rapport d’Appian Alexandrin, in bello Mithridatico, [98][232] et de Martial, lib. 5 epigramm. : [233]
Profecit poto Mithridates sæpe veneno,
Toxica ne possent sæva nocere sibi.
Tu quoque cavisti cœnando tam bene semper,
Ne posses unquam, Cinna, perire fame. [99]
Avicenne, [234] et plusieurs auteurs après lui, font mention d’une certaine fille, laquelle ayant été nourrie de poison dès le berceau, tuait de son haleine tous ceux qui approchaient d’elle. [100] Albert le Grand [235] dit avoir vu à Cologne [236] une fille qui aimait extrêmement les araignées, et ne vivait d’autre chose, combien que tels animaux soient fort vénéneux, et plusieurs personnes seraient en danger de leur vie s’ils avaient seulement goûté du vin dans lequel une araignée aurait été étouffée. [237] Porus, roi des Indes, se plut tant à manger des serpents tout le temps de sa vie qu’il en devint tout vénéneux, et qu’il tuait de son souffle seul tous ceux qui l’abordaient, non plus ni moins que si lui-même eût été un serpent. Il y a une sorte de gens en l’Hellespont qui ne vivent que de poissons, d’où on leur donne le nom d’Ophiogenes, [238] comme qui dirait faits et nourris de serpents. Les Psylliens [239] et Marses de l’Italie [240] en font de même, à cause de quoi ils ne craignent point les morsures des serpents : ce que nous confirme l’histoire de celui qui était de cette race, nommé Exagon, lequel, ayant été, par le commandement d’un consul romain, jeté et enfermé tout nu dans un tonneau plein de serpents, n’en fut nullement blessé, au rapport de Pline, mais au contraire en sortit aussi sain et gaillard comme il y était entré. [101][241][242] Quelques-uns écrivent qu’un certain nommé Lysis mangeait souvent demi-once d’opium tout à la fois, sans aucun danger : [243] Scaliger le père dit que les Turcs s’en servent fort familièrement pour s’animer au combat, et s’exciter au jeu d’amour, sous le nom d’Amfiam : [244] Monsieur de Renou, savant médecin de Paris, témoigne avoir vu à Nemours une femme qui en mangeait tous les jours demi-dragme, sans aucune offense ni inconvénient. Finalement, on dit qu’autrefois il y avait à Candie [245] une famille, de laquelle tous unanimement et sans exception ensorcelaient tous ceux qu’ils regardaient, et principalement les enfants qui peu de temps après en mouraient de langueur. À cause de quoi je trouve être fort véritable ce qu’écrivent plusieurs, savoir est que ceux qui ont été nourris de poison toute leur vie, sont entièrement exempts de tous ses efforts. [102][246] Et ce que dit Galien après Aristote de la coutume, qu’elle est une seconde nature, par le moyen de laquelle il arrive que beaucoup de choses qui de prime abord nous sont bien étranges, nous soient rendues communes et bien familières par continuation et accoutumance : ce qui nous oblige de lui déférer et lui donner quelque chose, même de la retenir tout le temps de notre vie, quand elle a pris pied sur nous ; si ce n’est par aventure qu’elle soit mauvaise, et alors il faut travailler à la changer, non pas tout d’un coup, mais petit à petit ; vu que tout changement soudain est contraire à nature. [103][247][248][249] Deux autres conditions sont pareillement requises pour changer une mauvaise coutume avec utilité et profit : la première desquelles est de n’entreprendre ce changement en un temps ni âge maladif, en tant qu’un corps sain et robuste endure et supporte plus aisément l’incommodité du changement ; la seconde condition est de n’être empêché à beaucoup d’affaires, mais franc et libre, afin de pouvoir tout faire en temps et lieu ; car ceux qui ont beaucoup d’affaires et qui sont fort employés ne se peuvent obliger à de certaines lois requises. C’est pourquoi la vie de l’homme étant sujette à beaucoup de hasards qui ne se peuvent prévoir, il ne doit rien entreprendre qui le puisse offenser en quelque façon, si quant et quant [104] il n’a chez soi tous les moyens prêts pour y résister. Et cet avis servira particulièrement pour les vieilles gens, qui ne doivent se laisser légèrement emporter à corriger quelque mauvaise coutume ni rien changer en leur façon de vivre en cet âge plein de faiblesse, de peur qu’en voulant bien faire il ne leur arrive pis qu’auparavant, comme j’ai vu souventes fois arriver à gens de cet âge.
> Retour à la table des chapitresTraité de la Conservation de santé… (Paris, 1632) : pages 10‑85.
Ces deux sortes d’air étaient celui qui rafraîchit « les esprits échauffés » et celui qui expulse « l’excrément fuligineux, contraire et ennemi de notre chaleur naturelle » (v. note [4] du Traité de la Conservation de santé, chapitre i).
Galien a parlé du pain et de ses diverses qualités en maints endroits, en particulier dans la leçon de boulangerie qui est au livre i de son traité De alimentarum facultatibus [Sur les facultés des aliments] (Kühn, volume 6, pages 484‑485, traduit du grec) :
Inter panes igitur siligineus plurimum alimentum præstat : post ipsum autem similaceus : tertio loco medius, qui est confusaneus, et áõôïðõñïò dicitur ; quartum post hunc est sordidorum genus, in quibus furfuraceus est postremus, minimumque omnium nutrit, et omnium maxime per alvum subsidet. Concoctu autem inter panes sunt facillimi, qui plurimum sunt fermentati et pulcherrime subacti, quique in clibano igne moderato fuerunt assati : nam ignis ardentior primo statim occursu superficiem externam circumurens in testæ modum indurat, acciditque duplici nomine pravum panem fieri : priori quidem, quod partem internam habeat crudam atque illaboratam, posteriori vero, quod externam siccam habeat ac præassatam et testaceam. Porro ignis moderato remissior panem minus belle elaborat, sed ipsum crudiorem relinquit, et maxime partem omnem ejus internam. Qui autem in igne moderato, longiore spatio, per totos se ipsos æquabiliter assati fuerint, ii tum bellissime in ventriculo concoquuntur, tum ad cæteras actiones, quæ coctionem consequuntur, fiunt accommodatissimi. Pessimi autem panes ii sunt habendi, quibus nihil memoratorum ante adest.
[Parmi les pains, celui qu’on fait du plus pur froment {a} surpasse quantité d’aliments ; celui qu’on fait de la fleur de farine vient après lui ; {b} en troisième rang, se place le pain moyen, qui est mélangé et qu’on appelle autopyros ; {c} en quatrième, se situe la catégorie des pains bis, où celui de son occupe le dernier rang, car il est le moins nourrissant de tous et reste le plus sur l’estomac. Les pains qui se cuisent le plus facilement sont ceux qui ont beaucoup fermenté, qui ont été le mieux pétris et cuits dans un four à feu doux. Une chaleur trop vive au moment de l’enfournement durcit la surface du pain et la brûle à la manière d’une brique, ce qui le rend mauvais pour deux raisons : la première est que l’intérieur n’en est pas bien cuit ni élaboré ; la seconde est que sa croûte est sèche et grillée, ayant la couleur d’une tuile. De plus, un feu par trop doux produit un moins beau pain, en le laissant trop cru, surtout à l’intérieur. Ceux qui ont été laissés plus longtemps dans un four modéré seront cuits de manière égale en toutes leurs parties ; l’estomac les digère parfaitement, ce qui les dispose le mieux aux étapes suivantes de son absorption. Il faut tenir pour les pires des pains ceux qui n’ont aucune des qualités que j’ai rappelées]. {d}
- Le froment est le « blé, le meilleur et le plus gros de tous les grains, qui fait la farine la plus blanche » (Furetière). Dans son commentaire sur le livre ii de Dioscoride, Matthiole (Lyon, 1579, v. note [42], lettre 332) donne à ce blé le nom féminin de siligo (page 278).
- La nuance est ténue car la fleur de farine est « la plus belle farine du froment » (Littré DLF) : semidalis en grec, similaceus en latin.
- Autopyros ou autopyritês est le pain de pure farine (Gaffiot) ; il devait être fait d’un mélange des deux précédentes farines et le traducteur de Matthiole l’appelait (ibid. {a}) « pain moyen ou pain bourgeois ».
- Une traduction française ancienne de ce passage se lit dans L’œuvre de Claude Galien des choses nutritives (Paris, 1552, 5e traduction citée à la fin de la note [6], lettre 6), livre i, chapitre ii, Du froment (pages 26 ro‑27 ro) :
« Entre tous pains, donc, celui qui est de pure farine nourrit grandement ; et après cestui, celui qui n’est tout pur, et en troisième lieu, le moyen, qu’ils appellent syncomistous et autopyrous. Le quatrième après ceux-ci est le pain des serviteurs, avec lequel est compris celui qui est de son tout pur, que nous appelons pain des chiens, lequel nourrit moins que tous les autres, et coule plus tôt par le ventre. Et entre tous pains, ceux qui sont plus levés et mieux pétris sont les plus aisés à digérer, s’ils ont été cuits au four moyennement chaud ; car le four trop chaud, de première rencontre brûlant la première croûte, l’endurcit en forme de tuile, et advient doublement que le pain est mal cuit : premièrement, parce qu’il a la miette toute crue, et ne se sent d’être cuite ; secondement, parce qu’il a la croûte de dessus sèche, dure et brûlée. Ainsi le four qui n’est assez chaud n’assaisonne pas bien le pain, mais le laisse trop cru, et principalement la miette de dedans : mais le pain qui sera cuit en un four chaud par mesure, tout à loisir et en long espace de temps, est plus aisé à digérer et trop plus utile à toutes les opérations qui suivent la digestion. Et le pain auquel n’est tout le prédit est pire que tous. »
Les Problèmes d’Alexandre Aphrodisée, excellent et ancien philosophe, pleins de matière de médecine et philosophie, traduits de grec en français, avec annotation des lieux plus notables et difficiles. Soixante autres problèmes de même matière, médecine et philosophie, par M. Heret (Paris, Guillaume Guillard, 1555, in‑8o), livre second, problème 67, page 85 vo :
« Pourquoi quand en fièvre l’on prend du pain avec du vin, la fièvre n’est augmentée par la chaleur du vin ? Pourtant que le prenant en petite quantité, il est plus aisément digéré avec la vertu du pain par les parties du corps. Les parties donc recréées par le nourrissement sont beaucoup plus fermes et puissantes pour cuire la matière qui cause tel mal. Car le pain et le vin, de leur propriété, ont trop plus de force de soutenir et nourrir les parties du corps humain que les autres viandes, {a} mais qu’on les prenne médiocrement ; ainsi disait le divin Homère (et Cérès et Bacchus). {b} D’iceux dépendent véritablement les forces du corps et de l’esprit. Il a donc premièrement nommé le pain, car tout seul peut nourrir sans vin ; ce que, de soi, sans pain, le vin ne peut faire. »
- Aliments.
- V. notule {b}, note [11], lettre 190, pour Cérès, déesse romaine des moissons (Déméter des Grecs), et [23], lettre 260, pour Bacchus (Dionysos). Homère a chanté ces deux divinités dans ses hymnes iv et vi. Il a aussi célébré la nécessité vitale du pain et du vin dans le chant xii de L’Odyssée (vers 327‑334, relâche des navires d’Ulysse sur l’île du Soleil, après le passage tourmenté de Charybde et Scylla, v. note [4], lettre latine 477.) :
« Tant que mes compagnons eurent du pain et du vin, ils ne touchèrent point aux troupeaux du Soleil car ils ne demandaient que les aliments nécessaires à la vie ; mais lorsque toutes les provisions du navire vinrent à manquer, ils se mirent à errer par nécessité, cherchant quelque proie. Ils tâchaient de saisir des poissons avec leurs hameçons recourbés, de prendre des oiseaux, ou enfin tout ce qui leur tombait sous la main, car la faim dévorait leurs entrailles. »
Alexandre d’Aphrodisée ou Aphrodise (en Cilicie) est un philosophe grec du iie s., auteur de commentaires sur Aristote. Dans ses propres Problèmes, il a aussi abordé des questions de médecine.
« Viande, se dit par extension de plusieurs autres nourritures de l’homme ; et on appelle viande de carême le poisson, les salines [poissons salés], les fruits secs, crus et confits, et les légumes » (Furetière).
La section xxi des Problèmes d’Aristote traite de la farine et la pâte. Son problème 13 commence par cet énoncé (traduit par Jules Barthélemy-Saint Hilaire, Paris, Hachette, 1891, in‑8o, tome second, pages 127‑129) :
« Pourquoi pouvons-nous user si longtemps de la même nourriture, soit sèche, soit liquide, par exemple de pain de froment et de pain d’orge, de vin pur et d’eau, tandis que nous ne pouvons pas user aussi continûment d’autres aliments qui sont cependant plus agréables que ceux-là ? »
Méteil : « blé moitié seigle et moitié froment » (Furetière).
Pain de chapitre : « pain blanc et broyé qu’on distribue chaque jour aux chanoines » (Furetière).
« Pain à la reine, pain molet, à la mode, à la Montauron, de Ségovie, de Gentilly, pain de condition : ce sont diverses façons et préparations que donnent les boulangers de petit pain [v. note [2], lettre 415] à celui qu’ils vendent. Ils mettent du lait au pain à la mode, à la Montauron, de Ségovie, etc. Ils mettent du sel et de la levure de bière au pain à la reine ; du beurre au pain de Gentilly, etc. ; et en tous ces pains, la pâte est plus molle et plus levée » (Furetière).
Dans le chapitre xvii, De Eduliis in particulari ac primo de Pane [Des aliments et, en tout premier, du pain] de ses commentaires sur la Schola Salernitana [École de Salerne] (Paris, 1625, v. note [4], lettre 12), René Moreau a consacré 49 pages (256‑305) aux céréales et au pain. Le passage cité par Guy Patin se trouve aux pages 268‑269 :
Salis interim moderata aspersio utilis imo necessaria tum quod gratiam palato addat et ventriculo acceptiorem reddat panem, tum quia nimium humorem exsiccet, sicque panem et coctioni et distributioni aptiorem efficiat ; eius exuberantia plus iusto siccescit panis ac durescit, retorridumque in corporibus sanguinem cumulat. Detestandus eorum est error qui loco salis aqua marina panem subigunt, nam inde morborum ilias exoritur. Puniendi quoque pistores qui ut panis gravior fiat, salem detrahunt, norunt enim salis admistione leviorem panem fieri, cuius rei causam postea dabimus. In summum salitus panis non salito iucundior est ac salubrior ; quamobrem laudare non possum Lutetianum panem qui sine sale paratur, dicique non potest quam morborum multitudinem civibus accersat. Crediderim calculorum generationem quibus obnoxii sunt Parisienses hanc præcipuam habere causam : Veram enim esse Galeni sententiam arbitror lib. i de alim. cap. de Pane loto afferentis cibos omnes boni succi et multi alimenti eos qui ipsis assidue utuntur, lædere, obstructiones in hepate parere et in renibus calculos gignere. Cum enim, inquit, humor crudus lentorem assumpsit et transitus per renes quibusdam natura sunt angusti, ibi quod crassissimum est ac maxime lentum diutius moratum, πωρον, id est, tophum prompte gignit. Nemo autem est qui ignoret panem Parisiensem vulgarem, ut boni est succi, sic multum nutrire, succumque alibilem suggerere diu perdurantem, maxime cum magna copia ingeritur : exinde quoque contingit ut plenitudine Parisienses laborent ac πολυαιμα quæ coërceri nullo aptiori remedio potest quam phlebotomia frequenti, quod observare debent ii qui Parisiensibus Medicis injurii eos αιματοποτας vocant propter sanguinis detractionem quam frequenter præscribunt.
[Il est cependant utile et même nécessaire de saler la pâte, tant afin de rendre le pain plus agréable au goût et plus digeste pour l’estomac que, puisqu’il assèche fort l’humeur, de mieux le disposer à la digestion et à l’absorption dans le corps ; mais si on dépasse la juste mesure, il devient sec et dur, et favorise l’accumulation d’un sang brûlé dans les corps. Il faut pester contre l’erreur de ceux qui pétrissent le pain avec de l’eau de mer, au lieu de sel, car il donne alors naissance à une iliade de maladies. {a} On doit aussi blâmer les boulangers qui s’abstiennent de saler le pain pour le rendre plus lourd, car ils savent que l’addition de sel l’allège, comme nous l’expliquerons plus loin. En somme, le pain est plus agréable et plus salubre quand il est salé que quand il ne l’est pas. Je ne puis donc louer le pain parisien qu’on fabrique sans sel, ni énumérer la multitude de maladies qu’il provoque chez les habitants de cette ville. Je croirais volontiers que telle est la principale explication des calculs qui les affligent. Je trouve en effet profondément juste ce qu’a dit Galien du pain lavé, {b} au livre i des Aliments : Consommés continuellement, tous ces aliments de bon goût et bien nourrissants sont nuisibles : ils provoquent des obstructions du foie et engendrent des calculs dans les reins car, à l’humeur crue, s’en adjoint une plus glutineuse ; quand elle a traversé les reins, que certains ont par nature étroits, où ce qui est très épais et extrêmement visqueux séjourne très longtemps, elle engendre promptement un tophus, {c} c’est-à-dire un calcul. Nul pourtant n’ignore que le pain grossier de Paris, étant de bon goût et très riche, procure un suc nourrissant qui séjourne durablement dans le corps, surtout quand il est ingéré en grande quantité. Cela fait aussi que les Parisiens souffrent de cacochymie et de pléthore, {d} et que, pour les réprimer, il ne peut y avoir de remède plus efficace que la fréquente phlébotomie. Voilà ce à quoi devraient se conformer ceux qui injurient les médecins parisiens en les appelant sangsues {e} parce qu’ils prescrivent trop fréquemment la saignée].
- Cette « iliade de maladies » est la seule traduction plausible qui puisse correspondre à morborum ilias, mais elle n’est corroborée par aucun des dictionnaires que j’ai consultés. Je suppose que René Moreau y a recouru pour exprimer la copieuse liste des maux qu’engendrerait le pain pétri avec de l’eau de mer, en référence avec la longueur de l’Iliade d’Homère.
- C’est-à-dire le pain trempé, comme l’explique le livre cinquième (page 500) de L’Agriculture et maison rustique de Maîtres Charles Estienne et Jean Liébault, docteurs en médecine (Lyon, Claude Charteron et Charles Amy, 1689, in‑4o ; v. note [2], lettre 755) :
« Le pain lavé est d’un manger fort profitable à la santé, d’autant qu’il donne une légère nourriture au corps et n’y engendre des obstructions, à cause que le lavement lui ôte son épaisseur et viscosité terrestre, dont il est rendu tout léger et aérien. Qu’ainsi soit, vous le connaîtrez par l’expérience, d’autant que si le jetez dans l’eau, il nage par-dessus comme une pièce de liège ; si vous le pesez après qu’il sera lavé [essoré], vous serez surpris de sa légèreté, et vous le trouverez moins pesant de la moitié. Les Anciens le tranchaient par leiches [tranches], le lavaient en eau et en faisaient grand cas aux maladies aiguës parce qu’il est de petite et légère nourriture, requise en telles maladies. En ce temps, nous n’en tenons < pas > moindre compte, sauf que nous ne faisons son lavement en eau, mais en bouillon de viandes, comme de veau ou de chapon, ayant plus d’égard à notre délicatesse et faiblesse plus grandes que n’étaient aux corps des anciens. »
- V. note [9], lettre 515.
- V. note [8], lettre 5.
- Adaptation du mot grec aïmatopôtas, « buveurs de sang » (ici écrit αιματοποτας au lieu d’αιματοπωτας), au vocabulaire des ennemis de la saignée (hématophobes).
On trouve ici et là de multiples variantes, plus ou moins gaillardes, de ce proverbe d’origine italienne.
Chapeler : « couper, retrancher la plus grosse partie de la croûte de pain, pour la rendre plus mince et plus aisée à mâcher » (Furetière).
V. notes [5], lettre 61, pour désopiler, qui est le contraire d’opiler (obstruer), et [2] du mémorandum 7 pour les pâtés que préparaient et vendaient les pâtissiers au xviie s.
Furetière a défini tous ces noms de gâteaux (sucrés ou salés) qu’ils confectionnaient aussi :
En hors-d’œuvre.
Avelines : grosses noisettes, dont le nom latin, Avellana nux, vient de la ville d’Avella (ou Abella) en Campanie, célèbre pour la qualité de ses fruits.
« Dans sa jeunesse, en raison d’une consommation immodérée de fruits à toute heure, il fut sujet aux maladies. Par la suite, quand il sut vraiment que l’art consiste à préserver la santé et dès lors qu’il s’y est appliqué, il a joui d’un corps en bonne santé. »
C’est un résumé fidèle des confidences de Galien sur sa propre santé, qui se lisent à la fin du chapitre i de son livre De probis pravisque alimentorum succis [Des bons et mauvais sucs des aliments] (Kühn, volume 6, pages 756‑757).
Damas : « Espèce de prune de médiocre grosseur fort sucrée et qui quitte le noyau. Elle est ainsi nommée parce que, quand elle est sur l’arbre ou proprement cueillie, elle a la peau fleurie comme l’étoffe de damas » (Furetière).
V. note [16] du mémorandum 19 pour le court-pendu.
La calville est une autre variété de pomme, « fort rouge par la pelure, et qui est même rouge en une partie de la chair » (Furetière).
Gilles Ménage en a beaucoup rajouté sur l’étymologie :
« L’origine de ce mot ne m’est pas connue. Comme plusieurs fruits – le besie d’Héry, la virgouleuse, la Saint-Lezin, les poires d’Angoisse – {a} ont pris leur dénomination du lieu d’où ils nous sont venus, il peut être aussi que les pommes de calville aient été ainsi appelées de quelque lieu appelé Calville. {b} Et à ce propos, il est à remarquer que dans le voisinage de Lyon, du côté de la Bresse, il y a un lieu appelé Calville. Les Anciens ont fait mention d’une sorte de noix qu’ils appelaient noix chauve. Caton, ch. 8. Nuces calvas, avellanas Prænestinas et Græcas. {c} Ils ont aussi fait mention d’une vigne chauve : le même auteur, chapitre 22, Si vinea a vite calva erit ; Pline, livre xvii, chap. xxii, Si vinea a vite calvata erit. {d} N’aurait-on point aussi appelé les pommes de calville poma calvilla, par rapport à mala cotonea, qui sont les coings, lesquels sont cotonneux ; et par rapport aux pêches, qui sont velues, dont quelques-unes, pour cela, s’appellent veloutées ? J’ajoute à ces considérations que nous avons une sorte de pêches que nous appelons lisses, et que les pommes de calville étant extrêmement lissées, ne représentent pas mal une tête chauve. {e} Il me reste à remarquer que dans le Languedoc on dit pommes de calvire au lieu de pommes de calville. »
- Ménage a lui-même pris soin de définir chacun de ces rares fruits.
- Besie d’Héry : « sorte de poire, ainsi appelée du mot besie (qui, dans la Bretagne, dans l’Anjou et dans le Poitou, signifie poire sauvage, et qui, comme je crois, est un mot bas-breton) et de Héry, qui est une forêt de Bretagne entre Rennes et Nantes, où ces poires ont été trouvées. De sorte que c’est parler improprement que de les appeler poires de besie d’héry. En Bretagne, en Anjou et à Paris, on dit du besie d’héry. »
- Virgouleuse : « sorte de poire. J’apprends de l’Abrégé des bons fruits de M. Merlet que cette poire a été ainsi appelée du village de Virgoulée, prés de Limoges, et que dans le pays on l’appelle aussi la chambrette, à cause que ce village appartenait au baron de Chambray. Ce fut un nommé M. de Laborie, secrétaire du roi, qui l’apporta à Paris vers l’an 1625 ou 1630 ; ce qui l’a aussi fait appeler par d’autres poire de Laborie. On la nomme dans le Limousin poire de glace. »
- Saint-Lezin : « sorte de poire ; de la chapelle Saint-Lezin près d’Angers, dans le jardin de laquelle on commença en Anjou à greffer de ces poires. En Anjou, nous prononçons Lezin ; à Paris, on dit plus communément Lézin. »
- Angoisse : « sorte de poire. J’avais toujours cru que ces poires avaient été ainsi appelées à cause qu’elles sont de mauvais goût et qu’elles prennent à la gorge. Et c’est aussi la pensée de Charles Estienne dans son de Re hortensi ; mais je viens d’apprendre dans la Chronique manuscrite de Geoffroy, prieur de Vigeois, chap. 27, laquelle m’a été communiquée par M. Dupuy, conseiller d’État et garde de la Bibliothèque du roi, qu’elles ont été ainsi nommées d’un village du Limousin appelé Angoisse. His diebus (an. 1094) repertum est genus piri agrestis a rustico in ejus agro. Fructum vero nominant pyras d’Angoisse. Vicus enim sic vocatur, et est in Lemovicino, non longe a Monasterio Sancti Aredii, quod dicitur St Iriez [Récemment (en l’an 1094) un paysan a trouvé dans son champ un genre de poire agreste. Ils nomment ce fruit poires d’Angoisse, qui est le nom d’un village du Limousin proche du monastère de Saint-Iriez (aujourd’hui Saint-Yriex- la-Perche en Haute-Vienne)]. »
- Probablement Caluire, dans la banlieue nord-est de Lyon aujourd’hui.
- « des noix chauves, des avelines de Préneste [aujourd’hui Palestrina près de Rome] et de Grèce » (Caton l’Ancien, De l’Agriculture, v. note [5] de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot).
- « Si les ceps sont rares dans votre vigne » citation de Caton l’Ancien (chapitre 33 et non 22), reprise par Pline dans son Histoire naturelle, à l’endroit indiqué.
- Fort tourmenté par cette énigme étymologique et peu convaincu par le lien avec Calville/Caluire, Ménage se demandait si calvilla ne pourrait pas être un diminutif de calva, chauve.
Platina ou Platine est le surnom de Bartolomeo Sacchi (Piadena près de Crémone 1421-Rome 1481), humaniste italien. V. note [68] du Naudæana 2 pour un copieux complément biographique sur Platina, dont le prénom latin était double, soit Baptista, soit Bartholomæus. Il a notamment laissé un ouvrage célèbre pour avoir lancé la légende de la papesse Jeanne (v. notes [45] et [46] du Naudæana 4) :
Historia B. Platinæ de vitis Pontificum Romanorum. A D. N. Iesus Christo usque ad Paulum ii. Venetum Papam, longe quam antea emendatior, doctissimarumque annotationum Onuphrii Panvini accessione nunc illustrior reddita. Cui, eiusdem Onuphrii accurata atque fideli opera, reliquorum Pontificum Vitæ, usque ad Pium v. et Antonii Ciccarellæ, usque ad Clementem viii. qui hodie Sanctæ Romanæ Catholicæ Ecclesiæ præsidet, adiunctæ sunt. Accesserunt nunc demum omnium Pontificum veræ effigies : omnia summo studio emendata et correcta.[Histoire de B. Platina sur les vies des pontifes romains depuis Notre Seigneur Jésus-Christ jusqu’au pape Paul ii, natif de Venise ; bien mieux corrigée qu’auparavant et maintenant rendue plus belle par l’addition des annotations d’Onofrio Panvinio. {a} On y a aussi ajouté, grâce au fidèle et diligent travail du même Onofrio, les vies des papes suivants, jusqu’à Pie v, et, par les soins d’Antonius Ciccarella, jusqu’à Clément viii, qui gouverne aujourd’hui la sainte Église catholique romaine ; ainsi que les authentiques portraits de tous les pontifes. Ouvrage entièrement revu et corrigé avec la plus grande diligence]. {b}
- V. note [2], lettre 117.
- Cologne, Bernardus Gualtherius, 1600, in‑8o ; première édition à Venise, 1479.
Pietro Barbo (Venise 1417-Rome 1471), élu pape en 1464, a régné sous le nom de Paul ii. Platina a relaté sa gloutonnerie et sa mort aux pages 340‑341 de son Histoire :
Varia ciborum genera sibi apponi volebat, et peiora quæque semper degustabat. Clamabat interdum, nisi quæ expetebat, ex sententia ei apposita fuissent. Bibacissimus quidem erat, sed vina admodum parva et diluta bibebat. Peponum esu, cancrocum, pastillorum, piscium, succidiæ, admodum delectabatur. Quibus ex rebus ortam crediderim apoplexiam illam, qua e vita sublatus est : nam duos pepones et quidem prægrandes comederat eo die, quo sequenti nocte mortuus est. Iustus tamen est habitus et clemens. […] Apoplexia correptus obiit morte repentina Romæ in Palatino Vaticano viii. Kal. Augusti, anno Mcccclxxi. […] Vicit annos liii. menses v. dies iii. sedit annos vi. menses v. dies xxvi.
[Il voulait qu’on lui présentât des mets variés et se délectait toujours des pires d’entre eux. Il poussait parfois des cris si ceux qu’il avait demandés ne lui étaient pas fournis selon son ordre. Il était très gros buveur, mais consommait des vins très mauvais et délayés. Il se régalait fort de melons, de crustacés, de gâteaux, de poissons, de porc salé. Je crois bien que cela a provoqué cette apoplexie qui l’a emporté, car il avait mangé deux très gros melons le jour qui a précédé sa mort. Il s’agit pourtant d’une habitude légitime et humaine. (…) Frappé d’apoplexie, il mourut subitement à Rome, dans le palais du Vatican le 26 juillet 1471. (…) Il a vécu 53 ans, 5 mois et 3 jours, et siégé 6 ans, 5 mois et 26 jours].
Albert v de Habsbourg (1397-1439) fut successivement duc d’Autriche (1404), roi de Bohême et de Hongrie (1437), puis roi de Germanie (1438). Il mourut de dysenterie à Neszmély (Hongrie) en combattant les Turcs.
Ce que Guy Patin appelait la « Chronique de Münster » est la Cosmographie universelle contenant la situation de toutes les parties du monde avec leurs propriétés et appartenances… par Sebast. Munstere (Bâle, Henry Pierre, 1555, in‑8o), qui est la traduction française de la Cosmographia Universalisde l’humaniste allemand Sebastian Münster (Ingelheim 1488-Bâle 1552), avec une courte biographie d’Albert d’Autriche (pages 341‑342) contenant ces deux phrases :
« Il fut aussi élu roi des Romains du commun accord de tous les princes électeurs. Cela fait, étant appelé pour aller en Hongrie, il se trouva fort tourmenté au mois d’août d’une chaleur intolérable, laquelle il voulut apaiser par des pompons, {a} qui lui causèrent un flux de ventre jusques au sang, de quoi il mourut l’an 1439 auprès de Strigone, {b} après avoir été empereur près de deux ans. »
- Melons.
- Esztergom, au nord de la Hongrie, sur l’actuelle frontière avec la Slovaquie.
La même Cosmographie de Münster (v. supra note [16]) raconte les morts de ces deux empereurs.
« Finalement, Frédéric eut un mauvais ulcère en la jambe, à cause des vieilles défluxions procédant de grand travail, joint qu’il était vieil ; et, à la persuasion des médecins, la jambe lui fut coupée. Il était aussi prochain de la fête de la Vierge Marie, en la veille de laquelle il voulut jeûner, et ne mangea autre chose que des melons, voire en trop grande quantité, à savoir huit, et ne but que de l’eau, dont il eut un grand mal d’estomac ; lequel, étant refroidi, lui causa un flux de ventre, et mourut à Linz l’an de grâce 1493, après avoir été empereur 53 ans. »
« Or étant venu à Rome, il fut couronné avec grande solennité. Après cela, voulant apaiser tous les désaccords qui étaient en Italie et ayant pris, selon la coutume, l’Eucharistie de la main d’un frère prêcheur, suborné par les Florentins, qui fut le jour de Notre-Dame de la mi-août, il devint tout soudain malade. On disait que ce méchant moine avait du poison en ses ongles, duquel il avait infecté l’hostie. L’empereur mourut bientôt après, l’an de son empire cinquième, et de notre salut, 1313e. »
Chapitre xxxviii, De Peponibus, melopeponibus, et cucumeribus [Les pastèques (melons d’eau), les melons et les courges], livre ii du Hieronymi Cardani… Opus novum cunctis de sanitate tuenda, ac vita producenda studiosis apprime necessarium : in quatuor libris digestum. A Rodulpho Sylvestrio Bononiensi Medico, recens in lucem editum [Ouvrage nouveau de Jérôme Cardan… extrêmement nécessaire à tous ceux qui ont soin de protéger la santé et de prolonger l’existence, divisé en quatre livres ; récemment mis en lumière par Rodolfo Silvestri, médecin de Bologne] (Rome, 1580, Franciscus Zanettus, in‑4o, pages 147‑148) :
Thomas Philologus refert Paulum Secundum eius nominis Pontificem Maximum, devoratis duobus melonibus statim concidisse ex attonito morbo, et extinctum. Id ut facile credam, recordanti mihi quod Paulus Canobius cum esitasset lactucas, et cucumeres, (Erat autem sexagenario maior) in morbum attonito similem incidit : sed ego causam cum quæsissem, et illi retulissent calido in loco moderate continens, absque cibo per biduum sanavi : quem alius vel medicamento, vel sectione venæ volens aliquid videri facere, argumentis speciosis inixus peremisset, nec deessent exempla si referre opus esset, qui in manifestum periculum adducti sunt solo horum esu, orta statim in ventriculo corruptela, corruptisque inde insimul eodem modo humoribus alijs. In summa melones proprie generant febres pernitiosas cum exanthematibus, et alios exitiales morbos, maxime si carnibus, aut ovis, aut vino generoso, aut piscibus, aut farciminibus, aut lacti, vel his quæ lacte constant, socientur. At si cum panis modico quis eos sumat, sitque panis levis, potus aqua vino levi conspersa, maxime albo, vicem persæpe medicamenti subeunt, sicuti etiam post eorum assumptionem aliquod melioris succi edulium ingeratur, ut puta iusculum, quo malitia peponum retundatur, attemperaturque, nam qui alvum lubricam habent, ijs deorsum promptiores feruntur, nec in bilem, alium ve pravum succum, tam facile vertuntur ; qui vero duram, ac difficilem, eos prorsus dimittere debent : nam si cito non transmittantur, in ventre corrumpuntur, et præsertim nisi ratione assumantur. Nec consuetudo illa nobis arridet eorum, qui cum pepones commederint, vinum meracum statim superbibunt, dum enim vomitum coerceri putant, aliud longe deterius periculum subeunt, dum scilicet pravus illorum succus facilius, ac citius in venas deferatur, ad corque devehetur, quicquid dicant contrarium sentientes, adducentesque asperitatem leniri, et obtundi pernitiales succos, atque concoqui a vino, quod nisi copia et quantitate vini fieri potest.
[Thomas Philologus {a} raconte qu’aussitôt après avoir dévoré deux pastèques, le pape Paul, deuxième souverain pontife de ce nom, fut frappé d’une maladie subite, dont il mourut. Je le crois aisément, me souvenant que Paulus Canobius {b} fut soudainement atteint d’un mal similaire après avoir mangé des laitues et des courges (il était alors âgé de plus de soixante ans) ; quand je lui en demandai la cause, il me dit avoir conservé ces légumes enfermés dans un endroit assez chaud, et je le guéris en le faisant jeûner pendant deux jours. Un autre, voulant sembler lui faire quelque bien en prescrivant un médicament ou une saignée, l’aurait tué en s’appuyant sur des arguments spécieux ; et s’il était nécessaire d’en donner, les exemples ne manqueraient pas de gens que la seule consommation de tels aliments a mis en péril manifeste : après s’être immédiatement pourris dans l’estomac, ils corrompent aussi et de la même manière les autres humeurs du corps. En somme, les melons engendrent en particulier des fièvres pernicieuses avec éruptions cutanées et d’autres maladies fatales, {c} surtout si on les consomme avec des viandes, des œufs, du vin en abondance, des poissons, de la chair à saucisse, du lait ou des mets qui en contiennent. En revanche, ils tiennent souvent lieu de médication pour qui en mange peu, avec du pain, s’il est bien levé, en buvant de l’eau arrosée d’un vin léger, blanc de préférence ; il en va de même si, après les avoir absorbés, on ingère quelque aliment de meilleur suc, comme, par exemple, un bouillon, qui émousse et empêche la nocivité des pastèques. Ceux qui ont l’intestin prompt à réagir les évacuent ainsi plus rapidement, sans permettre leur transformation en bile ou en autre humeur néfaste ; mais ceux qui l’ont paresseux et lent, doivent s’abstenir tout à fait d’en manger car, s’ils ne sont pas rapidement éliminés, ils pourrissent dans le ventre, et ce particulièrement s’ils ont été consommés sans modération. Je ne saurais approuver ceux qui, ayant mangé des melons, ont coutume, aussitôt après, de boire du vin pur avec l’idée de s’empêcher de vomir, car ils s’exposent alors à un autre danger bien pire : le mauvais suc de ces légumes pénétrera plus aisément et plus vite dans les veines pour gagner le cœur ; diront le contraire ceux qui pensent et veulent faire croire que le vin aide la digestion des melons en atténuant leur âpreté et en adoucissant leurs sucs pernicieux car ni la richesse ni l’abondance du vin n’y peuvent rien changer]. {d}
- Nom latin [Thomas le philologue] de Tommaso Giannotti Rangone (Ravenne 1493-1577), humaniste italien qui professa la médecine à Padoue et la pratiqua à Venise.
- V. supra note [15] pour l’infortune du pape Paul ii.
Paulus Canobius (mort en 1557) était un professeur de philosophie et bienfaiteur de l’Université de Milan.
- Ces fâcheuses conséquences évoquent une intoxication alimentaire aiguë bactérienne (salmonelle, staphylocoque, colibacille, shigelle, choléra) ou parasitaire (amibiase), mais diarrhée et vomissements manquent à la description du mal, et sa relation avec les pastèques et les melons est énigmatique ; à moins de penser que ces légumes aient pu être contaminés par de l’eau malpropre qu’on aurait employée pour les laver, ou qu’on y aurait injectée pour en augmenter le prix en les alourdissant (comme cela se produit encore parfois dans certaines contrées tropicales).
L’Histoire naturelle de Pline parle des cucurbitacées aux chapitres xxiii‑xxiv du livre xix, en traitant successivement du concombre (cucumis sativus), du potiron (cucurbita pepo), du mélopépon (cucumis melo), et de la courge (cucurbita pepo) (Littré pli, volume 1, pages 721‑723). Les équivalences franco-latines de ces noms de légume restent néanmoins sujettes à caution.
- La condamnation de Cardan est plus implacable encore dans ses De methodo medendi sectiones quatuor [Quatre sections sur la méthode pour remédier] (Paris, Rouille, 1565, in‑8o) avec la conclusion du chapitre vii, Quod melones præponunt multis fructibus [Pourquoi les melons sont préférés à beaucoup de fruits] (page 15) :
Consilium igitur meum est, ut non solum dimittatur, sed ab usu humano explodatur, etiam principum Decretis. Nam quæ lues est perniciosor, qua quotannis multa millia hominum pereunt ? Mirumque, quod a medicis hæc pernicies consulatur, omissis uvis et ficubus eiusdem temporis fructibus longe minus noxiis.
[Je conseille donc non seulement de les rejeter, mais de les bannir de la consommation humaine, et ce même par décrets des princes. Existe-t-il une maladie plus pernicieuse, dont chaque année périssent plusieurs milliers d’hommes ? Il est surprenant que des médecins recommandent ce fléau, en laissant de côté les raisins et les figues, qui sont fruits de même saison, mais bien moins nuisibles].
Cornouille : « Fruit rouge et acide qui croît sur le cornouiller, et qui mûrit en septembre » (Furetière).
Corme : « Fruit [du cormier] fort acide et âcre qui est fait en forme de petite poire sauvage, dont les paysans font de la boisson » (ibid.).
Boire « comme des Suisses », « en Suisse » ou « à la Suisse », voulait dire boire sans cesser jusqu’à l’ivresse. Joachim Du Bellay (Les Regrets, cxxvii, cité par le Le Grand Robert) a chanté les Grisons :
« Ils boivent nuit et jour, en Bretons et en Suisses,
Ils sont gras et refaits, et mangent plus que trois ».
L’allusion visait surtout les mercenaires suisses ou les portiers d’immeuble (qui étaient souvent de cette nationalité) ; mais boire « en Suisse » signifie désormais boire tout seul, sans inviter les amis ; et les Polonais ont remplacé les Suisses ou les Bretons dans leur amour des beuveries, ce qui reste aussi bête et méchant.
Contracter l’estomac.
Précédemment publié dans la 17e édition du Médecin charitable (Paris, 1632, v. note [17], lettre 15), ce traité figure aussi dans la 18e (Œuvres du Médecin charitable, Paris, Jean Jost, 1633, in‑8o). Intitulé Les Tromperies du bézoard découvertes par Philibert Guybert, écuyer, docteur régent en la Faculté de médecine de Paris. Cinquième édition ; dédié « À Messire Charles Bouvard [v. note [15], lettre 17], conseiller du roi en ses Conseils d’État et privé, et premier médecin de Sa Majesté », c’est le cinquième et dernier traité du premier tome de l’ouvrage (pages 349‑432). Cette Histoire de la pierre de bézoard est composée de deux parties :
« Et qui plus est, il vaut mieux, et est plus assuré d’user de médicaments connus de nous et une infinité de fois expérimentés pour secourir les malades, que de ces simples inconnus et étrangers, recherchés curieusement et à nous apportés des extrémités de la terre, pour la guérison d’une maladie tant subite et tant dangereuse comme est la peste ; de laquelle le bon Dieu, qui a créé la médecine, nous veuille tous par sa sainte grâce préserver. Adieu, ami lecteur, et prends, s’il te plaît, ce mien petit labeur en gré, priant Dieu pour moi. »
Voir, dans notre édition, l’observation xi de Charles Guillemeau et Guy Patin, De la thériaque et du mithridate (1648).
Ce récit, où patient est à prendre dans le sens de « criminel qui attend, qui souffre la mort à laquelle il a été condamné » (Furetière), correspond presque mot pour mot à celui que Matthiole a donné dans ses commentaires sur Dioscoride (traduction d’Antoine du Pinet, Lyon, 1627, v. note [42], lettre 332), au chapitre cxxxi, livre i, à propos du citron [Medica Malus], (page 115, seconde colonne, entre les repères 30 et 60). Il est tiré du chapitre viii, livre iii de Déipnosphistes d’Athénée de Naucratis (v. note [17], lettre de Charles Spon, datée du 6 avril 1657) :
« J’ai appris par un de mes concitoyens, qui a eu le gouvernement de l’Égypte, que le citron, pris avant tout aliment sec ou liquide, est l’antidote de tous les poisons. Cet ami avait un jour condamné quelques criminels à être mordus par des animaux venimeux, auxquels ils allaient être abandonnés, selon leur sentence, lorsqu’entrant dans le lieu public qui leur avait été marqué, la maîtresse d’une taverne leur donna, par pitié, du citron qu’elle avait à la main et qu’elle mangeait ; ils le prirent, le mangèrent et ne reçurent aucun mal des animaux monstrueux et les plus féroces, c’est-à-dire, des aspics, {a} aux morsures desquels ils furent exposés. Ce gouverneur ne sut que penser de cet événement. Enfin, il demanda au soldat qui les gardait, s’ils avaient bu ou mangé quelque chose avant l’exécution. Apprenant qu’on leur avait alors donné un citron, sans aucune ruse, il ordonna que le jour suivant on donnât un citron à l’un d’eux, et pas à l’autre. Celui qui le mangea ne reçut aucun mal de la morsure ; mais l’autre mourut bientôt après avoir été blessé. Cette épreuve ayant été répétée par plusieurs personnes, on sut que le citron était l’antidote de tous les breuvages délétères. » {b}
Theopompus, natif de Chio, est un historien grec du ive s. av. J.‑C., notamment auteur des Philippiques, ouvrage composé de 58 livres, dont il ne subsiste que quelques fragments.
Clearchus Heracleotas (Cléarque d’Héraclée), élève de Platon, est un tyran qui régna sur la cité d’Héraclée du Pont au même siècle.Guy Patin empruntait à nouveau sa relation à Matthiole (même référence que dans la note [22] supra, page 115, seconde colonne, entre les repères 50 et 60).
Matthiole a introduit ses deux narrations par cette remarque :
« Palladius {a} fut le premier qui peupla l’Italie de citronniers. Du temps de Théophraste, {b} on ne mangeait encore point de citrons ; ains s’en servait-on seulement ès garde-robes {c} pour faire sentir bon les habillements ; et en usait-on en lieu de contrepoison ; à quoi, certes, la graine de citron est fort propre. »
- Palladius Rutilius Taurus, écrivain latin du ve s., auteur des De Rustica libri xiv [Quatorze livres des Choses rustiques].
- Théophraste d’Érèse, naturaliste grec du ive s. av. J.‑C. (v. note [7], lettre 115).
- Mais on s’en servait seulement dans les armoires.
Vers de Virgile (Géorgiques, livre ii, 126‑130), dont une traduction plus littérale est :
« La Médie {a} produit les sucs amers et la saveur persistante d’un fruit salutaire. Il est surtout sans égal pour procurer du secours en chassant du corps les noirs poisons dont de cruelles marâtres ont infecté des breuvages en y mêlant des herbes et des paroles malveillantes, etc. »
- La Médie antique correspondait au nord-ouest de l’Iran actuel. La légende (Fr. Noël) dit que Médée (v. note [13], lettre 695) après ses aventures avec Jason et Thésée, s’enfuit d’Athènes, « où elle se voyait regardée comme empoisonneuse, passa dans l’Asie supérieure, où elle épousa un des plus grands rois de ce pays-là, et en eut un fils appelé Médus qui, s’étant rendu recommandable par son courage, devint roi et donna à ses sujets le nom de Mèdes ».
La traduction donnée par Guy Patin se lit aussi dans l’édition française de l’Historia plantarum [Histoire des plantes] de Jacques Daléchamps (Lyon, 1586, v. note [2], lettre 75) : Histoire générale des plantes, contenant xviii livres, également départis en deux tomes. Sortie latine de la bibliothèque de M. Jacques Daléchamps, puis faite française par M. Jean des Moulins, médecins très fameux de leur siècle. Où sont portraites et décrites infinies plantes, par les noms propres de diverses nations, leurs espèces, forme origine, saison, tempérament naturel et vertus convenables à la médecine… Tome premier (Lyon, héritiers de Guillaume Rouillé [ou Roville, v. note [5], lettre de Charles Spon, datée du 5 mars 1658], 1615, in‑fo, livre iii, chapitre v, Des citrons, limons, oranges et pommes d’Adam, page 253).
Les « pots achelois » (pour pocula, les breuvages) y sont probablement une référence à Achéloé, « nom d’une des harpies [v. notule {b‑ii}, triade 82 du Borboniana manuscrit (note [41])], à qui on donne pour sœurs Alope et Ocypéte » (Trévoux) ; ou peut-être à Acheloïs, déesse grecque mineure qui présidait à la guérison des maux.V. supra notes [22], [23] et [24] pour les références à Matthiole sur Dioscoride et à Jacques Daléchamps.
Malus Assyria, quam alii vocant Medicam, venenis medetur. Folium eius est unedonis, intercurrentibus spinis. Pomum ipsum alias non manditur : odore praecellit foliorum quoque, qui transit in vestes una conditus, arcetque animalium noxia. Arbor ipsa omnibus horis pomifera est, aliis cadentibus, aliis maturescentibus, aliis vero subnascentibus. Tentavere gentes transferre ad sese propter remedii praestantiam fictilibus in vasis, dato per cavernas radicibus spiramento : qualiter omnia transitura longius seri arctissime transferrique meminisse conveniet, ut semel quæque dicantur. Sed nisi apud Medos et in Perside, nasci noluit. Hæc est autem, cuius grana Parthorum proceres incoquere diximus esculentis, commendandi halitus gratia. Nec alia arbor laudatur in Medis.
« Le pommier d’Assyrie, nommé aussi médique (citronnier), est un remède contre les poisons. {a} La feuille en est celle de l’arbousier. Des piquants sont parsemés. Le fruit, du reste, ne se mange pas ; l’odeur en est excellente, ainsi que celle des feuilles ; elle pénètre les étoffes avec lesquelles on l’enferme et éloigne les insectes nuisibles. L’arbre lui-même est couvert de fruits en toute saison ; les uns tombent, les autres mûrissent, d’autres commencent à se nouer. {b} Des nations ont essayé de le transporter chez elles, à cause de son efficacité médicinale, en le plaçant dans des vases de terre et en donnant de l’air aux racines par des trous, car (remarque que je fais une fois pour toutes) on se souviendra que tout ce qui doit être transporté au loin a besoin d’être planté très à l’étroit et dépoté. Mais il s’est refusé à croître ailleurs qu’en Médie et en Perse. {c} C’est cet arbre dont les graines, avons-nous dit, sont employées par les grands des Parthes à l’assaisonnement des ragoûts, dans l’intention d’améliorer l’haleine. On ne cite aucun autre arbre de la Médie. »
- Livre xxiii, chapitre lvi (Littré pli, volume 2, pages 120‑121) :
« Le citron, pulpe ou graine, se prend en boisson dans du vin contre les poisons. La décoction ou le suc exprimé, en collutoire, rend l’haleine douce. On en fait manger la graine aux femmes grosses atteintes de pica [v. note [3] de l’observation vi]. Le citron est bon dans les faiblesses d’estomac ; mais on ne saurait guère en manger sans vinaigre. »
- Passer de l’état de fleur à celui de fruit.
- V. supra notule {a}, note [25] pour l’acclimatation du citronnier en Italie au ve s., par Palladius.
De celte, et paliuro, et palmis Africæ sitientis : et Mero monte, ubi Liberum patrem natum fabulantur, deque malo medica, et persica.
[Du micocoulier, du paliure, {a} des palmiers d’Afrique aride, du mont Méros {b} où la fable dit que le dieu Liber {c} est né, et du malus medica {d} et persica]. {e}
- Paliure (Trévoux) : arbrisseau épineux qui croît en Europe méridionale et en Asie occidentale ; ses branches auraient servi à tresser la couronne d’épines du Christ (d’où son nom d’épine du Christ) ; son fruit est en bouclier relevé sur le milieu, délié aux bords, et comme membraneux ; on trouve en son milieu un noyau osseux, sphérique, divisé en trois loges, dans chacune desquelles il y a ordinairement une semence presque ronde, lisse, de la couleur de la graine de lin. Les racines et les feuilles du paliure sont astringentes, sa semence est singulière contre la pierre et la gravelle (v. note [2], lettre 473).
- Mont Méros (ou Méru) : montagne mythique des Indes Orientales, consacrée à Jupiter, où serait né Bacchus.
- Autre nom de Bacchus, père de la joie et de la liberté (v. notule {i}, note [16], lettre 342).
- Pommier médical.
- Pommier persique, ou citronnier.
Les poncilles sont les citrons d’Assyrie, fruits du pommier de même nom (cité par Pline dans la note [27] supra).
Le limon est un « fruit qui ressemble au citron, excepté qu’il n’a pas l’écorce si épaisse, qu’il est un peu plus long et que le jus en est plus aigre ; il est le produit d’une variété du citronnier limonier » (Littré DLF). Le mot est d’origine arabo-persane (leimoun) et est souvent employé comme synonyme de citron.Le chapitre xxi du livre v (Des médicaments qui chassent les affections du cœur, appelés cardiaques) de la Méthode pour remédier (ou Thérapeutique universelle) de Jean Fernel (édition française de Paris, 1655, v. note [1], lettre 36) classe les agrumes parmi les cardiaques froids (page 422) :
« La semence de citron est amère, résiste aux venins, rend l’haleine bonne, est propre aux appétits déréglés des femmes grosses.
Le suc de citron, de grenade aigre et d’orange, froid et sec au troisième ordre, est très utile contre les pourritures internes et pestilentes, venins, et faiblesse des parties nobles, et principalement du cœur, et pendant que la cardialgie, c’est-à-dire la mordication incommode de l’orifice du ventricule. » {a}
- V. note [18] du mémorandum 19, pour cette douleur épigastrique attribuée à l’irritation (mordication) du cardia (orifice supérieur de l’estomac).
Resserrer le ventre : constiper.
La fève est une plante légumineuse qui poussait surtout dans les terres chaudes et humides. Thomas Corneille en a dit quelques curiosités :
« On la mange crue et cuite, et elle sert de nourriture à ceux qui sont voisins des marais où elle croît. Elle vient ordinairement sans être semée et quand on la sème, on la met dans une motte de terre qu’on jette dans l’eau entortillée et enveloppée de paille, afin d’empêcher que la terre ne s’enfuie. Lorsqu’elle a pris racine une fois, elle dure presque toujours, à cause de la force et de la grosseur de cette racine. La plante ressemble assez aux roseaux. Elle est toutefois piquante et épineuse, ce qui la fait fuir des crocodiles qui, ayant la vue courte et faible, craignent de se blesser les yeux à ses épines. Tout ceci est de Théophraste, voici ce que Pline en dit : la colocasia, que quelques-uns nomment kuamos, c’est-à-dire fève, est fort singulière en Égypte ; on la cueille au Nil ; ses feuilles sont fort larges et ressemblent à celles des gletterons ou bardanes de rivières ; et même les Égyptiens prennent tant de plaisir à ce beau présent que le Nil leur fait, qu’en tassant et entortillant ces feuilles les unes dans les autres, ils en font diverses sortes de vases où ils se plaisent à boire. Cette espèce de fève se sème aujourd’hui en Italie. Galien dit que si les fèves d’Égypte surpassent les communes en grosseur, elles sont aussi plus humides et engendrent plus d’humeurs superflues. »
La fève s’est acclimatée en France et Guy Patin en cultivait dans son potager de Cormeilles (post-scriptum de sa lettre du 28 mai 1652).
Lentille (Thomas Corneille) : « Il y en a de deux sortes, de blanches et de cendrées. Les blanches sont les plus petites et les meilleures. La fleur des cendrées est blanche, purpurine, et celle des autres est seulement blanche. […] Galien dit qu’elles sont fort astringentes, et que leur chair resserre et dessèche le ventre, mais que leur décoction le lâche. Étant pelées, elles perdent toute leur astriction et nourrissent davantage, mais on ne les digère pas aisément et elles engendrent un gros sang qui fait des humeurs mélancoliques. »
V. note [4], lettre 490, pour l’avis de Daniel Sennert sur les lentilles, qui a pu influencer celui de Guy Patin.
C’était bien sûr l’encéphalite de la variole qui engendrait des convulsions (épilepsie), et non pas la décoction de lentilles qu’on y administrait pour favoriser la sortie de l’éruption.
Le riz était une céréale de consommation courante (Furetière) : « espèce de légume mondé, ou grain, qu’on mange bouilli avec de l’eau et du lait. On fait une espèce de bouillie avec du riz battu, ou du riz en grain. Les peuples du Nord mangent les poules et leurs autres viandes avec du riz et du safran [v. note [52], lettre latine 351]. Autrefois, on n’osait faire une noce s’il n’y avait du riz jaune, c’est-à-dire safrané. Tous les peuples des Indes ne vivent que de riz cuit dans de l’eau. La boisson ordinaire des Chinois est le vin de riz, qui est d’un blanc qui tire sur la couleur d’ambre, et d’un goût aussi bon que le vin d’Espagne [v. note [7], lettre 211]. Le riz ne peut venir que dans des terres humides et baignées d’eau. Le riz est une espèce de froment, qui n’est blanc que quand il est mondé. »
« On appelle orge mondé, une potion [ou bouillie] qu’on fait avec de l’orge dont on a fait tomber la peau » (ibid.).
Pline, Histoire naturelle, livre xxii (numéroté xlvi dans Littré Pli, volume 2, page 89) :
Inter ea quæ temere manduntur, et boletos merito posuerim, opimi quidem hos cibi, sed inmenso exemplo in crimen adductos, veneno Tiberio Claudio Principi per hanc occasionem a conjuge Agrippina dato : quo facto illa terris venenum alterum sibique ante omnes, Neronem suum dedit.
« Parmi les plantes qu’il est imprudent de manger, je placerai avec raison les bolets ; {a} aliment sans doute fort agréable, mais décrié depuis que, par un attentat éclatant, Agrippine s’en est servie pour donner du poison à l’empereur Claude, son mari, donnant du même coup, dans la personne de son Néron, un autre poison funeste au monde, funeste à elle-même. » {b}
- Parenthèse de Littré : « oronge et fausse oronge ». Littré DLF définit l’oronge comme un « champignon alimentaire, très arrondi et d’un rouge doré, qui croît surtout dans le midi de la France » (Amanita cæsarea [amanite des Césars] ou coucoune, considérée comme le plus délicieux des comestibles) ; et la fausse oronge, comme « champignon vénéneux (Amanita muscaria [amanite tue-mouche]) ».
- V. note [6], lettre 215, pour le meurtre de l’empereur Claude par son épouse Agrippine, qui permit à son fils, Néron, de régner en l’an 54 de notre ère.
Vers 146‑148 (sur la manière dont les riches traitent leurs invités à table) :
Vilibus ancipites fungi ponentur amicis,
boletus domino, sed quales Claudius edit
ante illum uxoris, post quem nihil amplius edit.[Aux amis de basse extraction, on sert des champignons suspects ; au maître, une oronge comme en mangeait Claude avant celle que lui apprêta sa femme, et après laquelle il ne mangea plus du tout].
V. note [50], lettre 292, pour Jules de Médicis, qui fut élu pape en 1523 sous le nom de Clément vii, et pour sa mort (1534).
Son médecin était Matthæus Curtius (Matteo Curzio ou Corti, 1474-1544) : natif du Pavésan, il enseigna et exerça dans diverses universités d’Italie, et a publié quelques ouvrages consacrés à la méthode pour remédier et à l’anatomie du corps humain (Éloy).
V. note [28] du Patiniana I‑2 pour un commentaires sur ce passage.
« On dit d’une chose dont l’accessoire coûte plus que le principal, que la sauce coûte plus que le poisson. On dit aussi de celui à qui on fait quelque reproche ou quelque réprimande sensible, qu’il ne sait à quelle sauce manger ce poisson » (Furetière).
Les truffes (ou truffles dans l’ancienne orthographe, tubera en latin) n’étaient alors pas considérées comme de véritables champignons : « mets fort friand qu’on tire de la terre et qui est presque fait comme des topinambours [v. infra note [42]]. Les médecins, comme Galien et Dioscoride, les mettent au rang des racines, bulbes et oignons, et disent que ce sont des racines rondes, sans tiges, sans feuilles et sans filaments. On en trouve qui pèsent une livre. Pline dit qu’on a trouvé un denier romain dans une truffe et que quand l’automne est pluvieux avec éclairs et tonnerres, la terre produit force truffes qui ne durent qu’un an. Les truffes se trouvent dans des terres sèches et crevassées. Les pourceaux sont fort friands de truffes et servent souvent à découvrir les lieux où il y en a. Les truffes sont blanches, noires, ou grises, On les sert fricassées ou au court-bouillon, dans une serviette » (Furetière).
Et quoniam a miraculis rerum cœpimus, sequemur eorum ordinem, in quibus vel maximum est, aliquid nasci ac vivere sine ulla radice. Tubera hæc vocantur undique terra circumdata, nullisque fibris nixa, aut saltem capillamentis, nec utique extuberante loco in quo gignuntur, aut rimas agente : neque ipsa terræ cohærent. Cortice etiam includuntur, ut plane nec terram esse possimus dicere, nec aliud quam terræ callum. Siccis hæc fere et sabulosis locis, frutectosisque nascuntur. Excedunt sæpe magnitudinem mali cotonei, etiam librali pondere. Duo eorum genera, harenosa dentibus inimica, et altera sincera. Distinguntur et colore rufo, nigroque, et intus candido : laudatissima Africæ. Crescant anne vitium id terræ (neque enim aliud intellegi potest) ea protinus globetur magnitudine, qua futurum est : et vivantne, an non, haud facile arbitror intellegi posse. Putrescendi enim ratio communis est cum ligno. Lartio Licinio prætorio viro jura reddenti in Hispania Carthagine, paucis his annis scimus accidisse, mordenti tuber, ut deprehensus intus denarius primos dentes inflecteret : quo manifestum erit terræ naturam in se globari. Quod certum est, ex iis erunt, quæ nascantur, et seri non possint. […]
De tuberibus hæc traduntur peculiariter : quum fuerint imbres autumnales, ac tonitrua crebra, tunc nasci, et maxime e tonitribus : nec ultra annum durare : tenerrima autem verno esse. Quibusdam locis accepta tantum riguis feruntur : sicut Mytilenis negant nasci, nisi exundatione fluminum invecto semine ab Tiaris. Est autem is locus, in quo plurima nascuntur.
« Et puisque nous avons commencé par les merveilles, nous les examinerons l’une après l’autre : parmi ces merveilles, la plus grande est sans doute que quelque chose naisse ou vive sans racine. Tel est ce qu’on nomme la truffe : elle est entourée de tous côtés par la terre ; elle n’est fixée par aucune fibre, pas même par du chevelu, et l’endroit où elle s’engendre ne présente ni protubérance ni fente ; elle n’est pas non plus adhérente à la terre ; elle est même enveloppée d’une écorce, de sorte que nous ne pouvons absolument dire ni qu’elle est de la terre, ni qu’elle est autre chose qu’une production calleuse de la terre. Les truffes viennent généralement dans les lieux secs, sablonneux et couverts de broussailles. Elles dépassent souvent un coing en grosseur et elles pèsent jusqu’à une livre. Il y en a deux espèces : l’une, pleine de sable, ennemie des dents, l’autre parfaitement nette. On les distingue encore par la couleur rousse, noire ou blanche à l’intérieur ; les plus estimées sont celles d’Afrique. Les truffes croissent-elles, ou bien cette maladive production de la terre (car on ne peut y voir autre chose) acquiert-elle sans transition la forme arrondie et le volume qu’on lui trouve ? Les truffes vivent-elles, ou ne vivent-elles pas ? C’est, je pense, ce qu’il n’est pas facile de comprendre. Du reste, elles pourrissent de la même façon que le bois. Lartius Licinius, personnage prétorien qui rendait la justice à Carthagène en Espagne, ayant mordu dans une truffe, il y a quelques années (c’est un fait dont nous avons connaissance), rencontra à l’intérieur un denier qui lui ébranla les dents de devant ; ce qui prouve que la truffe est une agglomération de nature terrestre. Toujours est-il que cette production appartient à celles qui viennent spontanément et ne peuvent se semer. (…)
Quant aux truffes, on en rapporte ces particularités : quand il y a eu des pluies en automne et de fréquents tonnerres, alors elles naissent, et les tonnerres surtout contribuent à leur production ; elles ne durent pas plus d’un an. Elles sont le plus tendres au printemps. En certains lieux, on en attribue la naissance à des eaux : ainsi, on prétend qu’il n’en vient pas à Mytilène, à moins que les rivières, débordant, n’en apportent la graine de Tiares ; Tiares est un lieu où elles sont abondantes. » {a}
- Mytilène est la principale ville de l’île de Lesbos, en mer Égée. Tiares (Tiaræ) est le nom d’une montagne de cette île.
« Des truffes d’une grosseur extraordinaire figuraient à un souper qu’Agémaque nous donnait en la ville d’Élis, {a} et elles excitaient l’admiration de ceux qui étaient là. Quelqu’un se mit à dire en souriant : “ Elles sont dignes, en vérité, des tonnerres qui se sont produits ces jours derniers. ” Évidemment, il se moquait de ceux qui disent que les truffes prennent leur naissance de ce phénomène. Alors il y en eut qui dirent que le tonnerre entrouvre le sol en se servant de l’air à la façon d’un coin ; et que, par suite, comme ces crevasses dirigent les conjectures des chercheurs de truffes, l’opinion s’est répandue généralement que la truffe est un produit du tonnerre. Pourquoi ne pas dire qu’elle est seulement indiquée par lui ? C’est comme si l’on croyait que les limaçons soient l’œuvre de la pluie, et non pas qu’elle les fait sortir de terre et les met en évidence. Mais Agémaque soutenait la vérité de cette tradition. Il voulait, tout étonnante qu’elle était, que nous ne la jugeassions pas indigne de foi. Il ajoutait que plusieurs autres effets merveilleux du tonnerre et de la foudre, ainsi que les indications célestes qui s’y rattachent, sont difficiles à concevoir, ou bien que les causes en sont tout à fait impossibles à pénétrer. »
- Ville du Péloponnèse, célèbre pour l’abondance et la qualité de ses truffes.
Ex edulis his omnibus fungis frigidissimus et glutinosissimus crassusque simul succus inest, atque inter hos ex solis boletis nullus fertur interiisse, qui tamen ipsi choleram etiam nonnullis attulerunt non cocti. At reliquorum fungorum esus quibusdam mortem intulit ; nonnulli mortis inde adiere discrimen diarrhœis correpti aut choleris, aut strangulatu periclitantes. Tuber, quod vocant, crasso modice succo præditum est, non tamen malo ; ejusdem modi amylum quoque.
[De tous ces aliments, le suc le plus froid et le plus visqueux se trouve dans les champignons, il est aussi grossier. Parmi eux, les bolets {a} n’ont, dit-on, tué personne, même s’ils provoquent un choléra {b} chez quelques-uns. Cependant, la consommation des autres champignons en a tué certains ; et d’autres ont mis leur vie en danger, affectés de diarrhée ou de choléra, ou même menacés d’occlusion intestinale. Celui qu’on appelle la truffe possède un suc modérément épais, qui n’est pourtant pas mauvais, ressemblant en cela à l’amidon].
- Oronges, selon Littré (v. supra notule {a}, note [37]).
- Copieux flux de ventre, par haut et par bas, v. note [24], lettre 222.
« Chrysanthème tubéreux des Indes » était un des noms savants du topinambour (ou taupinambour), désormais dénommé Helianthus tuberosus [hélianthe tubéreux (ou truffe du Canada)] : « racine ronde qui vient par nœuds, que les pauvres gens mangent cuite avec du sel, du beurre et du vinaigre. On l’appelle autrement pomme [sic pour poire] de terre » (Furetière).
L’allusion géographique de Guy Patin aux Topinambous (peuple du Brésil, v. note [5], lettre 711) est une erreur étymologique qui a résisté aux siècles : le topinambour n’est pas venu d’Amérique du Sud, mais du Canada, au tout début du xviie s., à peu près en même temps que les premiers Indiens Topinambous étaient amenés en Europe.
Livre iii De temperamentis [Des tempéraments] de Galien (Kühn, volume 1, pages 677‑678, traduit du grec) :
Sunt enim et quæ primo statim usu manifestam alterationem suam indicent, veluti lactuca : quæ eos, quibus venter quidem æstuat, manifeste refrigerat atque a siti vindicat : quibus autem refrigeratus est, manifeste lædit. Conducit vero et ad somnum non parum, neque id alia ratione ulla, quam quod frigido temperamento et humido est ; verum sic est humida et frigida ad hominem et alia, quæ ab ipsa nutriti sunt apta, sicut viridia ligna ad ignem. Quare rationabiliter cibi id genus utrumque præstant, et quod veluti medicamenta corpus nostrum afficiunt, et quod nutriunt : toto quidem concoquendi sui tempore, ut medicamenta : ubi vero jam nutriunt ac prorsus sunt assimilata, tum, ut quæ non amplius quicquam in nos agant, naturalem calorem augent, ceu prius est dictum : quippe id omnium, quæ nutriunt, commune est.
[Il existe en effet maints aliments qui exprimeront leur manifeste capacité altérante aussitôt après qu’on les a consommés, à la manière de la laitue : {a} elle rafraîchit et dissipe manifestement la soif chez ceux dont le ventre est échauffé ; mais elle est manifestement nuisible chez ceux qui l’ont froid. Elle induit véritablement et puissamment le sommeil, et ce pour la bonne et simple raison qu’elle est de tempérament humide et froid ; {b} mais c’est à la manière du bois vert pour le feu qu’elle est humide et froide pour l’homme et les autres animaux qui peuvent s’en nourrir. Voilà bien pourquoi les aliments de cette sorte exercent deux effets simultanés : ils agissent sur notre corps à l’instar de médicaments, et ils le nourrissent ; ce qui survient, comme pour les médicaments, dès que leur digestion est entièrement achevée. Une fois qu’on les a mangés et qu’ils ont été complètement assimilés, quand bien même ils n’exerceraient plus aucun effet en nous, ils augmenteront la chaleur naturelle, comme j’ai dit précédemment ; cela est bien sûr commun à tout ce qui nourrit].
- V. note [23], lettre 156.
- Ces deux qualités sont celles de l’eau et de la pituite (v. le mot remède dans le glossaire).
Poirée : « Plante potagère [blette blanche] qui a les feuilles fort larges, et qui a une grande côte au milieu dont on fait des cardes. Les cardes de poirée sont préférées par plusieurs aux cardes d’artichauts » (Furetière).
Houblon : « herbe qui entre en la composition de la bière. Le houblon se cultive soigneusement en Allemagne et on l’appuie sur des échalas, comme les vignes. Il y en a d’autre qui vient sans cultiver alentour des haies et des buissons. Il grimpe sur les arbres et est propre à faire des treilles. Ses feuilles ressemblent à celles de la vigne ou de la couleuvrée, qui ont tantôt trois, tantôt cinq incisures alentour, inégales au reste et rudes comme celles de concombre. Ses sarments sont longs, rudes et velus, et aucunement épineux. Ses fleurs sont blafardes et en manière de grappe, pendantes comme des raisins au sortir des petites bourses, où ils sont fort entassés. Elles sont jaunâtres, et enferment une petite graine noire et amère. On mange en salade les petits bourgeons qui sont au haut de ses tiges » (ibid.).
Hysope : « plante qui pousse des tiges hautes d’un pied ou d’un pied et demi, branchues, garnies de feuilles longues, étroites, lisses, semblables à celles de la lavande, mais beaucoup plus courtes. Ses fleurs naissent au sommet des tiges en manière d’épi, tournées seulement d’un côté, d’une belle couleur bleue ; chacune d’elles est en gueule, formée en tuyau découpé par le haut en deux lèvres. Ses semences sont oblongues, enfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur : elles ont quelquefois une odeur approchante de celle du musc. Sa racine est grosse comme le doigt, ligneuse, dure. Elle est incisive, apéritive, détersive, vulnéraire, propre pour les maladies de la poitrine » (Trévoux). V. notule {b}, note [5], lettre de Samuel Sorbière, datée du 15 octobre 1646, pour la mention de l’hysope dans la Passion du Christ (Évangile de Jean).
Sarriette : « plante qui pousse de petites verges à la hauteur d’un pied et demi, et dont les feuilles sont petites, oblongues, semblables à celles de l’hysope, percées de beaucoup de trous, mais qui ne traversent pas, d’une odeur approchant de celle du thym, d’un goût piquant. Ses fleurs sont en gueule, tout à fait semblables à celles du thym, clairsemées dans les aisselles des feuilles, de couleur blanche tirant sur le purpurin. Il leur succède des semences presque rondes et menues. Sa racine est simple, ligneuse. La sarriette est propre pour la faiblesse d’estomac, pour l’asthme, pour la suppression des mois ; on l’emploie souvent dans les sauces » (ibid.).
Pimprenelle : « plante qui pousse des tiges à la hauteur d’un pied ou d’un pied et demi, rouges, rameuses. Ses feuilles sont petites, presque rondes, dentelées en leurs bords, vertes par-dessus, bleuâtres par-dessous, rangées par paires sur une côte grêle, rougeâtre, velue. Au sommet des tiges naissent des têtes rondes, garnies de petites fleurs qui sont des rosettes à quatre quartiers, purpurines par dehors, verdâtres par dedans, du milieu desquelles s’élève une touffe d’étamines, tantôt jaunes et tantôt purpurines. Son fruit est à quatre angles, de couleur cendrée ; il renferme une ou deux semences. Sa racine est longue, menue, divisée en plusieurs branches, entre lesquelles on trouve des grains rouges qu’on nomme cochenille sylvestre. Cette espèce de pimprenelle […] est propre à purifier le sang et à rétablir le ressort [élan] des parties ; elle arrête les hémorragies, tant extérieures qu’intérieures ; on la mange communément en salade. Les teinturiers se servaient autrefois de la cochenille sylvestre, pour teindre en écarlate. Les friands mettent de la pimprenelle dans leur vin pour lui donner bon goût » (ibid.).
V. note [8] de la leçon de Guy Patin sur le laudanum et l’opium pour la subtile discussion sur les qualités respectives du vinaigre et du verjus dans Galien.
« plante qui croît non seulement aux Indes Orientales, mais encore dans les Occidentales, où les nouveaux habitants de ce pays-là l’ont transportée. Ses racines se répandent non en profondeur, mais en largeur, étant couchées entre deux terres, comme une main qui a plusieurs doigts étendus aux environs. Elles sont pleines de nœuds, petites comme celles du souchet, blanches, odorantes, et ont presque le goût du poivre. Ses feuilles ressemblent à celles des roseaux, qui meurent et reverdissent deux ou trois fois l’an. Les plus grandes ne le sont pas plus que l’herbe des prés. Quand elles sont sèches, c’est le temps de cueillir les racines. Il y en a qui pèsent jusqu’à une livre. On apporte en Europe du gingembre de Calicut, {a} ville fort marchande aux Indes, et non seulement du gingembre sec, mais du vert confit dans le sucre ou en un certain miel que les habitants tirent de certaines gousses qu’ils pressurent. Celui-là est beaucoup meilleur que le gingembre confit de Venise, qui se fait de racines de gingembre sèches. Quoique cette plante porte quelques graines, on ne s’en sert point pour la cultiver, mais l’on replante les petites racines ; et s’il arrive que l’on n’en ait pas assez, on divise la grosse patte ou maîtresse racine en morceaux que l’on replante par rangs dans de petites rigoles qu’on couvre ensuite de terre ; et en trois mois le gingembre vient à maturité. Il est bon à l’estomac et aide à la digestion. Il échauffe fort, mais non pas d’abord autant que le poivre qui est de parties plus subtiles, au lieu que le gingembre est composé d’une substance grosse et indigeste, qui n’est ni terrestre ni sèche, mais humide et aqueuse ; ce qui fait que sa chaleur dure plus longtemps. »
« fruit d’un arbre que quelques-uns croient ne venir que dans l’île de Banda aux Indes [en Indonésie]. Cette île, ou plutôt les six îles qui la composent […], sont si fort chargées de muscadiers, qu’à la réserve d’une montagne qui jette du feu dans l’île de Gunung Api, il n’y a pas un arpent de terre qui n’en soit couvert, de sorte qu’en tout temps on voit les arbres chargés de fleurs ou de fruit, vert ou mûr. On cueille les muscades principalement trois fois l’année, en avril, en août et en décembre ; mais celles qui mûrissent en avril sont meilleures. L’arbre qui les porte ressemble assez au pêcher, si ce n’est qu’il a les feuilles un peu plus courtes et plus rondes. Le fruit est couvert d’un brou aussi épais que celui qui couvre nos noix. Ce fruit en s’ouvrant fait paraître une feuille fort mince sur une coque très dure ; mais elle ne l’enveloppe pas si bien qu’en plusieurs endroits elle ne laisse paraître la coque. C’est ce qu’on appelle fleur de muscade ou macis. Il faut casser cette coque pour trouver le fruit. La fleur est d’un nacarat [rouge orangé] vif tant que la noix est encore verte, mais après cela, elle change de couleur et tire sur l’orangé, principalement quand elle quitte la coque. Les habitants appellent les muscades palla, et le macis, brunapella. Ils les confisent avec leur brou au sucre ou au sel, et en font une très excellente confiture. Cette drogue échauffe le cerveau, fortifie la mémoire, chasse les vents, dégage les reins, et arrête le flux de ventre. L’huile qu’on en tire conforte les nerfs, provoque le sommeil, fait cesser les fluxions et guérit les maux d’estomac. Rien n’est plus souverain contre les douleurs que l’indigestion cause, qu’un onguent fait avec de la poudre de muscade ou de macis, mêlée avec de l’huile de rose. La muscade, pour être bonne, doit être pleine, pesante, agréable à l’estomac ; et si on la pique avec une aiguille, il faut qu’elle rende tout aussitôt un suc oléagineux » (ibid.). La noix « se râpe sur de certains ragoûts pour leur donner une petite pointe qu’ils n’auraient pas sans un peu de muscade. »
« Petite graine qu’on appelle autrement du sénevé. Le Seigneur a dit que si on avait de la foi gros comme un grain de moutarde, on commanderait aux montagnes de se jeter dans la mer, et qu’elles obéiraient. Est aussi une composition qu’on fait pour servir de sauce avec de la graine de sénevé broyée, et du vinaigre ou du moût : moutarde commune, moutarde de Dijon ; on mange les saucisses, le porc frais, le bœuf salé avec de la moutarde. Ce mot vient de mustum et ardeo, {a} parce que la bonne moutarde se fait de moût, comme celle de Dijon. »Trévoux cite ce dicton populaire :
« De trois choses Dieu vous garde,
Du bœuf salé sans moutarde,
D’un valet qui se regarde, {a}
D’une femme qui se farde. »
- Je brûle.
- Se prend pour ce qu’il n’est pas.
La moutarde était aussi utilisée dans la composition de vésicatoires (v. note [39], lettre 246) : la graine de moutarde pilée et appliquée avec du miel ôte les marques de contusion et guérit la teigne ; la même, appliquée avec du vinaigre, guérit les morsures de animaux venimeux » (Chomel, 1709).
Des poissons saxatiles (poissons de roche) est le titre du chapitre xxviii, livre iii de l’Œuvre de Claude Galien des choses nutritives (v. supra note [2], page 233 ro‑vo) :
« On appelle poissons saxatiles la daurée, le merlan, la tourde, la iule, la fouque et la perche, {a} à cause des lieux auxquels ils sont trouvés fréquentant ; car ils ne se serrent ni alinnent és lieux plains, graveleux, ou rivages faits de terre, mais selon les rochers et lieux promontueux. {b} Entre ceux-ci, la daurée est estimée la meilleure et plus délicate ; et après icelle, les merlans, les tourdes ; et les iules, fouques et perches retiennent le troisième lieu. Le nourrissement qui provient d’eux n’est < pas > seulement facile à digérer, mais aussi est très sain au corps des hommes, comme celui qui engendre un sang moyen en consistance. J’appelle moyen en consistance le sang qui n’est < ni > trop subtil, ni aquatique, ni trop gros. Mais parce que ce moyen a grande étendue, nous traiterons des différences d’icelui au narré consécutif. » {c}
- Même avec l’aide gréco-latine de Kühn (volume 6, page 718), cette bouillabaisse galénique est assez indigeste :
- la daurée ressemblerait à la daurade, mais skaros (scarus en latin) est le scare en français, poisson antique qui correspondrait à la famille des poissons-perroquets ;
- kottuphos (merula en latin), poisson de mer dont l’équivalent n’est plus connu aujourd’hui, est ici traduit en merlan (par analogie avec le merle, oiseau qui porte les deux mêmes noms en grec et en latin) ; « on dit proverbialement que les merlans sont viandes de laquais, de postillons, parce qu’ils n’empêchent point de courir pour trop charger l’estomac » (Furetière) ;
- kichla (turdus en latin) signifie grive (oiseau) et tourd, poisson de mer, « du genre labre », c’est-à-dire ayant « des lèvres doubles et charnues » (Littré DLF), dont le représentant le plus commun est la vieille ;
- iule, ioulida (iulia en latin), peut être l’ancien nom de la julienne, qu’on apparente aujourd’hui à la lingue, au colin ou au merlus ;
- fouque, phukida (fuca en latin), dérivé de phukês (petit poisson qui vit dans les algues au bord de la mer) ne correspond à aucune espèce moderne que j’aie su identifier ;
- perka (perca en latin) est le nom de la perche, mais c’est un poisson d’eau douce.
- « car ils ne se tapissent et ne se reproduisent pas dans les rivages plats, sablonneux ou terreux, mais dans les promontoires pierreux, où il y a des rochers » [non enim in levibus aut arenosis, aut terreis littoribus, sed in petrosis promontoriis, et ubu saxa sunt, delitescunt ac pariunt dans Kühn].
- Dans les chapitres qui suivent. Cet exemple, tout comme celui qui est transcrit dans la notule {d}, note [2] supra, donne une idée de ce qu’étaient les rares traductions de Galien disponibles au xviie s. (v. note [6], lettre 6) : il m’a été impossible de bien comprendre tout ce qui y est écrit sans remonter à la source gréco-latine (Kühn).
L’estomac.
Cuire entre deux plats, c’était cuire entre deux feux, l’un au-dessus et l’autre au-dessous. Rôtir, c’était cuire de la viande en la tournant à la broche autour du feu, ou en la mettant sur le gril.
On appelait bouquin un vieux bouc ; sa puanteur était proverbiale.
Au sens restreint, la gélinotte était une petite poule élevée dans une basse-cour ; au sens large (comme ici), c’était la volaille domestique.
Suivant les idées de l’époque, le sang se fabriquait (sanguification) dans le foie directement à partir du suc alimentaire (chyle) qui y arrivait de l’intestin (v. note [1], lettre 404).
Le monumental index latin des œuvres de Galien éditées par Kühn ne contient pas le mot jusculum (bouillon), mais seulement jus album (bouillon blanc, leukos zômos en grec), qui est ainsi défini dans le livre vi De sanitate tuenda [La préservation de santé] (Kühn, volume 6, page 298, traduit du grec) :
Voco jus album, quum sine garo, magisque etiam sine conditura ex variis opsoniorum generibus præparatur, anetho saleque cum oleo et porri exiguo in aquam conjectis.
[J’appelle blanc un bouillon quand il est préparé, sans garum {a} et surtout aussi sans assaisonnement, à partir de divers genres de victuailles qu’on jette dans l’eau avec de l’aneth, du sel, de l’huile et un peu de poireau].
Je n’ai trouvé ni le passage du livre iii « sur les Facultés des aliments » où Galien a loué les vertus du bouillon, ni celui d’Aristote sur le même sujet.
Tout ce que j’ai su trouver est ce commentaire de René Moreau sur la Schola Salernitana [École de Salerne] (v. supra note [6]), qui a pu inspirer Guy Patin (page 123) :
Hoc quoque ignorandum non est, quod carnes naturali temperamento sicciores sint elixandæ : quo nimirum ab aquæ humiditate contemperentur : Elixatio enim siccitatem temperat. Humidiores vero assandæ, nempe ut earum humiditate ab ignis calore attenuatæ nonnihil atque imminutæ, mediocritatem consequantur. Assatio enim ex Galeni sententia, humiditatem moderatur.
[Il ne faut pas non plus ignorer que les chairs dont le tempérament naturel est d’être très sèches doivent être bouillies, de manière que l’humidité de l’eau les dispose mieux, car la décoction atténue la sécheresse. Il faut au contraire rôtir les chairs très humides, de manière qu’elles atteignent un juste milieu, une fois que la chaleur du feu a atténué et réduit leur humidité. De l’avis de Galien, rôtir modère en effet l’humidité].
Nuance subtile (que je n’ai pas élucidée) entre digestion et coction (cuisson) des aliments, qui sont ordinairement à prendre pour synonymes dans l’ancienne physiologie.
Je n’ai pas trouvé cette mise en garde de Galien contre les œufs humés (gobés) dans le premier des quatre livres de son In Hippocratis librum de acutorum victu commentarius [Commentaire de Galien sur le livre d’Hippocrate Du régime dans les maladies aiguës].
V. supra note [47], pour la cuisson « entre deux plats ».
« Les cuisiniers appellent des œufs au miroir des œufs cuits sur le plat sans être brouillés » (Furetière), « ce qui leur donne l’apparence d’autant de petits miroirs » (Littré DLF).
Fricasser les œufs, c’est les battre pour en faire une omelette : « sorte de cuisson d’œufs battus qu’on fricasse dans la poêle ; une omelette au fromage, au sucre, au lard, avec de la ciboule et du persil » (Furetière).
« le fromage est sain quand c’est une avare main qui le donne », deuxième vers d’un poème de L’École de Salerne. Traduction en vers français par M. Ch. Meaux Saint-Marc, avec le texte latin en regard. Précédé d’une introduction par M. le docteur Ch. Daremberg (Paris, J.‑B. Baillière et fils, 1861, in‑8o, première partie, Hygiène, pages 58‑61) :
Caseus.
Caseus est frigidus, stipans, crassus, quoque durus ;
Caseus ille sanus quem dat avara manus.
Caseus et panis, bonus est cibus hic bene sanis ;
Si non sunt sani, non jungito casea pani.
Caseus est nequam, quia concoquit omnia sequam.
Caseus ante cibum, cibus est, post, medicina.
Caseus et cepæ veniunt ad prandia sæpe.
Ignari medici me dicunt esse nocivum :
Sed tamen ignoran, il constiperat cur nocumenta feram ;
Expertis reor esse ratum, nam commoditate
Languenti stomacho caseus addit opem.
Caseus ante cibum confert, si defluat alvus ;
Si post sumatur, terminet ille dapes :
Qui physicam non ignorant, hæc testificantur.
Ad fundum stomachi dum sumpta cibaria condit,
Vim digestivam non minus ille juvat.
Si stomachus languet, vel si minus appetit, iste
Fit gratus stomacho, conciliatque cibum.
Si sit crustosus, per lucem non oculatus,
Ejusdem sic onus dicitur esse bonus,
Non Argus, largus ; non Matusalem, Magdalena ;
Non Petrus, Lazarus ; caseus iste bonus.
Caseus incendit stomachum salsus veteratus ;
Si sero digeritur, ventrem constringere fertur,
Ac defrigdare. Salsus, plus nutrit ovinus
Caseus, et modicum prehibetur stringere ventrem.
Caseus, insulsus, bene digerit et bene solvit.« Le fromage. {a}
Astringent, indigeste et froid est le fromage :
Que ton avare main l’enferme et le ménage.
Fromage et pain sont bons pour qui se porte bien,
Autrement, ce mélange est lourd et ne vaut rien.
Le fromage est nuisible et sa présence altère
Les mets que l’estomac avec peine digère.
Si le fromage seul peut servir d’aliment,
À la fin du repas, c’est un médicament ;
Les oignons, le fromage au souper que j’apprête,
Sont bienvenus toujours, toujours je leur fais fête.
D’ignorants médecins me prétendent fatal,
Impuissants à prouver que je cause aucun mal ;
Profonde est leur erreur : toujours l’expérience
Montre qu’estomac faible en moi trouve assistance. {b}
Contre un ventre lâché, bon avant le repas,
Au dessert le fromage offre encore son appât.
L’homme instruit reconnaît son bienfaisant usage
Qui des mets entassés hâte le prompt partage
et de l’estomac plein active la lenteur.
D’un languissant organe il ranime l’ardeur,
Stimule un estomac qui s’éveille avec peine,
Et facilite aux mets un cours exempt de gêne.
Choisis donc avec soin : de sa croûte vêtu,
Le fromage sera, moins qu’Argus, d’yeux pourvu,
Du vieux Mathusalem qu’il n’emprunte pas l’âge,
Que Madeleine en pleurs inonde son visage,
De Pierre qu’il n’ait point l’ingrate dureté,
Mais de Lazare affreux l’ulcère ensanglanté. {c}
Vieux, salé, l’estomac lentement le digère ;
L’intestin s’en échauffe et bientôt se resserre.
De brebis le fromage est le plus nourrissant ;
Sans sel, plus digestif, il est plus relâchant. »
- « On remarquera la diversité d’opinions professées sur les mérites du fromage. Chacun peut choisir celle qui est d’accord avec son goût » (note du traducteur). Tout en restant parfaitement fidèle au sens, le courageux traducteur a pris de grandes libertés avec la syntaxe d’origine, comme c’est la règle quand on met en vers français un poème latin.
- « Le fromage lui-même plaide en sa faveur et se défend contre des accusations téméraires. »
- La traduction s’est ici transformée en interprétation d’un passage fort allusif (dont le sens demeure incertain). V. note [9], lettre 73, pour Argus aux cent yeux. La transcription laisse planer un doute sur Largus, écrit avec une majuscule initiale (mais omis dans la traduction), que j’ai transformée en minuscule (Argus largus, « le généreux Argus ») ne voyant pas de rapport entre Argus et le médecin Scribonius Largus (v. note [1], lettre 205).
Les autres noms propres se réfèrent à des célébrités bibliques. Pour la cohérence du sens (car il est question de la bonne qualité du fromage) et le respect du non, deux négations me semblent devoir été ajoutées : pour Madeleine en pleurs (Luc, 7:36‑50), « n’inonde » au lieu d’« inonde », et pour Lazare le lépreux (ibid., 16:19‑31), « Ni » au lieu de « Mais ».
De Galien, Guy Patin citait ici la 4e section du livre x De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus [Des combinaisons et facultés des médicaments simples], intitulée De sanguine vespertilionis, leporis, gallinarum, caprarum, agnorum, hœdorum, ursorum, taurorum et hircorum [Du sang de chauve-souris, de lièvre, de poule, de chèvre, d’agneau, de chevreau, d’ours, de taureau et de bouc] (Kühn, volume 12, pages 258‑262).
Chapitre intitulé De Adamante, et hirci sanguine [Du Diamant et du sang de bouc] (page 1080 de l’ouvrage de Jules-César Scaliger contre Cardan, v. supra 2e notule {a}) :
Adamantem hirci sanguine rumpi, Plinius tum prodit, tum vellicat. Mallem sua proderet experimenta. Recentiores, qui destestantur occultas proprietates : easque inscitiæ asylum contumeliosis verbis vocant : et aliis locis, et in hac historia, quas destruunt, construunt. Aiunt enim : hircinum sanguinem in adamantem penetrare, propter analogiam, quæ est in principio communi. At vero quid aliud est principii communis analogia, quam proprietas occulta ? Nam quare subit hircinus, et alius sanguis tenuior restitat exclusus ? Et sane ab uno principio deducere adamantem, atque illum sanguinem, est : Hircum facere Adamantem. Frangere tamen in renibus, atque in vesica lapidem : tam verum est, quam meridie lucere. Quamplurimos enim eius vi comminuimus. Sed et leporino sit hoc idem. Unde igitur illa efficaci ? Non tibi nunc dissolvam debitum : sed bona fide interea pignori tibi relinquam, ingenui, candidique animi verbum hoc : nescio.
[Pline tantôt proclame, tantôt dénigre l’idée que le sang de bouc brise le diamant. Je préférerais qu’il nous eût fait part de ses expériences. Les auteurs plus récents, qui maudissent les propriétés occultes et les qualifient du nom injurieux de temple de l’ignorance, ne font, là comme ailleurs, que construire ce qu’ils veulent détruire. Ils disent en effet que le sang de bouc pénètre le diamant en raison de l’analogie qui réside en leur principe commun ; mais une analogie de principe commun est-elle en vérité autre chose qu’une propriété occulte ? Pourquoi donc le sang de bouc s’insinue-t-il là où un autre sang plus délié ne peut pénétrer ? C’est qu’en vérité le diamant et ce sang dérivent d’un seul et même principe : le bouc crée le diamant. Il est aussi vrai que ce sang brise la pierre des reins et de la vessie qu’il fait jour à midi. Nous en avons en effet brisé des quantités par son pouvoir. Il en va de même pour le sang de lièvre. D’où cette efficacité vient-elle donc ? Je ne t’en affranchirai pas maintenant ; mais en toute bonne foi et en attendant, je te laisserai en gage ce mot qui vient d’un esprit candide et ingénu : je ne sais pas].
Bernard de Gordon (ici Gourdon), Bernardus Gordonius, nommé professeur de médecine à Montpellier en 1285, a enseigné dans cette université pendant une vingtaine d’années et composé de nombreux traités, dont le plus célèbre est le volumineux Opus, Lilium Medicinæ inscriptum, de morborum prope omnium curatione, septem particulis distributum… [Ouvrage intitulé le Lis de médecine, sur le traitement de presque toutes les maladies, divisé en sept petites parties…], dont il existe de nombreuses éditions. V. première notule {e}, note [33], lettre latine 154, pour un extrait traduit et commenté.
Jean ii Riolan a mentionné Gordon dans ses Curieuses recherches sur les Écoles de médecine de Paris et de Montpellier… (Paris, 1651, v. note [13], lettre 177), pages 92‑93 :
« Petrus Egidius Corboliensis, environ l’an 1220, était chanoine de Paris et premier médecin de Philippe Auguste. Il a composé un livre de Urinis, un autre de Pulsibus, que Gordon approuve, et l’appelle dans ses livres Venerabilem Egidium à cause de sa qualité ecclésiastique. » {a}
- Je n’ai rien trouvé pour affirmer que Gilles de Corbeil (v. note [7], lettre 59), auteur de traités « sur les Urines » et « sur les Pouls », était la cible du sarcasme de Gordon.
« Je prie Dieu que leur entreprise prospère bien, pour la gloire éternelle de son nom et le profit des affaires publiques. »
Jean Bonnet, « né à Paris, était maître chirurgien de l’Hôtel-Dieu et un excellent opérateur ; il mourut le 7 octobre de l’année 1651 » (Liste funèbre des chirurgiens de Paris, page 91).
V. note [17], lettre 455, pour Restitut Girault et son beau-frère Philippe Colot.
Nèfles : « fruit rond et qui a cinq noyaux fort durs. Les nèfles ne sont bonnes que quand elles sont molles. Les nèfles sont fort astringentes ». (Furetière) « Ce fruit étant mûr est fort agréable et bon pour la santé, surtout étant mangé après la viande ; mais avant qu’il ait atteint sa maturité, il est si âpre qu’on n’en saurait avaler. Quelques auteurs disent que les nèfles desséchées et mises en poudre cassent et évacuent la gravelle qui est dans les reins, principalement si on emploie leurs noyaux réduits en poudre. Les nèfles sont propres à arrêter tous les flux de ventre et à fortifier les parties » (Thomas Corneille).
V. note [12], lettre 482, pour le commentaire de René Moreau sur les nèfles dans son École de Salerne (Paris, 1625), auquel Guy Patin empruntait ici un autre passage (pages 568‑569), dont voici une traduction :
« Persuadere cupit, credat Iudæus Apella, non ego. {a}
Moi qui suis imprégné de la doctrine d’Hippocrate et de Galien et que, formé à la Faculté de Paris, l’expérience, maîtresse de toutes choses, a instruit sans relâche, j’ai appris qu’il n’existe aucun remède capable de broyer les calculs des reins de la vessie, mais bien qu’ils sont à ce point durs et compacts que seuls les instruments chirurgicaux des lithotomistes peuvent ou les briser, ou les émousser. Ce que je veux être dit tant contre ceux qui proclament effrontément détenir des secrets pour briser les calculs dans la vessie, que pour avertir ceux qui souffrent de la pierre de ne pas se fier aux imposteurs de ce genre, ni à leurs médicaments corrodants et rongeants, mais de se confier le moment venu à un lithotomiste expérimenté, puisqu’il n’y a pas d’autre recours dans cette maladie. »
- « Il désire convaincre ; que le juif Apelle le croie, mais pas moi [à d’autres mais pas à moi] ! » (Horace, v. note [59], lettre 101).
Livre v du Commentaire de Galien sur le vie livre des Épidémies d’Hippocrate (Kühn, volume 17b, page 289, traduit du grec) :
Creatur etiam pueris in vesica lapillus, sed haud ita multos, ut sacer morbus, invadit, quem quidem in puerilis ætatis mutatione plerumque, nisi magnopere in victu delinquant, removeri contingit, at vesicæ calculus non ætatis lapsu, sed manuum opera dumtaxat curari potest.
[La gravelle se forme en la vessie de l’enfant, mais bien moins fréquemment que ne survient l’épilepsie. Celle-là finit par disparaître la plupart du temps avec l’âge, si l’alimentation ne pèche pas grandement ; en revanche, le passage du temps ne peut pas guérir le calcul de vessie, l’opération manuelle en vient seule à bout].
« Je réclame un exemple de guérison qu’obtient leur médecine irréfléchie, et qui soit autre chose qu’un traitement mortel, ou plutôt qu’une exécution capitale » : sentence de Louis Duret tirée de ses Hippocratis magni Coacæ Prænotiones [Prénotions coaques du grand Hippocrate] (Paris, 1588, v. note [10], lettre 10), dans le chapitre De morbis vesicæ [Sur les maladies de vessie] (page 360, lignes 55‑56).
Les deux phrases qui précèdent cette citation (lignes 53‑55) ont aussi inspiré Guy Patin :
Hic superstitio esset vel ostentatio, causas adferre cur curando, nulli medicinæ sit locus. Fremant licet omnes Paracelsistæ ; ridicula sunt eorum triscurria.
[Nulle médecine ne permet ici de soigner, vouloir en discuter serait superstition ou vantardise. Bien que les paracelsiste maugréent, leurs bouffonneries sont risibles].
« Toute médecine qui a pour objet de briser la pierre vésicale est irréfléchie, pernicieuse et souvent mortifère. Je n’ai encore jamais vu personne à qui elle ait profité ; mais j’en ai vu un très grand nombre qu’elle a menés au trépas » : Louis Duret, même chapitre que dans la note [62] supra (page 361, lignes 4‑5).
Charles i de Bourbon (1523-1590), créé cardinal de Bourbon (ou de Vendôme) en 1548, fut successivement évêque de Nevers (1540) puis de Saintes (1544), et termina évêque de Nantes (1550-1554) et archevêque de Rouen (1550-1590). Ce puissant prélat était aussi oncle du futur roi Henri iv, dont il fut l’éphémère garde des sceaux en 1589 (v. note [55] du Borboniana 5 manuscrit), après avoir été conseiller politique, plus ou moins heureux, du roi Henri iii : disgracié en 1588, les ligueurs avaient vainement fait de lui l’héritier légitime du trône (sous le nom de Charles x) après l’assassinat du souverain (1589). Charles i, cardinal aîné de Vendôme, était aussi oncle du jeune cardinal de même nom (Charles ii de Bourbon, v. note [45] du Borboniana 5 manuscrit).
François de Bourbon (1558-1614), marquis puis premier prince de Conti (en 1581), était le 3e fils du prince Louis ier de Condé (v. note [16], lettre 128), frère cadet du cardinal Charles i de Bourbon. Indéfectiblement fidèle à la Couronne de France, il la servit sous les les rois Henri iii et Henri iv (son cousin germain). Défavorisé par la nature (il était sourd et bègue), François se maria deux fois, mais mourut sans descendance légitime. Après 15 ans de vacance, la principauté de Conti fut transmise en 1629 à son petit-neveu, Armand de Bourbon (v. note [5], lettre 166), frère du Grand Condé.
Cette triste histoire de taille vésicale s’était déroulée vers 1570 et figure dans un commentaire de Louis Duret In caput xlix de lapide vesicæ [Sur le chapitre xlix, de la pierre de vessie] dans les Jacobi Hollerii Opera omnia [Œuvres complètes de Jacques Houllier] (édition de Genève, 1623, v. note [9], lettre 131). En voici le texte latin (page 419), que Guy Patin a assez fidèlement traduit :
Abhinc tribus annis cum in sectione illustrissimi Principis Condæi filii convocatus essem cum meis collegis, periclitator quidam interfuit, qui asseveranter retulit se curaturum sine sectione: Se quia Illustrissimus cardinalis a Borbonio noluit fieri periculum in nepoté, adductus est puerulus calculosus decennis, in quo fieret periculum. Ille periclitator exhibuit remedium ; interiit exulcerata vesica et ventriculo. Nacti sunt duo lapides crassiusculi integri, neque ullo modo vi medicamenti, etiamsi acerrimi detriti.
V. notule {a}, note [11], lettre 726, pour ce jugement de Macrobe (v. note [2], lettre 52) sur Hippocrate, dont Guy Patin a donné la traduction française juste avant.
V. Littré Hip, volume 5, pages 216‑217, pour le texte grec original et sa traduction textuelle en français.
« que la nature en colère a engendrés ».
Saltimbanque : « danseur de corde, bouffon, charlatan qui joue en place publique pour divertir le peuple » (Furetière).
Les assiégés affamés de La Rochelle (1627-1628, v. note [27], lettre 183) sont réputés y avoir recouru.
De manière moins sensationnelle, Furetière appelle boudin le « boyau de porc empli de son sang et de sa graisse, dont on fait un mets bon à manger : celui-là s’appelle boudin noir ».
L’emplâtre contre la rupture servait au traitement des hernies (ou entérocèles, v. note [1], lettre latine 361) dues à la déhiscence ou rupture de la paroi abdominale profonde permettant à l’intestin de descendre dans le scrotum, dans la grande lèvre ou dans l’aine : Pierre Franco parle de l’emplastrum contra rupt. dans le chapitre xv, La cure de rupture, par voie de médecine (pages 26‑27), de son Traité des hernies (Lyon, 1561, v. note [61], lettre 183), mais sans en donner la composition exacte (que je n’ai pas trouvée ailleurs) ni y mentionner la présence de sang (humain ou autre).
J’en ai trouvé une description, aussi détaillée que curieuse, dans un ouvrage peu suspect d’orthodoxie dogmatique, la Myrothecium spagyricum ; sive Pharmacopœa chymica, occultis naturæ arcanis, ex Hermeticorum Medicorum scriniis depromptis abunde illustrata. Auctore Petro Ioanne Fabro Castrinovidarensi, Doctore Medico ac Philosopho Monspeliensi [Boîte à essences spagirique, ou Pharmacopée chimique très riche en secrets cachés de la nature, tirés des cassettes des médecins hermétiques. Par Pierre-Jean Fabre, natif de Castelnaudary, docteur en médecine et philosophie de Montpellier] (Vieille-Toulouse, Pierre Bosc, 1628, in‑8o), dont le chapitre ix du 8e livre est intitulé De emplastro contra rupturam [L’emplâtre contre la rupture] (pages 335‑336) :
Emplastra possunt et apud chymicos commodissime præparari et faciliori negotio quam apud vulgares pharmacopolas : nam quintæ essentiæ omnes et olea eorum ceræ aut pici consistentiam acquirunt, et fortiora multo sunt vulgaribus et communibus, diutiusque durant : emplastrum ergo ad herniam seu contra rupturam omnem et ossium dislocationem, sequenti methodo paravimus. Ꝝ ceræ albæ succo granatorum aut aceto albo lotæ ℔ j. huic adde olei mastichini spagyrice præparati ℥ iiij. aceti sulphuris per campanam facti ℥ ij. tincturæ rosarum ʒ j. croci martis ℥ j. terræ sigillatæ ʒ ij. terræ exanimatæ vitrioli, hoc est fecis vitrioli ex distillatione ejus, ab omni eius sale vindicati ℥ ij. magisterii coralli rubei, et lapidis hepatis ana ℥ ß. magisterii lapidis magnetis ℥ j. olei herniariæ herbæ ℥ ß. extracti ejusdem ℥ j. olei consolidæ maioris ℥ ß. extracti et tincturæ radicis eiusdem consolidæ maioris aceto stillatitio extractæ, aut succo limonum aut granatorum ℥ ß. misce, reducantur in emplastri consistentiam, levissimo calore, et fiant magdalia usui reponenda.
Vires et usus emplastri contra rupturam.
- Hernias infantium et puerorum quam citissime curat, modo emplastrum superpositum optime ligatum assidue gestent.
- Ossa fracta ad callum tutissime ducit, et impedit, si sit vulnus, ne putrescat et ad suppurationem deveniat, sua adstringendi et desicandi facultate.
Usus eius est ut extendatur massa illius, super alutam novam, et parti affectæ calide imponatur, et stricte ligetur.
[Les emplâtres peuvent être préparés avec très grande commodité et plus de facilité chez les chimistes que chez les pharmaciens ordinaires ; ainsi, toutes leurs quintes essences {a} et leurs huiles acquièrent la consistance d’une cire ou d’une poix, et sont beaucoup plus robustes et durent plus longtemps que les onguents préparés de manière commune et ordinaire. Nous préparons donc l’emplâtre pour la hernie ou contre toute rupture et dislocation des os de la manière qui suit : prenez une livre de cire blanche lavée avec du jus de grenade ou du vinaigre blanc ; ajoutez-y 4 onces d’huile masticine {b} préparée à la manière spagirique, 2 onces de vinaigre sulfuré fait sous cloche, une drachme de teinture de roses, une once de crocus de mars, {c} 2 drachmes de terre sigillée, {d} 2 onces de terre éteinte de vitriol, c’est-à-dire le résidu de la distillation du vitriol, débarrassé de tout son sel, du magistère de corail rouge et de pierre de foie, {e} une demi-once de chaque, une once de magistère de pierre d’aimant, {f} une demi-once d’huile d’herniaria, {g} une once d’extrait de la même herbe, une demi-once d’huile de grande consoude, {h} une demi-once d’extrait et teinture de la racine de la même grande consoude, extraite au moyen de vinaigre distillé, ou de jus de citron ou de grenade ; mélangez et réduisez le tout, à feu très doux, jusqu’à la consistance d’un emplâtre, puis faites-en des magdaléons {i} à conserver pour en user.
Facultés et emplois de l’emplâtre contre la rupture.
- Il soigne avec grande promptitude les hernies des nourrissons et des enfants, pourvu qu’ils portent constamment l’emplâtre après qu’on l’a mis en place et parfaitement attaché. {j}
- Il induit très sûrement la formation d’un cal sur les os fracturés et, en cas de plaie associée, par sa faculté astringente et asséchante, il empêche qu’elle ne se gâte et n’aboutisse à la suppuration.
On le serre avec une ceinture de cuir neuf pour qu’il s’étale bien et qu’il adhère fermement à la partie affectée.
- Matière complexe et occulte, la quinte essence ou quintessence, « en termes de chimie, est ce qu’il y a de plus exquis, de plus subtil et de plus pur dans les corps naturels, extrait par l’art de chimie. Quinta essentia. Les charlatans vendent des liqueurs qu’ils appellent des essences et quintes essences, faisant accroire qu’elles guérissent de tous maux. Les Anciens, qui ne connaissaient rien de réel qui ne fût un corps, voulaient néanmoins que l’âme de l’homme fût d’un cinquième élément, ou d’une espèce de quinte essence sans nom, inconnue ici-bas, indivisible et immuable, toute céleste et toute divine.
Quintessence, dans la philosophie hermétique, est un terme mystérieux : cinquième essence ou cinquième être d’une chose mixte. C’est comme l’âme très subtile tirée de son corps, et de la crasse et superfluité des quatre éléments [air, eau, feu et terre], par une très subtile et très parfaite distillation ; et par ce moyen la chose est spiritualisée, c’est-à-dire rendue très spirituelle, très subtile et très pure, et comme incorruptible » (Trévoux).- Extraite du mastic (v. notule {b}, note [73], lettre latine 351).
- Rouille de fer, mais c’était aussi un autre nom du safran des métaux (crocus metallorum ou foie d’antimoine, v. note [52], lettre 211).
- Ou terre de Lemnos (v. notule {a}, note [6] de l’observation vii).
- Magistère : « préparation d’un corps mixte par art de chimie, par laquelle toutes ses parties homogènes sont exaltées en un degré de qualité ou de substance plus noble qu’auparavant, en rejetant seulement ses impuretés externes, sans faire aucune extraction. Le magistère diffère de l’extrait en ce que dans le magistère toutes les parties du mixte y demeurent, quoiqu’elles soient changées en des qualités ou consistances plus exquises ; et dans l’extrait on ne prend que la plus noble partie de la substance, qui est tout à fait séparée d’avec la plus grossière et élémentaire » (Furetière). V. notes [11], lettre 393, pour le corail rouge, et [19], lettre 352, pour sa teinture (ou âme). La pierre de foie (ou hépatique) était un mélange de vitriol, de calcaire et d’argile, qui exhalait une odeur de foie de soufre ou de poudre à canon.
- Nicolas Lemery (Traité universel des drogues simples…, seconde édition, Paris, Laurent d’Houry, 1714, in‑4o, page 513) :
« On demande de la pierre d’aimant dans les descriptions d’emplâtres destinés pour les plaies qui ont été faites par des armes et où l’on croit qu’il est demeuré quelque morceau de fer ; car l’on s’imagine que l’aimant qui est entré dans l’emplâtre attirera et fera sortir le fer de la plaie ; mais quelque bon que fût l’aimant, il ne pourrait jamais produire cet effet car, premièrement, étant pulvérisé subtilement, comme il est nécessaire qu’il soit pour être mêlé dans un emplâtre, il a perdu toute sa qualité propre pour attirer le fer, en ce qu’elle ne consistait que dans une disposition ou arrangement de pores qui ont été détruits. En second lieu, quand il serait demeuré à cette pierre pulvérisée quelque vertu d’attirer le fer, elle ne pourrait point agir étant mélangée dans un emplâtre, à cause des matières visqueuses, gommeuses et résineuses qui le composent. Je ne reconnais donc en l’aimant qu’on a fait entrer dans les emplâtres qu’une vertu détersive et astringente ; ainsi, j’estime qu’il n’est pas besoin de s’embarrasser beaucoup pour choisir cette pierre dans toute sa force quand on voudra l’employer en médecine ; il suffit de prendre celle que les droguistes vendent communément et qu’ils font venir d’Auvergne et de plusieurs autres lieux. Mais, de peur qu’on n’y soit trompé et qu’ils ne vendent une autre pierre à la place de celle d’aimant, il faut lui présenter de la limaille de fer, car elle doit l’attirer ».
- Herniaria ou herniole : « petite plante à fleurs verdâtres, qu’on appelle aussi turquette », dont le nom vient précisément du cataplasme qu’on en faisait pour traiter les hernies.
- Plante ainsi nommée (symphyton dans l’étymologie grecque) pour sa vertu à souder les plaies.
- Mot dérivé de magdalia, pâte pétrie : « C’est ainsi qu’on appelle un rouleau ou petit cylindre de soufre, d’emplâtre, etc., tels qu’on les vend chez les épiciers et apothicaires » (Trévoux). Ambroise Paré donnait aux emplâtres le nom de céroüennes.
Le sang n’entrait donc pas dans la composition de l’emplâtre des spagiriques.
- Avec l’emplâtre contre la rupture, on espérait réunir la déhiscence herniaire récente et fraîche des enfants ; mais le traitement était tenu pour inefficace chez les adultes et les vieillards dont les berges de l’orifice s’étaient sclérosées.
V. note [20] de L’homme n’est que maladie pour ce chapitre v (et non i de l’Histoire naturelle de Pline (livre xxvi), à propos de la lèpre (éléphantiasis).
Le haut mal est l’épilepsie ; un homme décollé a été décapité.
« Il y a superstition ou forfanterie à vanter les remèdes de cet ivrogne et fanatique athée de Paracelse, dont l’estime fut jadis désapprouvée par l’École d’Hippocrate, et reléguée au rang des médecins hypocrites et des vieux renards, que rien au monde ne peut accréditer qu’une certaine rouerie agile et dont la tromperie fort habile ne consiste d’ordinaire qu’à amasser les paroles obscures » (Louis Duret, Hippocratis Magni Coacæ Prænotiones [v. supra note [62]], page 147, lignes 11‑15).
Tertullien (v. note [19], lettre 119), Apologétique, chapitre ix :
De sanguinis pabulo et eiusmodi tragicis ferculis legite, necubi relatum sit (est apud Herodotum, opinor), defusum brachiis sanguinem ex alterutro degustatum nationes quasdam fœderi conparasse. Nescio quid et sub Catilina degustatum est. Aiunt et apud quosdam gentiles Scytharum defunctum quemque a suis comedi. Longe excurro. Hodie istic Bellonæ sacratus sanguis de femore proscisso in palmulam exceptus et esui datus signat. Item illi qui munere in arena noxiorum iugulatorum sanguinem recentem de iugulo decurrentem exceptum avida siti comitiali morbo medentes auferunt, ubi sunt ? Item illi qui de arena ferinis obsoniis coenant, qui de apro, que de cervo petunt ? Aper ille quem cruentavit, conluctando detersit. Cervus ille in gladiatoris sanguine iacuit. Ipsorum ursorum alvei appetuntur cruditantes adhuc de visceribus humanis. Ructatur proinde ab homine caro pasta de homine. Hæc qui editis, quantum abestis a conviviis Christianorum ? Minus autem et illi faciunt qui libidine fera humanis membris inhiant, quia vivos vorant ? minus humano sanguine ad spurcitiam consecrantur, quia futurum sanguinem lambunt ? Non edunt infantes plane, sed magis puberes. Erubescat error vester Christianis, qui ne animalium quidem sanguinem in epulis esculentis habemus, qui propterea suffocatis quoque et morticinis abstinemus, ne quo modo sanguine contaminemur vel intra viscera sepulto. Denique inter temptamenta Christianorum botulos etiam cruore distensos admovetis, certissimi scilicet inlicitum esse penes illos per quod exorbitare eos vultis. Porro quale est, ut quos sanguinem pecoris horrere confiditis, humano inhiare credatis, nisi forte suaviorem eum experti ? Quem quidem et ipsum proinde examinatorem Christianorum adhiberi oportebat ut foculum, ut acerram. Proinde enim probarentur sanguinem humanum adpetendo quemadmodum sacrificium respuendo, alioquin negandi si non gustassent, quemadmodum si immolassent, et utique non deesset vobis in auditione custodiarum et damnatione sanguis humanus.
[Pour en venir à ces repas de sang et de chair humaine, qui font frémir, vous pouvez lire dans Hérodote, si je ne me trompe, que certaines peuplades, après s’être tiré du sang au bras, se le présentent mutuellement à boire, comme pour sceller leur alliance par cet échange. Il se passa quelque chose de semblable dans la conjuration de Catilina. Les Scythes, dit-on, mangent leurs parents après leur mort. Mais pourquoi chercher des exemples si loin ? Ici même, pour être admis aux mystères de Bellone, {a} il faut avoir bu du sang qu’on tire de sa cuisse entrouverte, et qu’on recueille dans la main. Et ceux qui, pour guérir l’épilepsie qui les travaille, sucent avec une soif avide le sang encore bouillant des criminels qui viennent d’expirer dans l’arène, où sont-ils ? Où sont-ils ceux qui mangent des animaux tués dans l’amphithéâtre ? Ne se nourrissent-ils pas de la chair de leurs semblables ? car ce sanglier s’est abreuvé du sang de la victime qu’il a déchirée ; ce cerf est tombé dans le sang du gladiateur ; et dans le ventre des ours, on voit encore palpiter les membres des hommes qu’ils ont dévorés. Vous vous engraissez d’une chair engraissée de la chair de l’homme ! En quoi donc vos repas diffèrent-ils des prétendus repas des chrétiens ? Et ceux qui, avec des fantaisies dépravées, se précipitent dans des plaisirs infâmes qui révoltent la nature et qui feraient rougir le crime, sont-ils moins criminels, moins homicides ? Rougissez d’imputer aux chrétiens des crimes dont ils sont si éloignés qu’ils ont même interdit sur leurs tables le sang des animaux, et que par cette raison ils s’abstiennent des bêtes étouffées et mortes d’elles-mêmes, pour ne se souiller d’aucun sang, même de celui que recèleraient leurs entrailles. Vous ne l’ignorez pas, puisque parmi vos moyens de corruption, vous présentez à la foi chrétienne des mets pleins de sang. Or, je vous le demande, pouvez-vous croire que ces hommes accoutumés à ne voir qu’avec horreur le sang des animaux soient si fort altérés du sang de leurs semblables, à moins peut-être que vous n’ayez trouvé celui-ci plus délicat ? Que ne joignez-vous donc le sang humain au feu et à l’encens pour éprouver les chrétiens ! Vous les reconnaîtrez et les enverrez au supplice, s’ils goûtent du sang, comme vous le faites, quand ils refusent de sacrifier. Et certainement vos tribunaux et vos arrêts ne vous laisseront jamais manquer de sang humain].
« Le connu se fonde sur le jugement et l’inconnu sur la conjecture » (Dionysius Cato, v. note [4], lettre 490).
Commentaires de Matthiole sur Dioscoride (v. supra note [24]), livre vi, chapitre xxv, Sang de taureau, page 567, première colonne :
« Et, par ainsi, je pense que personne ne boit de ce sang, sinon qu’il fût ou enragé ou démoniaque ; ou qu’il se voulût faire mourir de peur d’être exécuté par justice ; ou qu’il se fâchât de la vie à cause de quelque grosse et fâcheuse maladie où il serait demeuré, ainsi que fit le père de Licinius Cæcina, gentilhomme romain, qui s’empoisonna d’opium, selon que dit Pline. » {a}
- V. note [16] de la leçon sur le laudanum et l’opium.
Platon, La République (livre iii, 405) :
« Mais si le dérèglement et les maladies se multiplient dans une cité, ne s’ouvrira-t-il pas beaucoup de tribunaux et de cliniques ? La chicane et la médecine y seront en honneur quand les hommes libres eux-mêmes s’y appliqueront nombreux et avec ardeur. Comment cela n’arriverait-il pas ? Or, du vice et de la bassesse de l’éducation dans une cité est-il plus grande preuve que le besoin de médecins et de juges habiles, non seulement pour les gens du commun et les artisans, mais encore pour ceux qui se piquent d’avoir reçu une éducation libérale ? »
Hippocrate, Aphorismes (6e section) :
Propos de Socrate rapporté par Diogène Laërce (livre ii, 34) :
« Ayant invité à dîner des hommes riches, et Xanthippe {a} en concevant de la honte, il dit : “ Courage, car s’ils ont le sens de la mesure, ils s’adapteront ; mais s’ils ne valent rien, nous n’aurons pas à nous soucier d’eux. ” Il disait aussi que les autres hommes vivent pour manger, tandis que lui mangeait pour vivre. » {b}
- Acariâtre épouse de Socrate (v. 2e notule {a}, note [5], lettre 95).
- Molière a rendu ce dicton célèbre en le prêtant à Valère dans L’Avare (acte iii, scène 1) :
« Apprenez, Maître Jacques, vous et vos pareils, que c’est un coupe-gorge, qu’une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l’on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu’on donne ; et que, suivant le dire d’un ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. »
Au xviie s., « crapule » n’avait pas d’autre sens que celui d’ivrognerie.
Hellénisme pur et absent des dictionnaires français courants, venu de diorisma, précepte.
Dans tout ce pédant passage, Guy Patin oubliait qu’il écrivait pour le vaste public. J’interprète comme suit sa réponse alambiquée au jurisconsulte qui se gaussait de la médecine : « Même si elle est devenue une science admirablement exacte, elle n’a pas encore tranché la question du nombre idéal des repas quotidiens, étant donné la variabilité des influences en jeu, liées tant aux individus qu’aux circonstances. »
Possible allusion au fait que dans son Banquet (Sumposion), Platon ne parle pas des plats qu’on a mangés, mais seulement des doctes discours échangés autour de la table ; « silence alimentaire » qui peut être interprété comme une marque de très grande sobriété, voire de mépris pour la bonne chère (Luciana Romeri, Platon et la tradition conviviale, Revue des Études anciennes, 2002, pages 51‑59).
Gland : « fruit du chêne, qui est fait en forme d’un noyau, presque semblable à celui d’une aveline [noisette], sinon qu’il est de figure oblongue. Les habitants de Chio soutinrent un long siège et ne vécurent que de gland » (Furetière).
Mot à prendre dans le premier sens latin de victima, animal destiné au sacrifice.
Guy Patin accommodait à sa façon deux passages de l’Ancien Testament.
« Yahvé lui apparut au chêne de Mambré, tandis qu’il était assis à l’entrée de la tente au plus chaud du jour. Ayant levé les yeux, voilà qu’il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui ; dès qu’il les vit, il courut de l’entrée de la tente à leur rencontre et se prosterna à terre. Il dit : “ Monseigneur, je t’en prie, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, veuille ne pas passer près de ton serviteur sans t’arrêter. Qu’on apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds et vous vous étendrez sous l’arbre. Que j’aille chercher un morceau de pain et vous vous réconforterez le cœur avant d’aller plus loin ; c’est bien pour cela que vous êtes passés près de votre serviteur ! ” Ils répondirent : “ Fais donc comme tu as dit. ”
Abraham se hâta vers la tente auprès de Sarah et dit : “ Prends vite trois boisseaux de farine, pétris et fais des galettes. ” Puis Abraham courut au troupeau et prit un veau tendre et bon ; il le donna au serviteur qui se hâta de le préparer. Il prit du caillé, du lait, le veau qu’il avait apprêté et plaça le tout devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, et ils mangèrent. » {a}
- V. notule {b}, note [34], sur la triade 63 du Borboniana manuscrit pour la suite de ce récit.
« Sous le règne d’Asarhaddon, je revins donc chez moi et ma femme, Anna, me fut rendue avec mon fils Tobie. {a} À notre fête de la Pentecôte, {b} il y eut un bon dîner. Je pris ma place au repas, on m’apporta la table et on m’apporta plusieurs plats. Alors je dis à mon fils Tobie : “ Va chercher, mon enfant, parmi nos frères déportés à Ninive, un pauvre qui soit de cœur fidèle, et amène-le pour partager mon repas. J’attends que tu reviennes, mon enfant. ” Tobie sortit donc en quête d’un pauvre parmi nos frères, mais il revint et dit : “ Père ! ” Je répondis : “ Eh bien, mon enfant ? ” Il reprit : “ Père, il y a quelqu’un de notre peuple qui vient d’être assassiné, il a été étranglé, puis jeté sur la place du marché, et il y est encore. ” Je ne fis qu’un bond, laissai mon repas intact, enlevai l’homme de la place et le déposai dans une chambre, en attendant le coucher du soleil pour l’enterrer. Je rentrai me laver et je mangeai mon pain dans le chagrin. »
- Asarhaddon fut roi d’Assyrie à une date indéterminable. V. note [17], lettre latine 29, pour Tobit, sa femme Anna et leur fils Tobie.
- « Chez les Juifs, fête qui se célébrait le cinquantième jour [pentêkostê en grec] après le seize du mois de nisan, ou après le second jour de Pâques, et dans laquelle les Juifs offraient à Dieu les prémices de leurs moissons » (Littré DLF).
Flavius Josèphe (Guerre des Juifs, livre ii, chapitre viii, § 5), à propos de la secte judaïque des Esséniens (v. note [19], lettre 229) :
« Avant le lever du soleil, ils ne prononcent pas un mot profane : ils adressent à cet astre des prières traditionnelles, comme s’ils le suppliaient de paraître. Ensuite, leurs préposés envoient chacun exercer le métier qu’il connaît et, jusqu’à la cinquième heure, ils travaillent de toutes leurs forces ; puis ils se réunissent de nouveau dans un même lieu, ceignent leurs reins d’une bande de lin et se lavent tout le corps d’eau froide. Après cette purification, ils s’assemblent dans une salle particulière où nul profane ne doit pénétrer ; eux-mêmes n’entrent dans ce réfectoire que purs, comme dans une enceinte sacrée. Ils prennent place sans tumulte, puis le boulanger sert à chaque convive un pain, le cuisinier place devant lui un plat contenant un seul mets. Le prêtre prononce une prière avant le repas et nul n’y peut goûter que la prière ne soit dite. Après le repas, il prie derechef ; tous, au commencement et à la fin, rendent grâce a Dieu, dispensateur de la nourriture qui fait vivre. Ensuite, dépouillant leurs vêtements de repas comme des robes sacrées, ils retournent à leurs travaux jusqu’au soir. Alors, revenus au logis commun, ils soupent de la même manière, cette fois avec leurs hôtes s’il s’en trouve de passage chez eux. Ni cri, ni tumulte ne souille la maison : chacun reçoit la parole à son tour. Pour les gens qui passent, ce silence à l’intérieur du logis apparaît comme la célébration d’un mystère redoutable ; mais la cause en est simplement dans leur invariable sobriété, dans leur habitude de mesurer à chacun la nourriture et la boisson nécessaires pour le rassasier, sans plus. »
Je n’ai pas trouvé ces paroles du Christ dans l’Évangile de Jean, mais il est dans celui de Luc (14:12) :
« Il disait à celui qui l’avait invité : “ Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, {a} ne convoque pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni des voisins riches, de peur qu’ils ne t’invitent à leur tour et que ce ne soit pour toi un rendu. ” » {b}
- En latin (Vulgate, v. note [6], lettre 183) : cum facis prandium aut cenam [quand tu fais un déjeuner (dîner) ou un dîner (souper)].
- Les deux versets suivants éclairent le propos du Seigneur :
« Mais, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; et heureux seras-tu de ce qu’ils n’ont pas de quoi te rendre, car cela te sera rendu lors de la résurrection des justes. »
Xénophon, philosophe, écrivain et chef militaire grec du ive s. av. J.‑C., auteur de nombreux ouvrages, dont la Cyropédie [Histoire de Cyrus], à laquelle Guy Patin empruntait ce passage (livre iv, chapitre 8, § 9) :
« De même c’était une règle auparavant de ne faire qu’un repas par jour, afin de pouvoir consacrer la journée tout entière aux affaires et à un travail prolongé. À présent, on continue à ne faire qu’un repas par jour, mais on commence à manger à l’heure de ceux qui déjeunent le plus matin et l’on ne cesse de manger et de boire jusqu’à l’heure où ceux qui se couchent le plus tard finissent de dîner. »
Athénée de Naucratis (v. note [17], lettre de Charles Spon, datée du 6 avril 1657) a donné une savante leçon sur le vocabulaire des anciens Grecs à table dans le livre i de ses Déipnosophistes (chapitres ix‑ x) :
« Homère nous apprend les différents repas que faisaient ses héros. Le premier était l’acratisme {a} ou déjeuner, qu’il appelle ariste. {b} Il en fait une fois mention dans L’Odyssée, “ Ulysse et le divin Porcher {c} ayant allumé du feu et préparé l’ariste ” ; et une fois dans L’Iliade, “ Ils se mirent promptement à préparer l’ariste. ” Or, on voit dans ces vers qu’il parle d’un repas qu’on faisait du matin et que nous appelons acratisme parce que ce ne sont que quelques morceaux de pain qu’on prend trempés dans de l’acrate {d} ou vin pur. C’est ce que désigne Antiphane : “ Pendant que le cuisinier préparera le dîner ” ; puis il ajoute : “ Tu peux faire l’acratisme avec moi. ” Cantharus a dit acratisometha dans le même sens : “ A. Est-ce que nous ne déjeunerons {e} pas ici ? B. Non, car nous devons dîner à l’isthme. ” Aristomène a dit acratioumai : {f} “ Je vais prendre un petit déjeuner et je reviens après avoir mangé deux ou trois bouchées de pain. ” Philémon dit que les anciens faisaient quatre repas : l’acratisme, ou le déjeuner ; l’ariste, ou le dîner ; l’espérisme, {g} ou le goûter ; et le déipné, {h} ou le souper. Ils appelaient aussi l’acratisme, dianestisme, {i} l’ariste, dorpiste, {j} et le déipné, épidorpide. {k} Voici comme Eschyle rapporte l’ordre des repas : “ J’ai, dit Talamède, assigné le rang aux taxiarques, aux stratarques et aux hécatontarques ; {l} quant à la nourriture, j’ai réglé qu’on ferait trois repas, l’ariste, le déipné et le dorpe. ” {m} Homère fait mention d’un quatrième repas en ces termes : “ Mais toi, viens après avoir goûté ; déiéliêsas. ” {n} Ce repas, qu’on faisait entre le dîner et le souper, s’appelle, selon quelques-uns, déilinon. {o} On voit, par le passage d’Eschyle, que l’ariste se prenait du matin, le déipné à midi, et le dorpé au soir ; mais on pourrait présumer que les mots ariste, ou déjeuner, et déipné ont été synonymes, car Homère dit, en parlant d’un repas du matin : “ Ils prirent donc le déipné, et s’armèrent après. ” Or, on sait que ces guerriers prenaient de la nourriture dès que le soleil était levé et qu’ils marchaient aussitôt au combat. »
- ακρατισμος.
- αριστος (le meilleur).
- Eumée, porcher d’Ulysse.
- ακρατος.
- ακρατισομεθ’.
- ακρατιουμαι.
- εσπερισμα.
- δειπνον.
- διανηστισμον.
- δορπηστον.
- επιδορπιδα.
- Noms que les Grecs donnaient aux officiers supérieurs et généraux de leurs armées. V. note [11] du Faux Patiniana II‑7 pour Eschyle.
- δορπα.
- δειελιησας.
- δειλινον.
« Pour être léger la nuit, que ton souper soit bref. »
« Que le rouge monte au front du jurisconsulte sans loi, au médecin sans méthode » : adage auquel je n’ai pas trouvé d’autre source que Guy Patin.
Internet facilite à présent beaucoup l’accès à ces trois sources (sans tout de même en faire un jeu d’enfant, notamment pour la deuxième, qui m’a donné du fil à retordre, et pour la troisième, qui m’a mené bien plus loin que je ne comptais aller). S’il n’y trouve pas le même intérêt que moi, le patient lecteur aura la gentillesse d’excuser mon acharnement à bien comprendre ce qu’écrivait Guy Patin.
« N’est-ce pas parce qu’il faut alors qu’un lieu du corps soit plus échauffé que tout le reste ? Ce qui les empêche d’accomplir l’acte, c’est la quantité de chaleur répandue dans leur corps entier. La chaleur qui résulte du mouvement est plutôt éteinte par le milieu où elle va, parce que, dans les ivrognes, il y a beaucoup d’humidité dont la coction n’est pas faite. De plus, la liqueur séminale vient de la nourriture ; et il faut toujours qu’il y ait digestion de la nourriture qui, remplissant le corps, le rend propre et le pousse à l’acte vénérien. C’est pour cela qu’en vue de l’accomplissement de l’acte, il y a des médecins qui recommandent de déjeuner fortement et de souper légèrement, afin que les matières non digérées soient moins abondantes que les matières bien digérées. »
Quoniam vero quæris ex me, num ad sanitatis tutelam spiritusque animalis persistentiam præstet semel quotidie, an bis potius cibum capere : ego satius esse crediderim, ut distributo in tria cibo omni meridie portionibus duabus vescaris, reliqua sub noctem, nam et assiduam ita cerebrum humectationem sentit, et facilior conciliatur somnus, et longius spiritus perdurat irrigatu iugi fotus, nec facile ita ignescere continget ob ieiunium, neque refirgerari : siquidem utrunque eveniat temporis ac temperamentorum diversitate. Quod si inualuerit consuetudo, nec velis bis rei eidem vacare, possis consuetudinem servare, quæ naturales facultates in habitu iam induerit, ut citra detrimentum aliquod eæ tanto temporis intervallo opus peragant : præterea autem, ut non durabilior ita spiritus sit, certe nitidior euadet, quem admodum sane posterius docebimus in orationis repetione.
[Néanmoins, puisque tu me demandes si, pour la préservation de la santé et la persistance de l’esprit animal, il vaut mieux prendre un ou deux repas par jour, je croirais, quant à moi, préférable que tu répartisses toute ta ration quotidienne en trois portions : deux à manger au milieu de la journée, et le reste dans la soirée ; car ainsi le cerveau jouit d’une humectation continue, le sommeil vient plus facilement et l’esprit reste plus longtemps en éveil grâce à l’irrigation de la fomentation conjointe, sans se laisser aisément échauffer ni refroidir par le jeûne, puisque l’un ou l’autre de ces deux effets peut survenir suivant la diversité de la saison et des tempéraments. Si tu en as pris l’habitude et ne veux pas y revenir, tu peux la conserver : tes facultés naturelles s’y sont déjà accoutumées et ses bons effets persisteront fort longtemps sans le moindre préjudice ; mais en outre, si la longévité de l’esprit vital ne s’en trouve pas augmentée, il sera rendu plus resplendissant, comme nous le découvrirons plus pleinement dans la suite de mon discours].
Ergo tutius est imbecillo seni exiguum dare ter die, sicut Antiochus medicus solitus est se cibare, jam quidem annos natus plus quam octoginta, ac quotidie ad forum progrediens in eum locum, ubi concilium civium convenerat, interim etiam longa via ad ægros invisendos pergens. Cæterum domo in forum quasi trium stadiorum spatium pedibus confecit ; quo etiam modo infirmos, si quos prope habebat, invisit. Longius vero si quo erat eundum, partim gestatus in sella, partim vehiculo vehebatur. Erat autem ei domi cellula quædam, quæ hyeme calebat camino, æstate citra ignem bene temperatum aërem habebat. In hac mane omnino fricabatur tam æstate quam hyeme, utique dejecta prius alvo. In foro autem loco aliquo circiter horam diei tertiam vel ad summum quartam sumpsit panem cum Attico melle plerumque cocto, rarius crudo. Postea partim cum aliis commentans, partim ipse solus aliquid legens, ad septimam usque horam perseverabat. Ab hac tum in publico balneo fricabatur, tum vero exercitabatur aptis scilicet seni exercitationibus ; de quarum forma paulo post agemus. Mox lotus prandebat mediocriter, primum iis sumptis, quæ alvum dejiciunt, post hæc maxime piscibus, vel quos saxatiles vocant, vel qui in alto mari degunt. Rursus in cœna piscium esu abstinuit, sed boni succi aliquid, ac quod facile putresceret, sumpsit, utique aut alicam cum mulso, aut avem ex jure simplici. Atque hæc quidem victus ratione Antiochus in senio usus sensibus illæsis membrisque omnibus integris ad extremum duravit. Telephus autem grammaticus provectiore quam Antiochus ætate fuit, ut qui centum fere annos vixerit. Is vero hyeme bis mense lavabatur, æstate quater, mediis harum temporibus ter. Quibus vero diebus non lavabatur, iis circa tertiam horam unctus est cum exigua frictione ; mox mel optimum crudum alicæ in aqua coctæ permixtum esitabat, idque ei pro jentaculo satis fuit. Prandebat septima hora, aut paulo citius, primum oleribus sumptis, deinde piscibus gustatis, aut avibus ; vespere autem tantum panem ex vino diluto edebat.
[À un faible vieillard, il est donc plus sain de donner une petite quantité de nourriture trois fois par jour : ainsi le médecin Antiochus {a} avait-il coutume de s’alimenter ; et il a bien vécu plus de quatre-vingts ans, en se rendant tous les jours au forum, là où l’assemblée des citoyens se réunissait, tout en continuant à cheminer longuement pour visiter des malades. Pour aller de sa maison au forum, il devait parcourir quelque trois stades {b} à pied, tout en passant aussi voir des patients, s’il en avait aux alentours ; s’il s’en trouvait plus loin, il s’y rendait soit à cheval, soit en voiture. En sa maison, il avait une chambre particulière qu’un poêle tenait bien chaude en hiver, mais sans feu et bien aérée en été. Il s’y frictionnait entièrement le matin, tant l’hiver que l’été, après s’être soulagé l’intestin. En quelque lieu du forum, vers la troisième heure du jour, ou la quatrième, tout au plus, il mangeait du pain avec du miel d’Attique, le plus souvent cuit, mais plus rarement cru. Ensuite, soit en compagnie d’autres gens, soit tout seul, il lisait jusqu’à la septième heure. {c} Cela fait, il se rendait au bain public pour une toilette, puis s’adonnait aux exercices physiques de son âge (dont nous parlerons un peu plus loin). Une fois propre, il s’alimentait avec modération, mangeant d’abord des mets qui soulagent l’intestin puis, principalement des poissons, soit ceux qu’on appelle saxatiles, {d} soit ceux qui vivent au large des côtes. En revanche, au souper, il s’abstenait de poisson, consommant quelque aliment de bon suc et de digestion aisée, comme de la semoule avec du vin miellé ou un simple bouillon de volaille. Avec ce régime, Antiochus a conservé la pleine jouissance de sens intacts et d’un corps ingambe jusqu’à l’âge le plus avancé. En devenant presque centenaire, le grammairien Telephus {e} a surpassé Antiochus en longévité. Lui se lavait deux fois par mois en hiver, quatre fois en été, et trois fois dans les saisons intermédiaires ; mais les jours où il ne se lavait pas, il s’oignait légèrement de baume, après quoi, il prenait son petit déjeuner, se contentant du meilleur miel, cru et mêlé à de la semoule cuite dans l’eau. Il déjeunait à la septième heure ou un peu plus tôt, mangeant d’abord des légumes, puis du poisson ou de la volaille. Le soir, il ne prenait que du pain trempé dans du vin dilué].
- Antiochus a dû à Galien de figurer dans les biographies médicales. Panckoucke le dit romain et ajoute qu’« Aétius et Paul d’Égine nous ont conservé quelques compositions de sa façon ». Le remarquable index des « Princes de l’art médical » (source de la citation 2 supra) conduit à une Antiochi hiera [hière (mélange laxatif) d’Antiochus] (sermon iii, première tétrade des œuvres d’Aétius, à la fin du chapitre cxiv, colonne 137, repère C) ; Aétius en fournit la composition, la dit active contre la mélancolie (folie), l’épilepsie et le sang épais (sanguis fæculentus), mais ne donne pas la moindre précision sur la biographie de son créateur.
- Soit un peu moins de 600 mètres.
- Le jour romain, du lever au coucher du soleil, était divisé en 12 heures égales (dont la durée variait donc au fil des saisons) ; la septième heure correspondait toujours au midi solaire.
- V. supra note [46].
- Gerardus Johannes Vossius (v. note [3], lettre 53) a parlé de Telephus à la fin du chapitre xvi (page 480) du dernier de ses quatre livres de Historicis Græcis [des Historiens grecs] (Leyde, 1651, v. note [6], lettre 162) :
Telephus, Τηλεφος, grammaticus Pergamenus, multæ ex<i>stimationis fuit tempore Hadriani Cæsaris. Ut cognoscimus ex Julio Capitolino in vita Veri (nisi is potius Spartianus ;) qui refert, Verum Cæsarem in Latinis usum grammatico Scauro ; in Græcis, Telepho : quem non alium esse a Pergameno, plane adsentio summo viro, Claudio Salmasio. Multa is edidit ad historiam patriam pertinentia. Ut Pergami descriptionem : item de Pergameno Augustali libros ii ; adhæc de regibus Pergamenis libros v. Idem res Atticas illustravit, tum opere de Atheninesium legibus, et moribus ; tum altero περι των Α’θηνησι δικαστηριων. Adhæc literis mandavit vitas Comicorum et Tragicorum. Alia quoque multa producit, quorum elenchum apud Suidam videre est. Meminit et Telephi Aristophanis scholiastes in Plutum.
[Telephus, Têléphos, grammairien de Pergame, a joui d’une grande estime au temps de l’empereur Hadrien. {i} Voilà ce que nous apprend Julius Capitolinus dans la Vie de Verus (à moins que son auteur ne soit Spartianus), où il relate que l’empereur Verus suivit l’enseignement des grammairiens Scaurus, pour le latin, et Telephus, pour le grec. {ii} Je partage entièrement l’avis de l’éminent M. Claude Saumaise sur le fait qu’il ne venait pas d’ailleurs que de Pergame. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire de sa patrie : une description de Pergame ; deux livres sur Pergame au temps d’Auguste ; cinq livres sur les rois de Pergame. Il a aussi enrichi l’histoire attique, tant par son ouvrage sur les lois et les mœurs des Athéniens que par son autre sur les tribunaux d’Athènes. Il a encore écrit les vies des Comiques et des Tragiques, ainsi que de nombreux autres traités dont Suidas fournit une liste. {iii} On cite encore des commentaires de Telephus sur le Plutus d’Aristophane]. {iv}
- Hadrien a régné sur l’Empire romain de 117 à 138.
- Julius Capitolinus est l’auteur de la Vie de Verus (empereur romain de 161 à 169) qui est dans l’Histoire auguste (livre v), où il écrit (chapitre ii, § 5, page 171) : « Il suivit les leçons du grammairien latin Scaurinus, le fils de Scaurus qui avait été le grammairien d’Hadrien, des Grecs Telephus, Héphæstion et Harpocration, etc. » Spartianus est un autre des auteurs de l’Histoire auguste.
- V. note [47] du Grotiana 2.
- V. note [7], lettre 952.
Aucun des nombreux ouvrages de Telephus n’a survécu aux siècles. Le savant Vossius n’a pas établi de lien entre ce grammairien grec et celui dont a parlé Galien, mais la chronologie rend son identification plausible, sinon certaine.
Élixation (du latin elixare, cuire dans l’eau) : « Action de faire bouillir une substance dans l’eau et qui a pour but d’obtenir deux produits, l’un solide cuit et l’autre liquide. Le pot-au-feu des ménages est une élixation » (Littré DLF).
Aristote a abondamment parlé de la coction dans le chapitre iii, livre iv de sa Météorologie. Sans y trouver les mots cités par Guy Patin, on peut en citer ce passage du § 24 (traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire) :
« Le rôtissage et la cuisson bouillie {a} se produisent artificiellement ; mais, ainsi que nous venons de le dire, il y a des actions tout à fait identiques même dans la nature. Les modifications produites sont pareilles de part et d’autre ; mais elles n’ont pas reçu de nom spécial. L’art ne fait qu’imiter la nature en ceci, car la digestion des aliments dans le corps des animaux est tout à fait analogue à la cuisson bouillie, puisque la digestion se produit, dans l’humide et dans le chaud, par la chaleur que renferme le corps ; et il y a parfois des indigestions qui ressemblent à la cuisson imparfaite. »
- Οπτησις μεν ουν και εψεσις [Optêsis men ou kaï epsésis] (v. infra notules {a} et {b}).
L’Orthodoxe ou l’abus de l’antimoine de Claude Germain (Paris, 1652, v. note [2], lettre 276) a été plus explicite sur l’élixation et, plus généralement sur les coctions, naturelle et artificielle (Premier entretien, pages 60‑61) :
« L’artificielle, que l’art, en imitant la nature, a inventée pour perfectionner les choses qu’elle apprête et les approprier à leurs usages, est divisée en plusieurs espèces, desquelles il serait superflu, pour l’heure, de nous entretenir. Je dirai pourtant qu’elle se fait par la chaleur jointe à l’humide ou au sec : de la chaleur humide provient l’élixation, qu’Aristote appelle εψησιν ; {a} la sèche produit l’assation, qu’il nomme οπτησιν. {b} L’élixation est une espèce de coction de ce qui n’est point déterminé dans l’humide (c’est à savoir de la portion plus aqueuse) faite par une chaleur humide. L’assation, au contraire, vient d’une chaleur sèche qui cuit les choses quand elle les rôtit. L’élixation est de deux sortes. L’une, des choses dures et sèches dont on vient à bout par le moyen d’une substance humide qui les pénètre, raréfie, fond, et en sépare enfin l’humidité propre ; et pour cette raison, les viandes bouillies sont plus sèches que les rôties. L’autre est des choses liquides que nous faisons cuire dans leur propre humidité. L’assation se fait par une chaleur extérieure extrêmement sèche qui vient à communiquer cette qualité au dehors des corps qui se rôtissent ; et pour lors, l’humeur, ne pouvant entièrement sortir, est contrainte de rester au-dedans, d’où vient que les parties internes sont plus humides. »
- Action de cuire, de fondre, de bouillir.
- Action de rôtir (assare en latin). L’assation était la « coction des médicaments et aliments dans leurs propres sucs, et sans addition d’aucune humidité ou onctuosité étrangère ; comme celle des viandes à la broche, sur le gril, au four, sous la braise, etc. » (Furetière).
« Pour éviter la peine, commence ton repas en buvant. »
Pour donner du poids à ses dires et se mettre à l’abri des contradicteurs, Guy Patin continuait laborieusement à accabler son lecteur de références que seuls médecins et érudits étaient capables de vérifier.
Corpus augere volentibus, aut mollire alvum, conducit inter cibos bibere. Contra minuentibus, alvumque cohibentibus, sitire in edendo, postea parum bibere. Vinum jejunos bibere, novitio invento, inutilissimum est curis, vigoremque animi, ad procinctum tendentibus : somno vero ac securitatibus jamdudum hoc fuit.
« Quand on veut acquérir de l’embonpoint ou avoir le ventre libre, il importe de boire en mangeant. Ceux, au contraire, qui se trouvent trop replets et qui veulent avoir le ventre moins libre doivent rester sur leur soif en mangeant, et boire peu après le repas. Boire du vin à jeun est une coutume nouvelle, et très mauvaise quand on a des affaires sérieuses et besoin de vigueur d’esprit pour les traiter. En prendre à jeun était jadis en usage, mais comme préparation au sommeil et au repos. »
Sed etiam et quod illi faciunt nihil mali sit, si ii qui convalescentium victu utuntur etiam faciant ut illico post cœnam non bibant antequam cibus fuerit concoctus, siquidem innatant cibi si bibant, ita ut eos ventriculi corpus propter interpositum humorem non contingat. Verum si sitibundi fuerint, prohibere eos in totum, ut grave est, ita nec expediens ; sed tantillum indulgendum quod et molestiam soletur et sitim levet. Postea vero quam nutrimentum concoxerint, abunde bibere sunt sinendi ; nam celerrime, si ita faciant, per corpus distribuitur.
[En outre, comme font ces athlètes, il n’y a aucun mal à suivre ceux qui prescrivent aux convalescents de ne pas boire {a} immédiatement après le repas, tant que la nourriture n’a pas été digérée, parce que, s’ils boivent, les aliments nageront dans l’estomac et l’interposition de liquide empêchera sa paroi d’entrer en contact avec eux. Si la personne est très altérée, il ne convient pas de lui infliger la lourde peine de ne rien boire du tout : on doit lui permettre de prendre la petite quantité de boisson qui apaisera sa gêne et soulagera sa soif ; mais plus tard, quand il aura digéré son repas, il faut l’autoriser à s’abreuver abondamment ; ce faisant, le liquide se dispersera très promptement par tout le corps].
- Sans le dire car, pour lui, cela allait de soi, Galien parlait de boire du vin étendu d’eau, comme faisaient la plupart de ses concitoyens.
« Les choses auxquelles on est accoutumé depuis longtemps, lors même qu’elles sont moins bonnes que les choses inaccoutumées, nuisent moins d’ordinaire ; mais il faut aussi passer aux choses inaccoutumées. »
Chapitre de l’Historia plantarum [Histoire des plantes] de Théophraste d’Érèse (édition grecque et latine d’Amsterdam, 1644, v. note [7], lettre 115 ; pages 1147‑1148) dont le titre détaille le propos :
Consuetidine venenorum vires fieri debiliores, et inertes, atque ita quibusdam non nocere potuisse elloborum. Quo remedio fuerit Eudemus post viginti duas potiones ellobori. Deque mira vi pumicis ac quantum valeat consuetudi, quod et absynthium depastum ostendit.
[L’accoutumance atténue et même supprime les pouvoirs des poisons, et c’est ainsi que l’ellébore {a} a pu devenir inoffensif chez certaines gens. Ce dont bénéficia Eudemus {b} après avoir bu vingt fois de l’ellébore. Et du merveilleux pouvoir de la pierre ponce et à quel point elle favorise l’accoutumance, {c} dont jouissent aussi les troupeaux qui paissent de l’absinthe].
- V. note [30], lettre 156, pour ce purgatif drastique qui n’était tout de même pas considéré comme un poison violent.
- Théophraste présente Eudemus comme Chius [de Chio] et medicamentarius, hac in arte facile princeps [pharmacien occupant aisément le premier rang en son art].
- La pierre ponce, absorbée par la bouche, était censée agir en absorbant les poisons qui se trouvaient dans l’estomac.
Galien « sur les médicaments simples » (v. supra note [56]), loc. cit. (Kühn, volume 11, page 601) :
Sicuti ergo lactuca, si cor refrigeravit, interimit, sin concoquatur, alimentum animali efficitur, ad eundem, arbitror, modum cicuta hominem quidem celeritate distributionis interficit, sturnos vero tarditate ipsa nutrit. Si vero exiguum quiddam sumatur, mortem homini nequaquam inseret. Id quod anus Atheniensis experimento docuit, cujus apud omnes percelebris memoria est. Etenim ea a minima cicutæ portione auspicata, nullo detrimento ad permagnam progressa est copiam, principio enim paucum exiguitate ipsa devictum est, at consuetudo naturale reddidit.
[Si elle a refroidi le cœur, l’euphorbe {a} provoque la mort, mais une fois cuite, elle sert d’aliment pour les animaux. Il en va de même, je pense, pour la ciguë : {b} elle tue certes l’homme par la rapidité de sa distribution dans le corps, mais elle nourrit les étourneaux qui la digèrent lentement ; elle n’est pas non plus mortelle pour l’homme si elle lui est administrée en toute petite quantité. Voilà ce que nous a appris l’expérience de cette vieille femme d’Athènes dont chacun conserve le très fameux souvenir : ayant commencé par consommer de la ciguë à très faibles doses, elle est progressivement parvenue à en absorber une très grande quantité sans en subir le moindre inconvénient ; étant en soi négligeable, le peu qu’elle a pris au début n’a pas eu d’effet, mais une accoutumance s’est naturellement établie].
- Je n’ai pas pris lactuca dans le sens de simple laitue (aliment que Galien prisait fort, v. supra note [43]), mais dans celui de lactuca caprina, qui était une variété d’euphorbe (v. note [6], lettre latine 75).
- V. notes [8], lettre 196, pour la ciguë, et [38] de la leçon sur le laudanum et l’opium, pour sa réputation usurpée de poison mortel.
« même volontairement et sciemment ».
V. note [4] de l’observation xi pour Mithridate iv Eupator, roi du Pont (Bosphore), et sa défaite contre Pompée (v. note [1], lettre 101).Appien (Appianus) d’Alexandrie, historien grec du ier s., a raconté cette mort dans « La guerre de Mithridate », chapitre 111 :
« Le roi vit tout cela du haut d’un portique et il envoya messager sur messager à Pharnace, {a} demandant la permission de partir en toute sécurité. Comme aucun de ses messagers ne revenait, craignant d’être livré aux Romains, il remercia ses gardes du corps et les amis qui étaient restés fidèles et les envoya chez le nouveau roi, mais l’armée tua certains d’entre eux sans aucune raison pendant qu’ils s’approchaient. Mithridate alors sortit le poison qu’il portait toujours à côté de son épée et le mélangea. Alors deux de ses filles, qui étaient encore vierges, qui avaient grandi ensemble, du nom de Mithridatis et Nyssa, qui avaient été promises aux rois d’Égypte et de Chypre, lui demandèrent de leur laisser une partie du poison. D’abord, elles insistèrent avec énergie et l’empêchèrent de le boire jusqu’au moment où elles en eurent et l’avalèrent. La drogue agit immédiatement sur elles ; mais sur Mithridate, bien qu’il marchât rapidement pour accélérer ses effets, elle n’eut aucun effet parce qu’il s’était accoutumé à d’autres drogues en les essayant sans arrêt comme moyen de protection contre les empoisonnements. On appelle toujours ces drogues “ les drogues de Mithridate ”. Voyant un certain Bituitos, un chef gaulois, il lui dit. “ J’ai souvent profité de ton bras droit contre mes ennemis. J’en profiterai encore plus si tu me tues et si tu me soustrais au danger d’être emmené dans un triomphe romain, moi qui fus un autocrate durant tant d’années, et le roi d’un si grand royaume, mais qui ne peux pas mourir maintenant par le poison parce que, comme un imbécile, je me suis immunisé contre d’autres poisons. Bien que j’aie prévu de m’immuniser contre tous les poisons qu’on mélange dans la nourriture, je ne me suis pas immunisé contre ce poison domestique, toujours le plus dangereux pour les rois, à savoir la trahison de son armée, de ses enfants et de ses amis. ” Bituitos, pris de pitié, rendit au roi le service qu’il demandait. »
- Roi du Pont, fils aîné, rival et successeur de Mithridate.
Épigramme lxxvi, livre v :
« À force de boire du poison, Mithridate parvint à empêcher sur lui l’effet du venin le plus subtil. Et toi, Cinna, par l’habitude de souper si bien {a} tous les jours, tu es arrivé à ne pouvoir jamais mourir de faim. »
- tam male [si mal] dans le texte original.
Le Canon d’Avicenne (Venise, 1555, v. note [11], lettre 11), Fen vi, livre iiii, de venenis [des poisons], premier traité, fin du chapitre 2, Sermo universalis de venenis quæ bibuntur [Discours complet sur les poisons qui se boivent] (page 490 vo, repère G) :
Et dico hoc : et dixit Rufus : quod nutrita fuit puella cum veneno, ut interficerentur per eam principes qui cum ea convenirent. Et quod ipsa in complexione sua consecuta est consecutionem maximam, ita ut saliva eius interficeret animal, et non appropinquaret eius salivæ gallina.
[Et, à l’instar de Rufus, {a} je dis qu’une petite fille a été nourrie avec du venin, de sorte que mouraient les princes {b} qui l’allaient voir ; et que cela avait engendré en elle une très grande conséquence car sa salive était capable de tuer un animal et qu’une poule évitait de s’en approcher].
- Une note marginale de l’éditeur ne renvoie pas à Rufus d’Éphèse (v. note [4], lettre latine 57), mais au Continens [Contenant] (Venise, 1529) de Rhazès (v. note [24], lettre 101), avec une cote dont je ne suis pas venu à bout, Ras.35.conti.t.i.c.i.493.2.
- Traduction littérale, mais douteuse, de principes.
Sed de mirabilibus quæ visa sunt in talibus, est unum quod refert Aristot. in libro de regimine dominorum, quem scripsit ad Alexandrum, quod videlicet puella missa fuit Alexandro, ex cuius morsu moriebantur homines sicut ex morsu serpentum : et humor salivialis in ipsa fuit venenum. Et possibilitas huius probatur ex hoc quod sagitta intincta in salivam hominis ieiuni intoxicatur, quando vulnerat alium. Et quod unicuique saliva propria est medicamen contra venenum, et alij non est salutaris, et forte est sibi venenosa. Narrat autem Avicenna, quod in terra de naffatye fuit homo temporibus suis, qui quoties voluit, paralyticabat corpus suum, et rursum quando voluit, sanabatur : et venenosa pungentia cauda vel lingua, sicut scorpio, vel arenea, fugiebant eum, nisi multum lacessita et provocata ab ipso : et statim ut pupugerunt eum, moriebantur venenosa illa : et ipse homo remansit illæsus : et serpens quidam magnus momordit eum, et statim mortuus fuit serpens : et venenum serpentis non induxit in viro, nisi effimeram duorum dierum. Et cum ad terram illam gratia videndi eum venisset Avicenna, invenit mortuum : sed filium reliquerat, in quo multa videbantur de miralibus patris, quem in præsentia Avicenna momordit serpens, fere fuit mortuus : et hanelitus viri illius horribilis et nocivus fuit valde serpentibus omnibus. Adhuc autem in nostra præsentia in Colonia coram multis de sociis nostris præsentabatur quodam tempore puella forte trium annorum, quæ statim ut dimittebatur de manibus matris, per angulos parietum discurrebat quærendo areneas, et omnes parvas et magnas comedit : et proficiebat ex hoc cibo, et multum præ omnibus cibis desideravit eum.
[Quant aux merveilles qu’on voit en ces pays, il en est une que relate Aristote dans son liber de regimine dominorum, qu’il a écrit à l’intention d’Alexandre : {a} on avait envoyée à Alexandre une petite fille dont la morsure tuait les hommes comme celle d’un serpent ; sa salive était un venin ; pouvoir que démontre le fait qu’une flèche imprégnée avec la salive d’un homme à jeun en empoisonne un autre quand elle le blesse ; et que la propre salive de tout un chacun est pour lui-même un remède contre le venin, mais n’en est pas un pour autre que lui, pouvant même alors devenir poison pour celui-là. Avicenne raconte aussi que, de son temps, il y eut dans le pays de Naffaty {b} un homme qui se paralysait le corps chaque fois qu’il voulait et se guérissait de même, à son gré ; et que les animaux qui piquent du venin par la queue ou par la langue, comme le scorpion ou l’araignée, le fuyaient sans qu’il les ait attaqués ou provoqués ; et sitôt qu’ils l’avaient piqué, ils mouraient de son venin, tandis que le leur n’avait aucun effet sur cet homme ; un grand serpent périt sur-le-champ après l’avoir mordu, et ne procura pas d’autre mal à cet homme qu’une fièvre éphémère de deux jours. Quand Avicenne vint en ce pays pour le voir, il apprit qu’il était mort, mais il avait laissé un fils, chez qui se retrouvaient nombre des étonnantes capacités de son père : un serpent le mordit sous les yeux d’Avicenne et la bête en mourut presque ; l’haleine de cet homme était effrayante et toxique pour absolument tous les serpents. Voici quelque temps, à Cologne, en ma présence et en celle de nombre de mes compagnons, s’est présentée une fillette d’environ trois ans qui, dès qu’elle lâchait les mains de sa mère, se précipitait dans les recoins de murs pour y chercher des araignées et les mangeait toutes, grandes comme petites ; elle tirait profit de cette nourriture et la préférait à toutes les autres].
- Apocryphe intitulé Liber moralium de regimine dominorum, qui alio nomine dicitur Secretum secretorum, editus ab Aristotele ad Alexandrum regem et discipulum dicti Aristotelis ; qui liber translatus fuit de lingua arabica in latinam [Livre de préceptes moraux sur le régime des seigneurs, autrement intitulé le Secret des secrets, écrit par Aristote à l’intention d’Alexandre (le Grand), roi et disciple dudit Aristote ; ouvrage (attribué à Philippus Tripolitanus) qui a été traduit d’arabe en latin].
- Contrée que je n’ai pas identifiée et narration que je n’ai pas trouvée dans le Canon d’Avicenne.
Quorundam hominum tota corpora prosunt : ut ex iis familiis quæ sunt terrori serpentibus, tactu ipso levant percussos, suctuve modo. Quorum e genere sunt Psylli, Marsique, et qui Ophiogenes vocantur in insula Cypro : ex qua familia legatus Evagon nomine, a consulibus Romæ in dolium serpentium coniectus experimenti causa, circummulcentibus linguis miraculum præbuit. Signum ejus familiæ est, si modo adhuc durat, vernis temporibus odoris virus. Atque eorum sudor quoque medebatur, non modo saliva.
« Le corps de certains hommes est tout entier médicinal : par exemple, les hommes de ces familles redoutées des serpents guérissent les personnes mordues, soit par un simple attouchement, soit par une légère succion. À cette catégorie appartiennent les Psylles, les Marses, {a} et ceux qu’on nomme Ophiogènes dans l’île de Chypre. {b} Un certain Évagon, {c} appartenant à cette famille et député à Rome, fut, par forme d’expérience, mis par les consuls dans un tonneau rempli de serpents, qui, à l’admiration universelle, ne firent que le lécher. Le signe commun à cette famille, si elle subsiste encore, est une odeur forte qui se fait sentir au printemps. La sueur même de ces hommes n’était pas moins un remède que leur salive. »
- Les Psylles (Psylliens pour Patin) étaient un « peuple de Libye [v. notule {a}, note [28] des Triades du Borboniana manuscrit] qui charmait les serpents et guérissait de leur morsure » (Gaffiot). Les Marses étaient un peuple du Latium qui se targuait des mêmes aptitudes que les Psylles.
- Ophiogènes dérive du grec ophis, serpent : « on désignait par ce terme une race d’hommes qui se disaient issus d’un serpent et prétendaient avoir les mêmes vertus qu’on attribuait aux Psylles ; les Ophiogènes de Chypre étaient des espèces de charlatans » (Académie) ; « anciens peuples qui occupaient l’île de Paros ; Moréri dit qu’on donna aussi ce nom à une famille qui habitait anciennement l’île de Chypre ; les Ophiogènes passaient parmi les Anciens, aussi bien que les Marses, célébres peuples de l’ancienne Italie et les Psylles, peuples de l’Afrique, contrée de la Libye, pour avoir la vertu de guérir les piqûres venimeuses des serpents » (Trévoux). La plume de Patin a doublement fourché en écrivant que les Ophiagenes (pour Ophiogenes) se nourrissaient de « poissons ».
- Nom que Patin a écorché en Exagon.
Crates Permagenus in Hellesponto circa Parium, genus hominum fuisse tradit, quos Ophiogenes vocat, serpentium ictus contactu levare solitos, et manu imposita venena extrahere corpori. Varro etiamnum esse paucos ibi, quorum salivæ contra ictus serpentium medeantur. Similis et in Africa gens Psyllorum fuit, ut Agatharchides scribit, a Psyllo rege dicta, cujus sepulcrum in parte Syrtium majorum est. Horum corpori ingenitum fuit virus exitiale serpentibus, et cujus odore sopirent eas. Mos vero liberos genitos protinus objiciendi sævissimis earum, eoque genere pudicitiam conjugum experiendi, non profugientibus adulterino sanguine natos serpentibus. Hæc gens ipsa quidem prope internecione sublata est a Nasamonibus, qui nunc eas tenet sedes : genus tamen hominum ex iis qui profugerant, aut, quum pugnatum est, abfuerant, hodieque remanet in paucis. Simile et in Italia Marsorum genus durat, quos a Circæ filio ortos ferunt, et ideo inesse iis vim glem eam. Et tamen omnibus hominibus contra serpentes inest venenum : feruntque ictas saliva, ut ferventis aquæ contactum fugere. Quod si in fauces penetraverit, etiam mori ; idque maxime humani jejuni oris.
« On lit dans Cratès de Pergame que sur l’Hellespont, auprès de Parium, fut une espèce d’hommes qu’il appelle Ophiogènes, {a} habitués à guérir par des attouchements les morsures des serpents et à extraire du corps les venins par l’imposition des mains. Varron {b} prétend même qu’il y en a encore dans le même lieu un petit nombre et que leur salive est un remède contre ces morsures. Telle était aussi en Afrique, au rapport d’Agatharchide, {c} la nation des Psylles, ainsi nommés d’après le roi Psylle, dont le tombeau est situé dans les grandes Syrtes. Leur corps possédait naturellement un venin funeste aux serpents, et dont l’odeur assoupissait ces animaux. Leur coutume était d’exposer leurs enfants, aussitôt après la naissance, aux plus redoutables de ces reptiles et d’éprouver ainsi la chasteté de leurs femmes, les serpents ne s’éloignant pas des enfants nés d’un commerce adultère. Cette nation a été presque exterminée par les Nasamons qui maintenant occupent ce pays. Cependant la race de ces hommes fut perpétuée par ceux qui échappèrent au combat, ou qui étaient absents au moment où il se livra ; et il en reste quelques-uns aujourd’hui. Telle est encore en Italie la race des Marses, que l’on dit issus du fils de Circé, {d} et chez qui on explique par là cette propriété naturelle. Au reste, tous les hommes possèdent un venin redouté des serpents : on prétend que ces reptiles, touchés par la salive, fuient comme si c’était de l’eau bouillante, et que si elle pénètre dans la gueule, ils meurent, surtout quand l’homme qui crache est à jeun. »
- Cratès, natif de Mallos en Cilicie, est un philosophe et grammairien grec du iiie s. av. J.‑C. qui enseigna à Pergame.
Pline se contredisait en écrivant ici que les Ophiogènes vivaient dans l’Hellespont (détroit des Dardanelles, v. note [51], lettre 413), contrée bien distincte de l’île de Chypre mentionnée dans le précédent extrait.
- V. note [1], lettre 14.
- Grammairien et géographe grec du iie s. av. J.‑C., natif de Cnide.
- V. note [7] du Traité de la Conservation de santé, chapitre viii, pour la magicienne Circé et les enfants qu’elle donna à Ulysse.
« Et le fameux Lysis avalait quatre drachmes d’opium sans en être incommodé. » {a}
- La capacité d’accoutumance (et de dépendance) aux opiacés n’étonnait déjà plus guère au temps de Guy Patin.
« Il y en a qui écrivent qu’un certain Lysis de nom mangeait souvent demi-once d’opium tout à la fois, sans inconvénient aucun. Quant à moi, j’ai vu une femme à Nemours qui en prenait tous les jours demi-dragme sans danger. Bref, on dit qu’il y avait anciennement une famille en Candie, {a} en laquelle tous, unanimement et sans exception, ensorcelaient tous ceux qu’ils regardaient, mais principalement les enfants qui mouraient de languison {b} peu après. C’est pourquoi je trouve être véritable ce qu’écrivent plusieurs, savoir est que ceux qui ont été nourris de poison toute leur vie sont entièrement exempts de tous ses efforts. » {c}
- En Crète.
- Langueur.
- Méfaits.
« La vertu apparaît sous un double aspect, l’un intellectuel, l’autre moral ; la vertu intellectuelle provient en majeure partie de l’instruction, dont elle a besoin pour se manifester et se développer ; aussi exige-t-elle de la pratique et du temps, tandis que la vertu morale est fille des bonnes habitudes ; de là vient que, par un léger changement, du terme mœurs sort le terme moral. Cette constatation montre clairement qu’aucune des vertus morales ne naît naturellement en nous ; en effet, rien ne peut modifier l’habitude donnée par la nature ; par exemple, la pierre qu’entraîne la pesanteur ne peut contracter l’habitude contraire, même si, un nombre incalculable de fois, on la jette en l’air ; le feu monte et ne saurait descendre ; et il en va de même pour tous les corps, qui ne peuvent modifier leur habitude originelle. Ce n’est donc ni par un effet de la nature, ni contrairement à la nature que les vertus naissent en nous ; nous sommes naturellement prédisposés à les acquérir, à condition de les perfectionner par l’habitude. […] Aussi faut-il exercer nos activités d’une manière déterminée, car les différences de conduite engendrent des habitudes différentes. La façon dont on est élevé dès l’enfance n’a pas, dans ces conditions, une mince importance. Que dis-je ? Cette importance est extrême, elle est tout à fait essentielle. »
Galien a parlé des habitudes en plusieurs de ses autres ouvrages, notamment dans son deuxième commentaire sur les Aphorismes d’Hippocrate, chapitre l (Kühn, vol. 17b, pages 553‑554, traduit du grec) :
Consueta longo tempore, etiamsi deteriora sint, insuetis molesta minus esse solent. Quare ad insueta etiam mutatio facienda.
Non de solis exercitationibus, ut superiore, verum absolute de omnibus consuetis hoc aphorismus enunciat, esculentis, poculentis, balneis, illotionibus, vigiliis, somno, calefactione, refrigeratione, curis ac studiis. Hæc enim singula quæ consueta sunt minus iis nocent, quæ sua quidem natura innocientiora, nunquam in consuetudinem pervenerunt. Quod igitur ita se res habeat in exercitationibus ad partium agentium robur refertur, prout ante dictum est ; in reliquis vero quomodo fiat jam dicemus. Cibi ac potus cum aliis in partibus tum maxime in ventriculo adscititiam naturam efficiunt. Etenim etiamsi a corpore quam maxime vincantur et transmutentur, ipsam tamen quodammodo pro sui natura ita afficiunt, ut processu temporis multa fiat immutatio atque nutriendis cum nutrientibus similitudo concilietur. Id enim a nobis in libro de consuetudinibus demonstratum est. Demonstratum vero est etiam unumquodque a similibus promtius alterari ac immutari. Ea re igitur quum similius immutando corpori immutans fuerit, celerius ipsum alterat ac immutat.
[Les choses auxquelles on est accoutumé depuis longtemps, lors même qu’elles sont moins bonnes que les choses inaccoutumées, nuisent moins d’ordinaire ; mais il faut aussi passer aux choses inaccoutumées. {a}
À la différence des deux précédents, {b} cet aphorisme n’invoque pas seulement les exercices physiques, mais absolument toutes les habitudes : aliments, boissons, veilles, sommeil, manières de s’échauffer et de se rafraîchir, soins et études. L’homme adopte les habitudes qui sont naturellement inoffensives plus volontiers que celles qui nuisent ; celles-là ne deviendront jamais ses pratiques coutumières. Ainsi donc, ayant précédemment énoncé l’intérêt des exercices pour procurer de la force aux parties motrices, nous dirons maintenant ce qu’il en est du reste des habitudes. Le manger et le boire, avec les autres, apportent aux parties du corps, et surtout à l’estomac, ce qui a été emprunté à la nature. Même si le corps assimile ces emprunts et les digère très intimement, leur nature propre affecte le corps de telle manière qu’une grande transformation s’y opère au fil du temps et qu’une similitude s’établit entre ce qui est nourri et ce qui nourrit, comme nous l’avons démontré dans le livre de Consuetudinibus ; où il est aussi prouvé que chaque chose est plus promptement modifiée et transformée par ce qui lui est semblable. Le fait est que plus une influence ressemble au corps qu’elle veut influencer, plus elle le modifiera et transformera rapidement]. {c}
- Hippocrate, aphorisme no 50, 2e section (Littré Hip, volume 4, page 485).
- Aphorismes (ibid.) :
- no 48, « Dans tout mouvement du corps, se reposer aussitôt que l’on commence à souffrir dissipe la souffrance » ;
- no 49, « Les personnes faites à supporter des travaux journaliers les tolèrent, quoique faibles ou âgées, mieux que des gens forts et jeunes qui n’y sont pas faits. »
- Pour les précautions à prendre quand on veut changer les habitudes, dans son 2e commentaire sur le livre « du régime alimentaire dans les maladies aiguës » (Kühn, volume 15, § xxii, pages 552‑556), Galien a approuvé et longuement développé ce passage d’Hippocrate (Littré Hip volume 2, page 283) :
« En effet, soit qu’on ait l’habitude de faire deux repas par jour, soit qu’on n’en fasse qu’un, les changements soudains causent souffrance et faiblesse. Qu’un homme, qui n’est pas dans l’usage de déjeuner, vienne à faire un repas le matin, aussitôt il en souffre, il devient pesant de tout le corps, faible et inactif ; si, dans cet état, il se met à dîner, il a des rapports aigres, quelquefois il survient de la diarrhée, parce que les voies digestives ont été surchargées d’un poids extraordinaire, habituées qu’elles étaient à avoir un intervalle de sécheresse, à ne pas recevoir deux fois un fardeau, à ne pas digérer deux fois des aliments. »
En même temps.